mardi 28 juin 2016

Introspection nocturne et innovation littéraire dans ces trois nouvelles écrites en miroir

Trois fois dès l'aube est le treizième roman de l'écrivain et homme de théâtre italien Alessandro Baricco.
Ce petit roman est constitué en fait de trois nouvelles où deux personnages d'âges à chaque fois différents, un homme et une femme, se rencontrent dans un contexte à chaque fois différent, mais toujours la nuit. Entre ces trois histoires, il y a un lien, comme un fil conducteur en arrière plan, un jeu de miroir déformant que l'on comprend seulement à la fin du livre...


Première histoire : Tard dans la nuit (ou tôt le matin, c'est selon) un homme croise une jolie jeune femme en robe de soirée dans le hall d'un hôtel. D'abord pressé de partir, celui-ci va finalement être retenu par cette mystérieuse femme impertinente qui lui pose beaucoup de questions sur lui même et qui l'intrigue...
La fin de cette première histoire m'a surprise car le dénouement est inattendu et on reste avec des questions sans réponses.

Deuxième histoire : Toujours dans le hall d'un hôtel, un concierge proche de la retraite remarque qu'une adolescente semble effrayée par son petit ami, plus âgé. S'en suit une conversation où il essaiera de la dissuader de rejoindre cet homme et où tous deux iront de confidence en confidence...

Troisième histoire : Une femme policière vient en aide à un garçon de treize ans ayant survécu à un incendie dans lequel ont péri ses parents.

J'ai beaucoup aimé la première nouvelle, y ai trouvé un écho et des réponses dans la deuxième nouvelle, mais ai été un peu déçue par la dernière histoire, avec l'impression de rester sur ma faim / fin.
Je ne vais pas en dire plus car il y a un lien entre ces trois histoires, ces personnages esseulés qui semblent "enfermés" dans leur vie. On remarque à la fin comme un effet de miroir entre les personnages de ces trois nouvelles à travers les âges et les lieux.

A chaque fois, l'histoire se termine le matin, à l'aube. Des histoires nocturnes donc, où des êtres énigmatiques que tout semble opposer se rapprochent et se confient durant la nuit. Puis arrive l'aube, ce moment où l'âme est à nu et où des vies peuvent changer avec la naissance d'une nouvelle journée...

Les dialogues sont incisifs, énergiques, comme un échange de balles ping-pong et s'insèrent de manière très fluide dans la narration globale. Le style littéraire est original mais la lecture de ce petit livre reste facile. En effet, ce roman se lit rapidement avec beaucoup de plaisir. 
A la fin du livre, j'ai eu envie de le relire pour que les détails du début qui semblent insignifiants lors d'une première lecture prennent toute leur place et trouvent un écho à l'issue de ces trois histoires. Comme un puzzle qu'on réaliserait après coup !
C'est un livre qui fait réfléchir, par les histoires qu'il raconte mais aussi par ce qui n'est pas dit mais qu'on devine, et aussi grâce à sa construction originale.


Citations :

"Vous avez un visage méchant.
Chouette!
Mais...
Je suis méchante.
Cela semble vous réjouir.
Oui, je m'en réjouis, j'aime bien être méchante, comme ça je me protège du monde, je n 'ai peur de rien. Qu'est-ce-qui vous gêne dans la méchanceté?
L'homme réfléchit un peu. Puis il dit qu'il faut faire attention quand on est jeune parce que la lumière dans laquelle on vit, jeune, est la lumière qui nous suivra toujours, et ce pour une raison qu'il n'avait jamais comprise[...]. p 65

"Elle regardait cette maison, devant elle, et pensait à la mystérieuse permanence des choses dans le tourbillon incessant de la vie. Elle pensait que chaque fois, en vivant avec elles, on finissait par laisser sur ces choses comme une légère couche de peinture, la couleur de certaines émotions destinées à s'estomper, sous le soleil, en souvenirs." p 120

samedi 18 juin 2016

"Jordskott" une nouvelle série nordique sous forme de thriller mystique

Encore une série nordique ! Décidément les réalisateurs scandinaves ont su s'immiscer avec succès dans la brèche des séries originales loin du "bling bling" américain, des images trop colorées, des scènes d'action incroyables et des intrigues prévisibles. Après les danois (Borgen, The Killing, Bron...), les norvégiens (Occupied), les islandais (Trapped, Meurtre au pied du volcan...) , c'est au tour des suédois de présenter une nouvelle série, diffusée récemment sur ARTE.  Jordskott est une sorte de thriller fantastique plutôt réussi.


On est plongé encore une fois dans la grisaille du grand Nord mais plus précisément ici dans une forêt mystérieuse. Ambiance poisseuse, mystique, inquiétante et frissons garantis.

Pour voir la bande annonce, c'est par ici :  http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19562530&cserie=19051.html

L'histoire débute par la disparition d'un enfant. Les circonstances du drame rappelle à Eva, médiatrice de crise dans la police, la disparition brutale de sa propre fille, Joséphine, sept ans plus tôt. C'est d'autant plus troublant que la disparition a lieu dans la même forêt de Silverhöjd, où elle a vu sa fille pour la dernière fois! Le père d'Eva, avec qui elle semblait avoir coupé les ponts depuis des années, vient de mourir des suites d'une longue maladie. Il habitait justement près de cette fameuse forêt. C'est donc l'occasion pour Eva de se rendre sur les lieux au prétexte de l'enterrement de son père et de mener ainsi sa propre enquête. Elle apprend alors que le père du garçon disparu travaille dans la même entreprise que celle que dirigeait son père avant d'être malade. Coïncidence? Eva est déterminé à trouver le coupable et à trouver ce qui est arrivé à sa fille.

Eva

Une fois sur place, elle rencontre deux policiers chargés de l'enquête sur la disparition du garçon : Göran et Tom. Göran est un policier d'une cinquantaine d'années, calme et très professionnel, il n'en reste pas moins mystérieux. Il va rapidement prendre Eva sous son aile, allant jusqu'à l'engager en tant que conseillère sur cette affaire. Tom est plus réticent à voir Eva s’immiscer dans son enquête. Il craint en effet que le passé de la jeune femme et ses émotions n'altèrent son jugement et ses actes.

les deux policiers : Göran et Tom

Il y a pas mal de personnages dans cette série : un vieux fou retranché dans ses livres, une vielle femme sans- abri un peu "sorcière", une ado marginale, un tueur en série - mercenaire, une mère de famille dépassée par son grand fils attardé, une petite fille mutique, etc. Et en toile de fond, une grande entreprise qui entreprend la destruction de la forêt...
Tous ces personnages que l'ont croit secondaires dans les premiers épisodes prennent de plus en plus d'importance au fur et à mesure qu'on avance dans la série. On sent dès le début que tous ont un secret, et on se demande de quel coté ils sont, du bon ou du mauvais? Et au fur et à mesure, on se rend compte que tous sont plus ou moins liés par une intrigue bien étrange... Difficile d'en dire plus sans spoiler !

Esméralda, une mystérieuse jeune fille

Jordskott est une série bien rythmée, alternant larges plans contemplatifs (de très belles images de la forêt mystérieuse), dialogues et quelques scènes d'action mais, surtout, beaucoup de suspens. Il y a de nombreux rebondissements et on est vite captivé par le mystère qui entoure beaucoup de personnages.


Petit bémol toutefois : J'ai trouvé quelques scènes caricaturales ou improbables (par exemple : Eva qui ne semble pas vraiment dévastée suite à des révélations étonnantes concernant la disparition de son enfant) mais peut-être est-ce c'est parce-que dès fois on oublie qu'il s'agit d'une série fantastique ! 

Jordskott c'est d'abord un polar bien ficelé, avec juste quelques touches de fantastique qui lui donne un coté mystérieux. Cela en fait une sorte de conte moderne revisité (l'histoire me fait penser à un conte de Grimm), avec des références à la mythologie scandinave. Pour en savoir plus sur ces légendes nordiques faisant référence à des esprits, trolls et autres êtres étranges qui ont inspiré les réalisateurs, consultez cette page sur le site d'ARTE. (Cependant il est préférable de lire ces explications après avoir vu la série pour que le mystère reste entier.)


Enfin, Jordskott, c'est également une fable moderne sur les forces de la Nature qui se vengent du capitalisme, de la convoitise et de la bêtise humaine.
Une série étrange, intéressante et captivante.

Jordskott : la forêt des disparus / série suédoise réalisée par Henrik Björn et Anders Engström, avec Moa Gammel,Göran Ragnerstam,Richard Forsgren,Peter Andersson, etc. 10 épisodes de 60 minutes. Diffusée sur ARTE en mai - juin 2016.

mercredi 1 juin 2016

"Money Monster" : quand un show TV dégénère en télé-réalité extrême. Critique du libéralisme et de la télé spectacle signée Jodie Foster.

Jodie Foster (re)passe derrière la caméra pour réaliser Money Monster, un film urbain et très contemporain. Elle réalise ici son troisième long métrage mais contrairement à ses deux précédents films, elle ne joue pas dedans. Cependant, elle a engagé de sacrées stars pour tenir le haut de l'affiche : Georges Clooney et Julia Roberts, rien que ça !



L'histoire :

Lee est un célèbre présentateur de talk show : chaque jour il anime avec passion le "Money Monster", un show télévisuel de vulgarisation économique (très vulgaire d'ailleurs) où, à force de mises en scène super kitches, de gimmicks et paré de costumes ridicules, il analyse les cours de la bourse et fait des spéculations financières. Sûr de lui dans son rôle de guignol de la bourse, son arrogance en prend un coup le jour où il se fait prendre en otage en plein direct ! Le ravisseur, un jeune homme désemparé qui a tout perdu après avoir suivi les conseils de Lee concernant les actions d'une grande entreprise, est déterminé à obtenir des réponses sur ce fiasco financier.

Bande-annonce : 

D'abord effrayé et pris au dépourvu, le présentateur vedette tente de sauver sa peau en se dédouanant, affirmant qu'il n'a fait que suivre les résultats boursiers, que c'est la faute de l'entreprise en question qui a "perdu" les 800 millions de dollars. Puis, petit à petit, en vue de répondre aux attentes du preneur d'otage, Lee et son équipe vont tenter de comprendre ce qui s'est réellement passé pour que le cours de cette action s'effondre subitement... Il prend alors conscience que les tuyaux financiers qu'il déballe avec tant de légèreté et de second degré peuvent influencer la vie de ses téléspectateurs.


Ainsi, l'animateur, sa chargée de production (Julia Roberts) et sa fidèle équipe de tournage vont sortir de leurs rôles d'amuseurs publics pour mener une véritable enquête en lien avec la responsable des relations publiques de l'entreprise incriminée. Une quête de la vérité qui s'avère aussi être une quête d'audience puisque la caméra suit constamment son animateurs vedette et que cette prise d'otage façon "télé réalité" attire des millions de spectateurs dans le monde entier.


Le preneur d'otage, d'abord vu comme une terroriste ou un déséquilibré fait progressivement figure de lanceur d'alerte aux moyens extrêmes. Ensuite, rien ne se passe comme prévu ou comme on s'y attend, et les rôles vont même être amenés à être inversés ! Il y a un coté burlesque, très théâtral dans la réalisation de ce film, qui relate pourtant des événements dramatiques, inspirés de faits divers bien réels.


La scène d'ouverture du film nous  plonge d'emblée dans le lancement du talk-show avec une succession de scènes très rapides, kitches et, à mon sens, assez énervantes. J'avoue avoir été un peu sceptique par ce début de film assez laid et superficiel. Mais on peut rire de la mise en scène exubérante de ce show, même si c'est malheureusement très américain, dans l'air du temps et du coup très crédible ! Ce début de film grotesque et caricatural amorce la critique du "tout spectacle" devenue la mode ces dernières années à la télévision.


Money Monster est un film très urbain et moderne qui porte un regard cynique sur le monde de la finance, des grandes entreprises et le rôle de la télévision. C'est également une critique de la société du spectacle, où tout est déballé en public. Jusqu'à quel point la télévision peut-elle filmer en direct des situations critiques? Où est la limite entre journalisme et voyeurisme ?

Loin d'être un beau film et reprenant des ficelles déjà connues (la prise d'otage, l'enquête financière sous forme de thriller, le monde des médias...) Jodie Foster parvient tout de même à éviter les clichés grâce aux revirements de situations, à une touche de second degré tout au long du film et à la prestance des acteurs. Georges Clooney est parfaitement à l'aise dans le rôle du présentateur arrogant, prétentieux et puéril. D'ailleurs, son personnage évolue au cours de l'histoire... Julia Roberts interprète elle avec beaucoup de classe une chargée de production très professionnelle, déterminée à sortir son animateur vedette du pétrin dans lequel il se trouve.

Money Monster  est un thriller bien rythmé, une critique intéressante du libéralisme et de la société des écrans, avec un gros casting.. Pas indispensable, mais distrayant.

Le film était présenté hors compétition au festival de Cannes 2016.

Money Monster / film américain réalisé par Jody Foster, avec Georges Clooney, Julia Roberts, Jack O'Connell, etc. Sortie française le 12 mai 2016