vendredi 15 juillet 2016

"Un goût de cannelle et d'espoir" : un double récit captivant qui nous plonge dans l'Allemagne nazie et l'Amérique contemporaine

Un goût de cannelle et d'espoir est un roman passionnant, entre fresque historique et roman contemporain, c'est un livre sur la guerre, sur la liberté, sur la vie. Les chapitres s'alternent en proposant un double récit : on suit d'un coté les aventures d'Elsie, une adolescente allemande qui vit en Bavière pendant la Seconde Guerre Mondiale et, en parallèle, on est projeté en 2007-2008, où on suit le récit de Reba, jeune journaliste américaine qui ne sait plus trop où elle en est dans sa vie, hantée par des souvenirs du passé, elle a du mal à aller vers l'avant.


Elsie sort à peine de l'enfance lorsque la guerre éclate. Jusque là, elle a vécu de manière plutôt passive la montée du nazisme, ses parents patriotes étant fiers d'appartenir à la "grande nation allemande" mais elle a toutefois refusé de participer aux Jeunesses hitlériennes, contrairement à sa sœur aînée, préférant aider son père à la boulangerie. Les Schmidt tiennent en effet une des meilleures boulangerie-pâtisserie de la ville qui continue de fonctionner au début de la guerre grâce à un accord passé avec les SS. Elsie grandit dans cet environnement sans trop se poser de questions. Elle est même demandée en mariage par un officier nazi qu'elle connait à peine, elle qui n'a que 16 ans. Mais, un jour, elle est témoin de la barbarie nazie et rencontre un petit garçon juif en fuite. Elle va devoir alors faire un choix : lui venir en aide ou lui claquer la porte au nez... 

Hazel, sa grande soeur, lui écrit régulièrement depuis le Lebensborn où elle est allée avec son petit garçon après la mort de son petit ami de 19 ans, Petter. Ce centre de naissance est en fait un endroit où les femmes de type aryens sont "utilisées" pour procréer avec des officiers afin de donner naissance à de parfaits bébés aryens, et d'en faire futurs petits soldats nazis. Les bébés sont dès leur naissance éduqués dans la culture nazie et les mères privées de quasiment tout contact avec eux, le régime nazi considérant que la mère de chaque enfant est avant tout "la Patrie"...
Les extraits de correspondances entre Elsie et sa soeur Hazel décrivent effroyablement bien le contexte nazi dans lequel elles grandissent. D'ailleurs, toutes leurs lettres se terminent par "Heil Hitler". Mais, au fur-et-à mesure de leur correspondance, leur patriotisme va s'étioler face aux injustices.

C'est un récit sur des destins brisés par la guerre, des familles éclatées, des personnages tiraillés entre leurs sentiments personnels, leur devoir patriotique et leur devoir moral ... Parmi les personnages : un officier nazi torturé par sa mauvaise conscience, une jeune allemande courageuse pleine de bon sens, une vieille dame peu commode qui n'est pas celle qu'on pense, un petit garçon juif humble et courageux, un autre garçon de 7 ans complètement embrigadé par l'idéologie nazie, des bourreaux, des victimes et beaucoup de gens tiraillés entre les deux... Chaque personnage semble au début plutôt indifférent au régime nazi jusqu'à ce qu'un proche soit directement menacé, blessé ou tué par les nazis. 
En toile de fond c'est le récit d'événements historiques, l'évolution de la guerre vue du coté allemand, le rationnement, la faim, les camps de concentration, puis l'arrivée des américains, considérés comme des sauveurs par certains, comme des envahisseurs pour d'autres... Un peuple divisé, une nation fracturée et blessée à l'issue de la guerre.

En parallèle, coté américain, Reba vit à El Paso près de la frontière mexicaine et entretient une relation incertaine avec Riki, garde frontière américain d'origine mexicaine. Ce dernier est tiraillé entre sa conscience professionnelle et ses sentiments personnels envers les immigrés clandestins, emprunt de compassion. Là aussi se pose la question du devoir d'obéissance et de la conscience morale... C'est un parallèle intéressant entre les deux histoires. Cet aspect est également abordé dans des références au passé du père de Reba...
Dans le cadre de son travail, cette dernière va interviewer une boulangère d'origine allemande. C'est alors qu'elle fait la connaissance de Jane et de sa mère Elsie, deux personnes très attachantes avec qui elle va se lier d'amitié et apprendre à s'épanouir.

J'ai davantage été happée par l'histoire d'Elsie que par les déambulations de Reba qui ne sait plus où elle en est dans sa vie personnelle. Cette fresque historique se lit d'une traite. On est tenu en haleine par l'intrigue, des personnages attachants et par le lien qu'on devine entre ces deux histoires dès le début. Et toujours, en toile de fond, cette bonne odeur de pâtisserie qu'on devine! (à la fin de livre on peut d'ailleurs lire les bonnes recettes des pains et pâtisseries qui nous font saliver durant la lecture !)
De plus, l'alternance des chapitres et l'écriture rythmée en font un roman captivant. Cela faisait d'ailleurs longtemps que je n'avais pas été plongée par un roman à ce point.

La construction du livre (alternance de deux histoires) ainsi que sa thématique (les destins brisés par la Seconde Guerre mondiale) rappelle beaucoup le beau livre d'Antony Doers Toute la lumière que nous ne pouvons voir lu il y a quelques mois, que j'avais adoré, dévoré et que je recommande.

Un goût de cannelle et d'espoir / Sarah McCoy . - Les escales, 2014

Quelques citations :

Extrait d'une conversation entre Reba et Elsie :
"-Vous étiez une nazie?
- J'étais allemande.
- Et donc, vous souteniez les nazis?
- J'étais allemande, répéta Elsie. Etre nazi est un positionnement politique, pas une ethnie. Le fait que je sois allemande ne fait pas de moi une nazie." p. 84

Extrait d'une lettre de Hazel à Elsie :
"Je n'ai pas ressenti autant de bonheur depuis des mois. Julius avait l'air de bien se porter. Il a dit qu'il aimait beaucoup ses cours et qu'il sait claquer ses talons comme il faut. Il est vraiment doué pour ça et rit en entenant le frottement du cuir. Ensuite il lève le bras et crie "Heil Hitler !" Je n'en reviens pas del a vitesse à laquelle il devient un petit soldat" P. 112.

Extraits d'une lettre de Hazel à Elsie :
       "Les médecins se font du souci pour le garçon. Même si je sais qu'il n'est pas à moi, mais est un            enfant de la patrie, je ne peux m'empêcher de vouloir le protéger" p 127

        "Lauréate de la croix d'argent l'année dernière pour sa grande fertilité, elle est une des favorites         de beaucoup d'officiers SS admirés. Elle a donné naissance à sept enfants parfaits et elle les                appelle par un numéro plutôt que par leur nom." p 127

       "Comme vous le savez, l'objectif de l'association est de produire de bons Allemands pour notre             nation. Je suis venue ici pour faire mon devoir et honorer à la fois notre famille et la mémoire de         Peter, et j'ai la conviction que j'ai apporté ma contribution à la patrie. Il y a quelques mois, je             vous ai annoncé la naissance des jumeaux dans l'association. La fille est parfaite. Son frère en             revanche, est sans cesse malade et faible. Les dirigeants de l'association ont décidé que , malgré          nos efforts, il ne sera jamais de bonne qualité." p 159

Les pensées de Riki, USA, 2008 :
"Riki se souvint du visage sévère de la femme quelques semaines plus tôt, son petit garçon sur son tricycle : "au revoir!" Elle était aussi d'origine mexicaine. Peut-être qu'elle pensait comme lui, que les règles existaient pour de bonnes raisons, même si elles n'étaient pas évidentes. Mieux valait être de ce coté là de la barrière. Pourtant, quand les ambulanciers arrivèrent et pointèrent leurs lampes dans ses yeux, Riki ne put s'empêcher de penser qu'il devait y avoir une meilleure solution - souffrance inutile, pertes gratuites. Il devait trouver un moyen de rester fidèle à son pays sans trahir ses convictions personnelles." p 201

La mère d'Elsie :
     " N'oublie jamais ta place. Nous sommes des femmes, déclara-t-elle en fixant Elsie. Nous devons         nous montrer sages dans nos paroles et nos actions. Tu comprends?" p 218

"La lumière du jour était aussi pâle que l'infusion de pissenlit que préparait Mutti avec les bourgeons prématurés qu'elle aviat cueillis dans la matinée. Dans la nuit, un orage leur avait fait courber la tête, tels des écoliers punis. A présent, la brise, mordante et humide, charriait l'odeur des vers de terre qui se tortillaient sous les fraisiers en hibernation." p 235

"-Il y a encore des gens pour se rappeler que les lois de Dieu prévalent sur celles des hommes. Ces énergumènes ne nous entraîneront pas dans la voie de la destruction. J'ai appris très jeune que les morts ne peuvent sauver les vivants. Nous seuls pouvons le faire. Tant qu'il y a de la vie, il reste de l'espoir." p 244

Pensées d'Elsie : 
"Je prie pour son pardon et sa bénédiction. Il me manque et j'espère qu'il finira par comprendre que le monde a changé et l'Allemagne avec lui. Personne n'est mauvais ou bon par naissance, nationalité ou religion. !au fond de nous, nous sommes tous maîtres et esclaves, riches et pauvres, parfaits et imparfaits. Je sais que je le suis et lui aussi, il l'est. Nous tombons amoureux malgré nous. Nos coeurs trahissent nos esprits." p 360

Reba, Etats-Unis, 2008 :
"Elle avait appris que le passé était une mosaïque floue faite de bon et de mauvais. Il fallait admettre sa part dans les deux et s'en souvenir. Si on essayer d'oublier, de fuir ses peurs, ses regrets et ses fautes, ils finissaient par vous retrouver et vous consumer comme le loup de son père l'avait fait pour lui." p 400

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