vendredi 17 janvier 2014

Dans la tête de Ben Stiller

Après les films d'auteurs asiatiques aux sujets plutôt graves, un peu de légèreté avec une comédie américaine de et avec Ben Stiller. La vie rêvée de Walter Mitty est une sorte de conte moderne, une comédie d'aventure avec un petit coté burlesque. Loin d'être un grand film, The secret Life of Walter Mitty (titre original qui est quand même bien trouvé vu l'endroit où travail le héros !) est toutefois un bon divertissement.


L'histoire : Walter Mitty est chef du service des négatifs du célèbre magazine de photos Life. Il a une vie assez monotone, rêve de sortir avec sa nouvelle collègue de la comptabilité mais n'ose pas trop l'aborder. Du coup, il s'imagine plein d'aventures extraordinaires dans lesquels il est une sorte de super héros irrésistible aux yeux des femmes. Et lorsqu'il s'inscrit sur un site de rencontres, le manager du site le contacte pour lui demander de compléter son profil, notamment les lieux où il a été car celui-ci est vide. Il ne peut que répondre Phoenix, ce qui traduit le vide dans son existence.


Le jour où le célèbre magazine est racheté pour passer en version online, c'est la révolution au sein de la rédaction. Un célèbre photographe a envoyé à Walter LA photo à mettre en Une du dernier numéro, mais, manque de pot, ce dernier n'arrive pas à mettre la main dessus ! S'il ne veut pas être viré, et surtout par conscience professionnelle, il doit absolument la retrouver. Lorsqu'il apprend que le photographe qui a pris ce fameux cliché est au bout du monde, il prend son courage à deux mains et saute dans le premier avion pour ... le Groenland. S'en suit tout une série de péripéties à la recherche du célèbre photographe qui semble se déplacer plus vite que son ombre.

Bande-annonce :

C'est une comédie douce-amère et, si je n'ai pas vraiment rit pendant le film, (les ficelles sont tellement grosses), on sourit souvent. Le scénario est prévisible, on est rarement surpris. Ce film a un grand coté naïf, on peut le prendre comme un joli conte ou alors trouver cela carrément niais.  



Toutefois, le jeu d'acteur de Ben Stiller en mec perdu dans sa vie vaut le détour. De plus, on est ébloui par les superbes paysages du grand Nord, les scènes du film que j'ai préféré se passent d'ailleurs lors de son voyage groenlandais - islandais où il fait des rencontres étonnantes. 
Ce périple aura pour effet de le désinhiber, de lui donner le goût de l'aventure, et surtout d'avoir confiance en lui. Une sorte de voyage initiatique en quelque sorte.


En terme de réalisation, les scènes qui se passent dans la tête de Walter se succèdent aux scènes réelles. On a droit à plusieurs parenthèses de ce genre, surtout au début de ce film. Si l'idée est bonne, Ben Stiller exploite un peu trop cette idée pour en faire une sorte de clip de super héros à l'intérieur de son film.

Par ailleurs, il a le mérite de mettre en évidence une réalité sociale dans le milieu de la presse écrite ces dix dernières années : la chute des ventes, le passage au numérique, les restructurations, licenciements etc. La fin d'un monde en quelque sorte. Face à ce monde où tout va trop vite, il subsiste quand même quelques repères, comme ce photographe, Sean, (interprété par Sean Penn) réfractaire à toute évolution technologique, qui accorde un rôle primordial à la dimension humaine du métier de photographe.


Dans l'ensemble, on passe quand même un bon moment dans cette vie rêvée de Walter Mitty, notamment grâce aux belles images, à l'interprétation de Ben Stiller et au bon rythme du film. De plus, la bande-son est plutôt sympa avec des titres de José Gonzales, Junip, David Bowie, etc.

mercredi 8 janvier 2014

Emouvant film japonais sur le thème de la filiation

Tel père tel fils est un beau film japonais à la fois tendre et subtil de Hirokazu Kore-Eda qui aborde la cellule familiale, plus précisément la filiation et les relations père - fils. C'est le neuvième film de ce réalisateur que je ne connaissais pas jusque là, et le quatrième qui aborde le thème de l'enfance.

L'histoire : Ryoata est un architecte plutôt aisé et ambitieux qui vit tranquillement avec sa femme et son fils de six ans, Keita.  Il souhaite d'ailleurs que celui-ci s'affirme davantage et devienne brillant dans tout ce qu'il fait, comme lui. Aussi, il est très important qu'il fasse ses 15 minutes de piano tous les jours s'il veut devenir un grand pianiste ! Toutefois, il est assez distant avec lui et c'est surtout sa femme qui s'en occupe et lui apporte de la tendresse. 


Mais cette vie bien rangée bascule le jour où l’hôpital dans lequel est né Keita les convoque pour leur apprendre que leur fils a été échangé à la naissance avec un autre bébé. 
Viennent alors la culpabilité et les phrases blessantes : "Pourquoi n'ai-je rien vu, je suis sa mère quand même" et ce "Tout s'explique donc..." du père qui voit dans cette annonce une explication au fait que son fils ne lui ressemble pas, qu'il n'est pas aussi brillant que lui.

Bande-annonce :

Le couple décide alors de rencontrer son fils biologique et sa famille, d'origine plus modeste : le papa est un petit commerçant et la maman une serveuse dans un snack. Les parents de Keita les prennent d'ailleurs de haut. Or, si ce sont des gens beaucoup plus simples et décontractés, ils sont aussi beaucoup plus proches de leurs enfants. En effet, le papa passe beaucoup de temps à jouer avec eux, leur donne le bain, les couche etc.


C'est la rencontre de deux familles que tout oppose, deux classes sociales, deux pères totalement différents, l'un très présent, l'autre quasi absent, tous deux marqués par leurs propres relations avec leurs parents.


Après quelques entrevues, les deux familles décident d'échanger leurs enfants le temps d'un week-end afin de faire la connaissance de cet enfant biologique, avant d'envisager ensuite un échange permanent, quitte à gommer six années de vie passées avec celui qu'ils considéraient jusqu'à peu comme leur véritable enfant.
Se posent alors les questions de la filiation : faut-il prendre en compte les liens du sang plutôt que les liens affectifs ? Peut-on se séparer de celui que l'on a élevé pendant six ans ? Qu'est-ce-qui fait qu'on est véritablement un parent ?

C'est un beau film réalisé avec beaucoup de pudeur. La plupart des scènes sont très belles, souvent touchantes, toujours subtiles et délicates, et révèlent la fragilité de chaque personnage. Pas de grandes effusions ni de dialogue à rallonge ici, beaucoup de sentiments sont suggérés et c'est cela qui fait la beauté du film. De plus, les petits acteurs jouent très bien et sont vraiment émouvants.


Comme souvent, après avoir lu des critiques dithyrambiques sur un film, j'avoue avoir été quelque peu déçue, probablement par l'aspect assez contemplatif de certaines scènes. Mais en fin de compte, c'est dans ces non-dits, ces pensées suggérées et ces moments de silence que se fait toute la force de ce film.

Autre intérêt de ce long-métrage : une immersion dans les traditions et mode de vie japonais, très sobres, sans épanchement, dont se dégage une certaine philosophie de la vie fort différente de ce qu'on retrouve généralement dans les films américains et occidentaux.

Le film a reçu le Prix du Jury au festival de Cannes 2013 et a tellement plu à Spielberg qu'il en a racheté les droits... pour en faire un remake américain !

Tel père tel fils / film réalisé par Hirokazu Koreeda avec Masaharu Fukuyama, Machiko Ono, Lily Franky. Sorti le 25 décembre 2013

samedi 4 janvier 2014

China Western ou les photos mélancoliques d'un photographe engagé

Voici trois bonnes raisons d'aller voir la belle expo photo de Carlos Spottorno à La Chambre : C'est une petite exposition dont on fait vite le tour mais qui nous fait voyager, c'est gratuit et très intéressant.
J'ai ainsi découvert Carlos Spottorno, un photographe franco-espagnol, publicitaire de métier, qui aime témoigner par l'image du développement exponentiel de certaines régions du monde et du déclin des continents.
De plus, grâce à cette exposition, je sais maintenant où se trouve la province de Winjiang en Chine. En effet, le photographe s'est rendu dans cette région tout à l'ouest de la Chine, limitrophe à la Mongolie, la Russie, le Kazakhstan et plusieurs autres pays d'Asie comme on peut le voir sur cette carte, en orange.  


Un peu de géographie... pour mieux comprendre les photos.

C'est une des cinq provinces autonomes de la Chine, la plus grande, et elle a un statut particulier tout comme la Mongolie ou le Tibet. D'ailleurs les habitants autochtones de cette province, les Ouïghurs, réclament leur indépendance auprès de la Chine, ce qui a donné lieu à des tensions avec la grande puissance. Cette région est très prisée en raison de ces nombreuses richesses et cela ne va pas sans modifier les paysages et les traditions de la province. C'est en quelque sorte le nouvel Eldorado chinois. C'est ce que veut démontrer et dénoncer le photographe avec cette exposition appelée China Western.

Ses photos, très belles, montrent une province en pleine évolution, partagée entre tradition et industrialisation, culture communiste et religion musulmane, paysages désertiques et urbanisation. Il fait aussi le portrait de ses habitants, les Ouïghurs, qui tentent de préserver leur culture face à celle, grandissante, de l’ethnie Han, majoritaire en Chine.

Un photographe témoin de l'industrialisation

Par exemple, au premier plan de cette photo se trouve un temple ancien, un décor naturel assez bucolique alors qu'au second plan on aperçoit une grande roue et des immeubles assez laids. Un étonnant contraste entre tradition et modernité devant lequel avance un jeune Ouïghur. Il ressort de cette photo une grande mélancolie.

photo de Carlos Spottorno

Une autre photo montre le même contraste entre des bâtiments délabrés, notamment une mosquée, accolés à des bâtiments plus modernes, et devant lesquels passe un homme à bicyclette. La ville moderne ronge la ville traditionnelle.... 

Plusieurs clichés montrent d'ailleurs le développement de l'industrie, comme celui-ci, où le cycliste semble minuscule face à l'immensité du mur et de l'usine derrière lui.


photo de Carlos Spottorno

Une photo vraiment étonnante est celle montrant cette statue de dinosaure dans un parc enneigé devant une belle mosquée : une photo magnifique, lumineuse, avec de beaux contrastes de couleurs et de lumières, à la fois étrange et poétique. Un contraste entre culture traditionnelle musulmane et imaginaire cinématographique américain.

photo de Carlos Spottorno

L'exposition mérite son nom Western China, certaines photos montrant des paysages de far-west, abandonnés, désertiques, vides. Comme la photo de ce petit garçon dans un parc devant des sortes de champignons en béton.

photo de Carlos Spottorno

Cette région regorge de richesses en pétrole et en gaz et est convoitée par les pays aux alentours. C'est aussi dans cette province que se trouve un des plus grands déserts du monde, le désert de Takamaklan. Et un autre désert, le plus inaccessible au monde. Le photographe a pris des vue de gazoducs et puits de pétrole au milieu du désert.

photo de Carlos Spottorno

Une autre photo montre un tractopelle creusant dans le désert, dégageant une puissante fumée noire. L'industrie s'installe au milieu du néant.
Ou encore ce cliché montrant des caravanes qui semblent abandonnées au milieu du désert. Ce sont en fait les logements des ouvriers du gazoduc le plus proche. Là aussi la lumière est très belle, les couleurs pâles dégagent une atmosphère triste, comme figée.

photo de Carlos Spottorno

Un témoin des clivages culturels 

D'autres photos témoignent d'un clivage idéologique. Les habitants de la province de Xinjiang pratiquent pour la plupart la religion musulmane, contrairement aux autres provinces de la Chine. 
J'ai beaucoup aimé cette photo montrant quatre hommes habillés en noir en face d'un ensemble de drapeaux. Ils sont en fait en train de se recueillir devant une tombe. Cette image dégage de beaux contrastes entre la couleur du désert au premier plan, le ciel bleu, les hommes en noir et les couleurs des cerfs-volants...

photo de Carlos Spottorno

Une autre photo que je n'ai pas retrouvée sur Internet montre un homme en train de prier, tournant le dos à une immense statue de Mao. Un contraste étonnant entre l'idéologie communiste qui s'oppose fermement aux religions et la religion musulmane pratiquée les Ouïghur. Ou comment un peuple doit s'adapter entre sa culture religieuse et l'idéologie de son pays.

On trouve aussi une série de portraits d'hommes Ouïghur. Mais aucune femme...

photo de Carlos Spottorno

Et pour finir l'exposition, un livre permet de voir l'ensemble des photos prises lors de son séjour en province Winjiang, celle de l'exposition ne constituant en fait qu'un échantillon. On peut y voir beaucoup d'autres magnifiques clichés. A voir aussi sur le site du photographe

Et pour découvrir l'univers du photographe...

Sur son site, on peut voir d'autres séries de photos, comme par exemple celles de Escape from Libya prises en 2011 pendant le printemps arabe, montrant des camps de réfugiés en Lybie et les déplacements de populations. Ou encore la série The Pigs avec des photos de la crise en Espagne, au Portugal, en Italie et en Grèce. 
A voir aussi la série de clichés en noir et blanc nommée Indignados, pris pendant les manifestations des indignés à Madrid en mai 2011. Et la série de photos Golden Mile sur la démolition d'un très vieux quartier de Shangai pour en faire des logements de luxe. Des photos très tristes qui illustrent là aussi le choc de l'industrialisation sur les populations autochtones.

Bref, un photographe à la fois confirmé et prometteur !

Exposition China Western de Carlos Spottorno, à La Chambre, place d'Austerlitz, jusqu'au 2 février 2014