vendredi 15 février 2019

Une expo colorée pleine de peps qui interroge vie moderne et féminité


Vu il y a deux semaines déjà, je n'ai pas eu le temps d'écrire quelque chose au sujet de l'exposition de l'artiste portugaise Joana Vasconcelos au Musée d'Art Moderne et Contemporain de Strasbourg.
C'est un peu tard pour en parler car c'est les derniers jours cette semaine, l'exposition intitulée "I want to break free" mise en place en octobre se termine le 17 février !
Pour en savoir plus sur cette exposition, vous pouvez lire la présentation sur le site du MAMCS ou encore le dépliant explicatif disponible en pdf sur le même site.

Joana Vasconcelos est une des artistes portugaises contemporaines les plus connues, elle a d'ailleurs représenté le Portugal à la Biennale de Venise en 2013. Artiste multi-médias, la place de la femme occupe une place centrale dans ses réalisations. La parfaite illustration en est l'oeuvre "Marylin", cet immense escarpin rutilant qu'on voit au début de l'exposition. En s'approchant un peu on constate qu'en fait il est composé de casseroles et de couvercles, soulignant ainsi toute l’ambiguïté de la femme d'aujourd'hui dans une seule oeuvre. Avec ses installations, elle interroge constamment la place de la femme dans la société actuelle et joue avec les dualités modernisme et traditionalisme, tendresse et violence, ordre et désordre, etc.

 Joanna Vasconcelos, MAMCS. photo personnelle.

Dans le hall principal du musée, on est attiré d'emblée par une grande installation en tissu rose de 25 mètres appelée "Material Girl" hommage aux Valkyries, ces icônes féminines puissantes aux pouvoirs magiques issues de la mythologie nordique. L'installation aux formes très glamours est aussi un hommage à une célèbre chanson de Madonna.


Les réalisations de Joana Vasconcelos sont faites à partir d'objets du quotidien : des casseroles, des plumeaux, des cuillères en plastiques, des sèches-cheveux. Mais toutes font appel également aux savoirs traditionnels portugais comme la broderie, la céramique, la ferronnerie.. Ses oeuvres sont très colorées et ludiques. Elles attirent l'attention et on est souvent surpris en regardant de plus près les matières avec lesquelles elles sont fabriquées !

Ci-dessous quelques unes de ses réalisations que j'ai bien aimé :

Une cabine avec plein de petits miroirs de salle de bain colorés à l'intérieur.


Un lavabo recouvert de jolies broderies colorées.


Une installation avec des cravates colorées qui se soulèvent avec la soufflerie.


Un joli canapé recouvert de roses en papier crépon.


Une cabine aux multiples phares de voitures clignotants.


Ce petit cabinet de coiffure joliment agrémenté de tressages, de broderies et de perles colorées en fait un objet presque magique.

L'installation que je préfère est le "Coeur indépendant"  fabriquée avec des couverts en plastique colorés en rouge. L'oeuvre tourne sur elle-même au son des musiques traditionnelles portugaises, le fado.


"I want to break free" est une exposition pleine de peps qui mélange les codes, intégrant l'héritage des traditions portugaises et les figures mythologiques dans des installations très modernes refletant la pop culture. C'est une exposition interactive où tous les sens sont sollicités et où l'on est souvent surpris !

Une belle découverte pour moi qui ne connaissais pas cette artiste. L'exposition se termine le 17 février.


mardi 5 février 2019

Les rêveurs, roman autobiographique sensible et captivant d'une célèbre actrice


On connait Isabelle Carré, l'actrice brillante, simple et discrète,souvent décrite comme lumineuse, que l'on retrouve dans de nombreux films français. En plus d'être douée devant les caméras elle semble également doté d'un certain don pour l'écriture.



L'actrice a publié l'an dernier son premier roman, largement autobiographique dans lequel elle raconte son enfance et son adolescence trouble et comment le théâtre l'a sauvé. Je ne suis pas fan des livres autobiographiques écrits par des personnalités, mais j'ai assisté (en partie) à la rencontre littéraire organisée par la librairie Kléber avec Isabelle Carré au printemps dernier et j'avoue que cette dernière m'a donné envie de me plonger dans son livre. Sa simplicité, sa sensibilité et son énergie m'ont touché et m'ont donné envie de lire Les Rêveurs.



C'est un livre émouvant et captivant. L'auteure et narratrice revient sur son histoire familiale qui s'avère digne d'un film tant ses parents furent des êtres particuliers avec leurs blessures, leur difficulté à se faire une place dans la société. 
Le roman s'ouvre sur l'histoire de sa mère qui, issue de la haute bourgeoisie, est rejetée par ses parents car tombée enceinte trop jeune. Un rejet qui la marquera à vie. Effacée, triste, dépressive, elle ne saura pas bien s'y prendre avec ses enfants.
Son père, un être à la fois égocentrique et attachant, mettra plus de 30 ans a assumer sa vraie personnalité. Ces deux êtres un peu perdus semblent s'être attachés l'un à l'autre comme des bouées de sauvetage. Pas évident pour des enfants de grandir dans un tel environnement...

On sent à travers ce roman qu'Isabelle Carré a fait un gros travail sur elle-même, elle porte un regard bienveillant sur ses proches et sur le monde qui l'entoure. J'ai particulièrement bien aimé ses réflexions sur la place de la culture dans sa vie. A propos des livres elle dit d'ailleurs : "Leur présence m'a toujours rassurée, et il m'arrivait d'en glisser un sous mon oreiller ou de m'endormir en le tenant serré contre moi,je devais imaginé que quelque chose d'eux infuserait pendant mon sommeil. Peut-être recevrais-je la force de bons compagnons, me réveillant plus solide, imprégnée de leur savoir." 
Elle revient aussi sur des moments très durs de son adolescence où elle a trouvé refuge dans le théâtre. Elle dit d'ailleurs que c'est ce qui l'a sauvé !

Avec une écriture fluide et poétique, un style concis et bienveillant, l'actrice et auteure m'a captivé par son histoire familiale. C'est raconté avec beaucoup de pudeur, de recul.  Ci-dessous, quelques citations pour se faire une idée de son style.

"Déshonneur, faute, pêché...Quel est le poids de ces mots aujourd'hui? Difficile d'imaginer que ce chapitre ne se passe pas au XVIIIè siècle, mais il y a seulement quelques dizaines d'années, moins de cinquante ans..." p 50

"C'est une chose qu'elle n'a jamais comprise, elle s'est approchée du bonheur plusieurs fois, mais à peine entrevu, il lui échappe déjà. Pourquoi est-ce si court? D'autres l'accaparent, et arrivent sans trop d'efforts à ne plus le lâcher, alors qu'elle doit se battre chaque jour pour des miettes. Elle s'y accroche de toute ses forces, mais il finit toujours par se sauver, comme un chien qui préfère changer de maître, jugeant que le sien n'est plus digne de lui." p 83

"Ma mémoire est précise, affûtée, comme si depuis toujours je retenais chaque information, chaque événement, essayais de préserver toutes les sensations, sachant déjà que le moindre détail serait précieux, dès le départ j'avais devnié qu'il n'y avait rien de banal, qu'avec eux tout serait chargé de rebondissements, de chocs, d'effroi, et quelquefois de chance..." p 147

"avait t-elle toujours été cette femme égarée, la tête pleine de rêves? Jusqu'à quel point y croyait-elle? Sa propre histoire difficile, accidentée, l'avait-elle amenée au fil du temps à trouver refuge dans ces vies imaginaires?" p 180

"Et puis, il y a toutes les joies, comme des éclaboussures de soleil, les secondes chances, si précieuses que je préfère les taire et continuer de les contempler en silence." p 262

[Citation de Genet] "Je me demande où réside, où se cache la blessure secrète où tout homme court se réfugier si l'on attente à son orgueil, quand on le blesse? Cette blessure-qui devient ainsi le for intérieur-, c'est elle qu'il va gonfler, emplir. Tout homme sait la rejoindre, au point de devenir cette blessure elle-même, une sorte de coeur secret et douloureux." p 267

Les rêveurs c'est une histoire familiale, un récit autobiographique, mais surtout un roman plein de vie! Une belle découverte.

Les rêveurs / Isabelle Carré . - Grasset, 2018