vendredi 25 novembre 2016

Un roman émouvant, poétique et cynique qui interpelle sur l'aide humanitaire en Afrique

Paule Constant est une écrivain française qui a vécu sur les quatre continents et ça se sent dans ses romans. Dans Des chauves-souris, des singes et des hommes, l'histoire se passe au Congo. Elle porte un regard perspicace et critique sur ses personnages et on sent vraiment la chaleur et l'esprit africain entre les lignes. 
Le titre du livre fait penser à une fable innocente, et ça pourrait en être une effectivement, puisque dans ce roman sont retranscrits de manière un tantinet innocente et un poil fataliste les destins de plusieurs personnages qui portent tous des prénoms ou surnoms très littéraires. Cependant, l'histoire relatée ici n'a rien d'innocent et se fait le triste écho de notre actualité, sur bien des aspects.


L'histoire :

Olympe fait partie du peuple Boutoul, un peuple du Congo qui vit dans un grand dénuement et qui subsite grâce aux quelques richesses de la forêt proche. C'est une petite fille rejetée par sa tribu au prétexte qu'elle a interrompu une lignée de braves petits garçons. Elle erre seule dans son village et fait appel à son imagination pour s'occuper. Un jour, elle trouve un bébé chauve-souris qu'elle trimbale ensuite partout avec elle, comme son protégé, son animal de compagnie, son seul ami. On se prend vite d'affection pour cette fillette livrée à elle-même et on espère pour elle un destin heureux, malheureusement, dès le début l'auteure annonce que cette histoire est tout sauf optimiste.
Un jour, les jeunes garçons du village reviennent avec un gorille mort qu'ils disent avoir fièrement chassés. S'en suit une grande  fête et les voisins sont conviés pour partager ce festin. Mais, quelques heures plus tard, des petits enfants sont les premières victimes d'un mal étrange. La faute est alors rejetée sur Olympe et sa chauve-souris qui porteraient malheur... Ce peuple se réfugie en effet derrière d'ancestrales superstitions et une magie omniprésente pour expliquer leurs malheurs.

En parallèle, on suit le parcours d'Agrippine, religieuse et médecin du monde qui rejoint une communauté de soeurs en Afrique en vue de leur apporter son aide car elle ne supporte plus l'hypocrisie et la superficialité des occidentaux. Ces religieuses exercent dans des conditions dignes du début du vingtième siècle, c'est-à-dire dans un quasi dénuement, et tentent de mener tant bien que mal une campagne de vaccination envers la population boutoule.

Agrippine va rencontrer un étudiant en ethnologie - sociologie, Virgile, jeune idéaliste plein d'idées reçues et d'espoir pour le peuple africain, qui étudie notamment les maladies endémiques. Tous deux vont confronter leur vision de la médecine et de l'aide humanitaire.

Au fil des pages, on croise également Thomas, l'aide polyglotte, un chef d'entreprise mégalo, des primatologues occidentaux bien-pensants, etc.
Tous ces personnages vont se côtoyer, confrontant leurs points de vue très différents sur la médecine, sur l'Afrique et sur le monde en général.

A travers ce récit émouvant, Paule Constant dresse une sévère critique de la médecine humanitaire occidentale. Elle dénonce aussi les comportements passés et actuels des occidentaux ex-colonialistes vis à vis du peuple africain. Elle décrit avec justesse le choc des cultures et des civilisations entre une Afrique ancrée dans ses traditions, laissée pour compte, qui fait face à un monde occidental riche et féru de science, mais aussi hypocrite et condescendant.
Des chauves-souris, des singes et des hommes est un roman à la fois beau et triste, judicieusement bien écrit avec cette plume douce amère qui oscille entre cynisme, fatalité et poésie.

Alors je reconnais que certaines descriptions m'ont semblé quelques fois un peu longues et, surtout, par moment, j'ai eu du mal à comprendre où voulait en venir l'auteure à force de passer d'un personnage à l'autre. Il n'en reste pas moins que c'est un superbe roman, qui se lit finalement comme un thriller, le nom du coupable étant révélé seulement à la dernière phrase...
Ce livre m'a laissé un goût amer car c'est un récit dur et triste qui secoue et fait réfléchir. J'en suis sortie bouleversée.

L'auteure a écrit une douzaine de romans et a notamment reçu le prix Goncourt en 1998 pour le livre Confidence pour Confidence.

Des chauves-souris, des singes et des hommes  / Paule Constant, de l'académie Goncourt . - Gallimard (collection blanche), 2016

Quelques citations relevées au fil des pages pour se faire une idée du style de l'auteur :


"Olympe était un petit, tout petit contre-présage, l'infime accroc dans la toile sans défaut du destin exemplaire des Boutouls" p.20

"C'est toujours au moment où l'héroïne capitule que le sortilège s'impose, comme si, ayant abandonné toute résistance, elle laisse advenir ce qui doit être" p 15

"Entre gambade et cabriole, Olympe, papillonnante, bouleversait l'ordre des choses, accélérait le temps, brûlait les étapes." p 24

[Agrippine]" Depuis pas mal de temps, elle tournait dans le monde avec des ONG au gré des guerres et des épidémies, et quand elle reprenait pied en Europe, le dégoût la saisissait. C'était une civilisation à bout de course qui n'avait plus le souvenir de sa longue histoire et qui mettait ce qui lui restait de vitalité à défendre un individualisme borné"  p.29

[Virgile]"-Vous leur apportez les invendus des grandes puissances industrielles? Vous venez liquider en douce les surplus des consortiums pharmaceutiques? L'Afrique, poubelle du monde, la bonne conscience en prime." p 62

[Virgile] "La tante n'avait pas tort, tout cauchemar comporte sa part de vérité, tout fantasme repose sur une réalité, tout conte dit un secret qui nous concerne, toute argumentation folle déploie sa logique imparable, toute condamnation n'est pas forcément injuste, toute répression est fondée. Personne ne se trompe tout à fait mais personne n'a raison." p 86

"Pas de laboratoire, pas de diagnostique. Où étaient-il les grands professeurs de la Mégalo? En congrès à Atlanta? Où étaient les médecins qui devaient effectuer une visite par mois dans tous les dispensaires et qui n'étaient pas venus depuis deux ans? Praticiens hospitaliers dans une ville d'Europe? " p 127

"-C'est, maugréa Alex à l'intention d'Alice, comme si on empoisonnait la forêt, comme si notre sale civilisation ne pouvait s'empêcher en mettant son nez partout de détruire l'ordre de la nature." p 134

[Agrippine]"Si j'ouvrais un cabinet, je consulterais en souffrances refoulées, celles que nous logeons dans le secret de nos corps pour nous rappeler une angoisse négligée, une colère oubliée. Il n'y a pas que les saints pour porter des stigmates, nos chagrins creusent dans nos chairs de profonds blessures et nos plaintes retenues s'échappent en cris sauvages." p 163

vendredi 18 novembre 2016

"Captain Fantastic" : entre road-trip familial initiatique et belle fable utopiste

Captain Fantastic est une fable philosophique moderne, une histoire sur la famille, sur les idéaux, un film à la fois frais et profond qui invite à la réflexion.


L'histoire :

Viggo Morgensten interprète ici Ben, un père de famille particulier et marginal. Déjà, il élève seul ses six enfants depuis que sa femme a été hospitalisé, mais surtout ils vivent dans une yourte au milieu de la forêt, loin de la civilisation et de la société de consommation. En effet, Ben et sa femme ont souhaité vivre en marge d'une société qu'ils jugent gangrenée par le capitalisme et le repli sur soi. Allant au bout de leurs idéaux, ils se sont donc installés dans la forêt et vivent en autarcie et en quasi auto-suffisance.


Le film commence par une scène de chasse digne d'un film d'aventure. En effet, Ben et ses enfants, couverts de boue, traquent la bête sauvage avec des couteaux. Ils cuisinent ensuite le gibier accompagné de plantes qu'ils cultivent. Ils n'ont quasiment aucun produit manufacturé et n'ont pas l'électricité. Les enfants ne vont pas à l'école mais Ben assure leur éducation à travers les classiques de la littérature. Il leur demande ensuite de lui livrer leur analyse, les poussant ainsi à réfléchir, à développer leur esprit critique. Incollables sur les grands principes mathématiques, sur la constitution américaine, petits philosophes en graines et joyeux musiciens, les enfants sont aussi des pros du yoga, de la méditation et en grande forme physique grâce à un entrainement intensif. Enfin, ils ne fêtent pas Noël ni aucune autre fête traditionnelle mais célèbrent chaque année l'anniversaire d'un philosophe américain contemporain à tendance anarchiste, Noam Chomsky.
Ben se montre souvent intransigeant avec ses enfants sans jamais se montrer brutal. Finalement, ce père gourou intrigue, on ne sait pas si on doit être admiratif de son idéal et de ses convictions ou les lui reprocher puisqu'il a choisi d'imposer un mode de vie marginal à sa famille. Et c'est à mon sens tout l'intérêt de l'histoire.


Cette bulle d'idéalisme éclate soudainement lorsque la maman décède, laissant derrière elle une famille désemparée. La petite tribu part alors à bord du bus "Steve" pour retrouver la famille du coté maternel et suivre les dernières volontés de leur mère qui souhaitait être incinérée. Mais ils vont se heurter aux traditions de cette famille américaine typique. Plus généralement, ce retour à la civilisation est un véritable choc des cultures pour les enfants qui sont alors confrontés au normalisme, aux nouvelles technologies, à la société de consommation, au superficiel. Ça devient un parcours initiatique aussi puisque le plus jeune des garçons est en pleine rébellion tandis que l’aîné rêve de prendre son envol... 
Ben finit par se retrouver dépasser par la situation et voit son cocon d'anticonformisme ainsi que ses convictions voler en éclat. 

Bande annonce :



Captain Fantastic invite à la réflexion sur ce que sont les utopies, les idéaux, les normes. Peut-on vivre heureux en vivant en autarcie? Peut-on aller au bout de ses utopies et concilier idéaux et vie familiale et sociale? Sommes-nous assez philosophes? Le choix de vie de Ben pour sa famille est-il le bon? Différents points de vue sont abordés et le film n'est finalement pas moralisateur, invitant plutôt à la réflexion et au compromis. 


Malgré quelques scènes caricaturales et des incohérences vers la fin, j'ai trouvé le film émouvant, plein d'humanité. Les personnages sont hauts en couleur, au sens propre comme au figuré. Viggo Mortensen interprète brillamment ce père de famille fantasque (fantastique?) qui va au bout de ses convictions et élève ses enfants selon ses valeurs humanistes. Tous les jeunes acteurs son formidables également même si j'ai trouvé l’aîné des fils un peu énervant.


Bref, je me suis laissée portée par l'histoire et ne me suis pas ennuyée. Je pense qu'il faut voir ce film comme un conte moderne, une fable philosophique ce qui permet d’atténuer l'aspect caricatural de certaines scènes.

Captain Fantastic a reçu le prix de la mise en scène dans la catégorie Un certain Regard au festival de Cannes 2016 et le prix du Jury et du Public lors du festival de Deauville.




dimanche 13 novembre 2016

""Ma vie de courgette," une chronique sociale en stop-motion pleine d'intelligence et de tendresse

Ma vie de courgette est un superbe film d'animation adapté du livre Autobiographie d'une courgette de Gilles Paris. Ce n'est pas un dessin animé ni un film de marionnettes mais un film d'animation en stop-motion (animation en volume) ce qui a nécessité un travail considérable : plus de 60 décors et 50 personnages ont été fabriqués, peints et animés. Loin des films habituels destinés aux enfants plein d'innocence et de joie de vivre, Ma vie de Courgette aborde des sujets graves, les personnages sont mélancoliques et leurs voix douces et graves pourraient être celles d'un véritable documentaire.


Les personnages ont tous de grands yeux qui font un peu penser aux héros de Tim Burton, qui montrent ici l'évolution de leurs émotions, leur ouverture sur le monde. Les dialogues sont percutants, plein de petites vérités, d'humanité, de tendresse et d'humour, brisant tous les préjugés. Cela contribue à en faire un film tendre, triste, émouvant mais aussi plein d'espoir.


L'histoire :

Courgette est le surnom qu'a donné une mère à son garçon de 10 ans. Ce dernier vit avec sa mère alcoolique dans un petit appartement en ville. Pendant que sa maman comate devant la télé en buvant des bières, lui ramasse les canettes qui traînent dans l'appartement pour en faire des pyramides et fait voler son cerf-volant par la fenêtre, à la recherche d'un peu d'air, d'un peu d'espoir. Jusqu'au jour où un drame survient et où Courgette se retrouve seul. Le policier qui le reçoit se prend d'affection pour ce petit bonhomme désemparé. Il l'emmène dans un orphelinat où ce dernier va devoir s'intégrer parmi un petite bande de gamins orphelins ou délaissés, blessés par la vie.
Quelques temps après son arrivée dans le centre, une petite fille, Camille, est amenée. Très vite, des liens forts vont se tisser entre les deux enfants.

Bande-annonce :


Ma vie de courgette aborde des sujets graves comme l'abandon, la maltraitance, les histoires de familles difficiles, la vie en foyer ou la solitude mais porte aussi un message plein d'espoir grâce à l'amitié, l'entraide et l'amour. C'est également un film qui interroge sur la parentalité, sur ce qu'est une famille. Ici le foyer apparaît comme une véritable "bulle", un refuge, par rapport au monde extérieur.


La réalisation est soignée, les personnages attachants avec ces yeux toujours expressifs, les paysages enfantins (des voitures ou des maisons ressemblant à des jouets) qui atténuent la gravité des faits relatés. Par ailleurs, le film révèle plein de petits détails qui contribuent à rendre ce film tendre et réaliste, comme par exemple un tableau mobile sur lequel les enfants peuvent afficher leur météo du moral. De plus, certains plans sont vraiment superbes, décuplant ainsi les émotions.


Ma Vie de Courgette est un film d'animation mélancolique, une chronique sociale adorable pleine d'intelligence et de finesse qui mêle avec brio émotion, humour, aventure et réalisme social. 
Et pour confirmer cette réussite, les musiques du film composées ou choisies par Sophie Hunger, sont toutes magnifiques ! (à noter notamment sa superbe interprétation de la chanson de Noir Désir "Le vent nous portera")

Ce film a d'ailleurs reçu le prix du public lors du festival du film d'animation d'Annecy en 2016 parmi une quinzaine d'autres prix au total.

dimanche 6 novembre 2016

"Le rouge vif de la rhubarbe" : un roman islandais plein de grâce et de poésie

Je viens de finir ce petit roman islandais qui figure parmi les grands succès de cette rentrée littéraire 2016. Auður Ava Ólafsdóttir est une écrivain très connue en Islande. Le rouge vif de la rhubarbe est son troisième roman et c'est un petit bijou littéraire. 
Les auteurs islandais ont toujours ce regard perspicace et poétique sur le monde qui les entoure, comme s'ils prenaient plus de recul pour observer les choses, qu'ils prenaient davantage le temps de décrire les paysages, les petites choses du quotidien... Si vous avez lu les livres de Stefanson, vous savez de quoi je parle. Ce doit être l'effet de la nuit polaire, qui pousse ainsi à la méditation !
Et Olafsdottir n'échappe pas à cette "règle" de la littérature islandaise.



Avec une écriture tendre, caustique et poétique, elle raconte l'adolescence d'Agustina, délaissée par ses parents, qui s'interroge sur son origine, son devenir et sur la vie en général. Outre de nombreuses réflexions philosophiques et méditations diverses, Agustina a un rêve qui peut sembler si simple : celui de pouvoir marcher, avoir une vie sociale normale et grimper des montagnes. En effet, un handicap la prive de ses jambes, mais elle ne se laisse pas abattre pour autant et fait preuve de beaucoup de détermination et de courage pour avoir une vie "normale". 

Sa mère est une scientifique rêveuse qui parcourt le monde à la recherche des oiseaux migrateurs. Régulièrement, elle lui écrit de brèves lettres dans lesquelles elle lui fait part de ses observations, en y ajoutant quelque fois une touche de poésie et philosophie. Son père, elle ne l'a jamais connu. Elle est élevé par Nina, une amie de sa mère, aidée de son ami Vermundur, l'homme à tout faire du village. Ce sont un peu ses parents de substitution. Ils lui racontent sa naissance, ses parents, leurs vie d'avant. Et quand elle a besoin de se retrouver seule, Agustina va se coucher dans le jardin de rhubarbe.

L'auteur décrit avec tendresse le quotidien de ses personnages au fil des saisons, comme la récolte de la rhubarbe à n'en plus savoir quoi faire (un des seuls fruits qui pousse sans problème en Islande.), la fabrication du boudin, la préparation de Noël... Et bien sûr, la capacité d'adaptation des islandais face à un climat difficile. Enfin, la nature, magnifique et sauvage, est très présente au fil des pages.

C'est un roman extraordinairement bien écrit, plein de grâce et de poésie où chaque détail est sublimé. Ci-dessous, quelques citations que j'ai particulièrement apprécié permettent de se faire une idée du style de l'auteur.
Le rouge vif de la rhubarbe est un livre délicat, un hymne à la vie, une invitation à la médiation, plein de réflexions philosophiques. Enfin, c'est aussi une sorte de fable dont la morale serait : on a tous un rêve, une montagne qu'on rêve d'escalader. Il faut toujours essayer de grimper sa montagne, d'aller au bout de ses rêves et ne pas baisser les bras.

Quelques citations :

"Personne ne soupçonnerait qu'elle soit là, à la recherche de son origine, creusant pour trouver ses racines dans les ténèbres de la forêt de rhubarbe" p.18

lettre de la mère d'Augustina : "C'est incroyable de penser que la montagne couverte de neige se dresse en plein coeur de l'équateur même. J'ai l'impression d'avoir connu l'éternité. Pourtant je ne suis pas sûre d'être plus avancée. La maturité marque une certaine stagnation. Peut-être doit-on laisser le champ libre à ses aspirations les plus folles."

"La prochaine fois, il faudrait qu'elle commence par le bon bout, qu'elle écrive du point de vue de celle qui est assise par terre en contrebas, au moment printanier où la Montagne se scinde et ruisselle, accueillant à corps perdu les flots jaunes qui s'en déversent. Elle n'avait qu'à inverser la pile de mots. Au lieu des lointains bleu-vert vue de la cime, ce serait la Montagne de boue brune sous ses ongles, tandis qu'elle s'échinait à progresser dans la caillasse, juste au dessus du jardin de rhubarbe, les bras plein de montagne." p 72

Nina, couchée dans la neige :"Son ange a indubitablement des ailes, mais pas ce tutu évasé que les autres peuvent tracer à loisir en écartant les jambes. Le sien est mince du bas, comme un oiseau prisonnier d'un rouleau de fil de fer qui aurait battu frénétiquement des ailes." p 74

"Au deuxième jour de sa nouvelle vie, elle ferait l'ascension de la Montagne. Ce serait le premier des nombreux sommets du monde : d'autres montagnes suivraient." p. 91

"La vue est une affaire compliquée. La plupart des gens se contentent de regarder sans voir, ou bien on ne regarde pas, mais on voit quand même" p 106

"Soudain, il n'y a plus de nuit où s'enrouler, où s'abriter dans la tour. Un vent glacial souffle au nord, le ciel bleu est ouvert et vaste comme la mer. Agustina se blottit sous la couette pour s'engloutir dans le matin. Sa tête est pleine des ruisseaux dorés dévalant des montagnes vers la mer." p 131

"L'été dans l'île dure sept semaines, la lumière bien davantage, et le temps qui passe avant qu'elle ne s'atténue semble infini par un matin comme celui-ci.

Quand le jour cesse de s'assombrir, le temps s'immobilise pour durer, durer, durer. Il n'y a plus alors de cloisons entre les jours confondus, plus d'entracte au milieu du temps. Dans le noir, au contraire, les hommes sont tous égaux." p 145

"Les instants durent si peu, mais il est possible de les allonger indéfiniment sur la grève du sable noir pendant le jour, sur sa plage à elle, baignée de froid soleil, débordant de lumière, où elle s'étire en short, le nombril orné de coquillages. Les attelles gisent à ses cotés comme les valves d'un mollusque inconnu." p 145

"Black Mirror", une série d'anticipation sous forme d'anthologie qui interroge sur notre rapport aux technologies : captivant et effrayant !

Black mirror est une petite série britannique très originale qui mêle réalité et science-fiction. Elle compte pour l'instant trois saisons, les deux premières datant de 2011 et 2013 contenant chacune 3 épisodes et la dernière, produite cette année, 6 épisodes. Actuellement, les trois saisons sont disponibles sur Netflix.


Chaque épisode peut se regarder indépendamment des autres et ce, quelle que soit la saison. Du coup, il est difficile de parler de série étant donné qu'il n'y a pas d'histoire suivie, que les personnages diffèrent d'un épisode à l'autre et qu'il n'y a pas de chronologie. Il s'agit plus d'une anthologie de plusieurs histoires créée par Charlie Brooker, journaliste, animateur et scénariste britannique. Cependant, chaque épisode est réalisé par une autre personne. Le seul point commun à toutes ces histoires est cette petite touche de science-fiction qui saupoudre une réalité proche de la notre, avec toujours, au centre, l'omniprésence des technologies et leur coté dévastateur.

Trailer de la saison 3 :


Chaque épisode relate une histoire qui montre les dérives de notre société, d'un point de vue numérique, sécuritaire, politique, médiatique... Tous sont effrayants dans la mesure où ils se basent sur des faits, comportements ou situations existant-e-s actuellement mais qui sont poussés ici à l’extrême et ce, afin d'en montrer le coté malsain, le coté "noir" du miroir. A ce titre, la série porte bien son nom !  Le producteur explique dans une interview que le Black Mirror désigne en fait tous les écrans qui nous entourent (ordinateurs, télévisions,  smartphones).

saison 3, épisode 1 

La réalisation est à la fois sobre, sans effets spéciaux et soignée. Une grande attention a été apportée aux décors et aux costumes afin de créer une ambiance particulière dans chaque épisode. Le rythme est plutôt lent mais entretient généralement une certaine tension, un stress montant. De plus, il y a ce petit coté "so british", voir une petite touche d'humour anglais dans ces drames futuristes, si ce n'est un franc cynisme !
Quoiqu'il en soit, à la fin de chaque épisode, on est soit mal à l'aise, soit carrément scotché ou choqué ! (Ça a été mon cas à la fin de certains épisodes)

Saison 1, épisode 2

Afin de vous donner une idée du style de la série, voici les résumés des épisodes de la saison 1 :

Episode 1 : Les services du Premier Ministre britannique reçoivent une vidéo : la princesse est retenue en otage. Elle sera libérée seulement si... le Premier Ministre s'accouple avec un porc en direct à la télévision et sur Internet !!! Absurde? Impossible? Pas si sûr, dans une société des écrans devenue nombriliste et perverse...
Tout semble terriblement réel dans ce premier épisode, c'est d'ailleurs le seul où il n'y a pas de science fiction. Et c'est ce qui le rend tellement dur. Le but est probablement de montrer les dérives des médias et d'Internet, le coté sordide de la société de spectacle.
L'épisode est très bien réalisé, la tension permanente. C'est une sorte de thriller politique, policier et psychologique. Par contre, c'est aussi un des épisodes les plus choquants ! Je suis vraiment étonnée que ce soit le premier de la "série. C'est un pari osé !

Saison 1, épisode 1

Episode 2 : Tout l'épisode se déroule dans lieu futuriste, entre prison des écrans et salle de sport hyper-connectée où des gens pédalent toute la journée face à des chaines de TV, et ce, en vue de cumuler des points leur assurant un certain confort, essentiellement numérique. A tel point que la différence entre les personnes et leurs avatars virtuel est devenue plus que ténue. Toute leur vie est devenue virtuelle. Dans cette prison des écrans, un jeune homme mutique et désabusé tombe sous le charme d'une nouvelle venue et reprend soudain contact avec la réalité. Ébahie par sa belle voix, il l'encourage à passer un casting qui pourrait changer son avenir de "pédaleuse" pour entrer dans la catégorie des "nouvelles stars". Mais le casting ne se passe pas comme ils l'espéraient et les deux protagonistes se retrouvent piégés...
Là encore, c'est une critique de la société numérique, de tous ces écrans qui nous happent constamment et nous empêche de réfléchir. L'épisode dénonce plus particulièrement la télévision avec ses émissions de "starification" et de télé-réalité malsaines, comme il en existe malheureusement déjà.

Saison 1, épisode 2

Episode 3 : Quasiment tous les humains ont désormais une puce implantée derrière l'oreille qui leur permet de stocker leurs souvenirs et de les regarder ensuite à leur guise dans leur tête ou sur un écran, comme un film, pour revivre les émotions passées. Une sorte de disque dur interne en quelque sorte.
Lorsqu'il rejoint sa femme à un dîner entre amis, Liam est troublé par le comportement d'un des invités, un vieil ami de son épouse. Son trouble va se transformer en véritable crise de jalousie, alimentée sans cesse par des détails de sa "boite à souvenirs" et celle de sa femme... Un thriller psychologique effrayant !

Saison 1, épisode 3

Et dans la saison 2 vous aurez droit à :

Episode 1 : Une jeune femme vient de perdre tragiquement son fiancé alors qu'ils venaient d'emménager à la campagne. Plongée dans le désespoir et la solitude, elle se laisse tenter par un logiciel dont lui a parlé une amie et qui permet de communiquer avec le disparu bien aimé, en se basant sur la vie virtuelle du défunt (ses mails, ses échanges sur les réseaux sociaux, etc)... Et la technologie pousse le vice jusqu'à rendre le défunt de plus en plus réel...
Un épisode triste, qui met franchement mal à l'aise.



Episode 2 : Alors cet épisode est vraiment flippant. Je l'ai regardé au moment d'Halloween, et ça tombait bien. Il est également difficile à résumer. En gros, une jeune femme se réveille groggie et attachée sur une chaise dans un bâtiment désert où un étrange symbole flotte sur tous les écrans de TV ou d'ordinateurs. Lorsqu'elle tente de trouver des réponses à l'extérieur, tous les gens la filment avec leurs téléphones portables tels des zombies alors que d'autres personnes masquées tentent de la tuer. Qui sont ces gens? Pourquoi veulent-t'ils la tuer? Pourquoi tout le reste de la population s'est transformée en spectateurs impassibles? Et surtout, qui est-elle et que faisait-t'elle dans cette maison? Tout au long de l'épisode, on est envahi de questions et tenu constamment en haleine. La fin est plus que stupéfiante mais je n'en dirai pas plus !
C'est un épisode incroyablement bien construit, avec un suspens permanent. C'est également un de ceux (avec le premier de la saison 1) qui m'a le plus bouleversé. Là encore, c'est une critique de la société du spectacle, du monopole des téléphones portables, mais pas seulement...


Episode 3: Un avatar rigolo emblème d'une émission de télévision s'invite dans le débat politique, au point de devenir le symbole de la contestation, bien qu'il ne propose aucune idée et se contente de faire le pitre derrière l'écran. Non seulement il rabaisse encore plus le débat politique, décrédibilisant ses portes- parole, mais il parvient à capter l'attention des gens qui ne s’intéressaient jusqu'alors pas à la politique. Derrière cet avatar, se cache un interprète et toute une équipe de production prête à tout pour faire de ce petit ours bleu une vraie star... C'est une critique intéressante du milieu politique à l'heure où justement le débat politique est tombé bien bas mais aussi de la télévision, et de la mondialisation. Encore un épisode qui pousse à réfléchir et à s'interroger notamment sur la notion d'engagement.


Voilà qui vous donne une idée de cette étrange anthologie ! C'est une série vraiment originale et intéressante qui marque les esprits. Elle dérange, bouleverse nos codes et fait réfléchir sur notre société et notre rapport aux technologies, à l'information, aux autres. Certains épisodes font froids dans le dos, certains m'ont laissé bouche-bée, la plupart m'ont plongé dans d'intenses réflexions.

A voir et à suivre !

Black Mirror / série britannique créée par Charlie Brooker. Nombreux réalisateurs et acteurs.
Saison 1 (2011), saison 2 (2013) et 3 (2016) disponible sur Netflix.