vendredi 22 janvier 2016

"Délivrances", le nouveau roman envoûtant de Toni Morisson

Toni Morisson, prix Pulizer en 1988 pour Beloved et prix Nobel de littérature en 1993 pour l'ensemble de son oeuvre est sans doute l'une des plus grandes femmes écrivains américaines de nos jours. A 84 ans, elle livre son onzième roman, Délivrances et sa "plume" semble toujours aussi jeune et pertinente.


Avec une écriture poignante empreinte de poésie, une narration omnisciente, alternant éllipses, métaphores et diverses figures de style, elle relate ici la vie d'une jeune femme noire dans l'Amérique contemporaine. Celle-ci doit faire face à ses vieux démons pour parvenir à avancer dans la vie.

Bride est une jeune femme à la peau très noire d'une vingtaine d'année dans l'Amérique contemporaine. Petite, elle s'appelait Lula Ann et sa peau sombre a tellement effrayé ses parents à sa naissance que son père s'est enfui et sa mère l'a élevée avec une certaine distance et sans affection pour l'endurcir face aux discriminations auxquelles elle devra faire face. Le racisme, elle l'a d'ailleurs bien connu. Mais avec les années, elle s'est renommée Bride comme pour tourner la page et a appris à se servir de sa peau noire pour devenir une beauté fatale suscitant ainsi des regards admirateurs plutôt qu'effrayés. Elle a dorénavant des responsabilités professionnelles et est respectée. Tout va bien pour elle jusqu'au jour où son amant passionné, Booker, la quitte soudainement, sans explications. Jusqu'au jour où Bride va à la rencontre de son passé, alors qu'elle était encore la petite Lula Ann. S'en suit une sorte de parcours initiatique où elle va faire plusieurs rencontres successives qui vont toutes contribuer à la faire réfléchir, évoluer, se reconstruire. 

Sur fond de discriminations raciales et d'histoires sombres qui semblent avoir plus ou moins touchés tous les personnages de cette histoire, Toni Morrison dresse là encore le portrait d'une femme noire dans une Amérique névrosée et détraquée, des thèmes qui lui sont chers.
Alternant successivement les points de vue de Bride, de Sweetness (sa mère), de Brooklyn (sa meilleure amie) et d'autres personnages, la narration nous permet de connaitre les pensées de Bride mais aussi de toutes les personnes de son entourage.

Toni Morisson ajoute également à son roman une touche de mystère. En effet, après s'être fait subitement larguée, Bride semble perdre pied et son apparence physique se modifie. A moins que ce soit dans sa tête? En tout cas, cela contribue à faire de cette histoire une sorte de conte moderne. La fin, un peu trop rapide et mignonne à mon sens, rejoint d'ailleurs cette idée du conte, de la fable moderne. Fable dont la morale pourrait être alors : accepter son passé pour construire son avenir. Faire face à ses vieux démons pour connaitre enfin la... délivrance.

J'ai lu ce roman quasiment d'une traite, happée par cette écriture rythmée à la fois dure et poétique. J'ai d'ailleurs apprécié relire certaines phrases plusieurs fois tellement je les trouvais belles !
Prochainement, je compte bien lire Home, son précédent roman sorti en 2012 .


Quelques citations : 

"Donc, je laissais les injures et les brimades circuler dans mes veines comme du poison, comme des virus mortels, sans antibiotiques à ma disposition. Ce qui, en fait,était une bonne chose maintenant que j'y pense, parce que j'ai développé une immunité tellement forte que la seule victoire qu'il me fallait remporter, c'était de ne plus être une petite négresse." p.72

"La lune était un sourire édenté et même les étoiles, vue entre les rameaux de la branche qui s'était abattue sur le pare-brise comme un bras étrangleur, lui inspiraient de l'épouvante. La partie du ciel qu'elle entrevoyait était un tapis sombre fait de couteaux étincelants pointés vers elle et brûlant d'être lancés." p. 99

"Ils vont tout faire capoter, se dit-elle. Chacun va s'accrocher à une petite histoire triste de blessure et de chagrin : un problème et une douleur anciens que l'existence a lâchés sur leurs êtres purs et innocents." p .176

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