mercredi 17 mai 2017

Purity, un roman-fleuve à forte dimension psychologique et sociologique

Voici le roman qui m'a occupé ces deux derniers mois : un pavé de plus de 700 pages signé Jonathan Franzen. L'auteur de Freedom livre ici un nouveau roman dense, épais et précis dans lequel cependant on se perd un peu par moment. Purity est une sorte de fresque historique et contemporaine à forte dimension psychologique, un roman d'apprentissage revisité et un ouvrage de réflexion sur notre société à l'ère du numérique et de la transparence. La construction du récit, à la fois réfléchie et alambiquée, nous amène à suivre plusieurs personnages dans des villes et des époques différentes et sans lien apparent.


Une jeune femme un peu paumée à la recherche de son père

L'histoire commence avec celle qui donne son nom au livre. Purity Tyler, surnommée Pip, est une jeune femme paumée qui vit dans un squat en compagnie d'un groupe de marginaux plus âgés qu'elle. Elle a pris de la distance avec sa mère avec qui elle eut pourtant une relation fusionnelle, celle-ci quelque peu marginale et farfelue n'a jamais voulu lui révéler le nom de son père. Ce secret pèse sur les épaules de Purity, bien déterminée cependant à percer le mystère de sa conception. En attendant, elle travaille en tant qu'opératrice téléphonique afin de rembourser son prêt étudiant.

Dotée d'un humour bien particulier, très cynique, la jeune femme n'a pas beaucoup d'amis et fantasme sur un homme plus âgé qu'elle. Alors que son quotidien est loin d'être brillant, elle rencontre une femme nommée Anagret qui l'incite à rejoindre un groupe de lanceurs d'alerte, le Sunlight Project dirigé par le célèbre Andreas Wolf. Cette mystérieuse offre étonne Pip, mais Anagret lui promet que le "Project" l'aidera sûrement à découvrir qui est vraiment son père...  D'abord méfiante et sceptique, Pip va progressivement se laisser tenter par l'aventure.

Un célèbre lanceur d'alerte psychologiquement instable

L'autre personnage clé du roman est assurément Andreas Wolf, un célèbre lanceur d'alerte. Né en Allemagne de l'Est dans les années 60, il est devenu hyper connu et riche après avoir révélé plusieurs affaires et créé une société de lanceurs d'alertes basée maintenant en Bolivie, appelée le "Sunlight Project". Le dissident qui veut "répandre la vérité" au monde entier a pourtant lui même un secret qu'il est prêt à tout pour garder. C'est un homme à femmes, séducteur et manipulateur, qui tient beaucoup à son image. On découvre au fil des pages une personnalité ambiguë : à la fois sûr de lui mais en même temps en recherche constante de reconnaissance, on se rend vite compte qu'il est perturbé psychologiquement : égocentrique, paranoïaque, en mal d'amour, légèrement schizophrène, il a aussi des tendances sociopathes.
Une partie du roman revient sur sa jeunesse en Allemagne, sur sa relation avec sa mère lorsqu'il était enfant et sur son histoire d'amour avec une femme bien plus jeune que lui.

Un couple de journalistes atypiques

Le reste des chapitres relatent les pensées de Tom Abberant, un journaliste d'investigation de Denver et de sa compagne, Leila, revenant sur leurs histoires d'amour passées assez compliquées, jusqu'à leur rencontre et leur complicité actuelle. Un long passage en particulier relate la jeunesse de Tom et son histoire avec son ex femme, Annabel, une femme fragile et tyrannique avec qui il entretint une relation toxique et dont il n'a plus de nouvelles depuis des années.

On découvre progressivement que les destins de tous ces personnages sont plus ou moins liés et que les actes de certains ont, ou peuvent encore, influencer la vie des autres.

Un roman à forte dimension psychologique

Les non-dits sont vraiment au coeur de l'intrigue de ce gros roman. Chaque personnage a un secret, une part d'ombre qui influe malgré eux sur leur vie sociale, voire sur la société.

Ce livre contient aussi de nombreuses déambulations psychologiques. La personnalité d'Andreas est particulièrement intéressante : tourmenté par son passé, il essaie de cacher tant bien que mal une part d'ombre et de violence qui est en lui mais qui resurgit tout de même par moment. Cela va l'amener à développer une sorte schizophrénie, le forçant à jongler avec ses deux personnalités, l'une voulant faire le "bien", l'autre attirée par le "mal".

La complexité des relations avec la mère revient pour plusieurs personnages tout comme la difficulté d'entretenir de bonnes relations de couple. Le rapport au passé, à l'Histoire est également très présent de même que la notion de culpabilité individuelle et collective. Dans l'ensemble, on peut dire que Purity est un bon livre de psychanalyse !

Un roman fleuve très dense avec quelques longueurs

J'ai eu un peu de mal à rentrer dans l'histoire car l'intrigue met, il faut bien l'avouer, une bonne centaine de pages à se mettre vraiment en place et encore une centaine supplémentaires pour devenir vraiment intéressante. On sent bien sûr qu'il plane une part de mystère sur cette jeune femme au drôle de prénom qui garde ses distances avec sa mère loufoque et ignore tout de son géniteur.
Certains passages suscitent plus d'intérêt que d'autres, notamment ceux concernant la jeunesse d'Andreas à Berlin et on devine rapidement que ce personnage ambigu cache lui aussi des secrets.
Par contre, je me suis vraiment lassée durant le (trop) long passage relatant la liaison toxique de Tom avec la fragile et tourmentée Anabel.

Certains chapitres sont écrits à la première personne, par exemple quand c'est Tom qui raconte sa jeunesse. D'autres sont écrits d'un point de vue omniscient. Certains chapitres m'ont semblé vraiment trop longs, trop descriptifs par rapport à d'autres. L'auteur rentre vraiment dans la psychologie des personnages, essayant de faire apparaître leurs failles.

Purity est aussi une sorte de roman d'apprentissage qui suit l'évolution des personnages, en particulier celui de Pip qui tente de se faire une place dans la société tout en cherchant le secret de ses origines.
Enfin, c'est roman qui montre les contradictions de nos sociétés en regard des contradictions personnelles des protagonistes. Le récit fait ressortir de nombreuses oppositions à travers les thématiques abordées. S'opposent ainsi le régime communiste de l'Allemagne de l'Est des années 80 avec la société capitalisme américaine actuelle, le travail de recherche et d'enquête du journaliste d'investigation face aux lanceurs d'alertes tapis dans l'ombre, le souhait de transparence  de nos sociétés actuelles face à la culture du secret, etc. 

L'auteur de Freedom livre ici un nouveau roman fleuve intéressant, riche et bien construit sur notre société, apportant une réflexion sur l'ère d'Internet qui permet d'avoir accès à tout tout de suite. Jonathan Franzen use d'une écriture à la fois fluide et soutenue, apportant de nombreuses réflexions philosophiques et psychologiques comme l'illustre les quelques citations retenues ci-dessous.

Cependant, le roman aurait pu facilement faire cent voir deux-cents pages de moins et j'avoue avoir vraiment dû m'accrocher par moment pour ne pas abandonner sa lecture. Le dénouement vaut toutefois la peine de persister mais les trente dernières pages tirent là encore un peu en longueur.



Quelques citations pour se faire une idée du style :

Andreas 

"Il chercha dans sa mémoire un seul être humain qu'il aurait traité autrement que comme un instrument. Il ne pouvait pas compter ses parents - son enfance n'était qu'un sac de noeuds qui dépassait l'entendement [...] C'était très bizarre : il traversait la vie en aimant qui il était, se savourant lui même, satisfait de ses capacités et de sa légèreté, et il avait suffi qu'un vendeur dans un magasin prononce un mot au hasard pour qu'il se considère objectivement et se déteste." p 175

"[...] il lui paru nécessaire à tous les deux de se serrer dans les bras, et quelle étrange étreinte ce fut, quelle transaction malsaine. Elle, qui était incapable d'aimer vraiment, fit semblant de l'aimer tandis que lui, qui l'aimait vraiment, exploitait son amour feint. Il se réfugia dans la chambre forte de son esprit où son amour plus pur pour Annagret était enfermé." p 214

"Je suis sérieux. Je ne me suis jamais senti aussi déstabilisé de ma vie. Tu m'affaiblis, d'une manière positive. Je suis censé être le grand diseur de vérité et tu ne cesses de me rabaisser. Je déteste ça, mais j'aime ça. Je t'aime." p 384

Son besoin d'être rassuré était sans limites. Il était si immergé et impliqué dans Internet, si empêtré dans le totalitarisme de ce réseau, que son existence en ligne commençait à sembler plus réelle que sa personne physique. Les yeux du monde, ceux de ses partisans, même, n'avaient pas d'importance en soi dans le monde physique. Qui s'intéressait aux pensées intimes de tel ou tel à son sujet? Les pensées intimes n'étaient pas accessibles, disséminables et lisibles comme l'étaient les données informatiques. p 652

Pip

"[...] Je commence à me dire que le paradis n'est pas la satisfaction éternelle. Il y aurait plutôt quelque chose d'éternel dans le sentiment de satisfaction. La vie éternelle n'existe pas, on n'outrepassera jamais le temps, mais on peut malgré tout lui échapper si on est satisfait, parce qu'à ce moment là, le temps n'a plus d'importance." p 344

"Le soleil était devenu agressif. Pip s'écroula sur le côté, comme poussée par la force de la chaleur de l'astre ; la tête lui tournait. Elle avait l'impression que pendant un moment, on lui avait ouvert le crâne et remué vigoureusement le cerveau avec une cuiller en bois. Elle était encore loin de se soumettre à lui, de le laisser faire d'elle ce qu'il voulait, mais pendant un moment, il était entré assez profondément dans sa tête pour qu'elle sente comment cela pourrait se produire[..] Pendant un moment, un effroyable fossé s'était ouvert en Pip. D'un coté, son bon sens et son scepticisme. De l'autre, une sensibilité aiguë de tout son corps, d'une catégorie différente de tout ce qu'elle avait connu jusque là. " p 350

Tom

"Nous étions entrés dans la phase sordide de l'entretien de notre addiction, même pas une particule de plaisir le matin, rien que le sentiment malsain des problèmes irrésolus de la veille." p 544