vendredi 18 mai 2018

L'île aux chiens, véritable bijou d'animation signé Wes Anderson

Un superbe film réalisé en stop-motion

Vu il y a presque un mois maintenant, le dernier film de Wes Anderson est à mes yeux un véritable bijou du cinéma d'animation. Tout d'abord en raison de sa réalisation minutieuse et détaillée, avec la technique du stop-motion, c'est à dire des scènes constituées d'objets réalisés à la main et filmées délicatement., les unes après les autres, jusqu'à en faire un véritable cinéma d'animation. Ce n'est pas la première fois que le réalisateur utilise cette technique puisque c'était déjà le cas pour Fantastic Mr Fox. L'illusion est ici telle qu'on dirait un véritable dessin-animé. Wes Anderson et son équipe ont mis plus de trois ans pour réaliser ce film et ça se comprend quand on voit la richesse des détails de chaque scène et des expressions des personnages.


Dans un japon futuriste, les chiens sont parqués sur une île poubelle

Dans une ville du Japon dirigée par un maire tyrannique, les chiens, victimes d'une épidémie de grippe canine, sont persécutés et envoyés sur une île poubelle en forme de main, un ancien site industriel pollué devenu la décharge de la ville. Plutôt que d'être soignés, les chiens se retrouvent donc parqués, livrés à eux même, alors qu'ils étaient pour la plupart des chiens de compagnie.

le maire tyrannique

Quelques personnes s'offusquent d'une telle mesure et refusent de perdre leur chien. C'est le cas d'Atari, 12 ans, pupille du fameux maire, qui part à la recherche de son chien Spot et finit par arriver sur l'île aux chiens où l'attendent quelques aventures. Il va vite se lier d'amitié avec un groupe de canidés qui va l'aider dans sa recherche de son fidèle compagnon.
C'est le cas aussi de ces scientifiques qui tentent de trouver un vaccin à la grippe canine, ou ces étudiants qui dénoncent les méthodes tyranniques du maire. Mais tous ont bien du mal à se faire entendre et les chiens sont de plus en plus menacés...

Atari, sur l'île aux chiens

Le film est très rythmé et on ne s'ennuie pas une seconde !

Bande-annonce (VF) :


Un film émouvant, intelligent et très esthétique

L'île aux chiens doit également sa réussite à sa charge d'émotion pourtant jamais exagérée, le film ne sombrant pas dans l'excès ou le pathos. L'histoire en soit est assez sombre, ça se passe dans un futur proche où les citadins ont complètement pourri la planète et ne respectent plus ni la nature ni les animaux et font davantage confiance à des robots qu'à leurs semblables.


Les chiens ne sont pas "trop kawai" comme on pourrait s'y attendre, ils sont sales, ébouriffés, grognons mais aussi fidèles et affectueux. Ils ont presque quelque chose d'humain et cela se voit dans l'expression de leurs regards, dans leurs comportements. Ils font preuve de solidarité et d'organisation contrairement aux habitants de la ville qui se laissent pour la plupart dicter les règles sans broncher. Les chiens semblent de ce fait plus "humains" que les citadins. 



Enfin, le film m'a particulièrement touché par son esthétisme. Wes Anderson s'est laissé complètement imprégné de la culture nippone. La scène d'ouverture est d'ailleurs un spectacle d'ombres de marionnettes traditionnel. 
L'île aux chiens alterne des scènes à la fois sombres et poétiques, des images colorées ou en noir et blanc, des plans simples très mélancoliques avec d'autres riches en détails.  J'ai beaucoup aimé aussi les magnifiques scènes filmées en ombres "chinoises". La caméra joue avec les perspectives, la lumière, la profondeur des champs, des cadrages originaux nous faisant voir certaines scènes sous un angle original. 
Bref, chaque image est un régal pour les yeux,  Quand on sait que tout ça est fait en sop-motion et qu'on imagine les heures de travail que cela a dû représenter, on est d'autant plus bluffé !


Un film d'anticipation plutôt sombre mais teinté d'optimisme

Pour résumer tout ça, je dirai que L'île aux chiens est un film d'anticipation empreint de réalisme qui présente une société presque déshumanisée mais qui laisse aussi une part belle au rêve et à la magie, avec une touche d'optimisme grâce à quelques "résistants"... Le tout, saupoudré d'une petite dose d'humour propre aux films de Wes Anderson (je pense notamment aux dialogues canins à la fois drôles et intelligents).


Pour finir, la musique prenante d'Alexandre Desplat contribue au rythme soutenu du film, soulignant avec justesse les diverses émotions. A noter également le gros casting pour les doublages des voix en français avec notamment Vincent Lindon, Isabelle Huppert, Romain Duris, Louis Garrel, Daniel Auteuil, Léa Seydoux, Mathieu Almaric... Personnellement je l'ai vu en version originale sous-titrée où de grands acteurs américains ont également prêté leurs voix aux personnages, comme par exemple Frances MacDormand, Scarlett Johanson ou encore Bill Muray.

A voir absolument !

L'île aux chiens / film d'animation américain réalisé par Wes Anderson. Sortie française le 11 avril 2018

lundi 30 avril 2018

Entre fresque familiale et roman historique, L'Art de perdre est un roman passionnant et bien documenté sur la guerre d'Algérie et la décolonisation

Alice Zeniter est une jeune auteure qui, a tout juste trente ans, a reçu le prix Goncourt des lycéens pour son roman L'Art de perdre, sur la guerre d'Algérie, ses conséquences et la vie des Harkis en France. Et c'est déjà son quatrième roman !


Une épopée familiale qui débute peu de temps avant la guerre d'Algérie

L'Art de perdre est le récit d'une épopée familiale qui débute par l'histoire d'Ali, un montagnard kabyle, dans les années cinquante et soixante, qui tente de sauver sa famille pendant la guerre d'Algérie. Pour cela, sans le vouloir vraiment, en souhaitant simplement protéger les siens, il devient un harki. Alors que les tensions montent entre les partisans d'une Algérie indépendante de plus en plus violents et les militaires français de plus en plus déterminés, certains Algériens souhaitent l'apaisement et se mettent sous la protection des français.  Une étiquette de harki qui leur collera à la peau toute leur vie et poussera Ali et sa famille à l'exil dès lors que la violence se déchaîne dans leur pays et que leurs vies sont menacées. Ils débarquent alors en France, alors qu'ils n'ont jamais quitté leurs montagnes kabyles.

Le destin d'une famille de harkis

Ensuite, on suit l'histoire de son fils, Hamid, qui débarque en France alors qu'il est un enfant. Il grandit d'abord dans un camps pour Harkis près de Lyon dans lequel est "parquée" sa famille lors de leur arrivée en France les premières années, avant qu'ils ne soient transférés avec d'autres rapatriés dans des baraquements au milieu de la forêt en Normandie, jusqu'à son adolescence dans une cité HLM. Pour lui, l'Algérie est le pays de ses parents, il ne veut plus en entendre parler. Dès qu'il le peut, il fuit sa famille devenue trop nombreuse pour le petit appartement et part vivre à Paris où il découvre la vie étudiante et rencontre celle qui deviendra sa femme.
Et pour finir, on suit le parcours de Naïma, fille de Hamid et petite fille d'Ali qui cherche à en savoir plus sur ses origines et sur l'histoire de sa famille. Mais son grand-père est décédé entre temps et son père refuse d'en parler. Alors qu'elle travaille dans une galerie d'art qui souhaite exposer un artiste algérien, elle voit là l'occasion de retourner dans le pays d'origine de sa famille.

De la fresque familiale au récit historique richement documenté

Alice Zeniter a construit une superbe fresque romanesque truffée de références historiques, avec de nombreux personnages qui apportent tous quelque chose à l'histoire.  A travers cette histoire familiale, on en apprend beaucoup sur la guerre d'Algérie, sur la complexité de la décolonisation, avec ses partisans, ses opposants et les nombreux hommes qui ont juste voulu sauver leurs familles. 
C'est aussi un témoignage poignant d'une famille qui a du tout quitter pour un pays qu'elle ne connaissait pas et qui rêvait d'un avenir meilleur mais a été accueilli dans des conditions délétères.

Si j'ai du m'accrocher durant les premières pages car je ne connaissais pas vraiment les méandres de la guerre d'Algérie, c'est sans regrets car le roman est vite prenant, très intéressant et instructif, et on s'attache progressivement aux membres de cette famille. Rapidement on se rend compte que la narratrice n'est autre que Naïma, la petite fille d'Ali en quête de ses origines.
C'est un livre qui interroge sur une part sombre de notre histoire : les déboires de la décolonisation et la mauvaise gestion de l'"après" par la France. Le roman fait réfléchir sur les questions de l'immigration et d'accueil, sur les difficultés d'intégration, mais aussi sur la notion de culture, de transmission, d'héritage familial.
Autant de sujets qui en font un roman riche, intelligent, et, qui plus est, superbement bien écrit.
Alice Zeniter est à coup sûr une jeune écrivaine prometteuse !

L'art de perdre / Alice Zeniter . - Flammarion, 2017
Prix Goncourt des Lycéens 2017

vendredi 23 mars 2018

La forme de l'eau : une belle fable rétro fantastique superbement réalisée

La forme de l'eau est un beau film, entre conte de fée et film de monstre revisité, réalisé par le mexicain Guillermo del Toro. C'est une sorte de fable rétro fantastique dans laquelle on se laisse facilement embarquer.


L'histoire se passe aux Etats-Unis dans les années 50, dans un contexte de guerre froide et de conquête spatiale. Elisa est une jeune femme muette, employée comme femme de ménage dans un laboratoire de recherche gouvernemental. Avec sa collègue et amie Zelda, elle récure aussi bien les toilettes que les salles des laboratoires de recherche, se faufilant dans l'ombre d'illustres savants. C'est en nettoyant une de ces salles d'expérience qu'Elisa découvre le sujet d'étude de ces scientifiques : une étrange créature vivant dans l'eau salée ramenée d'une contrée lointaine.

Elisa et Zelda

Les deux employées sont vite confrontées au directeur de la recherche, Richard, un homme effrayant, condescendant, sadique, ambigu et imbu de pouvoir. Il tente de découvrir les mystères de la créature aquatique à force de torture et de mauvais traitements.

Richard, Elisa et Zelda

Elisa, quant à elle, parvient à communiquer en cachette avec la "forme de l'eau" avec patience et douceur, grâce au langage des signes. La jeune femme solitaire et renfermée va progressivement retrouver un sens à sa vie en se donnant pour mission de s'occuper de la créature aquatique. Et lorsque celle-ci est clairement menacée de mort, elle est prête à tout pour la sauver!

Bande annonce :



Un film plein de références

Au début, j'ai trouvé comme un petit air d'Amélie Poulain dans la manière de filmer Elisa, ses attitudes, sa fausse naïveté, ainsi que dans le coté burlesque de son mode de vie. Cette impression se retrouve également dans la musique du début du film. Puis j'ai pensé au Grand Budapest Hotel pour le coté rétro des décors et des paysages urbains et certains personnages hauts en couleur.
Outre ces références, La forme de l'eau, c'est aussi un clin d’œil aux grands films de "créature" démontrant ici que le monstre n'est pas celui qu'on croit.
Le réalisateur rend également hommage aux comédies musicales avec quelques scènes de rêves chantées et l'intérêt d'Elisa pour la danse et les claquettes mais cela reste assez discret.

Elisa

Une histoire d'amour entre personnages torturés

C'est une belle histoire d'amour hors norme et compliquée entre une jeune femme muette et une créature prisonnière. Quasiment tous les personnages de gentils sont des êtres marginalisés à cause d'un handicap, d'une différence, d'une difformité... Et le vrai méchant qui fait peur semble, quant à lui, tout avoir pour être heureux : un boulot en or, une famille parfaite, l'argent, la notoriété... mais on remarque vite qu'il s'agit d'un personnage trouble et ambigu porteur d'une froide violence. En quelque sorte, le film fait une ode à la différence, en en faisant une force dans l'adversité.

Elisa et son voisin et ami Giles

Des thèmes simplistes magnifiquement mis en valeur

Enfin, si les questions soulevées par le film restent classiques (le pouvoir de l'amour pour révéler sa vraie personnalité, comment s'affirmer avec une différence, etc) et le scénario plutôt simple, l'histoire est magnifiquement mise en valeur grâce à une belle réalisation, notamment des décors rétros très réussis et des acteurs formidables. L'actrice Sally Hawkins sort de lot (ou de l'eau? ^^ Cqfd) et donne toute sa force au personnage d'Elisa avec ses expressions faciales et sa langue des signes. La créature amphibienne, interprétée par Doug Jones déguisé avec des costumes en latex et silicone et une tonne de maquillage pourrait laisser croire qu'il s'agit d'une image de synthèse !

La créature aquatique et Elisa

J'ai bien aimé ce film rétro fantastique plein d'humanité et de poésie et teinté d'érotisme. Je ne me suis pas ennuyée une seconde et ai apprécié l'univers du cinéaste. De plus, je pense qu'une deuxième lecture de ce film en ferait ressortir de nombreux détails et de multiples interprétations!

Le forme de l'eau (The Shape of Water) / film américain de Guillermo del Torro, avec Sally Hawkins, Doug Jones, Michael Shannon, Richard Jenkins, Octavia Spencer 
Sortie en France le 21 février 2018.

>> Le film a remporté 4 Oscars : celui du meilleur film, du meilleur réalisateur, des meilleurs décors et de la meilleure musique


mardi 6 février 2018

La Tresse : 3 destins de femmes noués avec subtilité pour un magnifique premier roman

Après des mois d'attente sur la liste des réservations à la médiathèque, j'ai enfin pu lire ce best-seller de Laetitia Colombani. Souvent déçue par les livres trop mis en avant ou trop médiatisés, j'avoue avoir vraiment adoré ce roman. La Tresse est un très beau livre, j'ai eu un vrai coup de coeur pour cette belle histoire qui raconte le destin de trois femmes que tout oppose, issues de trois continents différents .


La tresse, c'est celle que Smita, une indienne Intouchable fait chaque matin à sa fille, en lui souhaitant une vie meilleure pour elle.
J'ai été particulièrement émue par l'histoire de cette jeune mère "Intouchable", c'est à dire issue de la plus basse caste indienne, dont le rôle sur terre est de ramasser les excréments des autres à main nues. Elle vit dans des conditions horribles avec son mari chasseur de rats et sa fille qui est censée suivre la même destiné qu'elle. Mais Smita rêve d'un avenir meilleur pour cette dernière, en souhaitant notamment l'envoyer à l'école. Or, quand on est "Intouchable, certains rêves pourtant abordables pour la majorité du gens sont inaccessibles. A travers l'histoire de Smita et de sa fille c'est une cruelle description des conditions de vie des Intouchables qui est faite et qui m'a vraiment bouleversée.

La tresse, c'est les cheveux que traitent précautionneusement les ouvriers de l'entreprise de la famille de Guilia en Sicile pour en faire des perruques.
Guilia est une jeune femme de vingt ans qui travaille dans l'atelier de traitement de cheveux ce son père. Sa vie suit une routine plutôt monotone jusqu'au jour où elle rencontre un mystérieux indien et celui où son père adoré est victime d'un accident. Son destin bascule alors et elle va devoir prendre des décisions qui vont la faire rentrer dans l'âge adulte.

La tresse, c'est aussi une coiffure à laquelle Sarah, une "wonderwoman" canadienne, avocate émérite, mère célibataire et férue de travail, va devoir renoncer quand elle apprend une mauvaise nouvelle.
Sarah est une avocate reconnue, rigoureuse, travailleuse, entièrement dévouée à son travail au point d'en négliger ses enfants. Affichant un masque professionnel à toute épreuve de peur que ses émotions ou sa vie de famille lui fasse défaut au sein de son cabinet, elle est toutefois tiraillée entre son travail et ses trois enfants. Pourtant, un jour, son corps qui lui fera comprendre qu'il faut lever le pied son professionnalisme sera mis en question. Ce sera le moment pour Sarah de prendre son destin en main.

Enfin, la Tresse, ce sont ces trois destins de femmes issues de trois continents différents, trois femmes que tout oppose qui vont se battre pour leur liberté et leur dignité et finiront par être liées d'une belle façon. Trois destinés dont le point commun est le cheveu.

Le roman alterne les histoires de Smita, Guilia et Sarah avec une écriture percutante et pleine d'émotion qui rend vite la lecture addictive. On pourrait dire de La tresse que c'est un livre féministe, mais c'est avant tout un roman touchant, plein de vérité sur les disparités de notre époque, empreint de mélancolie et par moment de poésie. Enfin, c'est un livre plein d'espoir.
C'est un premier roman réussi pour la scénariste Laetitia Colombani.

Quelques citations :

[Sarah]
"Elle la connaissait bien cette culpabilité des mères qui travaillent [...] Elle avait vite compris qu'il n'y aurait pas de place, dans le milieu où elle évoluait, pour les atermoiements d'une mère éplorée. [...] Elle se sentait déchirée, écartelée, mais ne pouvait se confier à personne." p. 36

"Lorsqu'elle se voyait dans le miroir, Sarah voyait une femme de quarante ans à qui tout avait réussi : elle avait trois beaux enfants, une maison bien tenue dans un quartier huppé, une carrière que beaucoup lui enviaient. Elle était à l'image de ses femmes que l'on voit dans les magazines, souriante et accomplie. Sa blessure ne se voyait pas, elle était invisible, quasi indécelable sous son maquillage parfait et ses tailleurs de grands couturiers." p.40

Ensemble, ils sont en train de la dépecer, alors qu'elle est à terre. [...] Les brigands sont bien habillés, la chose ne se voit pas, elle a même des allures de respectabilité. C'est une violence chic, une violence parfumée,une violence en costume trois-pièces. p. 164

[Smita]
"Elle sait qu'ici, dans son pays, les victimes de viol sont considérées comme les coupables. Il n'y a pas de respect pour les femmes, encore moins si elles sont Intouchables. Ces êtres qu'on ne doit pas toucher, pas même regarder, on les viole pourtant sans vergogne. On punit l'homme qui a des dettes en violant sa femme. On punit celui qui fraye avec une femme mariée en violant ses soeurs. le viol est une arme puissante, une arme de destruction massive." p.91

"Avec amertume Lackshmama évoque le sort funeste des veuves ici. Maudites, elles sont considérées comme coupables de n'avoir su retenir l'âme de leur défunts mari. Elles sont parfois même accusées d'avoir provoqué, par sorcellerie, la maladie ou la mort de leur époux." p. 146

[Guilia]
Elle refuse de se soumettre, de s'enfermer dans une cage aux barreaux bien lustrés. Elle ne veut pas d'une vie de convenanes et d'apparences. p. 150

Sa soeur appartient au cercle des sceptiques, de ceux qui voient le monde en noir, en gris, ceux qui répondent non avant de penser oui. Ceux qui remarquent toujours le détail qui fâche au milieu du paysage, la tache minuscule sur la nappe, ceux qui explorent la surface de la vie à la recherche d'une aspérité à gratter, comme s'ils se réjouissaient de ces fausses notes du monde, qu'ils en faisaient leur raison d'être. Elle est une image inversée de Giulia, une vesrion d'elle en négatif, au sens photographique du terme : sa luminance est inversement proportionnelle à la sienne. p. 196

samedi 3 février 2018

3 billboards... : une femme en colère bouleverse la tranquilité d'une bourgade de l'Amérique profonde. Un film original et inattendu qui mélange les genres.

Martin McDonald, le réalisateur de Bons baisers de Bruges signe un nouveau film sur l'Amérique profonde où racisme, port d'armes et violence sont banalités. 3 billboards, les  panneaux de la vengeance raconte le désespoir d'une mère face à l'abandon de l'enquête sur la mort brutale de sa fille adolescente, survenue quelques mois plus tôt.


Une mère endeuillée et enragée en quête de vérité

Brisée par le chagrin et la colère, Mildred décide de secouer les consciences en mettant la pression sur la police locale qui semble se reposer sur ses lauriers alors le meurtrier de sa fille court toujours. Près de chez elle, 3 panneaux publicitaires sont abandonnés au bord d'une route. Elle a soudain l'idée de les louer pour y afficher un message personnel au chef de la police locale. Son action fait beaucoup parler d'elle d'autant plus que les médias s'en mêlent. Et la police, forcément ne le prend pas très bien.

Bande-annonce :

Plus que de la colère, c'est une une rage folle qui habite Mildred. En l'absence de coupable sur qui se défouler, elle s'en prend à la police locale, qui, il faut bien le dire, ne semble pas très efficace. Cette femme brisée au visage grave et fermé n'a peur de rien et de personne et est prête à tout pour parvenir à ses fins, à savoir faire avancer l’enquête et retrouver le coupable.
D'un coté, elle est attachante et empathique, courageuse et déterminée, mais, de l'autre, elle est effrayante car prête à tout pour arriver à ses fins, quitte à se refermer sur elle-même et à mettre les autres en danger.
A noter aussi la superbe interprétation de France McDormand pour ce rôle, qui lui donne toute sa force et crédibilité !
Mildred a un fils, un ado des plus banals, lui aussi affecté par la mort de sa soeur, il subit en quelques sortes la ténacité de sa mère. Le père violent, est parti avec une gamine. Lorsqu'ils se retrouvent avec Mildred c'est toujours à couteaux tirés.



Une police locale dépassée par les évènements

En face on a l'équipe de la police de cette bourgade avec à sa tête Bill, un homme respecté de tous, aimé de sa ville et de sa famille. Le fait que Mildred s'en prenne à lui choque beaucoup de monde. C'est un homme bon qui comprend le désespoir de cette femme qui a perdu sa fille. D'ailleurs, le message sur les panneaux fait de l'effet puisqu'il décide de se repencher sur cette affaire non résolue. Mais Bill est gravement malade et ses plans se verront bouleversés.

Bill W. le chef de la police

Bill doit composer avec des adjoints peu dégourdis, voir arriérés. Notamment Jason Dixon, un jeune flic incapable, raciste, violent qui préfère lire des comics que de faire son travail et aux méthodes d'interrogatoires très musclées. Le jeune homme semble toutefois très solitaire et vis toujours chez sa mère, une vieille femme robuste et peu sympathique.

le policier Dixon et Mildred

Il y a également plusieurs seconds rôles intéressants, on retrouve notamment avec plaisir le nain le plus célèbre du cinéma Peter Dinklage (rendu d'autant plus célèbre par son rôle dans Games of thrones ) pour un personnage à la fois drôle et attachant et Zeljko Ivanek (Damage, True Blood, Jason Bourne...) en flic passif. 


Des personnages à la psychologie intéressante, loin du manichéisme habituel

Tous les personnages sont des gens "ordinaires" issues de l'Amérique profonde, aux manières contestables et à la morale douteuse. Cependant, ils évoluent au cours de l'histoire et on découvre que  derrière le caractère dur de certains personnages se trouve une autre personnalité qui ne demande qu'à être dévoilée. Ainsi, derrière les plus gros ploucs racistes et homophobes se cachent peut être une bonté et un courage bien enfoui qu'un mot gentil ou une situation particulière pourrait révéler.
Tous sont filmés sans jugement ni à priori. C'est d'ailleurs toute la force de ce film, car, loin du manichéisme habituel, il montre les différentes facettes d'une même personnalité et vise à prouver que chaque individu peut évoluer, que tout le monde est capable du meilleur comme du pire. 


C'est aussi un film qui interroge sur les notions de vengeance, de justice, de pardon, de repentir mais là je ne vais pas en dire plus pour ne pas dévoiler l'intrigue.

Un film surprenant qui mélange les genres, rythmé par des dialogues teintés d'humour noir

La réalisation est soignée et intelligente, soutenue par un bon rythme qui maintient le suspens (Mildred va t'elle parvenir a retrouver le meurtrier de sa fille?) tout en suivant différents personnages affectés par des problèmes divers (un flic malade, un autre sur la dérive...).  La violence, causée par des frustrations, des injustices et des peurs, peut survenir à tout moment. Elle est d'ailleurs filmée de manière assez réaliste, sans ménagement.
Mais ces scènes ne sont pas non plus insurmontables et sont vite désamorcées par des dialogues teintés d'humour noir. On sent d'ailleurs qu'à chaque instant la situation peut déraper ou, inversement, se détendre, selon la réaction et la répartie des personnages et c'est ce qui maintient une certaine tension tout au long du film.


3 billboards est un film qui mélange les genres : policier, drame social, portraits psychologique, film noir teinté d'humour (noir aussi)... On sent l'influence des frères Coen, que ce soit dans les scènes de violences brutes, à travers la psychologie des personnages ou la pertinence des dialogues. (D'ailleurs, j'ai appris que Frances McDormand, l'actrice qui joue Mildred, n'est autre que la femme de Joel Coen !)

Bref, c'est un film surprenant à bien des égards où on ne s'ennuie pas un instant. De plus la fin n'est pas celle qu'on attend mais on n'est pas déçu pour autant !Une bonne surprise !
Le film a déjà reçu 4 prix aux Golden Globes.


mercredi 31 janvier 2018

Leila Slimani engagée dans une BD de témoignages sur la sexualité des femmes au Maroc et dans un recueil de textes contre l'obscurantisme

On connait la romancière Leila Slimani pour ses romans Dans le jardin de l'ogre et Chanson douce récompensé par le prix Goncourt 2016. En plus d'être une auteure brillante, c'est aussi une jeune femme engagée, notamment sur les questions des droits des femmes et des libertés individuelles en général. D'origine marocaine, c'est vis-à-vis de son pays d'origine qu'elle a le plus de choses à dire.


Je vous présente ici deux de ses ouvrages : le premier est une bande-dessinée où il est question de la place des femmes et de la sexualité au Maroc, le deuxième un recueil de nouvelles parues dans le journal Le Un à propos de l'obscurantisme religieux.


Paroles d'honneur : une bande-dessinée émouvante sur des témoignages de femmes marocaines sur la sexualité


Auteure d'un livre documentaire intitulé Sexe et mensonges : la vie sexuelle au Maroc, elle a retranscrit une partie des témoignages qu'elle a recueillie pour ce livre dans une jolie bande-dessinée illustrée par Laetitia Coryn.

Dans Paroles d'honneur, Leila Slimani met en lumière les paroles de femmes marocaines qu'elle a rencontré au cours de l'été 2015 à Rabbat, avec qui elle a discuté de la place de la femme dans la société et de sexualité.


J'ai eu la chance d'assister à une rencontre avec l'auteure et l'illustratrice dans le cadre des Bibliothèques Idéales à Strasbourg, en septembre dernier et c'était tout à fait passionnant. Intelligente, cultivée, accessible et pertinente, Leïla Slimani s'exprime de manière claire et passionnée.   
Vous pouvez d'ailleurs réécouter la rencontre sur Sound Cloud (enregistrement c. Eurométropole de Strasbourg.)


Paroles d'honneur est une BD de reportage et de témoignages à forte dimension biographique, tout-a-fait ancrée dans l'actualité et fortement engagée.
L'auteure et narratrice retranscrit ici les échanges qu'elle a eu avec plusieurs personnes au Maroc, notamment avec Nour, une femme d'une trentaine d'années, célibataire et à tendance laïque, mais aussi avec des femmes plus libérées et d'autres plus âgées et plus traditionalistes. A la fin de l'album, on retrouve aussi quelques témoignages d'hommes.

Toutes et tous témoignent du tabou qu'est la sexualité au Maroc, de la place de la femme dans la société et de leur perception par les hommes, de la sacralisation de la virginité, des nombreux interdits comme l'avortement... En cause? Une société schizophrène bloquée entre tradition et modernité, le poids de la religion, de la morale et des traditions, la peur de la "houchma", la honte qui tolère pourtant le viol et les violences conjugales... C'est une société hypocrite qui est décrite ici, qui condamne la liberté d'aimer, le désir et une partie des libertés individuelles. Les femmes sont perçues soit comme des épouses soumises à leur mari soit comme des prostituées, il n'y a pas de juste milieu.

Certaines femmes non pratiquantes mettent ainsi le voile dans les espaces publics pour être tranquilles, de peur sinon de se faire agresser. D'autres se font reconstruire l'hymen de peur de ne trouver jamais de mari. Beaucoup de jeunes, hommes ou femmes, rêvent de changement ou d'exil.

Paroles d'honneur, c'est une peinture de la société marocaine d'aujourd'hui, où sont retranscrits notamment de récents faits divers comme, par exemple, le scandale qu'a suscité le film Much Love qui a été censuré ou alors la polémique suscitée par la tenue de Jenifer Lopez lors d'un concert en 2015.

Lors d'un entretien avec une théologienne, cette dernière rappelle que ce sont pourtant les arabes qui ont choqué l'occident avec les premiers écrits érotiques au 15ème siècle.
"On oublie trop souvent que dans les premiers temps de l'Islam, le sexe était loin d'être condamnable. La sexualité y était même considérée comme une sorte d'épanouissement" "Et aujourd'hui chacun utilise, l'instrumentalise pour justifier ou interdire tel ou tel comportement." (p 49)

Elle donne aussi une autre place des femmes dans la religion :
"Il faut que les femmes aient les outils pour argumenter face à cette inculture religieuse généralisée. Nous ne devons pas accepter n'importe quoi au nom du sacré. Le libre arbitre des femmes détermine le degré d'islamisation d'une société. L'honneur, l'image, la transmission, la vertu, tout repose sur les épaules féminines." (p 44)

Paroles d'honneur est une jolie bande-dessinée entre documentaire et fiction qui aborde la question de l'égalité homme-femme, de la laïcité, de la place de la religion et de la morale dans la société marocaine. Cet album se lit facilement et est très enrichissant. Je recommande !

Ci dessous, voici d’autres citations qui m'ont semblé pertinentes :

"Au Maroc, la femme n'a pas le droit d'avoir de désir. elle ne choisit pas." p 15

"Certains hommes ne comprennent pas la différence entre faire le choix d'avoir une sexualité et consentir à un acte sexuel, ce qui joue en leur faveur c'est qu'ils savent que les filles ne porteront pas plainte. Il faut que la honte change de camps." p.22


"La société marocaine est bipolaire : on dit que l'on veut se moderniser et protéger nos habitants, mais la question de la sexualité reste taboue. Il faut en parler, ce n'est pas un problème strictement médical, les avortements mal faits, les septicémies, les infections, les sicides, les crimes d'honneur, les abandons et les infanticides sont un vrai problème au sein de la société marocaine, que l'ont doit résoudre une bonne fois pour toutes. (Pr Chraibi dans une interview à Jeune Afrique) p 37

Sur le port du voile, le témoignage d'une jeune femme : "Ça freine beaucoup de choses, ça rend les relations humaines difficiles. Dans mon ancien boulot, j'étais la seule à ne pas porter de voile et je bossais dans un milieu très masculin. Une fois j'y suis allée en jupe et j'ai carrément eu l'impression d’être à poil ! C'était atroce. Je ne l'ai jamais refait et ne le referai jamais." p 42

"Quand je vois toutes ces femmes au Maroc qui oscillent entre la volonté de se libérer et l'acceptation des carcans qui leur sont imposés... Pourquoi sont-elles si nombreuses à envisager de se refaire l'hymen ou de porter le voile, alors même qu'elles s'étaient libérées de certains conditionnements?" p 56

[Le réalisateur de Much Love] "Quand tu vois ta femme comme une machine à procréer, qui n'est pas censée éprouver de plaisir et dont le corps est quasiment ta propriété, comment veux-tu avoir un rapport sain à la sexualité?" "Les hommes marocains refoulent, ils sont très frustrés, tout ce qui a trait à l'appétence, au désir est rejeté parce qu'on a appris aux gens à les diaboliser. Du coup quand on met les gens face à cette image, ils réagissent de manière extrêmement violente." p 69

"Les marocains oscillent entre fantasme et détestation" p 70

"Ce qui me choque c'est l'absence totale de subtilité dès qu'il s'agit de penser la sexualité. Pour les hommes, il n'y a pas d'intermédiaire entre la femme vertueuse et la prostituée. Ils ont une vision très manichéenne des femmes" p 80

"Les garçons ne sont pas nos ennemis dans ce combat. Eux aussi souffrent de ce malaise. Ils ont, eux aussi, envie que les relations avec les femmes soient plus simples. Les gens ont beaucoup de mal à comprendre les droits individuels. En gros, ne craint pas Dieu, mais le regard de l'autre. Toute notre société est construite sur la notion d'interdit, de secret. Vous réalisez la pression que cela constitue pour les gens?"

"Avant d'être un individu, une femme est une mère, une soeur, une épouse, une fille, garante de l'honneur familial et, pire encore de l'identité nationale. Sa vertu est un enjeu public." p. 101



Un recueil de petits textes plein de justesse et d'intelligence sur l'islamisme radical 


Le diable est dans les détails est un petit livre qui recense les textes que Leïla Slimani a écrit pour le journal Le Un entre 2014 et 2016. Six petits textes, des nouvelles, des articles, des cris du coeur sur les dérives de l'Islam.


Là encore, c'est très bien écrit, c'est fin, intelligent et pertinent. Les textes sont plein de vie, de rage, de passion, ce sont des réflexions sur notre société, sur la défense de nos valeurs, de nos convictions et libertés individuelles face à l'obscurantisme religieux.

Voici un petit résumé des six textes condensés dans ce petit livre.

Dans Le diable est dans les détails, un vieux musulman se sent dépassé par les réactions des membres de son entourage où il constate des dérives de l'interprétation de la religion.

Une armée de plumes est un texte écrit par Leila Slimani après l'attentat de Charlie Hebdo. Elle interroge sur la responsabilité des intellectuels, des écrivains. "Qu'en est-il de la responsabilité en littérature? Un écrivain a t'il à se montrer "responsable" face à la situation géopolitique d'un pays, face aux événements? Doit-il s'autocensurer s'il sait que son propos risque d'embraser une société déjà à vif ? Je ne le crois pas." (p 23)

Dans En attendant le messie. un vieil homme est confronté aux déviances de l'Islam, aussi bien chez la jeune génération que chez les anciens. "A présent, il y a autant de musulmans que de marques de voitures. Et chacun pense qu'il vaut mieux que les autres." (p 34).

Intégristes, je vous hais, est un cri du coeur écrit par l'auteure au lendemain des attentats du 13 novembre à Paris. Elle parle de son enfance au Maroc et de son apprentissage de la religion où on lui a appris à ne pas contester. Elle fait le parallèle avec les attentats terroristes et la difficulté de s'exprimer après un tel drame, sans paraître moralisateur.
"Qu'écrire alors? S'il faut employer des mots, assurons nous qu'ils ne soient pas creux. Car c'est de cela aussi que l'on meurt : de trop de tiédeur, trop de compromissions, trop de cynisme. Notre monde, et en particulier nos dirigeants, manquent de clarté, de cohérence, d'intransigeance." (p.38)

"Arrêtons de nous cacher derrière un pseudo respect des cultures, dans un relativisme écœurant qui n'est que le masque de notre lâcheté, de notre cynisme, de notre impuissance." (p.40)

Elle clame aussi son amour pour Paris et pour les libertés individuelles.

Dans Française, enfant d'étrangers, l'auteure raconte son enfance au Maroc et la diversité d'origines de ses parents et grands parents qui n'empêchait pas les repas de famille dans la bonne humeur.

"Je me suis demandée ce que ma génération allait être capable de faire de ce monde. Serons-nous à la hauteur de ceux qui se sont battus pour pouvoir fêter Noël ensemble? Saurons-nous nous définir par autres choses que nos dieux, nos origines? Faudra-t'il encore et toujours prouver nos allégeances ?" (p.46)

Et pour finir Un ailleurs est une nouvelle sur une jeune fille qui s'évade de son quotidien morose grâce à la lecture.

Ces 56 pages se lisent rapidement avec beaucoup de plaisir et d'intérêt. Là encore, je recommande vivement !

Le diable est dans les détails / recueil de textes écrits par Leïla Slimani dans le journal Le Un entre 2014 et 2016 ; Eric Fotorino . - Ed de l'aube, 2016

jeudi 25 janvier 2018

Quand le retour au pays d'un entrepreneur ravive une vieille enquête criminelle. Acquitted, une série norvégienne intimiste

Acquitted est une série norvégienne sortie en 2015, diffusée sur Canal Plus à ce moment là et désormais disponible en DVD et Blue-Ray ainsi que sur Netflix. Entre intrigues familiales, enjeux économiques et enquête criminelle, on retrouve dans cette série l'ambiance propre aux séries nordiques qu'on a apprécié dans Fortitude, Occupied ou The Killing, avec un rythme maîtrisé et des profils psychologiques intéressants.


Au début, un retour aux sources pour une histoire de rachat d'entreprise

Axel est un investisseur d'origine norvégienne qui vit depuis vingt ans en Malaisie. Il y a une bonne situation, une femme et un enfant adolescent. Un jour, il reçoit un appel de Norvège, son pays d'origine où une vieille connaissance lui demande, à lui et à son entreprise, de venir en aide à l'entreprise SolarTech, qui fabrique des panneaux solaires, dans son village d'origine, Lisfjord , en proie à des difficultés financières. D'abord réticent, il décide pourtant de retourner en Scandinavie après vingt ans d'absence. En effet, Axel a derrière lui un lourd passé qu'il cache à sa famille et qu'il a tenté d'oublier durant sa nouvelle vie.

William Hansteen et Axel

Deux décennies plus tard, le voici donc de retour dans ce village enclavé au fond d'un fjord de Norvège. Accueilli comme un sauveur d'entreprise par certains, d'autres verront son retour comme une insulte.
Axel

Un passé trouble qui refait surface

En effet, la directrice de l'entreprise en difficulté, Eva Hansteen, d'abord ravie d'apprendre qu'un entrepreneur asiatique est prêt à lui venir en aide, manque de s'évanouir lorsqu'elle reconnait Axel. On apprend rapidement que ce dernier a été soupçonné du meurtre de sa fille Karine vingt ans plus tôt, alors qu'il était son petit ami. Après avoir été accusé du crime et passé un an en prison, il a finalement été acquitté grâce au témoignage d'une ex petite-amie. Mais Eva reste persuadée de sa culpabilité et le retour au pays d'Axel ravive de douloureux souvenirs. La fusion d'entreprise tant attendue se voit alors compromise.

Lars, Eva et William Hansteen

Une affaire criminelle vieille de vingt ans revient hanter les habitants du fjord

Les deux premiers épisodes sont plutôt centrés sur les difficultés de l'entreprise et son potentiel rachat par l'investisseur asiatique mais les tentions entre Eva et Axel et les rivalités personnelles vont faire progressivement dévier l'histoire vers cette affaire de meurtre vieille d'il y a vingt ans.

Au fil des épisodes, on croise une bonne dizaine de personnages répartis essentiellement entre la famille Hansteen, aisée et respectée, et la famille d'Axel, bien plus modeste.

Dans la famille Hansteen, William, le mari d'Eva, vit dans l'ombre de sa femme. Il a moins de ressentiment vis à vis d'Axel car il le croit innocent. Lars, le fils, est complètement sous l'emprise de ses parents, et malgré sa bonne quarantaine, ne parvient pas à s'émanciper. Sa femme Inger, dirige l’hôtel du village et souhaite le moderniser. Elle a toutefois du mal à se faire une place dans cette famille. Hélène, la fille adolescente de Lars se sent un peu délaissée par sa famille et va tout doucement se rebeller. Dans cette famille bourgeoise, de nombreuses tensions et non dits vont entraîner des dissensions et conflits.

Eva et Helene Hansteen

Du coté d'Axel, sa mère se réjouit peu de revoir son fils qu'elle n'a pas vu depuis vingt ans. Elle est parano, infantile et renfermée sur ses habitudes Elle vit recluse dans une petite maison isolée de tous où son fils Erik, le frère d'Axel, prend soin d'elle.
Tous deux sont un peu réticents à retrouver Axel après tant d'années et ne lui font pas totalement confiance. Mais Erik va progressivement se rapproche de ce frère qu'il avait presque oublié tandis que sa mère va rester sans cesse sur la défensive.

Erik, le frère d'Axel

Tonia est une ex petite copine du lycée d'Axel plutôt contente de retrouver son amour de jeunesse. Désormais à la tête de l'équipe technique de l'entreprise SolarTech, elle travaille sur un nouveau prototype de panneau solaire. Vingt ans plus tôt, c'est grâce à son témoignage qu'Axel a été acquitté. Le retour de ce dernier la trouble et ranime de vieux souvenirs.

Tonia et Axel

Finn est le policier du coin, proche de la famille Hansteen, qui, sous la pression d'Eva va tout doucement relancer l'enquête sur la mort de Karine.

Eva veut à tout prix prouver la culpabilité d'Axel au point que ce dernier finit par douter de plus en plus de sa totale innocence, d'autant plus que nombreux sont ceux qui le considèrent encore comme coupable. L'acteur qui interprète le personnage d'Axel joue très bien avec les silences, les expressions du visage, une certaine retenue, et au fil des épisodes, notre sentiment vis à vis d'Axel évolue également.

Par la suite, dans la saison 2, une jolie procureure va débarquer à Lifjord pour reprendre cette affaire qui ne semble jamais se résoudre.

Des profils psychologiques variés et de nombreux suspects potentiels

Tout au long des deux saisons de cette série se croisent de nombreux personnages aux profils psychologiques variés, et forcément, des tensions se créées, des dissensions tout comme des rapprochements se font nous mettant sans cesse sur la piste de suspects potentiels.
En effet, à chaque épisode, on passe d'un suspect à un autre et ce jusqu'au dernier épisode de la saison 2 ! Pour cela, la série est vraiment bien construite, maintenant le suspens tout en travaillant la psychologie des personnages. Car tous ont des failles, des secrets, des problèmes relationnels, un besoin de reconnaissance, quelque chose à prouver...


Acquitted est une série intéressante et bien ficelée, qui débute par les déboires économiques d'une entreprise locale pour dévier progressivement vers une enquête criminelle. La série devient vite prenante grâce aux profils psychologiques des personnages, à un bon rythme où les silences sont aussi éloquents que les dialogues, avec quelques rebondissements, du suspens, des surprises... Malgré quelques personnages un peu trop caricaturaux à mon goût, j'ai été emballée par cette série !

Enfin, regarder Acquitted c'est profiter de la vue de magnifiques paysages des fjords de Norvège d'abord en été (saison 1) puis en hiver sous la neige et les congères ! (saison 2)

Acquitted / série norvégienne créée par Siv Rajendram Eliassen, Anna Bache-Wiig, Avec Nicolai Cleve Broch, Susanne Boucher, Lena Endre. Titre original : Frikjent

mercredi 10 janvier 2018

"Les heures sombres" : grand film historique et politique sur les débuts de Churchill en tant que Premier Ministre

Un film historique et politique sur les enjeux du début de la Seconde Guerre Mondiale

Réalisé par le britannique Joe Wright, Les heures sombres retrace les premiers jours de Winston Churchill en tant que Premier Ministre, en mai 1940. Alors que l'Europe se fait envahir par l'Allemagne nazie, le précédent chef du gouvernement britannique, Neville Chamberlain, est poussé à la démission en raison de son inaction dans ce contexte de guerre mondiale. Afin de satisfaire le parti conservateur et l'opposition, c'est Churchill qui est nommé à sa place, plutôt à contre-cœur, et chargé de former un gouvernement ainsi qu'un conseil de guerre et surtout de se positionner clairement face à Hitler.

Les Heures sombres est à la fois un film historique sur le début de la Seconde Guerre Mondiale vue du coté britannique, un grand film politique montrant les principaux enjeux dans une situation de crise et c'est aussi le portrait d'un homme qui consacra sa vie à la politique.


Une brillante interprétation qui sent les Oscars...

Winston Churchill est ici superbement interprété par Gary Oldman, métamorphosé pour le rôle. Que ce soit à travers sa posture, ses gestes, ses paroles ou ses regards, tout est étudié, calculé et justement retransmis. Il parvient à mettre parfaitement en avant le caractère taciturne de Churchill mais aussi ses doutes et ses faiblesses.
Pour avoir une idée de la métamorphose de Gary Oldman, voici une photo de l'acteur (à gauche) et une de son personnage dans le film (à droite). En bas de l'article se trouve une photo du "vrai" Wilson Churchill














La femme de Winston Churchill, Clémentine, est interprétée ici par Kristin Scott Thomas et sa secrétaire dévouée et assidue par Lily James (qui interprète Rose dans Dowtown Abbey).


Tout le film retrace les trois premières semaines de Churchill en tant que Premier Ministre, à partir du 8 mai 1940, jour de sa nomination, à contre-coeur, par le Roi.
C'est un film sur la guerre, mais vue du point de vue stratégique et politique, coté britannique. Il n'y a que très peu d'images des combats dans le nord de la France, c'est plus l'étude des stratégies militaires et des décisions politiques qui est mise en avant ici.

Bande-annonce :



Durant ses premiers jours à la tête du gouvernement, le Premier Ministre découvre l'état catastrophique dans lequel se trouve l'Europe, après l'invasion par les allemands de la Hollande, de la Belgique et de leur percée au nord de la France. D'abord plein d'espoir et déterminé à sauver les troupes britanniques envoyées en renfort en France, il se voit vite confronté à la dure réalité et doit prendre de graves décisions pouvant engendrer la mort de nombreux soldats.
Face à une Allemagne suréquipée et très organisée, dans le contexte d'une Europe vaincue, le Royaume-Uni se retrouve bien seul pour gérer cette crise, d'autant plus qu'à ce moment là les Etats-Unis semblent peu concernés par le conflit européen.


De plus, Churchill ne fait pas l'unanimité au sein de la Chambre et va devoir composer avec des adversaires politiques afin d'éviter une nouvelle crise politique.
Comment inspirer confiance et donner de l'espoir dans un tel contexte? Comment prendre des décisions importantes et les assumer pleinement ensuite ?

Le portrait d'un drôle de personnage dont l'éloquence est la plus grande force

Les heures sombres, c'est aussi le portrait d'un homme qui traîne en pyjama chez lui, un cigare aux lèvres et un verre de whisky à la main, marmonnant des propos incohérents ou hurlant des ordres à sa secrétaire. Grand orateur en public, il est plutôt renfermé en privé, c'est un homme qui pense sans cesse à ses discours, les dictant à sa secrétaire depuis son bain, son lit ou même ses toilettes ! C'est un personnage taciturne, qui s'emporte facilement mais est toujours à l'écoute de son entourage. Un homme qui, comme le dit un de ses collaborateurs, "a 100 idées dans la journée, 4 sont formidables, les autres sont absurdes". Le film montre que Churchill réfléchit beaucoup, c'est quelqu'un de très cultivé, qui manie admirablement la langue anglaise. Son éloquence reste sa plus grande force, c'est pour sa verve qu'il est à la fois admiré, craint, voir détesté, certains lui reprochant de trop s'écouter parler.


Mais Churchill est aussi homme politique déconnecté de la réalité de ses concitoyens puisqu'il reconnait n'avoir jamais acheté de pain lui-même et n'avoir jamais pris le métro (tout parallèle avec nos hommes politiques actuels... n'est pas de la fiction). D'ailleurs, sans vouloir révéler l'issue du film, c'est une rencontre avec le peuple qui va l'aider à y voir plus clair et à prendre une grande décision.

C'est donc un portrait tout en nuance d'un homme qui doute, avec ses qualités et ses défauts, qui est prêt à changer d'avis, à revoir ses positions selon les circonstances. Une image loin de l'homme déterminé et sûr de lui qu'on peut s'imaginer !


Une réalisation soignée qui met en valeur les grands discours

En plus d'une superbe interprétation, le film jouit d'une réalisation soignée et d'un bon rythme. Le réalisateur joue notamment avec la force de certaines images, comme lorsque Churchill, dans sa voiture, observe les gens dans la rue se hâtant sous la pluie, ou, plus saisissante encore, l'image de clôture du film, formidable... Par ailleurs, il filme souvent en gros plan les visages, notamment les yeux, afin de montrer toute la tension d'un moment important.
Les scènes fortes du film sont les grands discours que prononcent Churchill et ceux-ci sont filmés comme des scènes d'action, avec un certain suspense.

Dans l'ensemble, j'ai apprécié ce film justement interprété et bien réalisé. Il est très intéressant car il interroge sur de grandes questions : faut-il céder ou négocier face à la terreur, à la tyrannie, à la dictature ou faut-il se battre, coûte que coûte, même si cela demande d'énormes sacrifices?
C'est aussi un film qui fait réfléchir sur notre démocratie actuelle, sur l'Europe, sur les relations étrangères...



"Le succès n'est pas final, l'échec n'est pas fatal : c'est le courage de continuer qui compte.
Winston Churchill.