mercredi 30 septembre 2015

Fargo, une belle série sombre et prenante qui va vous faire frissonner !

Fargo est une belle série sombre et esthétique en 10 épisodes, adaptée du film des frères Coen du même nom (que je n'ai pas vu, soit dit en passant). Bien qu'au début de chaque épisode, la mention "Cette histoire est inspirée de faits réels" apparaît, il n'en est rien, comme l'explique cet article. Et heureusement d'ailleurs car ce serait vraiment tordu! En tout cas, c'est sûrement un moyen d'attirer davantage l'attention du téléspectateur. Les frères Coen sont producteurs exécutifs pour cette série réalisée par Noah Hawley.


L'histoire se passe en 2006 dans le Minnesota. Un tueur à gage d'apparence sympathique, calme et solitaire qui se fait appelé Lorne Malvo croise par hasard un certain Lester lors d'un passage à l’hôpital. Ce dernier est un timide employé d'assurance mal dans sa peau, victime de harcèlement et de violence gratuite. A l'issue d'une brève conversation avec Malvo, sa vie va complètement changer.

Lester et Lorne Malvo

Le tueur poursuit ensuite sa route semant des cadavres sur son passage. Se cachant à peine, rusé, discret, manipulateur, il est déterminé et n'a peur de rien ni de personne. Au fur et à mesure des épisode,  il devient de plus en plus un psychopathe que rien ne semble pouvoir arrêter !

Trailer saison 1 en français :


Fargo, saison 1 :

La shérif adjointe Molly de la police de Duluth enquête sur ces morts violentes qui ont lieu soudainement dans sa petite ville habituellement calme et tout l'amène à s'interroger sur le discret Lester que tout le monde considère comme inoffensif. Face aux réticences de son nouveau supérieur, elle devra se montrer persuasive et déterminée pour faire valoir ses opinions. Dans le cadre de son enquête, elle va se rapprocher d'un jeune officier de police d'une ville voisine, qui détient lui aussi des informations sur le fameux tueur psychopathe. Quel est le lien entre ce tueur sans scrupule et le discret agent d'assurance? Quelles sont les motivations du tueur? Obéit-il a des ordres ou a des pulsions?

le shérif adjoint Molly

C'est l'hiver, il neige, il fait froid à l'image de l'ambiance générale de la série et de la personnalité du tueur Lorne Malvo. La série est très bien réalisée et on observe souvent de magnifiques plans larges sur la ville ou la nature ou serrés sur les personnages. Le réalisateur s'est aussi essayé à quelques "fondus" et autres effets cinématographiques pour un rendu très esthétique. A noter étalement une petite touche de poésie, d'humour noir, quelques ellipses et une part d'imaginaire. (Par exemple, on aperçoit à quelques reprises un loup qui surgit subitement comme annonciateur d'un événement important. D'où vient t'il ? que signifie t'il ? au spectateur de s'en faire sa propre idée.)


La série a un bon rythme, les scènes se succèdent plutôt rapidement et de manière équilibrée, mettant les différents personnages de façon équitable, nous éloignant quelques fois du coeur de l'intrigue pour mieux y revenir ensuite. Chaque épisode est prenant, les dialogues sont intelligents sans être pompeux comme c'était le cas trop souvent dans True Détective à mon goût.
En suivant la route du tueur, on découvre plusieurs personnages secondaires, généralement ses victimes. A un moment il va être amené à croiser la route de la mafia locale, appelée Fargo... ce qui donne finalement le nom à la série !

Lorne Malvo

Seul bémol concernant un épisode qui fait un saut dans le temps en présentant les personnages "un an après" mais où l'on a plutôt l'impression que 5 à 10 années se sont passées... Malgré ces quelques incohérences et ce saut dans le futur rapide et mal maîtrisé, on est vite captivé par les nouveaux rebondissements.

Mais Fargo ne serait pas ce qu'elle est sans le formidable jeu des acteurs. Martin Freeman (déjà connu pour son rôle de Bilbot le Hobbit) joue ici un employé soumis et réservé qui, après avoir accompli un acte dramatique, va changer progressivement de personnalité au point de devenir une autre personne. Comme si le mal qui sommeillait en lui avait besoin d'être réveillé...

Lester

Superbe interprétation aussi de Billy Bob Thornston qui joue parfaitement le psychopathe Lorne Malvo, calme, froid, déterminé, non dénué d'un certain humour noir.
Ensuite Colin Hanks (le fils de Tom Hanks!) déjà repéré dans Mad Men et Dexter interprète ici un flic de province un peu paumé mais très consciencieux et Fargo permet surtout de découvrir les talents de l'actrice Allison Tolman qui interprète la policière héroïne du film avec beaucoup de justesse et de sobriété.

Il parait qu'un épisode présentant un flash back se passant en 1987 fait clairement référence à la fin du film Fargo des frères Coen, présentant ainsi la série comme une sorte de suite au film culte.

Dans l'ensemble je trouve que c'est vraiment une bonne série,  captivante, bien réalisée et superbement interprétée.

Fargo / série américaine créée par Noah Hawley, produite par Ethan et Joel Coen, avec Billy Bob Thornston, Martin Freeman, Colin Hanks, Allison Tolman, etc.
(10 épisodes de 52 min.), 2014


Fargo, saison 2

Dans la saison 2, même décor : l'action se passe entre le Minnesota et le nord Dakota, région dans laquelle il fait toujours aussi froid. Par contre, on est 30 ans avant les événements de la saison 1, en 1979 plus précisément, au moment où le gouverneur Reagan est en pleine campagne pour les élections présidentielles. On retrouve ainsi d'autres personnages,  puisqu'on suit les aventures du père de Molly (l'inspectrice de la saison 1) alors qu'il est un jeune père de famille avec une épouse malade et une petite fille de 6 ans  (Molly). Il travaille avec son beau père, lui aussi shérif.



L'histoire :

Tout commence par une tuerie qui a lieu dans un diner isolé, meurtres perpétrés par un bandit un peu benêt. Ce dernier va croiser la route d'un jeune couple de la ville d'à coté, Peggy, une jolie coiffeuse peu épanouie dans son couple qui rêve de s'accomplir personnellement et professionnellement (interprétée majestueusement par Kristen Dunst) et son mari, Ed, le boucher du village qui lui espère mener une vie de famille paisible. Et c'est de là que part toute l'histoire. Car le jeune couple, au lieu de prévenir la police, va réagir de manière totalement inattendue.

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Peggy et Ed

Or, ils ignorent que ce criminel fait partie de la famille Gerardt, un célèbre clan qui vit de magouilles et petits crimes dans la région, prêt à tout pour sauver l'honneur de la famille. Et lorsque les Gerardt se mettent à la recherche du jeune frère disparu, en envoyant notamment leu fidèle homme de main, un indien, ils sèmeront pagaille et cadavres sur leur route.

Les Gerardt (la mère et un fils) 

En parallèle, une mafia concurrente souhaite racheter les affaires des Gerardt et une guerre des gangs se prépare... S'ajoute à cela les luttes de pouvoirs internes à chaque clan... C'est au milieu de ce chaos que les deux inspecteurs de la police tenteront d'arrêter les tueurs et de sauver des vies innocentes.

trailer :

J'ai trouvé cette saison 2 encore plus réussie que la première. La réalisation est parfaitement soignée, les acteurs impeccables, l'ambiance glaçante à souhait, les rebondissements multiples...
On y trouve de longs plans sur de magnifiques paysages enneigés, des prises de vue d'"en haut" comme pour donner une autre dimension à ce qui se passe, la juxtaposition de plans sur le même écran, montrant ainsi l'action des différents personnages au même moment, une narration aux allures de contes...


Alors oui, il y a beaucoup de fusillades et de sang dans cette saison, à l'image d'un chaos grandissant. Mais on y trouve aussi pas mal de discussions philosophiques, notamment par l'intermédiaire de Peggy qui veut "être la meilleure Peggy possible" et se pose de nombreuses questions sur "comment exister vraiment".
Vers la fin, plusieurs épisodes abordent la même scène mais vue selon différents angles, différents points de vue. Et, lors des dernières scènes d'action, les réalisateurs se sont fait plaisir avec quelques effets de style, comme des arrêts sur image. Mais sans en faire trop, juste suffisamment pour que l'ensemble reste parfaitement esthétique.
Les épisodes sont aussi truffés de références, que ce soit à la politique de Reagan ou à d'autres films.
Par contre, j'ai été assez perplexe par un passage d'un épisode vers la fin qui parait totalement surréaliste ! (mais je n'en dit pas plus!)

Hanzee l'homme de main de Gerardt

Bref, cette saison 2 est superbe, pleine de rebondissements, de surprises avec des personnages hauts en couleur. La musique a également une place de choix dans cette saison 2 puisqu'elle est alternativement sombre, comique, entêtante voire planante et colle parfaitement à la réalisation et contribue beaucoup à l'ambiance sombre de cette série.

Fargo, saison 2 (10 épisodes) / Série américaine créée par Noah Hawley, produite par Joe et Ethan Coen, avec Patrick Wilson, Ted Danson, Kristen Dunts, Jessy Plemons, Rachel Keller, etc. 
Série disponible sur Netflix.






vendredi 11 septembre 2015

Dans les décombres d'Haiti, reste l'espoir... Encore un très beau roman de Laurent Gaudé

Danser les ombres

Je vous avais déjà parlé ici d'un auteur français que j'aime beaucoup qui s'appelle Laurent Gaudé. J'avais adoré ses romans Le soleil des Scorta et Ouragan, récit très touchant sur les survivants de l'ouragan Katrina. Cet auteur aime décrire des pays et peuples méconnus et dépeint avec beaucoup de pudeur et d'humanité les déboires d'une population victime d'un drame ou d'une catastrophe.
Dans son nouveau roman Danser les ombres, c'est Haïti qui est à l'honneur. Comme dans Ouragan, l'auteur rend un vibrant hommage aux victimes de cette catastrophe naturelle dans un roman profondément touchant et humaniste.


Est raconté ici le quotidien de plusieurs personnages qui vont se croiser dans la capitale d'Haiti. Il y a Lucine, jeune fille partie pour Jacmel il y a quelques années pour protéger sa soeur fragile et les deux jeunes enfants de celle-ci, qui revient à la capitale pour annoncer le décès de sa soeur adorée au père d'un des enfants. Elle redécouvre l'effervescence de la capitale, les lieux de son enfance, la vie qu'elle a dû fuir.
Il y a Lily, une fillette blanche de bonne famille originaire de Miami, qui,  gravement malade, a voulu revoir Haiti avant de mourir.
Et Saul, le fils "bâtard" d'une riche propriétaire, Dame Viviane, femme rigide au coeur tendre, dont la jeune soeur Emeline, étudiante et militante du droit des femmes a été cruellement assassinée. Il y a la calme et discrète Dame Petite, la gouvernante de Viviane, toute dévouée à cette famille.
On suit aussi le quotidien de Firmin, chauffeur de taxi solitaire la journée, amateur de combats de coq le soir. Mais qui cache aussi un terrible passé.
De vieux amis qui se retrouvent régulièrement "chez Fessou", un ancien bordel (appelé auparavant Fessou Verte !) devenu maintenant café, pour parler de leur souvenirs, jouer aux cartes, parler de politique. En ce lieu atypique se croisent le vieux Tess, maître des lieux, le facteur Sénèque, Jasmin, Domitien, et de jeunes élèves infirmières Ti Sourire et Lagrace....
Tous rêvent de rencontres, d'échanges, de projets à concrétiser. Bref, d'un avenir meilleur. Leur vie semble à la fois simple et paisible, mais voilà qu'un jour, la terre tremble. Deux fois et très fort. Et la vie de tous bascule.
"Hommes, ce qui est sous vos pieds vit, se réveille, se tord, souffre peut-être ou s'ébroue. La terre tremble d'un long silence retenu, d'un cri jamais poussé."( p 129)

C'est alors que commence la vie dans le chaos. Les premiers secours qui s'organisent un peu à la va-vite, l'entre-aide, la survie, la recherche de survivants. L'espoir, l'attente...

"Demain n'a pas de visage. Demain dont on ne sait pas comment faire pour qu'il ne vous affame pas, demain méchant, violent, qui vous tient éveillé la nuit est là [...]" (p. 185)

Laurent Gaudé raconte Haïti à travers le vaudou, qui occupe une part très importante dans la culture haïtienne, en faisant par exemple allusion à l'esprit Ravage annonciateur de catastrophe. Ainsi, au début du roman, un esprit revenu de l'au-delà vient terroriser les habitants de Jacmel. C'est comme un signe annonciateur d'une catastrophe à venir. 

"Lucine vit ses deux yeux noirs comme des éclats de quartz et elle sut qu'elle avait devant elle l'esprit Ravage, celui qui renverse la vie des hommes, écroule les existences, celui qui casse les vies et fait pleurer les femmes."( p 15)

Tout au long du roman, et surtout vers la fin, les esprits des morts sont très présents, tellement présents qu'à la fin on ne sait plus qui est mort et qui est vivant. Après la catastrophe, au cours d'une longue procession, les vivants vont tenter de semer les morts, les ombres, pour qu'ils retournent dans les entrailles de la terre qui viennent de s'ouvrir.

"Adieu les ombres, il faut laisser partir tout ce qui est mort, tout ce qui a été éventré, retourné, ces vies englouties que l'on a aimées" [...] (p 241)

Laurent Gaudé raconte Haiti à travers les souvenirs d'une histoire dramatique, avec notamment la dictature des Duvalier père et fils, encore très présente dans les esprits.

"Toutes ces années de combats, des Duvalier père et fils à Aristide, jusqu'à l'opération Bagdad, toutes ces années où il a fallut s'arc-bouter contre la tyrannie et l'ignorance et tout cela pour quoi?.. Pour arriver à ce jour? ... Les efforts lents d'un peuple vers la liberté, un peuple qui se secoue le dos pour faire tomber les sangsues du pouvoir, qui se bat pour que ses fils fassent des études et vivent mieux que ses aînés [...]" (p 167-168)

C'est un magnifique roman, beau, émouvant, à la fois triste et plein d'espoir, qui montre que la force d'un peuple se trouve dans la bonté humaine, dans la capacité à se relever après chaque traumatisme, à vouloir reconstruire, aller de l'avant.

Vous l'aurez compris, c'est un très beau roman et Laurent Gaudé me passionne toujours autant par son écriture à la fois simple, fluide mais tellement belle et poétique et pleine d'humanité.

Quelques citations supplémentaires :

"Dans une société de la survie permanente et de l'exploitation éhontée, la recherche du bonheur est un acte politique" (Emeline) p. 63

Il la regarde, Lucine, et sur son visage à elle aussi, il y a la profondeur de la défaite, mais des yeux joyeux encore. Elle porte la tête droite. Les épreuves de la vie l'ont forcée, l'ont enlevée à l'existence qu'elle avait espérée, mais elles ne lui on pas fait baisser les yeux. p 73

Saul à Lucine : "Et toi, te lasseras-tu de mes jours boiteux, des insultes que je me lance à moi-même? Non je les traverserai avec toi." p 113