mardi 28 octobre 2014

Un faux thriller mystérieux écrit dans un style journalistique : "Trois"


Voici un livre pour le moins original et surprenant mais qui m'a laissé partagée entre deux impressions. Ce livre est vendu comme un thriller plébiscité par Stephen King, mais attention, il ne s'agit pas vraiment d'un roman policier, le style est nouveau, difficile à définir, entre forme journalistique avec une pointe de fantastique et d'ésotérisme.

L'histoire : un jeudi de janvier 2012, quatre avions issus de quatre compagnies différentes se crachent aux quatre coins du monde faisant des centaines de morts. A chaque fois, les experts sont formels : il est impossible qu'il y ait des survivants. Or, pour trois des crachs, seul un enfant à survécut à chaque fois, on ne sait par quel miracle. Pour le vol d'Afrique du Sud, une rumeur fait aussi état d'un enfant ayant survécu sans que cela ait jamais été prouvé. Comment de jeunes enfants ont-ils pu survivre à de telles catastrophes aériennes? Les médias s'emparent de l'affaire et différentes théories sont lancées, allant des extraterrestres aux cavaliers de l'apocalypse. Les "gourous" religieux de l'Amérique conservatrice occupent une place très importante dans ce récit. Les enfants sont recueillis par des membres de leur famille mais semblent ne pas être traumatisés, ils montrent même un détachement particulièrement anormal. La survie de ces enfants va avoir des conséquences inattendues, faisant effet "boules de neige",entraînant catastrophe sur catastrophe, allant jusqu'à influer la politique des pays concernés ! 


Le roman commence sur les chapeaux de roues, comme un très bon thriller : on est tenu en haleine par une des passagères d'un avion qui vit le crasch. Mais au bout d'une cinquantaine de pages, on se rend compte qu'il ne s'agit pas vraiment d'un roman policier, mais plutôt d'un condensé de témoignages révélant, au compte-goutte, les éléments mystérieux suivant ces accidents. L'histoire nous entraîne dans les moeurs de l'Amérique ultra conservatrice, au Japon, pays des nouvelles technologies et des geeks, à Londres et fait un bref passage en Afrique du Sud. L'auteur dresse un portrait très sombre de la société d'aujourd'hui, avec ses travers, ses extrêmes, ses tensions politiques, ses luttes de pouvoirs...

La construction du livre est originale. Il s'agit en fait d'un recueil d'échanges entre la narratrice qui rédige un livre sur le "jeudi noir"et interroge ainsi les différents acteurs et témoins de la catastrophe : famille des enfants survivants, voisins, enquêteurs, journalistes, etc. Le style est très réaliste, on trouve des entretiens par skype, par mail, téléphone, etc. Tout au long du récit, des informations sont révélées sur les événements à venir, ce qui tient bien sûr le lecteur en haleine. 
La fin du roman se distingue du reste puisque cette dernière partie est centrée non plus sur les témoins des drames mais sur la narratrice qui, après la publication de son livre et quelques mésaventures, continue de cherche des réponses... Vers la fin du roman on retrouve d'ailleurs le même suspens qu'au début. Malheureusement j'ai été un peu déçue par la fin, toujours très mystérieuse, étrange, floue.

En fait, je suis assez partagée sur ce roman. Ce livre ne correspond pas à ce à quoi je m'attendais. D'un coté, je l'ai trouvé très prenant et l'ai lu rapidement : les chapitres sont courts, écrits dans un style journalistique, incisif, comme s'il s'agit de l'actualité du moment et c'est notamment ce qui rend le livre vraiment prenant. D'un autre coté, je m'attendais à un roman policier, or il n'y a pas vraiment d'enquête, pas de réponses aux questions que l'on se pose, simplement quelques supputations ésotériques.

Trois / Sarah Lotz . - Fleuve Noir, 2014

jeudi 23 octobre 2014

Gone Girl : un thriller haletant !

David Fincher (Fight ClubL'Etrange histoire de Benjamin Button, The Social Network...) a adapté avec Gone Girl le roman de Gillian Flyn "Les apparences". Je n'ai pas lu le livre, mais apparemment le film reste assez fidèle au roman et David Fincher parvient à en faire un thriller passionnant, mené d'une main de maître.

                                                                

 Nick et Amy forment un couple modèle : jeunes, beaux, issus d'un milieu aisé, populaires...  Leur rencontre semble être un coup de foudre, ils veulent être un couple "différent", créatif, pour qui la routine n'existe pas.
Mais au bout de 5 ans de mariage, tous deux sont aigris et une distance s'est installée entre eux. Le soir de leur anniversaire de mariage, alors que Nick rentre chez lui, il trouve l'appartement vide et en désordre : Amy a disparu. Il appelle de suite la police. Si, de prime abord, Nick semble être de bonne fois, la police ainsi que les médias finissent par en faire le suspect idéal puisqu'en grattant un peu sous la surface on découvre que leur couple battait de l'aile.

Bande-annonce :


De plus, Nick a du mal a entrer dans la peau de mari désespéré et montre peu ses émotions en public. Il n'en faut pas plus pour que les médias se déchaînent contre lui et en fassent leurs "Unes", leurs stars de talk shows. Mais il ne faut pas se fier aux apparences, c'est ce que démontre ce film en dénonçant les dessous de l'American Way of Life, le cynisme, la folie, les faux-semblants.

                                                      

Gone Girl dure 2h30 et se décompose en trois parties, chacune plus surprenantes les unes que les autres. La première partie fait état de la disparition d'Amy et se centre sur le personnage de Nick. Je ne peux pas dire sur qui ou quoi sont centrées les autres parties au risque de révéler toute l'intrigue !

                                                         

Il s'agit d'un thriller psychologique remarquablement construit, d' une histoire d'amour qui vire au cauchemar, d'un film de manipulation effrayant. Chaque plan est bien choisi, les personnages sont énigmatiques et interprétés par de bons acteurs : Ben Affleck est à la fois charismatique et énervant et Rosamund Pike est... une actrice prometteuse! De plus, le rôle de Margo, la soeur de Nick, apparaît comme la conscience morale de ce dernier et me fait penser à la soeur de Dexter.

Malgré quelques scènes "too much", un peu carricaturales (mais fidèles au livre semble t'il), Gone Girl est prenant de bout en bout et c'est un film effrayant et superbement réalisé.


mercredi 15 octobre 2014

Donnant Dolan ! Superbe "Mommy" du jeune réalisateur canadien.

Vous avez sûrement entendu parler de Mommy, le dernier film de Xavier Dolan, plébicité par les médias, considéré comme un chef d'oeuvre et récompensé à Cannes par le prix du Jury.
Ayant adoré Les Amours Imaginaires, sorti en 2010, j'étais impatiente de voir ce nouveau film du jeune réalisateur canadien ! Et effectivement, Xavier Dolan ne nous déçoit pas en réalisant ici un film riche et très émouvant sur les relations qu'entretient une mère avec son fils impulsif et violent, diagnostiqué "opposant-violent".


L'histoire se passe au Canada, dans un futur très proche (en 2015) où il existe une loi permettant aux parents d'enfants atteints de graves troubles du comportement de céder la tutelle de leur enfant à l'Etat.
On retrouve tout le folklore canadien, des "tabernacles" à toutes les sauces et un environnement propre à Dolan, une pointe d'humour et un optimisme qui subsistent malgré les situations dramatiques.

L'histoire : Diane, jolie quadra veuve et un peu déjantée doit reprendre la charge de son fils ado, Steve, lorsque celui-ci est expulsé de son centre d'hébergement après y avoir déclenché un incendie. Tous deux doivent réapprendre à vivre ensemble, mais, surtout, Diane doit essayer de faire face aux violentes crises de Steve, car ce dernier rentre facilement dans des rages folles s'en prenant à quiconque se trouvant sur son chemin, même sa propre mère.
Diane (Anne Dorval)

Exclut de toute part, Steve reste à la maison et Diane décide de lui faire l'école à domicile, tout en cherchant du travail à coté pour essayer de joindre les deux bouts. Malgré toutes les galères qui s'accumulent, tous deux restent plein d'espoir et d'optimisme et veulent croire à un avenir plus clément.

Steve (Antoine-Olivier Pilon)

Ils vont se lier d'amitié avec leur énigmatique voisine Kyla, issue d'un milieu plus aisé, elle est timide et bègue et semble elle aussi en proie à une profonde tristesse et lassitude. Ces trois êtres laissés sur le bord de la route du bonheur vont se serrer les coudes et tenter de profiter de la vie.

Kyla (Suzanne Clément)

Bande-annonce :


A partir d'un scénario assez simple, Xavier Dolan tire un petit bijou d'humanité, mélangeant avec brio moments de joie et de tristesse, d'espoir, de désillusions. Il filme avec justesse ses personnages, montrant la relation fusionnelle qu'entretiennent Diane et Steve, partagée entre amour et haine. D'ailleurs, la plupart du temps, Steve appelle sa mère "Diane" et non pas "maman", comme si c'était davantage une amie, voir plus.
On peut saluer la formidable interprétation des acteurs qui donnent vraiment de l'épaisseur à leurs personnages, loin des clichés qu'on pourrait attendre.
Mommy est très émouvant du début à la fin : on peut passer rapidement du rire aux larmes et on sent qu'à tout moment une catastrophe peut arriver.


Enfin, une autre particularité de Mommy, c'est la performance technique de la réalisation. Tournée en format carré 1:1 tout du long, avec l'emploi de ralentis, du flou, des jeux de caméras autour des personnages... Toutes ces techniques permettant de mettre l'accent sur un moment, de renforcer l'émotion d'une scène. Comme dans Les amours imaginaires, il y a une scène de "transe", un rêve que fait Diane où son fils aurait un avenir radieux, le tout est filmé de manière floue et accompagné d'une musique forte à nous faire tourner la tête. Du Dolan tout craché.
Par ailleurs, le jeune réalisateur a le sens des détails lourds de sens et des métaphores, par exemple l'attachement des deux mères pour un de leurs colliers, l'absence de quelqu'un qui pèse sur chacun, etc.
De plus, le film est supplanté par une BO populaire, très années 90 qui donne du peps à l'ensemble (quelques extraits ici ).

L'excellent accueil médiatique pour ce film est donc mérité et Xavier Dolan démontre qu'à tout juste 25 ans il est un grand réalisateur !

Xavier Dolan


mercredi 1 octobre 2014

Littérature et magie, le quotidien d'une jeune galloise sous forme de journal dans Morwenna

Morwenna est un roman écrit sous forme de journal intime d'une adolescente vivant dans les collines verdoyantes du Pays de Galles. Mais c'est un journal d'un genre particulier puisque cette jeune fille n'est pas comme les autres.


Morwenna, surnommée Mori, a 14 ans. Elle a fuit sa mère "maléfique" après la mort soudaine de sa soeur jumelle, cette mère qui semble la persécuter et lui envoie des photos brûlées... Blessée autant physiquement que moralement, elle fait alors la connaissance de Daniel, son père qu'elle n'a jamais vraiment connu. Tous deux partagent un goût pour la littérature et apprennent à se connaitre. Elle voit aussi régulièrement ses trois tantes un peu loufoques, les soeurs de Daniel, sortes de "magiciennes" à ces yeux, et d'un grand-père juif.
"Les lieux de mon enfance étaient reliés par des chemins magiques que presque aucun adulte ne suivait" (p 36)

Morwenna est une dévoreuse de livres de Science Fiction. Elle lit dès qu'elle a un moment, jusqu'à plusieurs livres par jour, connait Tolkien par coeur et a des références littéraires beaucoup plus étoffées que de nombreux adultes! Elle fréquente assidûment bibliothèques et librairies où elle fait ses plus belles rencontres. D'ailleurs, pour elles, les bibliothèques, c'est sacré! Elle réserve régulièrement de nouveaux ouvrages via le prêt entre bibliothèques qu'elle considère comme une invention révolutionnaire :
"Le prêt entre bibliothèques est une des merveilles du monde et une gloire de la civilisation" (p.64)
Elle est interne dans un pensionnat et cohabite avec des filles issues de riches familles qu'elle juge superficielles et très dures entre elles. Elle se sent marginalisée, exclue et se réfugie dans les livres. Elle fréquente quotidiennement la bibliothèque où elle va intégrer un Club de lecture de SF qui deviendra une véritable bouffée d'oxygène.
" Quand je regarde les autres, les autres filles de l'école, et que je vois ce qu'elles aiment, de quoi elles se contentent et ce qu'elles veulent, je n'ai pas l'impression d'appartenir à la même espèce. Et parfois - parfois je m'en fiche. Il y a si peu de personnes dont je me préoccupe vraiment. J'ai l'impression parfois qu'il n'y a que les livres qui rendent la vie supportable [...]" (p 129)

Enfin, Morwenna a la particularité de voir les fées, lorsqu'elle s'aventure seule dans les forêts mystérieuses du Pays De Galles et de leur parler en gallois, mais elle peine à comprendre les paroles mystérieuses de ces dernières.
"On ne peut les voir (les fées) que quand on y croit déjà, ce qui explique pourquoi les enfants sont plus susceptibles d'y arriver. Les gens comme moi ne cessent pas de les voir. Il serait idiot de ma part d’arrêter de croire en elles. Mais beaucoup d'enfants le font quand ils grandissent, même s'ils les ont vu jusque-là" p. 107

Ecrit sous forme de journal, Morwenna raconte sa passion pour la SF, ses coups de cœur littéraires, ses rencontres, son ennui à l'école, ses étranges relations avec sa famille, ses premiers déboires amoureux, sa perception du monde, etc.
"Je ne pense pas être comme les autres. Je veux dire fondamentalement. Ca ne tient pas uniquement à ce que je suis la moitié d'une paire de jumeaux, que je lis beaucoup et que je vois les fées. Ce n'est pas juste parce que je me tiens à l'extérieur alors qu'ils sont tous à l'intérieur. J'ai l'habitude d'être à l'intérieur. C'est une attitude nécessaire pour pratiquer la magie". p. 185

Ce roman a été récompensé par 2 grands prix de la Science Fiction, le prix Hugo et le prix Nebula et a reçu le British Fantasy Award. Toutefois, je reconnais avoir été un peu déçue, sans doute que je m'attendais à autre chose, de plus fantaisiste justement, de plus percutant, de plus intriguant.
En fait, l'histoire reste assez basique, bien ancrée dans la réalité et pendant longtemps on ne sait pas si Morwenna s'est inventée un monde imaginaire pour fuir le drame qu'elle a vécu, tout comme elle se réfugie dans les livres, ou si elle voit effectivement les fées. Il subsiste bien un mystère autour de cette mère un peu sorcière, dont elle a si peur et qu'elle fuit. Il n'y a pas vraiment d'intrigue, ni d'action, juste quelques fantaisies dans le quotidien de cette adolescente qui se cherche une place dans sa nouvelle famille, dans son école, dans sa vie.

Mais c'est sans doute pour ça que ce roman s'est démarqué et a plu. Le fantastique, la magie, n'y apparaissent que par petites pincées, comme pour égayer un quotidien trop sombre.