jeudi 29 septembre 2016

"Victoria", une comédie douce-amère caustique et pertinente

Victoria est la petite comédie française du moment à voir au cinéma. "Ouhla!"- vous vous dites, une comédie et française en plus! On sent venir les blagues lourdes et pas drôles, les clichés à gogo et la "happy end" fleur bleue. Et bien, pour une fois, pas tout-à- fait. Victoria est une comédie douce-amère montrant les différentes facettes d'une femme moderne et abordant des maux très contemporains : la solitude, le sens des responsabilités et de la parentalité, la dépression.... Le tout en évitant les clichés et avec un humour décalé et un sens de la narration bien rythmé.


L'histoire :

Victoria est une avocate débordée, une maman divorcée et une femme de son temps dynamique et très glamour qui traverse actuellement un désert sentimental. Maman de deux petites filles qu'elle voit à peine, ces dernières passant plus de temps avec leur baby-sitter qu'avec leurs parents, elle ne semble pourtant pas trop s'en émouvoir. Elle consacre la plupart de son temps à son travail au détriment de sa vie intime. Son baby-sitter d'ailleurs se fait la malle ne supportant plus de remplacer les parents des fillettes. 
Invitée au mariage d'un ami de longue date, Victoria retrouve un ancien client qu'elle a défendu il y a quelques temps pour trafic de stupéfiants. Lui cherche du travail, un logement, un retour à une vie sociale. Elle cherche un baby-sitter, un ami, du réconfort. La rencontre tombe donc plutôt bien.


A cette même soirée, un couple très fusionnel chante une chanson aux mariés. Quelques heures plus tard, la femme, Eve, est blessée et accuse son compagnon, Vincent, de l'avoir poignardé. Ce dernier nie tout et demande alors à son amie Victoria de le défendre. D'abord réticente en raison de leurs liens d'amitié, elle finit tout de même par accepter.


Ces rencontres vont entraîner toute une suite d’événements qui vont progressivement bouleverser la vie de la jeune femme. On rajoute la dessus, un ex-mari qui se montre un peu envahissant... et Victoria va se retrouver au bord de la crise de nerfs.

Bande-annonce :

Virginie Efira est épatante dans son interprétation d'une Victoria à la fois femme fatale désabusée, avocate déterminée, femme célibataire frigide et fragile et maman dépassée. Tout passe dans ses mimiques, ses expressions, ses postures, dans sa manière de parler à la fois simple et efficace, très naturelle. C'est véritablement elle qui porte le film.
Vincent Lacoste est touchant également dans son interprétation de Sam, jeune homme au visage enfantin, ex-toxico paumé, nouveau baby sitter débordant de gentillesse qui devient vite un Victoria-sitter ...
Et Vincent, l'ami de Victoria qui se noie dans une relation amoureuse toxique mais tellement addictive avec la sulfureuse Eve...
Chaque personnage cache ici des fêlures, un mal être ou des angoisses mais semble ignorer les problèmes des autres. La réalisatrice porte un regard acéré sur la société actuelle où les apparences sont trompeuses, où on ne prend plus vraiment de s’intéresser à ses proches souvent trop absorbés par nos problèmes personnels.


Plusieurs scènes insolites rendent ce film souvent drôle. On y croise notamment un gorille à un mariage et un chien, témoin dans un procès. Ça pourrait être lourd, mais au contraire, c'est subtil, incongru mais caustique. Et cela grâce à un sens du récit intelligent et surtout à la justesse du jeu de Virginie Efira.


Bref, dans l'ensemble, j'ai trouvé que Victoria est une comédie agréable, pertinente et caustique portée par de bons acteurs. J'ai passé un bon moment bien que la fin soit cousue de fil blanc...

Victoria / film français réalisé par Julie Triet, avec Virginie Efira, Melvil Poupaud, Vincent Lacoste, etc. Sortie le 14 septembre 2016.



mercredi 21 septembre 2016

"Divines", un film bluffant de réalisme qui raconte les tribulations d'une ado de banlieue en quête d'argent et de reconnaissance

Divines est je pense le film choc de cette rentrée. Vous en avez peut-être entendu parler, c'est un film sur des ados se démenant dans leur banlieue. Alors certes, des films sur la vie dans la cité, ce n'est pas ce qui manque, mais Divines se démarque par un casting amateur bluffant, un bon rythme, un sens du réalisme étonnant et des clichés contournés. La réalisatrice, Houda Benyamina, elle aussi inconnue du grand public jusqu'à présent, a d'ailleurs été récompensée pour ce film en recevant la Caméra d'Or lors du dernier festival de Cannes, prix attribué au meilleur premier film. C'est plus que mérité car ce film est saisissant.

L'histoire : 

Dounia est une ado rebelle qui cache sa féminité derrière des sweats à capuches. Celle qu'on appelle "la bâtarde" a sans cesse besoin de se faire remarquer. Mais c'est également une fille courageuse qui n'a pas froid aux yeux et qui sait ce qu'elle veut. Quand sa professeur de BEP lui demande ce qu'elle veut faire plus tard, elle répond "Ben, comme tout le monde : money, money, money" reprise en cœur par tous ses camarades.
Elle habite dans un camps rom avec sa mère alcoolique et irresponsable dont elle doit s'occuper. Pour fuir ce quotidien désolant, Dounia passe la plupart de son temps libre avec sa copine Maimouna avec qui elle fait les quatre-cent coups au milieu des tours de leur cité. Les deux inséparables copines volent dans les grandes surfaces pour revendre ensuite leur butin dans la cité et se faire un peu d'argent.


Depuis leur planque où elles cachent leur argent, située au dessus d'une salle de spectacle, elles observent un groupe de danseurs s'entraîner. Parmi eux, un beau jeune homme musclé et tatoué dont le charisme ne laisse pas Dounia indifférente. Ces petites pauses "spectacles" sont comme une bouffée d’oxygène dans la vie de la jeune femme, une échappatoire, un rêve vers un avenir meilleur où la violence cède la place à l'art et la beauté.


Mais les trafics de friandises ne suffisent plus à Dounia. On constate rapidement que derrière sa mine juvénile se cache déjà beaucoup de colère et de frustration. Elle veut plus d'argent et décide pour cela de se rapprocher de la caïd du quartier, une certaine Rebecca, chef de gang et dealeuse aux allures de garçon manqué, afin de lui demander de travailler pour elle. Impressionnée par le culot de Dounia, (elle lui répond d'ailleurs "j't'aime bien toi, t'as du clitoris" phrase qui deviendra la réplique culte du film !) celle-ci lui confie d'abord de petites missions avant de l'envoyer régler de vrais deals. Une fois qu'elle a mis le pied dans l'univers des trafics, l'engrenage est lancé pour Dounia...


Le film s'ouvre par de courtes vidéos où les deux ados se filment en train de faire les folles, à en donner le tournis. Ces images sont comme des témoignages de l'innocence et de la joie de vivre des deux filles, qui vont s’étioler tout au long du film. Les téléphones et les réseaux sociaux sont omniprésents du début à la fin, reflet d'une génération qui a besoin d'exister à travers les écrans et de témoigner de leur quotidien souvent morose.

Bande- annonce :


La bande-annonce laisse penser à un film plein de vie, de débrouille, empreint de quelques touches d'humour. C'est le cas certes, mais c'est aussi un film très violent, ce à quoi je ne m'attendais pas forcément. Cette violence est d'ailleurs omniprésente, qu'elle soit verbale, physique mais aussi sociale.

Divines, un film féministe? Peut-être. En tout cas ici les hommes sont relégués au second plan ou alors aux rôles de mannequins ou de crapules. Ce sont les femmes qui prennent le pouvoir de la rue. Elles sont pleine de vie, d'énergie et non dénuées d'humour, notamment Maimouna. Les jeunes comédiennes sont incroyables tant leur jeu est fluide et troublant, les personnages semblant plus vrais que nature. Effectivement, ces jeunes des quartiers ne nous sont pas inconnus, ils ressemblent à ceux que l'on côtoie dans les transports, dans les centres commerciaux... On connait leur style, leur tchatche. Ils sont à la fois débordants de vie, sur la défensive, impulsifs, férus de nouvelles technologies et prêts à tout pour se faire de l'argent. Le portrait à la fois dur et sensible qui est fait de cette jeunesse est tellement juste que s'en est troublant.


Le personnage de Dounia a plusieurs facettes : une gamine innocente qui aime s'amuser, une jeune femme déterminée prête à tout pour se faire du blé, une fille qui découvre sa féminité, ou encore une ado très courageuse qui ne perd pas son sang froid. La jeune actrice semble parfaitement à l'aise avec toutes ces facettes de son personnage et c'est elle qui fait  la force de ce film, tellement elle crève l'écran !

En faisant quelques recherches, j'ai lu que pour beaucoup, ces jeunes acteurs / actrices sont eux même issus des quartiers ce qui explique probablement la justesse de leur jeu. Et la jeune actrice qui interprète Dounia n'est autre que la petite soeur de la réalisatrice ! 


A la fois film social, drame, chronique initiatique sur l'adolescence, polar, Divines est un mélange de genres, un film choc qui ne laisse pas indifférent. Ce film interpelle aussi car il se fait le triste reflet de notre société, plusieurs éléments de l'histoire rappelant de récents faits divers. La réalisatrice avoue d'ailleurs dans une interview que c'est suite aux émeutes dans les banlieues en 2005 qu'est née l'idée de ce film. On se prend en pleine face la violence des banlieues dont l'origine semble être un condensé de frustration, de pertes de repères et de violence sociale. Divines interroge sur ses jeunes livrés à eux mêmes et nous fait réfléchir sur la société d'aujourd'hui où l'argent est roi.

Tout du long, le film est rythmé, bien ficelé, avec des répliques époustouflantes pleines de vérités ou d'humour, un film tellement contemporain que s'en est troublant.
Je ne peux pas parler de la fin du film, mais disons que je suis restée scotchée à mon siège un petit moment durant le générique de fin...


vendredi 2 septembre 2016

"Captifs" : un huis clos effrayant raconté sous forme de journal intime

Captifs est un étrange récit en huis clos, raconté sous forme de journal intime. Mais ce journal intime n'a rien d'ordinaire. Linus a 16 ans et vit à la rue depuis qu'il a fugué de chez son père. Un jour, il se réveille grogui dans un drôle d'endroit : une sorte de bunker sous-terrain très bien aménagé, comprenant 6 chambres, une cuisine, une salle de bain. Dans chaque chambre se trouve un carnet vierge, un crayon et une bible.


Très vite il se rend compte qu'il va être difficile de s'échapper. Il n'y a ni portes, ni fenêtres, tous les meubles sont très bien fixés, rien de dépasse, il n'y a aucun objet coupant... De plus, le garçon constate que dans chaque pièce se trouve une caméra au plafond... 
Tour à tour effrayé, en colère, triste, résigné, seul et affamé, Linus se met à écrire ses pensées et ses impressions dans son petit carnet, à décrire son environnement, pour occuper son esprit et ses journées. Il repense aussi à son enfance, à son père, à sa vie dans la rue.

Un jour, le mystérieux ascenseur par lequel il est lui même arrivé lui amène une colocataire : une petite fille de 10 ans, Jenny. Celle-ci est apeurée et Linus va tenter de la rassurer, de s'occuper d'elle au mieux. Tous deux vont rapidement être très proches et vont tenter de communiquer avec leur ravisseur pour lui demander à manger. Mais il reste 4 chambres vides.... Et Linus comprend qu'ils ne vont pas rester seuls longtemps. Effectivement, au fil des semaines, de nouveaux individus, aux profils à chaque fois différents, vont être débarqués par le mystérieux ascenseur.

Captifs malgré eux, c'est une vie en communauté forcée qui va devoir s'organiser en tenant compte des caractères de chacun. Les prisonniers finissent par se focaliser sur les choses simples de leur quotidien : se nourrir, dormir, créer un semblant de vie sociale. Et attendre l'arrivée de l'ascenseur qui descend chaque matin à 9 h, dès fois avec de la nourriture, dès fois sans, dès fois avec un nouveau prisonnier, avec un message sadique ou autre "surprise"...
Alors qu'ils essaient de trouver un certain équilibre dans cette situation déjà très inconfortable, comme si le fait d'être enfermés sous terre à leur insu sans rien connaitre de leur ravisseur et sans perspective de s'échapper n'était pas assez dur, ils vont devoir subir le sadisme de celui-ci : privations de nourriture, diffusion de bruits assourdissants, diffusion de gaz toxique à toute tentative d'évasion avortée, tentation de la drogue et de l'alcool, fortes variations de températures, une horloge qui accélère ou ralentit le temps... Ce psychopathe semble regorger d'idées de tortures psychologiques en tout genre...

Linus comprend cela très vite qu'il va être difficile de s'en sortir vivant mais ne veut pas se résigner pour autant. Il transcrit ses pensées dans son petit carnet, non sans un certain sens de la dérision. Bien sûr, il s'interroge : pourquoi eux? Quel est le but de cette expérience? Leur ravisseur est-il seul ou sont-ils plusieurs à les épier? Vont-ils être un jour libérés ? Par quel moyen pourraient-ils s'évader?

Captifs est un roman troublant qui se lit d'une traite. L'écriture est limpide, incisive. Le narrateur, Linus, est intelligent, très mature pour son âge et d'une grande lucidité.
Certes, le sujet de l'enfermement est un thème récurrent dans la littérature comme au cinéma mais ici, le fait que le roman soit écrit sous forme de journal intime permet de suivre l'état mental du narrateur et nous amène au plus près de ses pensées, ce qui rend le récit d'autant plus troublant, sensible et dérangeant. Les grandes peurs y sont abordées : l'enfermement et la solitude, les privations, la faim, l'inconnu... Avec toujours pour objectif, l'échappatoire, la liberté retrouvée...

L'intrigue est captivante car elle soulève des tas de questions : qui est ce sadique qui derrière son ordinateur s'amuse avec ces humains, comme avec des souris de laboratoire, pour voir leur réaction, tester leurs limites? Quel est son but? Est-ce-une sorte de téléréalité ou de simulation de jeu pour ordinateur comme le pense Linus? Pourquoi ces personnes ont-elles été choisies, ont-elles un lien entre elles? Et surtout : vont-elles s'en sortir?
Un récit troublant, à l'heure de la télé-réalité extrême, d'autant plus qu'on reste sans réponses.
Taxé de pessimiste voir de nihiliste lors de sa sortie, il est certain que Captifs nous pousse à réfléchir sur les limites de l'être humain.  Le livre a été récompensé au Royaume-Uni par le prix Canergie et a déclenché une vive polémique en raison de sa violence sociale et psychologique. Personnellement, si le livre est effectivement dérangeant, je trouve qu'il est au contraire très intelligent et qu'il n'y a pas matière à polémiquer.

Quelques citations pour se faire une idée :

"Tout ce que je sais, c'est que ça fait sept jours et que je suis encore là en train de gamberger sur ce qui s'est passé. Et le plus gênant, c'est que je ne suis pas plus avancé aujourd'hui qu'il y a une semaine. Je ne sais toujours pas où je suis. Je ne sais toujours pas ce que je fais ici. Je ne sais toujours pas ce qu'il veut. Je ne sais toujours pas comment sortir d'ici. Je ne sais toujours pas ce que l'avenir me réserve. Je ne sais pas ce que je vais faire. Je n'en peux plus." p 75

"Tout ça, c'est des jeux. Il joue à ses jeux et nous jouons aux nôtres. Son jeu à Lui consiste à nous donner ce que nous croyons vouloir, selon nos vices, ou ce qui, d'après Lui, peut nous faire du mal, selon nos faiblesses, pour voir ce qui se passe. Je suppose que c'est un peu comme ces jeux sur ordinateur qui imitent la vie en société. Le genre de jeux qui permettent de se prendre pour Dieu. Oui, je le vois bien adorer ça." p 140

"Quatre heure de chaleur à crever suivies de quatre heures de froid polaire. Puis encore la chaleur et le froid, et la chaleur, et le froid... Et encore du bruit à en faire éclater les tympans. rien à manger. survivre et supporter. Faire retraite à l'intérieur de sa tête, essayer de couper le contact, et attendre que ça passe. Rien ne dure éternellement. Tu peux l'endurer. Endure. Endure." p 170

"Je le déteste vraiment, ce gros naze. Ce n'est pas seulement lui, bien qu'il soit vraiment tordu, c'est tout ce qu'il représente. Le type qui part au boulot depuis sa banlieue tous les matins. Le type en costume gris. Le type qui fait du business. Qui passe sa vie à geindre et à se plaindre de quelque chose, jamais satisfait. Le train a du retard, il fait trop froid, je suis tellement crevé. Ils sont tous les mêmes, comme de gros bébés en taille adulte, avec leurs costards. Ils ont leurs joujoux dans des petites valises de cuir, des trains en guise de tricycles, des épouses à la place de leurs mères, de la bière à la place du lait..." p 181

"C'est ça qu'il veut, j'ai pensé. C'est exactement ça qu'Il veut. La folie, la pagaille, la descente en spirale vers le chaos. C'est le but du jeu depuis le début. Il est comme un gamin qui enfonce son bâton dans une fourmilière. Il adore observer le chaos." p 235