vendredi 11 septembre 2015

Dans les décombres d'Haiti, reste l'espoir... Encore un très beau roman de Laurent Gaudé

Danser les ombres

Je vous avais déjà parlé ici d'un auteur français que j'aime beaucoup qui s'appelle Laurent Gaudé. J'avais adoré ses romans Le soleil des Scorta et Ouragan, récit très touchant sur les survivants de l'ouragan Katrina. Cet auteur aime décrire des pays et peuples méconnus et dépeint avec beaucoup de pudeur et d'humanité les déboires d'une population victime d'un drame ou d'une catastrophe.
Dans son nouveau roman Danser les ombres, c'est Haïti qui est à l'honneur. Comme dans Ouragan, l'auteur rend un vibrant hommage aux victimes de cette catastrophe naturelle dans un roman profondément touchant et humaniste.


Est raconté ici le quotidien de plusieurs personnages qui vont se croiser dans la capitale d'Haiti. Il y a Lucine, jeune fille partie pour Jacmel il y a quelques années pour protéger sa soeur fragile et les deux jeunes enfants de celle-ci, qui revient à la capitale pour annoncer le décès de sa soeur adorée au père d'un des enfants. Elle redécouvre l'effervescence de la capitale, les lieux de son enfance, la vie qu'elle a dû fuir.
Il y a Lily, une fillette blanche de bonne famille originaire de Miami, qui,  gravement malade, a voulu revoir Haiti avant de mourir.
Et Saul, le fils "bâtard" d'une riche propriétaire, Dame Viviane, femme rigide au coeur tendre, dont la jeune soeur Emeline, étudiante et militante du droit des femmes a été cruellement assassinée. Il y a la calme et discrète Dame Petite, la gouvernante de Viviane, toute dévouée à cette famille.
On suit aussi le quotidien de Firmin, chauffeur de taxi solitaire la journée, amateur de combats de coq le soir. Mais qui cache aussi un terrible passé.
De vieux amis qui se retrouvent régulièrement "chez Fessou", un ancien bordel (appelé auparavant Fessou Verte !) devenu maintenant café, pour parler de leur souvenirs, jouer aux cartes, parler de politique. En ce lieu atypique se croisent le vieux Tess, maître des lieux, le facteur Sénèque, Jasmin, Domitien, et de jeunes élèves infirmières Ti Sourire et Lagrace....
Tous rêvent de rencontres, d'échanges, de projets à concrétiser. Bref, d'un avenir meilleur. Leur vie semble à la fois simple et paisible, mais voilà qu'un jour, la terre tremble. Deux fois et très fort. Et la vie de tous bascule.
"Hommes, ce qui est sous vos pieds vit, se réveille, se tord, souffre peut-être ou s'ébroue. La terre tremble d'un long silence retenu, d'un cri jamais poussé."( p 129)

C'est alors que commence la vie dans le chaos. Les premiers secours qui s'organisent un peu à la va-vite, l'entre-aide, la survie, la recherche de survivants. L'espoir, l'attente...

"Demain n'a pas de visage. Demain dont on ne sait pas comment faire pour qu'il ne vous affame pas, demain méchant, violent, qui vous tient éveillé la nuit est là [...]" (p. 185)

Laurent Gaudé raconte Haïti à travers le vaudou, qui occupe une part très importante dans la culture haïtienne, en faisant par exemple allusion à l'esprit Ravage annonciateur de catastrophe. Ainsi, au début du roman, un esprit revenu de l'au-delà vient terroriser les habitants de Jacmel. C'est comme un signe annonciateur d'une catastrophe à venir. 

"Lucine vit ses deux yeux noirs comme des éclats de quartz et elle sut qu'elle avait devant elle l'esprit Ravage, celui qui renverse la vie des hommes, écroule les existences, celui qui casse les vies et fait pleurer les femmes."( p 15)

Tout au long du roman, et surtout vers la fin, les esprits des morts sont très présents, tellement présents qu'à la fin on ne sait plus qui est mort et qui est vivant. Après la catastrophe, au cours d'une longue procession, les vivants vont tenter de semer les morts, les ombres, pour qu'ils retournent dans les entrailles de la terre qui viennent de s'ouvrir.

"Adieu les ombres, il faut laisser partir tout ce qui est mort, tout ce qui a été éventré, retourné, ces vies englouties que l'on a aimées" [...] (p 241)

Laurent Gaudé raconte Haiti à travers les souvenirs d'une histoire dramatique, avec notamment la dictature des Duvalier père et fils, encore très présente dans les esprits.

"Toutes ces années de combats, des Duvalier père et fils à Aristide, jusqu'à l'opération Bagdad, toutes ces années où il a fallut s'arc-bouter contre la tyrannie et l'ignorance et tout cela pour quoi?.. Pour arriver à ce jour? ... Les efforts lents d'un peuple vers la liberté, un peuple qui se secoue le dos pour faire tomber les sangsues du pouvoir, qui se bat pour que ses fils fassent des études et vivent mieux que ses aînés [...]" (p 167-168)

C'est un magnifique roman, beau, émouvant, à la fois triste et plein d'espoir, qui montre que la force d'un peuple se trouve dans la bonté humaine, dans la capacité à se relever après chaque traumatisme, à vouloir reconstruire, aller de l'avant.

Vous l'aurez compris, c'est un très beau roman et Laurent Gaudé me passionne toujours autant par son écriture à la fois simple, fluide mais tellement belle et poétique et pleine d'humanité.

Quelques citations supplémentaires :

"Dans une société de la survie permanente et de l'exploitation éhontée, la recherche du bonheur est un acte politique" (Emeline) p. 63

Il la regarde, Lucine, et sur son visage à elle aussi, il y a la profondeur de la défaite, mais des yeux joyeux encore. Elle porte la tête droite. Les épreuves de la vie l'ont forcée, l'ont enlevée à l'existence qu'elle avait espérée, mais elles ne lui on pas fait baisser les yeux. p 73

Saul à Lucine : "Et toi, te lasseras-tu de mes jours boiteux, des insultes que je me lance à moi-même? Non je les traverserai avec toi." p 113


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire