lundi 29 février 2016

L'histoire du géant timide : un petit film islandais délicat et mélancolique

L'histoire du géant timide est un petit film islandais sans prétention plein de simplicité et de tendresse.


Fusi est un vieux garçon, la quarantaine, qui vit chez sa mère à Reykjavík. Il passe son temps entre son travail de bagagiste à l'aéroport et la reconstitution de batailles de la Seconde Guerre Mondiale en maquettes qu'il réalise avec un ami. Très timide, il n'a pas vraiment de vie sociale hormis ces deux activités et semble se complaire dans cette routine perpétuelle.
Pour son anniversaire, sa mère et son nouveau compagnon lui offrent un cours de danse country car la danse, disent-ils, libère de l'endorphine et pourrait ainsi l'aider à rencontrer quelqu'un. Loin d'être enthousiaste, Fusi se rend tout de même à ce premier cours pour faire plaisir à sa mère. Mais sa timidité l'emportera et il rebroussera finalement chemin pour attendre la fin du cours dans sa voiture.
C'est alors qu'une femme sort dans la tempête de neige et lui demande de la raccompagner. N'osant pas refuser, Fusi est alors forcé de sociabiliser, qui plus est avec une personne de sexe opposé!


Intrigué par cette jeune femme pétillante qui semble apprécier sa compagnie, il va progressivement s'attacher à elle. Mais les apparences sont dès fois trompeuses et cette jolie blonde souriante et enjouée n'est peut être pas celle qu'on croit ! Au fur et à mesure, une étrange relation va s'instaurer entre ces deux êtres qui semblent tous deux perdus dans un monde qui ne semble aller trop vite pour eux.

Bande-anonce :

La forte corpulence du Fusi, son caractère simple et réservé ainsi que sa passivité apparente en font une victime de brimades et de moqueries de la part de ses jeunes collègues. Pour sa mère, il est resté ce petit garçon obéissant qui vit toujours à la maison. Pour ses proches, il est une sorte de gros nounours, une bonne pâte, voir une bonne poire... Mais Fusi est juste un rêveur qui regarde le monde défiler sous ses yeux sans parvenir à y trouver sa place.


Lorsque sa nouvelle petite voisine, une enfant d'environ 8 ans, s'ennuie, livrée à elle-même,  il n'hésite pas à lui tenir compagnie. Cette petite le voit avec ses yeux d'enfant comme ce qu'il est vraiment finalement : le coeur tendre d'un gosse dans un corps de géant. Lorsque Sjöfn, sa nouvelle amie, va mal, il se dévoue corps et âme pour l'aider. Et c'est en l'aidant que finalement il parviendra à sortir de la bulle qu'il s'est créée.

Cela dit, sous ses airs de fausse comédie romantique, ce petit film laisse une curieuse impression. J'en suis sortie un peu triste face à ces personnages qui se font bouffer par les autres. La générosité et la simplicité de Fusi en font un personnage terriblement attachant. Mais à plusieurs reprises on a envie de le secouer, de lui dire "rebelle toi", "ne te laisse pas faire". Il se dégage de ce petit film délicat beaucoup de mélancolie et on en ressort avec un sentiment doux-amère.

Film islandais réalisé par Dagur Kari / avec Gunnar Jonsson, Ilmur Kristjansdottir, etc., 2016

Petite info bonus :Si vous avez suivi la série islandaise Trapped récemment sur France 2, vous reconnaîtrez dans ce film trois acteurs ayant joué dans la série, notamment le principal rôle féminin !

jeudi 18 février 2016

Trépalium : première série d'anticipation française plutôt réussie !

Actuellement, vous pouvez suivre sur ARTE Trépalium, une série d'anticipation française plutôt réussie.

Dans un futur proche, une ville bétonnée et déshumanisée est coupée en deux par un grand mur : d'un coté les 20 % qui ont la chance d'avoir un travail, les actifs. De l'autre, tous les inactifs vivent dans la "Zone", soit 80% de la population. Les conditions de vie y sont très difficiles : il y a peu à manger et l'eau potable est une denrée très rare.
Du coté des "actifs", les places de travail sont précieuses et les salariés entièrement dévoués à leur employeur, capables de tout pour conserver leur poste. En effet, toute personne licenciée est renvoyée de l'autre coté du mur, aussi la concurrence est impitoyable ! Cela explique pourquoi les "actifs" semblent dépourvus d'émotion, froids, déterminés et arrivistes.


Afin de faire croire à la Communauté Internationale que la ville tente de réduire cette fracture sociale, cela en vue de bénéficier de subventions, la Première Ministre propose une nouvelle mesure : des centaines de "zonards" vont être sélectionnés pour aller travailler de l'autre coté du mur chez des actifs tirés au sort, et rentreront le soir dans la Zone. Ce sont les "emplois solidaires".

Il y a donc trois groupes de personnes : les actifs, les zonards et les emplois solidaires qui vont tenter de cohabiter malgré toute la méfiance, les rivalités et jalousies que ces clivages engendrent. En effet, les "actifs" considèrent les "zonards" comme des rebuts de la société, des "sous-hommes" et ne tolèrent pas qu'on leur offre la possibilité de venir travailler en ville.

Teaser :

Cependant, très vite, tous s'aperçoivent que cette mesure n'est en fait que du vent et qu'aucun véritable travail digne de ce nom ne sera proposé aux zonards. Au quotidien, ils subiront humiliations, discriminations et rabaissement permanent.

La famille qui règne sur cette ville est prête à tout pour garder son pouvoir, n'hésitant pas à user des pires manipulations et coups tordus pour y parvenir. La Première Ministre notamment fait preuve de froideur et d'hypocrisie à toute épreuve. Cette même famille "royale" entretient des liens étroits avec la principale entreprise de la ville, Aquaville, qui fabrique de l'eau... Tous ces dirigeants tiennent les "actifs" sous leur coupe par la menace du licenciement et donc du renvoi dans la zone, ils ont ainsi une emprise terrible sur la population !

la famille de la Première Ministre

Dans ce monde de requins, on suit quelques histoires personnelles : Izia est une jeune mère célibataire qui vit dans la zone. Elle a été sélectionnée pour "travailler" chez un actif, Ruben, lui aussi père d'une jeune enfant mutique. La tâche qui va lui être confiée sera toutefois assez inattendue... Pendant ce temps, son fils part à la dérive et côtoie une jeune fille des rues avec qui il fait les quatre-cent coups.
Ruben lui doit faire face à sa femme qui disparait, sa fille mutique qu'il ne comprend pas, son employeur qui lui met la pression et cette "solidaire" dont il doit s'occuper...

Izia et son fils

En parallèle, Silas est un emploi solidaire employé pour faire "vitrine" auprès de la Première Ministre. Choisi pour sa gentillesse, sa naïveté et son absence d'engagement, il est censé être le pivot des relations entre actifs et zonards...
Au fil des épisodes, apparaît progressivement un groupe de résistants préparant une révolution pour faire tomber le mur...

Silas

Avec son ambiance rétro-futuriste et un scénario intéressant, Trépalium est une série plutôt réussie, malgré quelques personnages caricaturaux.
Elle tient de la série de science-fiction car les nouvelles technologies y sont omniprésentes : il y a plein de gadgets, d'écrans, de tablettes tactiles, de puces, etc. De plus l'environnement général est bétonné, grisâtre, l'ambiance morose à souhait.

la Première Ministre

L'arrivisme, l'hypocrisie et la manipulation sont les principaux traits de caractères des protagonistes. C'est la peinture d'un monde déshumanisé où seuls le travail et le pouvoir sont des valeurs reconnues.
Il y a aussi un coté rétro dans cette série : des voitures semblables aux trabans des années 80 (petit clin d'oeil à Berlin Est, en plus du mur !), des employés au look vintage (tous portent le même uniforme ridicule et ont des coiffures old school).

Ruben dans son uniforme d'actif

Cette série me fait penser à une sorte de  fable moderne où l'on retrouve une méchante reine dans sa tour d'ivoire (la première ministre), une princesse effrayée, un prince charmant ambivalent, des patriarches influents, des enfants perdus, un peuple à sauver...

Cette histoire de mur nous rappelle bien sûr l'histoire de la ville de Berlin séparée en deux pendant trente ans, mais on ne peut s'empêcher de penser également aux murs qui sont construits aujourd'hui  partout dans le monde pour empêcher les migrants d'entrer dans les pays riches, séparant là aussi les chanceux des populations dans le besoin...

Surtout Trépalium interroge sur la place du travail aujourd'hui. Est-ce qu'un homme se définit uniquement par sa profession? Pourquoi un homme serait-il plus important qu'un autre ?

Bref, c'est une série intéressante emplie de références à l'Histoire et à l'actualité qui soulève des questions importantes.

Diffusion le 11 et 18 février sur ARTE
A voir ou revoir en Replay sur ARTE dans les prochaines semaines.

Trepalium / série française réalisée par Antarès Bassis, Sophie Hiet (2016), avec Léonie Simaga, Pierre Deladonchamps, Ronit Elkabetz, etc. - 6 épisodes de 50 min.


lundi 15 février 2016

Les Saisons : nouvelle fresque sauvage réussie de Jacques Perrin sur l'évolution des forêts d'Europe

Jacques Perrin poursuit sa série de documentaires sur la nature. Après "Le Peuple migrateur" (2001), et "Océans" (2009), il s'est de nouveau associé à Jacques Cluzaud pour réaliser "Saisons". Comme pour les deux précédents opus, l'affiche est bleue et le visuel similaire, intégrant parfaitement ce nouveau film dans sa série de documentaires.



Cette fois, les deux réalisateurs se sont penchés sur l'évolution des forêts du continent européen et les animaux qui les peuplent. Ils ont filmé au plus près les bêtes sauvages qui s'adaptent au changement des saisons et à de nombreux bouleversements.


Le film s'ouvre sur l'ère glaciaire, période qui dura plus de 80 000 ans, où seuls des animaux très résistants au froid peuplaient la planète, comme les boeufs musqués. Est raconté alors le rapide réchauffement qu'a subit notre planète, faisant fondre la glace et mettant fin à cet hiver permanent pour laisser la place à une végétation luxuriante. 


La continent européen se recouvre alors d'une dense forêt qui permet l'apparition de nombreuses espèces d'animaux. Une forêt soumise au rythme des saisons, le paysage changeant régulièrement au fil de l'année, les animaux s'adaptant à ces changements climatiques. Ce cycle des saisons va se répéter de manière immuable jusqu'à aujourd'hui. L'âge d'or de la forêt dura des milliers d'années, jusqu'à ce que l'homme commence à modifier le paysage par l'agriculture, la chasse, la déforestation... 


Voilà pour le "scénario" qui n'est autre que l'histoire de notre planète bleue, plus précisément du poumon vert de notre planète : les forêts.
En filmant au plus près les animaux afin de raconter le cycle de la vie, les deux réalisateurs se basent sur les grandes phases chronologiques : ère glaciaire, âge d'or de la forêt, apparition des hommes chasseurs-cueilleurs, ère "moderne", soit près de 12 000 ans d'histoire de la nature. Plusieurs cycles de saisons nous montrent les animaux vivant paisiblement dans la forêt, n'ayant à craindre que leurs prédateurs naturels. Puis, au bout d'un certain temps, seulement vers la fin du film, la menace de l'homme se fait sentir, avec le développement de la chasse intensive, l'utilisation de produits chimiques, le développement de l'agriculture, de l'urbanisation... Le film se base sur ces différents "temps" de la forêt, et cette chronologie permet de montrer que la menace humaine est récente sur une échelle de milliers d'années.


Les images sont sublimes, on se demande vraiment comment les réalisateurs ont fait pour obtenir des prises de vue aussi réussies de certains animaux : des renardeaux dans leur terrier, une chouette dans son arbre, le suivi d'un vol de grues, une meute de loups en train de chasser montrant tour à tour les prédateurs et leur proie tentant de s'échapper, de magnifiques images d'une famille d'ours, des lynxs majestueux... J'ai été bluffée par pas mal d'images!


Le film aura nécessité 18 mois de tournage dans diverses régions de France, mais aussi en Pologne.
Pour approcher les animaux au plus près, l'équipe du film s'est entourée de nombreux spécialistes de la vie sauvage et de plusieurs techniciens. Comme ils avaient pour consigne de ne pas utiliser de zoom, ils ont usé de la technique de l'imprégnation afin d'instaurer une relation de confiance quasi fusionnelle avec les animaux et de pouvoir ainsi les filmer de très près. Pour approcher les loups, les techniciens ont construit une sorte de scooter électrique permettant de suivre la meute. Pour filmer d'autres courses d'animaux comme celle des chevaux sauvage, ils ont utilisé une grue permettant de faire des travellings, etc.

Si l'on craque devant les renardeaux, louveteaux, oursons etc, qu'on est émerveillé par l'agilité, la débrouillardise et la curiosité des animaux, le film montre aussi que la vie sauvage est impitoyable et que les bêtes vivent dans un qui-vive permanent, face aux menaces de leurs prédateurs.


Il y a quelques commentaires au début et à la fin du film, surtout pour expliquer la chronologie des faits et l'évolution des dangers auxquels doivent faire face les animaux, mais dans l'ensemble, la narration est discrète, il n'y a qu'à se laisser bercer par les bruits de la forêt : les chants des oiseaux, les hurlements des loups, le brâme du cerf....


Les Saisons est une véritable ode à la vie sauvage, le film nous présente des animaux  qui se démènent pour vivre, qui semblent passer des moments de tendresse, de bonheur, de repos mais aussi de panique. Ce documentaire montre que la Nature sait s'adapter aux changements des saisons mais qu'elle est vraiment menacée par l'Homme. Sans être pour autant moralisateur, avec une certaine simplicité, les images se suffisent à elles-même pour souligner l'importance des dégâts que fait l'Homme sur la nature et le danger permanent auxquels les animaux doivent faire face.


Mais, comme dans le superbe documentaire Demain, (à voir absolument si ce n'est déjà fait!) le message à retenir est qu'il n'est pas trop tard pour réagir, qu'il est encore possible de protéger la vie sauvage et la biodiversité si on se mobilise maintenant.

Les saisons / film documentaire de Jacques Perrin et Jacques et Jacques Cluzaud. Musique de Bruno Coulais. Sortie le 27 janvier 2016.

http://www.lessaisons-lefilm.com/

dimanche 14 février 2016

"Otages intimes", un roman délicat et intimiste

Etienne, photojournaliste, est retenu en otage depuis plusieurs mois, quelque part dans un lointain pays en guerre. Vient enfin le jour tant attendu, celui de sa libération. Entre la joie de retrouver la liberté, la rancœur et la colère envers ses ravisseurs cette guerre et ses injustices, l'appréhension de retrouver ses proches et sa vie d'avant, différents sentiments l'envahissent. Sa mère et ses amis l'attendent, partagés entre impatience, joie et anxiété. Passée l'émotion du retour, Etienne retourne dans son village d'enfance chez sa mère. Là, il se retrouve au calme, loin du tumulte du monde. Cette sérénité nouvelle l'invite à réfléchir sur sa vie, son travail de reporter en zone de guerre, ses amis et ses amours passées. Il repense beaucoup à son enfance, aux liens qu'il a tissé avec Enzo et Jofranka, ses amis de toujours. Bien que toujours très proches, tous trois ont pris des chemins différents. Il repense également à son ex petite amie, Emma, qui l'a quitté car ses absences répétées lui pesaient trop. 


Multipliant les narrations, alternant successivement le récit des pensées d'Etienne, celles de Jofranka, d'Enzo, d'Emma et de sa mère Irène, ce roman nous plonge au plus intime des pensées de chacun.
Etienne repense au cauchemar qu'il a vécu ses derniers mois. En colère d'avoir été transformé en simple monnaie d'échange, au même titre qu'un simple objet, blessé d'avoir vécu confiné à la merci de soldats déterminés, il a beau être dorénavant libre, il se retrouve changé à tout jamais, enfermé dans ses pensées. Il s'interroge sur le sens de sa vie, la comparant à celle de ses amis, ceux qui "ont choisis de rester". Il se questionne sur son engagement, sa volonté de témoigner des horreurs de ce monde.

Les proches de l'ex-otage sont aussi en proie à des pensées confuses. Pour tous, le retour d'Etienne soulève beaucoup d'émotions. Enzo, au caractère pourtant très différent d'Etienne, retrouve son ami d'enfance. Jofranka, avocate défendant les femmes victimes de guerre retrouve l'ami défendant les mêmes causes qu'elle. Emma apprend à vivre sans son ancien amant. Et sa mère, Irène, est aux petits soins pour son fils, à la fois heureuse de son retour et triste de ce qu'il a enduré. Elle l'aide à reprendre pied, respecte son silence. Mais elle appréhende un nouveau départ et repense avec regret à son mari, parti des années plus tôt.
Tous sont chamboulés par ce retour : la joie des retrouvailles, les regrets d'une vie passée, des non dits, des échecs, des blessures de l'enfance, des rêves brisés...

L'écriture de Jeanne Benameur est poignante et poétique. Certains passages enchaînent des phrases courtes, percutantes, incisives pour décrire une situation ou des sentiments d'impatience.  
" Sur le tarmac, un frémissement. Ca y est. L'avion est apparu dans le ciel. Les coeurs battent plus fort, les têtes sont levées. Etienne laisse quelque chose d'immense l'irradier, une vague de fonds qui l'emporte le roule le submerge mon dieu la joie la joie la joie." (p.58)

D'autres sont métaphoriques ou davantage philosophiques pour retranscrire les réflexions des différents personnages. 
" Il y a parfois dans les ciels tumultueux de printemps, au bord de l'océan une clarté brusque qui aveugle contre l'ardoise miroitante des nuages. Dans une déchirure du ciel, inattendu, un bleu, irrisé de lumière et de pluie, lavé, incroyable. Un bleu de miracle. C'est là que se tient sa mère. Juste sa peau contre les nuages. Une bourrasque et elle pourrait disparaître." (p 59)

Tout en retenue, l'auteure décrit avec beaucoup de justesse les sentiments ce cet ex otage ainsi que ceux de ses proches. Toutefois, j'avoue que toutes ces réflexions intimes ainsi que les nombreux effets de styles m'ont parfois lassé. Il n'en reste pas moins qu' Otages intimes est un beau roman délicat et... intimiste.



Quelques citations :

"Etienne sent le souffle comme arrêté dans sa poitrine. Cet homme a vu tout ce que la guerre permet, il a eu les armes en main, lui il avait juste son appareil. Ce qu'ils peuvent avoir en partage, c'est seulement l'effroi, il en est soudain conscient et ça lui fait horreur. Aucun des deux n'est plus innocent de ce qu'un homme peut faire à un autre homme. C'est un savoir qu'aucune paix n'efface" p.36

" Chaque nuit depuis son retour, il faut qu'il lutte pour ne pas se sentir réduit. Il lutte contre le sentiment d'avoir perdu quelque chose d'essentiel, quelque chose qui le faisait vivant parmi les vivants." p. 68

" Les grands arbres sont là. Il sent leur présence muette autour de lui. S'en remettre à leur force. Rien ici n'a changé. Et rien n'a besoin de lui pour être. Il peut être inutile. C'est ça le repos." p.71

"Il y a des nuits où tout l'espace de la mémoire se déploie. Les territoires sont ouverts. C'est cela qu'il avait fuit pendant tout le temps de son enfermement. Il s'était tenu loin de lui même. Il avait arrêté quelque chose de vivant. Suspendu. L'enfermement creuse les failles." p. 113

"Dormez, dormez encore, c'est juste l'aube, moi je veille. Pour chacun de vous. Pour nos enfances. Pour la part à l'intérieur de nous que nous n'atteignons jamais. Notre part d'otage." p. 123

mercredi 10 février 2016

"Chocolat" : un film émouvant sur le premier artiste noir, témoin d'une époque pas si belle que ça !

Le nouveau film de Roschdy Zem a le mérite d'aborder un sujet difficile, à savoir le racisme ordinaire et violent qui était banalisé en France à la "Belle Epoque". En adaptant au cinéma l'histoire vraie du premier artiste noir en France, il dresse un portrait touchant de cet artiste incompris.


L'histoire :

Dans un petit cirque de Province, à la fin des années 1800, un jeune Noir joue le rôle du vilain sauvage pour effrayer les enfants durant le spectacle. En effet, voir un homme noir à cette époque reste un fait très rare et effrayant pour de nombreuses personnes. Le cirque en a donc fait une attraction, au même titre que l'homme géant, la femme "la plus grosse du monde", le nain, etc. Dans cette même troupe, Footit, un clown burlesque qui voit son succès diminuer, propose à cet homme noir de former un duo de clowns noir et blanc, d'être comme les deux faces d'une même pièce. C'est ainsi que né "Chocolat" le premier clown noir. Le succès du duo de clowns est immédiat et ils sont repérés par le grand cirque de Paris qui propose de les engager. 

Footit et Chocolat qui s'entraînent

C'est ainsi qu'un jeune Noir sans papier exploité dans un cirque deviendra une véritable star du cirque à Paris. Nouveau riche, il dépense son argent sans compter et fait le joli coeur auprès des femmes attisant jalousie, convoitise et médisances. Or, s'il profite de son succès et de sa nouvelle vie à la capitale, les choses ont-elles vraiment changé dans le fond ? En effet, Chocolat joue continuellement le rôle de la victime de Footit, servant à celui-ci de faire-valoir, est représenté comme un sauvage sur les affiches, traité comme un moins que rien par ses confrères... Comment se faire une place dans une société qui considère encore les "Noirs" comme des "êtres inférieurs"? Chocolat pourra-t'il sortir du rôle de sauvage et de victime qu'on veut à tout pris lui faire endosser ? D'ailleurs, on l'appelle Chocolat, mais qui connait son véritable nom?

Bande annonce :

J'ai trouvé ce film plutôt bien réalisé, nous plongeant complètement dans la "Belle Epoque", période de découvertes et d'innovation, juste avant la Première Guerre Mondiale. 
Mais le film doit tout à la force d'interprétation de ses acteurs. En effet, Omar Sy est remarquable, à la fois capable d'être dans un même film enjoué, drôle, dragueur, émouvant et triste.


Si Chocolat parvient à tisser des liens, notamment avec les femmes, le racisme est omniprésent tout au long de l'histoire, que ce soit lorsqu'un enfant touche sa peau pour voir si c'est de la peinture, lorsque des adultes se demandent "si c'est sa vraie peau", lorsque des hommes noirs sont enfermés dans un enclos lors de l'exposition coloniale au même titre que des singes, etc. Le directeur du cirque de Paris reconnait lui-même que c'est l'homme noir en tant que sauvage qui attire les foules et fait vendre. Triste témoignage d'une époque pas si lointaine (il y a tout juste cent ans). L'esclavage est également brièvement évoqué à travers le passé de "Chocolat", mais de manière assez superficielle.
Chocolat alias Rafaël Padilla, cherchera toute sa vie à être pris au sérieux, à sortir de ce rôle de sauvage ou de clown qu'on lui a attribué, à casser les préjugés, à être simplement un homme comme les autres.


L'acteur James Thierrée est lui aussi remarquable dans son interprétation du clown triste, mal dans sa peau, mal dans son époque. Il entretient une relation ambigüe avec Chocolat. Ce dernier est à la fois son partenaire, son protégé, son faire-valoir, son ami. Mais leurs relations sont soumises à rude épreuve. En effet, Footit se complaît dans le duo clownesque qu'ils forment tous les deux et refuse de voir dans son partenaire autre chose que ce qu'il en a fait, sa "victime du cirque".

Quand on sait que l’interprète de Footit n'est autre que le petit fils de Charlie Chaplin (du coté de sa mère), on peut dire que cette prestation est un beau clin d'oeil à son grand père puisqu'il y interprète un clown fasciné par le mime et la gestuelle. De plus, le père de l'acteur tenait un cirque, et dès son plus jeune âge il a participé à des spectacles de cirque, ce qui explique sa grande aisance dans ses clowneries tout au long du spectacle. Ce rôle semblait donc fait sur mesure pour lui !


Chocolat est à mon sens un film populaire assez réussi qui témoigne d'une époque pas si belle que ça. Avec une belle lumière, de beaux décors et des personnages hauts en couleur (sans mauvais jeu de mots), on passe par toutes les émotions possibles durant ce film. De plus, il permet de mettre en avant le destin de ce premier artiste noir, mal aimé et incompris pour son époque.
Sans être un film incontournable, c'est un beau film émouvant, original, abordant un sujet grave comme le racisme et l'humiliation que chacun devrait avoir à l'esprit.

Chocolat / film français de Roschy Zem, avec Omar Sy, James Thierrée, Clothilde Hesme. Sortie le 3 février 2016.

Pour en savoir plus ...

... sur l'histoire vraie du clown Chocolat, Rafaël Padilla, qui diffère tout de même un peu de celle racontée dans le film de Roschdy Zem, je vous invite à consulter la page Wikipédia consacrée à ce personnage qui est assez complète :  https://fr.wikipedia.org/wiki/Chocolat_(clown)
Où l'on apprend que son histoire a déjà inspiré plusieurs cinéastes et metteurs en scène et où une plaque en son honneur a été mise en place le 20 janvier dernier sur le bâtiment ayant remplacé le nouveau cirque avec pour texte « Ici, au Nouveau Cirque, Rafael Padilla dit le Clown Chocolat (vers 1868-1917), né esclave à Cuba, et Georges Foottit (1864-1921) ont inventé la comédie clownesque associant le Clown Blanc et l'Auguste »

image représentant Footit et Chocolat



vendredi 5 février 2016

Kinderzimmmer : roman fort et poignant sur l'horreur des camps

Kinderzimmer. Soit chambre d'enfant. Ça vous évoque une petite chambre joliment décorée, des mobiles au plafond, des berceuses ? Oubliez tout ça ! Ici Kinderzimmer est le nom de l'endroit où sont "entreposés" les nouveaux nés dans un camp de concentration allemand. C'est l'endroit où de petits êtres nés dans l'horreur doivent chaque jour mener un combat contre la faim, la soif, le froid, les conditions d'hygiène déplorables, les maladies. Vous l'avez compris, ce livre de Valentine Goby n'a rien de mignon. En partant d'une histoire personnelle, celle d'une jeune française déportée, l'auteur raconte avec réalisme et force de détails l'enfer des camps de concentration.
C'est une histoire dure, basée sur des faits réels, qui relate l'horreur des camps et met des mots sur l’innommable.


Le roman s'ouvre sur un passage où une vieille dame se rend dans un lycée pour raconter ce qu'elle a vécu pendant la guerre afin que la jeunesse d'aujourd'hui n'oublie pas les blessures du passé. S'en suit un récit poignant sur une année de survie au milieu de l'enfer sur terre.

L'histoire :

En 1944, la narratrice Suzanne -qui se fait appeler Mila- a une vingtaine d'année lorsqu'elle est arrêtée par les allemands et envoyée, avec des centaines d'autres déportées, dans un camp de concentration en Allemagne. Elle découvre rapidement qu'elle est enceinte d'un bébé non désiré, elle qui ignore tout du fonctionnement de son corps. Elle essaiera autant que possible de faire abstraction de cette grossesse et gardera son secret bien enfouit car elle comprend vite qu'un bébé dans les camps, c'est la mort assurée... 
Elle arrive au camp de Ravensbruck accompagnée de sa cousine Lisette et de centaines d'autres femmes. Entassées dans un des nombreux  "Blocks" que contient ce camp, elles se retrouvent avec des milliers d'autres captives : des polonaises, des russes, des françaises, des juives, des déportées politiques... (En 1944, le camp comptait plus de 40 000 déportées !) Et d'autres continueront d'arriver malgré un camp plus que saturé !

Les femmes survivent dans des conditions de vie effroyables : pas d'hygiène, une robe de prisonnière pour tout vêtement, un peu de soupe chaque jour pour seule nourriture, une chaleur atroce en été, un froid glacial en hiver, des tâches quotidiennes très difficiles qui ne font qu'affaiblir des femmes déjà affamées ou malades... Aux privations s'ajoutent les sévices et le sadisme des SS, notamment lors de ces "Appel" au milieu de la nuit où les femmes doivent se ranger 5 par 5 dehors pendant des fois des heures, vêtues seulement de quelques haillons, et ce quel que soit le temps. Un appel ridicule, car où pourraient-t'elles donc aller... Et celles qui manquent de défaillir se font rouer de coups au moindre faux pas. Au fur et à mesure, la "Waschraum", modeste point d'eau attenant à leur "block", se transforme en morgue provisoire où, chaque nuit, des femmes à bout de force viennent rendre leur dernier soupir... 

Les premiers temps Mila est fataliste et désespérée : elle n'a plus d'avenir, elle sait que sa vie et celle de son bébé s’arrêteront dans cet endroit sinistre et qu'il est vain de se battre et d'espérer en sortir un jour. Mais au gré des rencontres et des liens qui se tissent, au fur et à mesure que la vie se développe dans son ventre, elle va progressivement se rattacher à ce qui lui rappelle la vie. Elle découvre l'entraide entre femmes, l'amitié et, surtout, malgré l'horreur qui ne cesse d'empirer, l'espoir s'insinue de nouveau en elle. Ce bébé a t'il une chance de survivre? Elle décide alors de vivre pour assurer la survie de son enfant. Et, malgré l'impression d'être exclue de toute forme d'humanité, elle se force à garder précieusement en mémoire toutes les choses horribles et invraisemblables qu'elle voit pour pouvoir ensuite, peut-être, un jour témoigner de l'horreur.

C'est un livre très dur et émouvant. Certains passages détaillant les conditions de vie dans le camps sont vraiment horribles, presque insupportables. On est complètement immergé dans ce récit grâce à une écriture très rythmée, à la succession de courtes phrases offensives, percutantes, qui nous tiennent en haleine du début à la fin. Valentine Goby a un phrasé sec et rapide qui décrit avec précision le quotidien de ces femmes. C'est une écriture de l'urgence empreinte de poésie et de tendresse, à l'image de cette urgence de vivre qui habite ces femmes pour qui le rêve reste la seule évasion possible.

Aux pages 162 et 163, un texte magnifique de plus de deux pages décrit par une juxtaposition d'idées pourquoi "l'Allemagne n'aura jamais perdu à Ravensbruck" à cause de toute l'horreur et toute la souffrance qu'elle a causée mais aussi "pourquoi elle n'a pas non plus gagné complètement" en rappelant tous ces petits détails qui prouvent que la vie et la résistance sont restées présentes tout du long de cet enfer. Et la narratrice d'arriver à la conclusion suivante : "Qu'est-ce-que ça veut dire, gagner ou perdre? Teresa répondrait : tu perds seulement quand tu abandonnes.

Kinderzimmer est un roman puissant : l'auteur aborde un sujet très difficile avec beaucoup de justesse et de précision. Pour contrebalancer l'horreur des faits relatés, l'écriture est absolument magnifique. On est littéralement plongé au coeur de l'horreur d'un camps de concentration pour femmes où, malgré tout, subsiste une forte volonté de se battre. Je suis sortie de ce roman abasourdie. 

KinderZimmer / Valentine Goby . - Actes Sud, 2013
Prix des libraires 2014.

Quelques citations pour se faire une idée de l'écriture offensive de l'auteur :

" Aboiements d'hommes, de femmes, de chiens, mâchoires, langues, gensives, poils, bottes, matraques au stroboscope. Les flashs, les sons en rafale empêchent Mila de vaciller, la tiennent d'aplom comme le ferait une salve de mitrailleuse."p.15

"En haut, une profusion d'étoiles. Et finalement un pâlissement bleu. Alors les quarante mille femmes sortent de la nuit. Quarante mille stèles. Les quatre cents de la quarantaine sont à l'écart mais elles voient, et c'est laid.Une laideur répétée de visage en visage, de guenille en guenille, le même corps grêle démultiplié qui rétrécit dans la distance, jusqu'à l'horizon tout au fond de la place, où il n'a plus que la taille d'une allumette." p 33

"[...] Car qui a vu ce que nous voyons parlera. Dira ce qu'il a vu. Ses yeux cracheront les images, sa bouche, son corps, tout en nous vomira ce qu'ils ont fait et ce que nous ne pouvons pas imaginer encore, et c'est pourquoi nous sommes déjà mortes, quelle que soit la fin de l'Histoire, mortes pour nous taire." p 59

"Tant de femmes, maintenant, sur lesquelles on marche au milieu de la nuit, couchées par terre, assises le long des murs, les pieds tâtent le sol, se glissent entre les os, s'enfoncent dans les ventres qui gémissent. Il n'y a plus de Waschraum officiel, plus de lieu dédié, les alentours des blocs ne sont plus des fosses d'exception pour femmes dysentriques car la merde est partout, fuyant mollement par les canalisations éventrées, flaque épaisses où de grosses mouches viennent se poser sous la canicule de midi." p 107

"Il faut juste couler, explique Teresa, comme un fleuve. Patiemment, tout en langueur, d'un lieu à l'autre. Se répandre avec lenteur. Glisser. Passer de la colonne de travail au Revier, évoluer parmi les mortes, moitié mortes, les vivantes entassées dans l'attente, centimètre après centimètre jusqu'à la Kinderzimmer." p 133

"Je veux tenir sous la glace, persister droite et dure en aiguille de sapin. Je veux être verte, ferme. Je veux m'économiser jusqu'au retour de la lumière, ralentir le battement de mon coeur, mettre mon corps au diapason, faire d'ultimes réserve de sève fraiche et propre, je veux être prête pour la suite s'il y a une suite. Je veux épouser le froid, je veux être l'hiver pour lui échapper, comme ce prince des contes de Grimm caché dans la chambre de son ennemie, donc indécelable." p 145

"Quand elle retournera dans cette classe au lycée, Suzanne Langlois dira exactement cela : il faut des historiens, pour rendre compte des événements ; des témoins imparfaits, qui déclinent l'expérience singulière ; des romanciers, pour inventer ce qui a disparu à jamais : l'instant présent." p 217

mercredi 3 février 2016

"Fit to Print!" des illustrateurs strasbourgeois dans le New-York Times !

Pour celles et ceux qui ne connaissent pas le musée Tomi Ungerer à Strasbourg, c'est un des seuls musées qui rend hommage à l'oeuvre d'un artiste vivant : Tomi Ungerer, âgé aujourd'hui de 84 ans. L'artiste est une forte figure locale en Alsace. Auteur de livres pour la jeunesse, dessinateur de presse, sculpteur, caricaturiste auteur de dessins érotiques, peintre... c'est un artiste universel, un "touche à tout". De plus, il reste très attaché à son Alsace natale et a publié plusieurs dessins sur sa région, même s'il vit maintenant en Irlande.

Tomi Ungerer

Pour en connaitre plus sur cet artiste si vous ne le connaissez pas bien, vous pouvez consulter sa biographie ou visiter le musée qui propose une belle rétrospective de ses oeuvres !

Tomi Ungerer rencontra un grand succès avec ses livres pour enfants (Parmi les plus connus Les 3 brigands, Jean de la Lune...) et connut également une carrière internationale puisqu'il parti travailler à New-York à la fin des années 50. Il travailla alors pour le New York Times pour qui il réalisa notamment de grandes affiches qui furent diffusées dans toute la ville pour promouvoir le journal !
"Formé par le style de Savignac, le jeune artiste a imaginé des situations absurdes pour provoquer le choc visuel indispensable à l'art de la publicité" explique la conservatrice du musée dans le Petit Journal, descriptif de l'exposition.

Voici deux exemples d'affiches grand format réalisées par Tomi Ungerer que l'on peut retrouver dans la première salle de l'exposition, en guise d'introduction.

Affiche de Tomi Ungerer pour le New-York Times en 1967

Affiche de Tomi Ungerer pour le New-York Times en 1959

L'artiste a réalisé également des illustrations pour des encarts publicitaires publiés dans la presse. Par exemple, cette belle illustration faite de collages :

"people who cause a ripple
when they enter the scene (or a conversation)
read the New-York Times"

Si Tomi Ungerer, ancien élève des art décoratifs de Strasbourg, artiste aujourd'hui amplement reconnu, a publié des dessins dans un célèbre journal américain, on ignore par contre que c'est également le cas de plusieurs étudiants issus de cette même école strasbourgeoise ! En effet, comme l'explique Le Petit Journal  (le guide de l'expo en format journal) la directrice artistique de la section "Opinion" du New-York Times et commissaire de l'exposition, elle a découvert "la diversité et la richesse de l'atelier d'illustration de la HEAR de Strasbourg dans la revue Nyclaope et les blogs de ses auteurs puis a commandé des illustrations de presse pour le journal."

Cette exposition met ainsi en valeur le travail d'une quinzaine d'étudiants de la HEAR qui se sont  vus commander des dessins pour le New-York Times. Ils ont souvent dû réaliser ces illustrations dans des délais très courts afin d'illustrer des articles ou dossiers sur un sujet de société. Les dessins exposés ici ont été publiés dans le journal américain entre 2012 et 2015.
La devise du New York Times est "All the News That's Fit to Print !" ("toutes les nouvelles sont bonnes à publier") d'où le titre de cette jolie petite expo à découvrir jusqu'en avril : Fit to Print !



Voici quelques exemples d'illustrations que j'ai bien aimé :

Des impressions Riso d'Alexis Beauclair, notamment celle ci à propos du port d'armes :
Dessin réalisé le 26/07/2015 dans le NYT
pour l'article intitulé "what make a shooter do it"

Des dessins à l'encre de Bénédicte Muller, comme celui-ci pour illustrer un dossier sur les maisons de retraites :

dessin publié dans  NYT du 02/11/2014
pour l'article New building for older people 

Les beaux dessins de Marion Fayolle avec transfert d'encre et encres de chine pour illustrer des sujets psychologiques ou philosophiques :

"La conscience de soi". 
Dessin illustrant l'article Secret Ingredient for success du NYT du 20/01/2013

"L'infidélité" 
Dessin pour l'article "Infidelity in your genes" dans le NYT du 24 mai 2015

Ce sont en tout une quinzaine de jeunes artistes (la plupart ont moins de 30 ans) dont les oeuvres sont ici mises en lumière.
Et après avoir admiré les dessins joliment mis en valeur dans des cadres, on peut voir les illustrations dans leur contexte original puisque tout un mur a été tapissé avec les exemplaires du New-York Times illustrés !



Dans une autre salle, on découvre une sélection d'oeuvres personnelles de ces jeunes artistes qui ont illustré des articles dans la rubrique "Opinon" du New-York Times.

Parmi celles-ci, voici une illustration par trichromie de Quentin Duckit que j'ai beaucoup aimé, qui ressemble à une illustration pour un conte, invitant au rêve et à la contemplation : 

Chevalier dans la forêt Quentin Duckit, 2015

Enfin, dans la dernière partie de l'exposition sont présentés les travaux personnels de ces jeunes illustrateurs. La plupart des élèves de la section "Illustration" de la Haute Ecole des Arts du Rhin (anciennement Arts Déco) publient des dessins dans des revues qu'ils éditent eux-même, ce qui leur permet de faire connaitre leur travail. Par exemple, dans la revue Nyctalope.


Pour conclure, je dirai que Fit to Print est une petite expo très intéressante qui met en lumière le travail des étudiants en illustration de la Haute Ecole des Arts du Rhin, où l'on apprend que de jeunes strasbourgeois illustrent le célèbre journal américain ! Une exposition qui met aussi en avant l'importance de l'illustration de presse. Car si on connait surtout le dessin de presse type caricature, il existe aussi d'autres styles d'illustrations pour illustrer un article ou un dossier, que ce soit des dessins à l'encre, au crayon, à l'aquarelle, etc. Le but étant d'attirer le regard du lecteur, de faire réfléchir ou tout simplement rêver.




lundi 1 février 2016

"Spotlight" : très bon film sur la presse d'investigation !

Vous vous souvenez peut-être du scandale déclenché en 2002 lorsqu'un journal américain leva le voile sur les milliers de prêtres pédophiles dûment protégés par l'Eglise, et ce depuis des dizaines d'années. Cette incroyable et effroyable histoire a inspiré le réalisateur Tom McCarthy qui fait de Spotlight un formidable film sur le journalisme d'investigation.


"Spotlight" c'est le nom de la branche d'investigation du journal quotidien de Boston, le "Boston Globe". Ses cinq journalistes passent généralement plusieurs mois à enquêter avec précision sur un sujet avant d'en faire un dossier complet. Lors d'un changement de direction, le nouveau patron du journal a pour principal objectif de relancer le quotidien surtout que la concurrence d'Internet commence à se faire sentir. Il s'intéresse notamment à ce service d'investigation dans lequel il voit un point fort pour le journal. Son attention est alors attirée par un fait divers : un prêtre accusé d'attouchements sur mineur. Cette histoire n'est pas la première du genre à Boston. Il demande alors à l'équipe de Spotlight de creuser ce sujet, d'autant plus que des rumeurs disent que l'archevêque savait depuis des années que le prêtre accusé était un pédophile. 

Bande-annonce :

Les journalistes vont alors aller de surprises en surprises : quelques années auparavant, un avocat avait déjà instruit un dossier contre l'Eglise avec témoignages de victimes à l'appui, mais la pression et les relations de l'Eglise étaient telles qu'il a dû laisser tomber et ne veut dorénavant plus en entendre parler. En allant à la recherche des témoignages des victimes, tous plus émouvants les uns que les autres, les journalistes apprennent l'existence d'une association des victimes de sévices sexuels commis par des prêtres. Elle aussi avait entamé des poursuites en justice qui n'ont jamais abouti. Les enquêteurs découvrent alors avec horreur comment les curés choisissaient leurs "proies", généralement issues de milieu défavorisé avec des parents plus ou moins absents. Leur statut de "guide spirituel"  faisait d'eux des personnes intouchables aux yeux de leurs petites victimes et ils étaient protégés au sein du système. Edifiant !
Les journalistes entrent aussi en contact avec un psychothérapeute spécialiste des défiances des prêtres qui affirme que seuls 50 % des prêtres sont vraiment abstinents. Certains ont des maîtresses, d'autres s'en sont pris à des enfants. Lui aussi a tenté de se faire entendre auprès de la justice mais s'est fait rapidement décrédibiliser par l'Eglise.

L'équipe de Spotlight

A force de travail, de persévérance et de courage, l'équipe d'investigation parvint à regrouper suffisamment de témoignages et de preuves pour rédiger un papier sérieux sur le sujet. Après avoir trouvé des preuves impliquant 2 prêtres sur Boston, il découvrent que 13 membres du clergé sont impliqués, jusqu'à ce qu'en regroupant plusieurs informations, ils parviennent à des résultats de plus en incroyables ! C'est près d'une centaines de prêtres dans la région de Boston qui auraient été "mutés" ou en congé maladie ces dernières années suite à des violences sexuelles sur mineurs. Absolument stupéfiant. C'est ainsi qu'une véritable enquête de fond réalisée par un journal local a permis de révéler un des plus gros scandales de ces dernières années.


Le film est réussi car il retrace très justement toutes les étapes qui ont permis d'obtenir un dossier complet sur cette terrible affaire de pédophilie. 
On est un peu perdu les quinze premières minutes : après un flash back dans les années 70, on est plongé directement dans l’effervescence de la rédaction du journal avec de nombreux personnages et des dialogues qui fusent ! Mais à partir du moment où les journalistes se lancent dans l'enquête, on est rapidement immergé dans cette rédaction et les deux heures de film passent assez vite.


Le film a le mérite de montrer avec précision le travail d'un journaliste : de l'idée du sujet à la recherche de sources fiables, de témoignages, de preuves, faisant face aux critiques et aux éventuelles intimidations. D'ailleurs, les acteurs ont côtoyé les véritables journalistes héros de l'affaire pendant plusieurs mois afin d'en apprendre le plus possible sur leur travail, reprenant aussi leurs postures, essayant de comprendre leurs caractères. C'est pourquoi Mark Ruffalo est tellement bon en journaliste discret et passionné, avec son style si particulier !


Le casting est à la hauteur dans ce film. Avec Michael Keaton (The Birdman) dans le rôle du rédacteur en chef de Spotlight, Mark Ruffalo et Rachel McAdams dans les rôles des principaux journalistes d'investigation,  John Slattery (Mad Men)en tant que rédacteur en chef du journal et bien d'autres encore.

Pour conclure, je dirai que Spotlight est un film intelligent et réussi. Tout d'abord il reprend un des plus grands scandales de ces dernières années en détaillant les rouages qui ont fait que cette incroyable affaire n'ait pas été révélée plus tôt. Le film montre habilement le pouvoir et l'influence qu'a l'Eglise qui n'hésite pas à subtiliser des preuves et à décrédibiliser et intimider les plaignants.
Ensuite, comme expliqué plus haut, c'est un formidable film sur le métier de journaliste, sans fioriture, sans effets spéciaux, avec des jeux d'acteurs tout en retenue. C'est aussi un vibrant hommage à la presse papier, aujourd'hui fortement concurrencée par la télévision et Internet.

Le film a eu plusieurs nominations dès sa sortie : Il est notamment nommé 4 fois pour les Oscars et 3 fois pour les Golden Globes.

Spotlight / film américain réalisé par Tom McCarthy, avec Michael Keaton, Mark Ruffalo, Rachel McAdams, Liev Schreiber, John Slattery . - Sortie en France le 27 janvier 2016.