samedi 23 août 2014

Le Chardonneret : émotion et réflexion dans ce roman fleuve lauréat du prix Pullizer

Il m'aura fallut du temps pour finir ce pavé de presque 800 pages écrit par l'auteur du Maître des Illusions, Donna Tartt ! Le Chardonneret est un roman fleuve dont une grande partie s'apparente à roman d'apprentissage à la J.D. Salinger, puis une partie, notamment vers la fin, tient du roman policier, avant de se termines par des réflexions philosophiques. L'ensemble est superbement écrit avec force de détails sur ces personnages et leurs épopées, il s'en dégage beaucoup d'émotion. Ce roman a suscité des critiques dithyrambiques dans toute la presse littéraire et des commentaires enjoués de nombreux lecteurs. L'auteure a été récompensée en recevant le prix Pullizer 2014 pour son Chardonneret.


L'histoire 

Théo a douze ans lorsqu'il visite une exposition au MOMA de New York avec sa maman passionnée d'art. C'est alors qu'a lieu une violente explosion. Dès lors, l'auteure nous bluffe par le réalisme de la description du chaos qui règne ensuite, les péripéties du garçon pour s'en sortir et la foule d'émotions qui le traversent. On pense alors que cette explosion est le début d'une enquête criminelle, on se demande qui en est à l'origine et pour quelle raison. Mais nous n'en saurons rien. Cette explosion est en fait le point de départ d'une nouvelle vie pour Théo, une vie sans sa maman, et d'une suite de péripéties.
Tout d'abords, lors de sa visite au musée, il est fasciné par une jeune fille accompagnant un vieil homme. Après l'explosion, il va rencontrer ce vieux monsieur mystérieux, dans de tristes circonstances. Ce dernier va lui transmettre une bague et l'inciter à cacher un précieux tableau intitulé Le Chardonneret. On pense que cela va conduire à un trésor caché, une enquête policière, des secrets enfuis... Mais en fait, pas du tout. C'est juste que cette explosion va être un énorme chamboulement pour Théo qui va l'amener à faire des rencontres déterminantes : Hobbie, un vieil antiquaire qui va le prendre sous son aile, Pippa, la jeune fille dont il va tomber amoureux, son ami Andy et sa famille d'accueil, etc.

C'est un roman d'apprentissage sur la vie, ses déceptions, ses douleurs, la difficulté de tisser des relations de confiance, la limite des fois floue entre le bien et le mal, les tentations...
Ce récit nous plonge aussi dans le monde de l'art et des antiquités, nous montre le pouvoir que peuvent avoir certains objets et oeuvres d'art et l'attachement qu'ils peuvent susciter. Et si le précieux tableau est au coeur du roman, c'est seulement dans les dernières pages qu'une magnifique description en est faite.

Un roman documenté qui fait référence à des faits réels

Après quelques recherches sur le net, j'ai constaté que le tableau intitulé "Le Chardonneret" existe effectivement, il a été peint par un élève de Rembrandt, Carel Fabritius, qui est d'ailleurs décédé dans l'explosion d'une poudrière en 1654!

Le Chardonneret, Carel Fabritius, 1654. (source Wikipédia)

Le travail de ce peintre a été redécouvert au 19ème siècle par Théophile Thoré-Burger. L'auteure semble donc s'être inspirée de la véritable histoire de ce tableau pour écrire son roman, dont le narrateur s'appelle justement Théo...

Mon avis

Je ne vais rien révéler de l'intrigue mais j'avoue avoir été surprise (et un peu déçue je l'avoue) à la fin. Pendant 800 pages on se demande quelle était la cause de cette explosion, mais finalement, on ne saura jamais, ce n'est pas ce qui importe à l'auteure. Cette catastrophe est en fait le déclencheur de multiples étapes dans la vie de Théo : le décès de sa mère, son passage dans la famille d'un de ces copains" Les Barbours, une famille bourgeoise quelque peu fantasque qui prendra malgré tout soin de lui. Ensuite, les retrouvailles avec son père qui l'avait abandonné quelques années plus tôt et sa copine excentrique, son déménagement à Las Vegas, sa rencontre avec son ami Boris, lui aussi enfant solitaire et téméraire livré à lui même. Puis la plongée dans l'alcool et les drogues à même pas 14 ans...

Pour résumé, c'est l'histoire d'un garçon qui quitte brutalement le monde de l'enfance pour basculer dans une vie d'adulte très sombre. L'auteure décrit toujours avec justesse et précision les émotions de Théo, cela m'a semblé dès fois un peu long, notamment la description de son séjour à Las Vegas. D'un autre coté, j'ai eu l'impression que certains passages étaient éclipsés, passés sous silence, comme si le narrateur (Théo) vivait les bouleversements de sa vie avec fatalisme, sans chercher à se battre, à se faire une place dans la société. Tout au long de son adolescence et de sa vie de jeune adulte, il garde le secret de ce tableau qu'il a planqué, sans savoir vraiment quoi en faire.
Ce secret finira par le rattraper bien des années après qu'il ait essayé de se ranger. Il ne sera jamais vraiment heureux, toujours nostalgique, amère, triste.

De manière générale, j'ai trouvé que Le Chardonneret est un beau roman, dense et émouvant, très bien écrit, avec précision, tendresse et justesse. Toutefois, j'ai été quelque peu surprise par le rythme d'écriture (certains passages longuets, d'autres passés trop rapidement) et un peu déçue par le déroulement de l'intrigue. Finalement, il ne faut pas voir ce roman comme un livre policier (il est souvent présenté comme tel) mais plutôt comme un roman d'apprentissage, d'introspection, de réflexion philosophiques.

Le Chardonneret / Donna Tartt .- Plon ; Feux Croisés : 2014

Quelques citations :

>> A propos de son ami Hobbie:
"J'ai senti à un niveau viscéral un profond changement d'allégeance, une conviction soudaine, humiliante à faire pleurer, que cet endroit était bon, cette personne était sûre, je pouvais lui faire confiance, personne ici ne me ferai du mal." p.163-164

>> A propos de sa mère :
"Sauf que parfois elle resurgissait brutalement à des moments inattendus, en éclats si rebelles que je m’arrêtais sur le trottoir, soufflé. En un sens, le présent avait rétraci pour devenir un endroit plus petit et bien moins intéressant." p 421-422

>> A propos de son mal être :
"Mon champs visuel s'était rétréci : j'étais dans un tunnel. Toutes ces années où j'avais erré, trop lisse et isolé pour qu'une quelconque réalité se fraie un chemin : un délire qui m'avait fait tourbillonner sur sa vague lente et douce depuis l'enfance, dévoncé et allongé sur la moquette à longues mèches de Vegas, riant à l'adresse du ventilateur du plafond, sauf que je ne riais plus, Belle au bois dormant grimaçant de douleur avec environ un siècle de retard." p 570-571

>> Extrait d'une longue description d'Amsterdam :
"[...] j'ai senti l'étrangeté de la ville m'assaillir, les odeurs de tabac, de malt et de muscade, les murs de café du même brun mélancolique qu'un vieux livre relié en cuir puis au-delà, des passages sombres et des clapotements de l'eau saumâtre, des cieux bas et de vieux bâtiments penchés les uns contre les autres avec un sentiment sombre et poétique teinté d'une vague sensation de destruction, la solitude pavée d'une ville qui donnait l'impression, à moi en tout cas, d'un endroit où l'on pourrait laisser l'eau se refermer sur ma tête." p. 661

>> Réflexion de Théo sur sa vie:
"Et tandis que des raies de lumières vacillante le zébraient, j'avais en parallèle le sentiment écœurant de ma propre vie, pareille à une explosion d'énergie non structurée et éphémère, un pétillement d'énergie biologique statique tout aussi aléatoire que les lampadaires que nous dépassions en un éclair." p.686

"Je voyais à peine comment j'arrivais encore à bouger, à ne pas tomber, comment j'avançais tout court, une sorte d'inconscience infondée et insaisissable qui me transportait bien au-dessus de moi même dans des hauteurs et des creux impersonnels où j'avais l'impression de me regarder d'en haut ...] p 728

>> Questionnement de Théo sur le bien fondé de ses actes:
"Le message de ce livre est très sombre. "Pourquoi être bon." Mais c'est ce qui m'a submergé la nuit dernière dans la voiture. Et si... et si c'était plus compliqué que ça? Et si peut-être contraire vrai aussi? Parce que, si le mal donne parfois des bonnes actions...? Où est-ce qu'il est dit, où que ce soit, que seul le mal résulte des mauvaises actions? Peut-être parfois, la mauvaise manière est la bonne? Tu peux prendre le mauvais chemin et aboutir quand même là où tu veux? Ou bien, vois-le sous un autre angle, parfois tu peux faire tout de travers et malgré tout ça se finit bien?" p. 760

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