vendredi 30 décembre 2016

Bouffée d'air frais en provenance du Groenland avec un film léger, émouvant et drôle

En cette fin d'année j'avais envie de voir un film calme, sans violence et sans drame, qui permet de s'évader un peu. Aussi, je me suis dit qu' "un voyage au Groenland" devait bien permettre de déconnecter de l'actualité tellement déprimante ! Et c'est chose faite avec ce petit film français à la fois émouvant et drôle réalisé par Sébastien Betbeder (Inupiluk, 2 automnes 3 hivers)


Le réalisateur s'est inspiré d'une histoire familiale pour réaliser ses deux films. En effet, avec un frère explorateur polaire, (Nicolas Dubreuil,) il avait matière à raconter le milieu arctique ! Ce dernier a accueilli deux inuits chez lui en 2013. L'occasion pour Sébastien Betbeder de réaliser ensuite un moyen-métrage sur la venue des deux groenlandais. À la fin du film, ces derniers invitent en retour les Français à les retrouver au Groenland...


Le voyage au Groenland est donc une suite à ce précédent film, version long-métrage cette fois. On retrouve les mêmes acteurs, Thomas Blanchard et Thomas Scimeca, naturellement drôles avec leurs têtes d'ados attardés.

Bande-annonce : 


L'histoire :

Deux amis d'enfance, prénommés tous deux Thomas, se rendent dans un village groenlandais, à Kullorsuaq, petite île située le long de la côte ouest de l'île polaire, face au Canada, où est allé vivre le père de l'un d'eux. Tous deux sont des comédiens occasionnels et intermittents du spectacle, un peu paumés dans la vie. Pour eux, ce voyage au grand Nord est comme une parenthèse dans un quotidien assez laborieux mais c'est aussi l'occasion de faire de belles rencontres.


C'est ainsi que les deux trentenaires parisiens se retrouvent au bout du monde, à découvrir les us et coutumes de ces habitants perdus dans le froid polaire, en marge de toute civilisation. Ils vont faire l'expérience du jour sans fin, des nuits sans nuit, de l'immensité glacée, du calme imperturbable, des fêtes sans alcool, de la chasse au phoque, des traditions assez rustiques, d'un mode de vie plutôt rude mais aussi côtoyer des inuits généreux, accueillants et ouverts d'esprit.


La réalisation du film est quasi documentaire et empreinte d'un grand réalisme ce qui contribue certainement à l'effet immersif et quelque peu mélancolique qui en ressort. C'est un film plein d'empathie et de générosité avec, en plus, une pointe d'humour. Loin des clichés qu'on retrouve habituellement dans les comédies potaches abordant les différences culturelles, les particularités des deux cultures sont traitées ici avec beaucoup de pudeur et d'humanité. Pas de vannes lourdes ni de caricature, l'humour est subtil, presque involontaire. Rien que par leurs têtes et leurs expressions, les deux personnages principaux font rire. Mais derrière leur fausse naïveté et leurs airs juvéniles se cachent des interrogations d'adultes un peu perdus dans la vie.


Le film est ponctué de dialogues et scènes quasi absurdes comme lorsque les deux amis font un footing dans leur combi et leurs bottes de neige sous les yeux ébahis des autochtones qui ne comprennent pas pourquoi ils sont si pressés ! Ou encore, lorsqu'ils campent sous tente au milieu du désert arctique et que, d'un coup, au milieu de la "nuit", l'un d'eux pense à son actualisation Assedic.


En parallèle, la vie des Inuits apparaît pleine de contrastes : d'un coté des modes de vie ancestraux, un peuple qui vit de la pêche et de la chasse, une grande solitude aussi qui pousse parfois certains à commettre le pire, et, d'un autre coté, des groenlandais ancrés malgré tout dans la modernité, qui jouent du rock ou écoutent du hip hop, vont sur Internet (avec des connexions assez laborieuses, mais quand même...), font leurs courses dans des supermarchés, et dont les ados suivent les modes vestimentaires.


Perdu dans ce bout de banquise, les deux amis font face aussi à leurs différences de caractères : l'un est plus timide, en retrait, a plus de mal à s'intégrer tandis que l'autre a plus d'aisance et se plie aux coutumes locales sans trop de problème. Tout en retenu, sans éclat de voix ni épanchement, on sent que les deux compères sont confrontés à leurs faiblesses et se remettent doucement en question.
Le voyage au Groenland est un film sur les relations humaines que ce soit entre amis, en famille ou avec des inconnus issus de culture différente. C'est aussi une histoire qui aborde la difficulté de communiquer avec ses proches, par pudeur ou timidité ou encore la faculté de s'intégrer ou non dans un pays étranger.
On comprend facilement que, face à cette immensité de blanc et de pureté immaculée, il est facile de se remettre en question!


Pour résumer, je dirai que Le voyage au Groenland est un joli petit film sans prétention qui a le mérite de nous présenter un peuple méconnu avec intelligence et pudeur. De plus c'est un film réalisé par des températures extrêmes (-20 degrés !) avec du matériel utilisé normalement pour tourner des documentaires en climat polaire.
Enfin, sachez qu'après ce film, aurez envie de manger des crêpes accompagnées d'un bon chocolat chaud !

Le voyage au Groenland / film français réalisé par Sébastien Betbeder, avec Thomas Blanchard et Thomas Scimeca. Sortie le 30 novembre 2016.

Secrets de tournage
: le réalisateur a tenu un carnet de bord sur Internet et une web série racontant la préparation du film tout au long du tournage au Groenland !


mercredi 28 décembre 2016

Et si on décryptait le graphisme des films Disney? Rendez-vous au musée de l'art ludique !


Récemment, lors d'une petite escapade à Paris, j'ai eu l'occasion de me rendre au musée d'art ludique. Cet établissement privé est assez récent puisqu'il a été inauguré en novembre 2013. Situé sur les bords de Seine, à deux pas de la gare d'Austerlitz dans un bâtiment à l'architecture futuriste appelé "Les docks", le musée côtoie la Cité de la mode et du design.
"Abolissant les frontières entre bande dessinée, manga, jeu vidéo, cinéma live action ou film d’animation, l’Art Ludique met en valeur les œuvres des créateurs d’univers qui marquent notre imaginaire et influencent la culture de notre siècle." L'objectif du musée d'art ludique est de montrer le coté artistique des films d'animation. Y ont déjà été proposées des expos sur les studios Pixar, Marvel, Ghibli (Myazaki), Aardman... Sur le site du musée on peut d'ailleurs voir une rétrospective de ces différentes expositions.

vue depuis les berges de la Scène sur le bâtiment "Les docks" 
dans lequel se trouve le musée d'Art Ludique

L'art graphique de Disney à l'honneur


Actuellement, et jusqu'au 5 mars, c'est l'incontournable studio de Walt Disney qui est à l'honneur. Mais, plutôt qu'aborder une énième fois l'aspect historique ou la "succes story" que l'on connait par coeur, c'est ici l'aspect graphique qui est étudié. Vous croyez tout savoir sur le maître du dessin animé ? Peut-être connaissez-vous par coeur les films, (ce n'est pas mon cas) mais savez-vous comment ils ont été préparé en amont ? On oublie souvent que, derrière ces histoires qui font rêver petits et grands il y eut des heures de recherche pour trouver le croquis parfait, un travail graphique monumental, la réalisation de milliers de planches, leur juxtaposition et enfin leur mise en animation.
De plus, si on met de coté l'aspect pop culture de Disney, on retrouve dans certains films d'animation l'influence des grands mouvements artistiques, avec quelques fois une pointe de surréalisme,  de cubisme, ou encore d'abstraction.


La nature comme source d'inspiration

L'intitulé exact de l'exposition est  "L’Art des studios d’Animation Walt Disney "le mouvement par nature". Cette exposition a pour objectif de montrer que les artistes de Disney se sont depuis toujours inspirés du réel et de la nature pour réaliser leurs dessins, notamment en étudiant scrupuleusement les mouvements et en essayant de rendre les émotions les plus crédibles possibles.
En déambulant dans les salles du musée, on voit bien comment les techniques de dessin ont évolué avec le temps, passant du dessin à la main au début (de belles esquisses au crayon, des dessins à la gouache ou au  pastel) aux images de synthèse actuelles.



Une visite chronologique et interactive

La visite se fait dans l'ordre chronologique, commençant par la projection du premier cartoon Disney, Steamboat Willie, sorti en 1928, accompagné des esquisses de préparation. Le musée compte une vingtaine de salles dans lesquelles sont présentées plus de 400 oeuvres, des planches de dessins réalisées à la main en vue de la préparation des plus grands dessins animées. La scénographie est à la fois sobre et colorée. Chaque salle présente le travail préparatoire d'un ou deux dessins-animés représentatifs de l'art graphique Disney. Les planches illustrées sont accompagnées de texte explicatif et plusieurs extraits des dessins animés sont également diffusés. De plus, la visite est interactive grâce aux audio-guides. C'est d'ailleurs très important car sans cela je ne suis pas sûre que j'aurai bien apprécié la visite sans.

photo de la salle présentant le travail graphique sur Blanche Neigehttp://www.chroniquedisney.fr/dossier/2016-expo-disney-mouvement-nature.htm

Les 4 grandes périodes de Disney sont représentées : la période des héros animaliers des années 30-40-50, avec par exemples Bambi et Dumbo puis l'entrée dans l'air du modernisme et du cubisme avec la sortie en 1951 d' Alice au pays des merveilles. Dès lors, les dessins sont plus colorés et plus créatifs (La belle et le clochard, Les 101 dalmatiens). Ensuite, dans les années 80, les studios Disney reviennent aux fondamentaux tout en se modernisant, avec des histoires de princesses revisitées : La petite sirène, Pocahontas. C'est aussi l'apparition des premières techniques numériques. Enfin, à la fin des années 90 et durant les années 2000 on retrouve des personnages à plus fort caractère comme Mulan. C'est aussi la période des grosses évolutions techniques comme en témoignent les images de préparation du film Les mondes de Ralph.


dessin de La reine des neiges

Moi qui suis loin d'être une fana de Disney - je n'ai pas vu la moitié des films représentés à l'expo-  j'ai trouvé intéressant la présentation du travail des graphistes, ces petites mains qui travaillent dans l'ombre. La scénographie est très bien faite et on suit vraiment l'évolution des techniques au fil des décennies.


Aussi, on apprend que pour dessiner les esquisses de "bambi", un jeune faon fut amené dans les studios, et une quinzaine de personne se mettaient autour de lui pour le dessiner. (pauvre petit faon des années 40!) Des années plus tard, notamment pour la préparation du Roi Lion, ce sont les équipes elles-mêmes qui se déplacent dans les quatre coins du monde pour observer les animaux dans leur milieu naturel afin de les rendre le plus crédible possible dans leurs dessins !



Une sélection d'oeuvres les plus représentatives de l' "art Disney"

Au vue de la production énorme des studios Disney en plus de 80 ans (plus de 240 films d'animations réalisés), seuls les plus représentatifs en terme de graphisme ou de changement technique sont à l'honneur ici.
Au gré des salles on admire ainsi des planches de Blanche Neige et les sept nains (1938) ; Pinocchio ; Fantasia ; Dumbo ; Bambi (1948) ; La Belle et le Clochard ; Les 101 dalmatiens ; Pocahontas; Mulan ; Tazan ; Raiponse ; La Belle et la bête ; La reine des neige ; Les nouveaux héros; Zootopie, etc. Ce ne sont donc même pas dix pour cent des films d'animations des studios Disney qui sont décryptés ici ! (Voir la rétrospective des films Disney ici)
C'est un véritable parti pris du musée qui, en collaboration avec la Walt Disney Animation Research Library, a effectué une sélection drastique et a trouvé que les films précités étaient les plus représentatifs graphiquement.

dessin de Pinocchio

De manière générale, j'ai trouvé cette exposition intéressante car elle montre un aspect souvent méconnu des studios Disney mais néanmoins très important : la préparation graphique en amont. De plus, l'aspect "mondialisation" de Disney est mis de coté pour s’intéresser uniquement au coté artistique et ce n'est pas pour me déplaire.
Malgré l'entrée assez chère (15€ par personne) l'exposition est judicieusement réalisée et permet de voir de magnifiques dessins dans des styles variés. Les explications sont claires et très enrichissantes (merci l'audioguide qui facilite grandement la visite). Ça m'a donné envie de voir ou de revoir certains films Disney, sur lesquels, c'est sûr je porterai dorénavant un autre regard !

« L’Art des studios d’Animation Walt Disney – Le Mouvement par Nature » / exposition au musée de l'Art ludique, à Paris, du 14 octobre 2016 au 5 mars 2017
Vidéo de présentation : http://www.artludique.com/video.html

mardi 20 décembre 2016

"La compagnie des artistes" : un beau roman d'apprentissage empreint de suspens psychologique

La compagnie des artistes est le dernier roman de Chris Womersley, un auteur australien que j'avais découvert il y a quelques années en lisant Les Affligés, un roman à l'ambiance sombre et gothique relatant un drame familial à l'issue de la Première Guerre Mondiale (vous pouvez d'ailleurs relire ma critique ici même.)
Dans ce nouveau roman, changement d'époque et de contexte. Chris Womersley nous transporte dans Australie des années 80, en particulier dans le milieu bohème et artiste de Melbourne, à travers un roman d'apprentissage teinté de suspense psychologique.


L'histoire :

Tom a 18 ans et s'ennuie dans sa petite ville province. Il se sent seul, mal dans sa peau et incompris par sa famille. Lorsque l'opportunité s'offre à lui de partir pour Melbourne, grande ville étudiante et culturelle, il n'hésite pas une seule seconde, bien décidé à prendre enfin son envol. Il loge dans l'appartement de sa tante décédée qu'il admirait tant, ses parents ayant hérité de l'appartement situé dans le quartier de Cairo. En contrepartie, Tom s'engage à faire des études et à retaper l'appart. 
Rapidement, il rencontre ses nouveaux voisins, Max et Sally, un jeune couple d'esthètes un peu loufoque, passionnés de musique, de littérature et d'art. Seul et toujours en quête de reconnaissance, Tom est vite comblé par l'intérêt qu'ils lui portent et admire ce couple énigmatique qui semble si cultivé et épanoui. Max, Sally et leurs amis vont lui faire découvrir le milieu de l'art ainsi que la vie nocturne de Melbourne. Grisé par son souhait d'indépendance, sa soif de liberté, son besoin de rencontre, et toujours emprunt d'une douce naïveté, Tom se laisse emporter, dès fois malgré lui, dans une vie de bohème et d'arnaques. Bien qu'en désaccord avec certains des actes de ses nouveaux amis, il aura toutefois bien du mal à leur refuser quoi que ce soit, au risque de se retrouver piéger dans un engrenage.

Le livre s'ouvre par un prologue où le narrateur livre ses pensées des années après les faits relatés dans le roman. C'est à ce moment là un homme d'âge "mur" encore hanté par ces personnes croisées dans sa jeunesse qui ont bouleversé son existence.
"Il y a d'autres choses dont je me souviens, des choses si bizarres que même aujourd'hui après toutes ces années, je me demande si c'est vraiment arrivé, si ce n'était pas tout simplement le fruit de l'imagination exaltée d'un jeune homme - une imagination à jamais associée à l'odeur de térébenthine et de peinture à l'huile, à un motif récurrent au piano, à un coup de feu, à un rire moqueur, à un premier chagrin d'amour" (p 13) On sait déjà qu'il s'est passé quelque chose de grave, qu'il était amoureux d'une certaine Sally. A elle seule, cette phrase résume plutôt bien tout le roman !

La première moitié du livre s'apparente à un roman d'apprentissage relatant les pensées et états d'âmes d'un jeune homme passant à l'âge adulte : Tom cherche sa voie, fait des rencontres, tombe amoureux, cherche à s'affirmer.... Quelques passages m'ont semblé un peu longuets, alternant descriptions de personnages excentriques et déambulations dans des fêtes et j'avais du mal à voir où l'auteur voulait en venir. On se rend vite compte que les personnages de Max et Sally sont ambigus, manipulateurs, nocifs. Mais, pendant 150 pages, on attend qu'il se passe quelque chose, on attend ce drame annoncé dès les premières pages.

Le basculement se fait vers le milieu du roman et cette seconde partie est du coup beaucoup plus captivante! Il s'y passe plus de choses et plusieurs rebondissements vont bouleverser la vie de Tom. Des failles apparaissent rapidement dans les portraits psychologiques des personnages. Tous ont des fêlures. On sent le drame arriver mais on ne sait pas par qui, ni comment cela va surgir. A ce titre, cette deuxième partie tient plus du thriller psychologique !
Autant je me suis un peu forcée à la lecture durant les cent premières pages, autant les cent dernières je les ai lu avec beaucoup plus de plaisir et de hâte !

La compagnie des artistes évoque bien entendu le milieu de l'art, en particulier la peinture, du processus de création à l'aspect commercial de l'oeuvre. Mais c'est surtout un roman qui dresse différents profils psychologiques : des personnages ambigus, fragiles, manipulés ou manipulateurs, en quête de reconnaissance... En tant que "roman d'apprentissage", c'est un livre sur le passage à l'âge adulte, la perte des illusions, la naïveté à l'épreuve de la réalité du monde. Enfin, c'est également un livre sur l'amour : l'amour qui rend aveugle, l'amour qui pousse à faire n'importe quoi, l'amour impossible, le premier amour. Quelques exemples avec les citations ci -dessous. 
Quelques citations :

"Je suis plein d'une chose tellement plus riche et savoureuse que l'amour, et ce n'est rien d'autre que ceci : son ardente promesse." p 11

"Ces rêves ont également, à l'évidence, un caractère prémonitoire et menaçant, ce filigrane qui n'est perceptible que rétrospectivement. Ce sont comme des dépêches du passé. J'ai presque du mal à croire ce qui s'y passe, à quel point c'est féroce et beau." p . 12

" Il est des périodes dans la vie qui nous marquent à jamais, des saisons ou des journées qui déterminent notre personnalité si totalement que c'est à l'aune de ces moments là que le reste de notre existence se mesure, tout comme il existe peut-être une seule photo de nous à avoir saisi notre véritable moi." p 14

"Comme les tableaux, les gens sont jugés sur les apparences, mais ils renferment une foule de secrets pour ceux qui savent les débusquer. La tâche du connaisseur est comparable à celle du juge qui cherche à démêler le vrai du faux. Il y a l'instinct et il y a la science. " p14

"Le premier amour est comme une nostalgie du présent : on sait, à une sorte de niveau moléculaire, que ça ne se reproduira pas. La tragédie, c'est qu'on ne peut jamais calculer cela, jusqu'au jour où l'on sait que ça ne reviendra plus." p 211

"Notre appréciation de l'oeuvre d'art est souvent sans commune mesure avec ses qualités esthétiques intrinsèques, poursuivit Gertrude, s'échauffant sur ce thème. Ce qui intéresse les gens, c'est l'aura qui l'entoure. L'artiste, l'époque de sa création et ainsi de suite. Comme pour une marque. C'est ridicule. Dans les musées, on e voit qui passent au pas de charge devant une oeuvre. Puis ils s'aperçoivent qu'elle est signée d'un peintre célèbre, alors ils reviennent pour s'extasier. Bang ! Leur opinion change du tout au tout..." p 241

"C'est quoi l'amour pour toi? "Une chaumière et un coeur?" L'amour, c'est compliqué, embrouillé. Une forêt sombre. C'est difficile de trouver comment en sortir, à supposer qu'on le veuille." p 338

mercredi 7 décembre 2016

Le changement c'est maintenant, alors "qu'est-ce-qu'on attend ?" Un village d'Alsace montre l'exemple.

Il était une fois un village d'irréductibles gaulois qui résistaient à la mondialisation, au capitalisme et au repli sur soi. Quoi, ça existe? Oui ! Et ce village n'est pas si loin d'ici puisqu'il se trouve dans le Haut-Rhin, à Ungersheim.
Porté par un maire écologiste consciencieux, déterminé à faire bouger les choses, cette petite ville de 2000 habitants est entrée en "transition" dès 2005. En transition vers quoi ? Vers une autonomie intellectuelle, alimentaire, énergétique et sociale, vers une réduction de l'utilisation du pétrole et, de ce fait, de son empreinte carbone. Cette démarche a été formalisée en 2009 dans une feuille de route intitulée "21 actions pour le 21ème siècle".


La documentariste Marie-Monique Robin, réalisatrice d'un documentaire sur l'entreprise Mosanto en 2008 et d'un autre film sur les sociétés autonomes, s'est intéressée au cas de cette commune française qui fait figure d'exemple. Après plusieurs mois d'immersion en 2015 à Ungersheim au contact des habitants, elle a réalisé un documentaire montrant la mise en place de ces projets de transition.

Bande-annonce :


On est loin des effets de style et du dynamisme pédagogique du film Demain qui alternait voix off, interviews, démonstrations graphiques, etc. Loin aussi de la réalisation hollywoodienne du film de Leonardo Di Caprio sur le réchauffement climatique, Avant le déluge, réaliste, alarmiste et finalement assez pessimiste. Dans Qu'est-ce-qu'on attend? la réalisatrice reste centrée sur les habitants de la commune d'Ungersheim, prenant le temps de les interroger sur leur ressenti, leur travail, leur action dans cette ville en transition, sans apporter de commentaires ou d'analyse.

Le film se compose d'une succession d'entretiens avec les habitants du village, réalisés quelques fois en aparté, d'autres fois dans leur milieu professionnel ou lors des réunions communales participatives. La réalisatrice montre comment des villageois ont été emportés par le dynamisme de leur maire et se sont intéressés davantage à l'écologie et à la vie de leur commune. J'ai particulièrement été touchée par le témoignage d'une mamie de 85 ans toujours aussi motivée pour faire changer les choses ainsi que d'une femme en contrat d'insertion qui s'est découvert une vocation dans le travail de la terre.
D'autres habitants témoignent de leur reconversion professionnelle, de leur souhait d'adopter un mode de vie plus sain et plus éthique, ou, simplement, de leur découverte des bienfaits de l'économie sociale et solidaire.


La commune d'Ungersheim s'est engagée à travers ses 21 actions à améliorer les différents aspects de la vie quotidienne de ses administrés. Plusieurs aspects sont abordés dans le film.
En terme d'agriculture et d'alimentation, le village s'est réapproprié des champs pour cultiver des légumes destinés aux habitants du village plutôt que du maïs destiné à l'industrie agro-alimentaire, à cultiver d'anciennes variétés de blés pour faire du pain bio, à proposer une alimentation exclusivement biologique notamment dans les cantines scolaires et ce, grâce à la gestion d'une ferme maraîchère.
En terme d'économie solidaire, la commune encourage les circuits-courts grâce toujours à la gestion de la ferme employant des personnes en contrat d'insertion, à la mise en place d'une monnaie locale et, au final, la création d'une centaine d'emplois !
Concernant l'habitat, la ville suit la construction d'un éco-hameau participatif et d'une maison de la nature. Pour les transports, le cheval a été réimplanté au coeur de la vie du village pour les transports scolaires ou le travail aux champs.
Et enfin, du point de vue énergétique, Ungersheim a investi dans une éolienne en faisant participer les enfants de l'école à son élaboration et a réhabilité l'ancienne exploitation minière en champ photovoltaïque.


Et surtout, l'aspect incontournable de cette transition c'est le coté participatif. En effet, les citoyens ont été sollicités et se sont impliqués de diverses manières dans la vie de leur village. Les notions de lien social et de solidarité souvent oubliées dans notre société individualiste ont ainsi été remises au goût du jour.

Pour finir, Rob Hopkins, enseignant en permaculture, fondateur du réseau de la Transition en 2006 fut l'invité de la commune pour l'inauguration des projets énergétiques. Il salua le travail engagé par ce maire, tout en encourageant de nouvelles initiatives comme celles-ci.


Le rythme du film est plutôt lent (j'ai trouvé d'ailleurs quelques longueurs) mais je pense que c'est intentionnel afin de laisser le temps aux protagonistes de s'exprimer calmement et au spectateur d'assimiler les nombreuses informations. D'ailleurs, à un moment dans le film est abordée la notion de temps, soulignant le fait que dans notre société, nous avons perdu la notion du temps véritable... Veillez toutefois à ne pas être trop fatigué lorsque vous regarderez le film qui dure quand même deux heures. 

J'ai trouvé ce documentaire encourageant et enrichissant même s'il n'a qu'un rôle d'observateur. Contrairement aux autres documentaires cités plus haut, il n'y a pas vraiment d'analyse ici, juste un constat, un regard sur la concrétisation d'initiatives locales. A nous de faire des recherches pour en savoir plus, notamment sur le site de la commune.
En effet, la réalisatrice ne fait que survoler certains sujets. On peut s'interroger alors : en quoi consiste réellement l'habitat participatif ? Quel est son coût et pour quel usage ? Quel est le coût de l'investissement dans les énergies renouvelables et qu'est-ce-que ça rapporte ? Quel est le résultat de cette politique de transition de la commune d' Ungersheim finalement ? Voici ce que j'ai trouvé après avoir fait de rapides recherches :  "Depuis 2005, 120 000 euros ont été économisés en frais de fonctionnement et les émissions directes de gaz à effet de serre ont été réduites de 600 tonnes par an".


A l'heure où le réchauffement climatique semble inéluctable, où on se sent impuissant face à la mondialisation et où les politiques semblent déconnectés de la réalité ou pourris par le pouvoir et l'argent, c'est encourageant de voir un élu local faire bouger les choses, remobiliser les citoyens, redonner confiance à ses administrés. Comme quoi, on peut tous faire bouger les choses, à son échelle. Le changement peut venir d'en bas. Alors, qu'est-ce-qu'on attend?

Qu'est-ce-qu'on attend ? / film documentaire français réalisé par Marie-Monique Robin, avec les habitants du village d'Ungersheim. Sortie le 23 novembre 2016.

Pour en savoir plus, consultez le site de la mairie d' Ungersheim

vendredi 2 décembre 2016

Engagé, sincère, poignant : le dernier film de Ken Loach ne vous laissera pas indifférent !

A 80 ans, Ken Loach, le maître du film social, prouve qu'il sait encore mettre le doigt là où ça fait mal et prendre la défense des plus démunis. Moi, Daniel Blake est un film engagé, lucide et émouvant qui mérite amplement sa palme d'Or. Dans un style sobre et poignant, le réalisateur britannique dénonce l'absurdité et la violence sous-jacente du système d'aide sociale anglais. Un film tristement d'actualité.


L'histoire :

Daniel, menuisier d'une cinquantaine d'année, est déclaré inapte à travailler suite à une grave crise cardiaque et le personnel médical l'incite à demander la prime d'invalidité. Or, pour toucher cette prime, il faut répondre à certains critères, rentrer dans des cases bien précises. Aussi, lorsque la télé-opératrice de l'aide sociale lui pose une série de questions pour évaluer son "handicap" (par exemple, s'il peut s'habiller tout seul), il s'avère que Dan ne rentre pas dans les critères définis. Suite à ce test téléphonique absurde, cette dame lui annonce mécaniquement qu'il ne pourra plus toucher les indemnités d'invalidité.
Stupéfait par l'absurdité de cette décision qui va à l'encontre de l'avis des médecins, Daniel décide de faire appel. Mais, en attendant, il va devoir faire preuve de patience et de sang froid face à l’aberration des formalités administratives. Privé d'indemnités et de salaire, on lui demande alors de s'inscrire comme demandeur d'emploi pour pouvoir bénéficier de l'aide sociale, qui s'avère être finalement sa seule source de revenu possible. Pour cela, il doit entamer sérieusement des recherches  pour un travail qu'il ne pourra de toute façon pas exercer, et ce sous peine de sanction !


Dan est déterminé à sortir de ce labyrinthe administratif, quitte à se battre avec les ordinateurs lui qui n'a jamais utilisé l'informatique.
Lors de ces pérégrinations administratives, il va rencontrer Katie, une jeune maman de deux enfants qui se démène elle aussi pour obtenir une aide financière. Par la suite, des liens forts vont se créer entre ces deux êtres pourtant si différents mais tous deux exclus d'un système formaté. Ils vont s'accrocher l'un à l'autre pour s'entraider et ne pas sombrer.

Bande annonce :

A défaut d'avoir son coeur bien accroché, Daniel l'a sur la main (son coeur). Il incarne à merveille cette figure d'indigné qui n'hésite pas à aider son voisin. Et ce, jusqu'à ce que ce soit lui qui ait besoin d'aide.
Quant à Katie, c'est un personnage bouleversant dont les silences et les expressions en disent plus sur la misère sociale que de grands discours. Elle nous renvoie à nos besoins de base : se nourrir, se laver, se chauffer, vêtir ses enfants... Katie, c'est le visage de milliers de personnes qui luttent pour manger, pour se nourrir, avoir un logement au risque de la honte et des humiliations. A eux deux, Dan et Katie représentent tous les laissés-pour-compte, ceux dont le combat pour la dignité est quotidien.
Filmé d'un regard quasi documentaire, dans des tons plutôt ternes, Ken Loach rend son film d'autant plus réaliste.


Ces personnages sont incarnés avec pudeur et sobriété par de formidables acteurs. Nombreux sont aussi les rôles secondaires qui contribuent à donner un sens social au film, que ce soit l'employée du service d'aide qui tente d'aller à l'encontre des ordres de sa hiérarchie pour aider Dan, le jeune voisin qui témoigne brièvement de la galère du monde du travail, etc.

Certaines scènes sont vraiment poignantes de part leur simplicité et leur véracité. Des silences, des gestes, des regards en disent beaucoup sur la détresse des personnages et c'est vraiment émouvant.


Avec Moi, Daniel Blake, Ken Loach évoque les différentes failles sociales de la société anglaise, que ce soit le désengagement de l'Etat vis à vis de la population avec la privatisation des service publics, la nécessité de rendement avec la traque aux "fraudeurs", le manque de suivi personnalisé dans l'attribution des aides sociales ou encore le "formatage" du personnel administratif. Mais sont aussi dénoncés de nouveaux facteurs d'exclusion : la complexité des démarches et le passage au tout numérique. Enfin, c'est un film qui montre que l'Etat a une responsabilité dans la lutte contre la misère, que l'administration a la vie de ses citoyens entre ses mains.

D'un coté c'est un film grave et triste mais, de l'autre, c'est également une formidable histoire d'entraide, sur la générosité et la solidarité désintéressée. Tout au long de leurs périples respectifs, Dan et Katie ne croisent que des personnes bienveillantes et compatissantes. Utopiste? Il n'en reste pas moins que c'est un film profondément humaniste, qui donne envie d'aider, de s'indigner et de faire changer les choses. Un film militant réussi.

Moi, Daniel Blake / film réalisé par Ken Loach, avec  Dave Johns, Hayley Squires, Dylan McKiernan. Sortie le 26 octobre.
Palme d'or au festival de Cannes 2016