vendredi 2 septembre 2016

"Captifs" : un huis clos effrayant raconté sous forme de journal intime

Captifs est un étrange récit en huis clos, raconté sous forme de journal intime. Mais ce journal intime n'a rien d'ordinaire. Linus a 16 ans et vit à la rue depuis qu'il a fugué de chez son père. Un jour, il se réveille grogui dans un drôle d'endroit : une sorte de bunker sous-terrain très bien aménagé, comprenant 6 chambres, une cuisine, une salle de bain. Dans chaque chambre se trouve un carnet vierge, un crayon et une bible.


Très vite il se rend compte qu'il va être difficile de s'échapper. Il n'y a ni portes, ni fenêtres, tous les meubles sont très bien fixés, rien de dépasse, il n'y a aucun objet coupant... De plus, le garçon constate que dans chaque pièce se trouve une caméra au plafond... 
Tour à tour effrayé, en colère, triste, résigné, seul et affamé, Linus se met à écrire ses pensées et ses impressions dans son petit carnet, à décrire son environnement, pour occuper son esprit et ses journées. Il repense aussi à son enfance, à son père, à sa vie dans la rue.

Un jour, le mystérieux ascenseur par lequel il est lui même arrivé lui amène une colocataire : une petite fille de 10 ans, Jenny. Celle-ci est apeurée et Linus va tenter de la rassurer, de s'occuper d'elle au mieux. Tous deux vont rapidement être très proches et vont tenter de communiquer avec leur ravisseur pour lui demander à manger. Mais il reste 4 chambres vides.... Et Linus comprend qu'ils ne vont pas rester seuls longtemps. Effectivement, au fil des semaines, de nouveaux individus, aux profils à chaque fois différents, vont être débarqués par le mystérieux ascenseur.

Captifs malgré eux, c'est une vie en communauté forcée qui va devoir s'organiser en tenant compte des caractères de chacun. Les prisonniers finissent par se focaliser sur les choses simples de leur quotidien : se nourrir, dormir, créer un semblant de vie sociale. Et attendre l'arrivée de l'ascenseur qui descend chaque matin à 9 h, dès fois avec de la nourriture, dès fois sans, dès fois avec un nouveau prisonnier, avec un message sadique ou autre "surprise"...
Alors qu'ils essaient de trouver un certain équilibre dans cette situation déjà très inconfortable, comme si le fait d'être enfermés sous terre à leur insu sans rien connaitre de leur ravisseur et sans perspective de s'échapper n'était pas assez dur, ils vont devoir subir le sadisme de celui-ci : privations de nourriture, diffusion de bruits assourdissants, diffusion de gaz toxique à toute tentative d'évasion avortée, tentation de la drogue et de l'alcool, fortes variations de températures, une horloge qui accélère ou ralentit le temps... Ce psychopathe semble regorger d'idées de tortures psychologiques en tout genre...

Linus comprend cela très vite qu'il va être difficile de s'en sortir vivant mais ne veut pas se résigner pour autant. Il transcrit ses pensées dans son petit carnet, non sans un certain sens de la dérision. Bien sûr, il s'interroge : pourquoi eux? Quel est le but de cette expérience? Leur ravisseur est-il seul ou sont-ils plusieurs à les épier? Vont-ils être un jour libérés ? Par quel moyen pourraient-ils s'évader?

Captifs est un roman troublant qui se lit d'une traite. L'écriture est limpide, incisive. Le narrateur, Linus, est intelligent, très mature pour son âge et d'une grande lucidité.
Certes, le sujet de l'enfermement est un thème récurrent dans la littérature comme au cinéma mais ici, le fait que le roman soit écrit sous forme de journal intime permet de suivre l'état mental du narrateur et nous amène au plus près de ses pensées, ce qui rend le récit d'autant plus troublant, sensible et dérangeant. Les grandes peurs y sont abordées : l'enfermement et la solitude, les privations, la faim, l'inconnu... Avec toujours pour objectif, l'échappatoire, la liberté retrouvée...

L'intrigue est captivante car elle soulève des tas de questions : qui est ce sadique qui derrière son ordinateur s'amuse avec ces humains, comme avec des souris de laboratoire, pour voir leur réaction, tester leurs limites? Quel est son but? Est-ce-une sorte de téléréalité ou de simulation de jeu pour ordinateur comme le pense Linus? Pourquoi ces personnes ont-elles été choisies, ont-elles un lien entre elles? Et surtout : vont-elles s'en sortir?
Un récit troublant, à l'heure de la télé-réalité extrême, d'autant plus qu'on reste sans réponses.
Taxé de pessimiste voir de nihiliste lors de sa sortie, il est certain que Captifs nous pousse à réfléchir sur les limites de l'être humain.  Le livre a été récompensé au Royaume-Uni par le prix Canergie et a déclenché une vive polémique en raison de sa violence sociale et psychologique. Personnellement, si le livre est effectivement dérangeant, je trouve qu'il est au contraire très intelligent et qu'il n'y a pas matière à polémiquer.

Quelques citations pour se faire une idée :

"Tout ce que je sais, c'est que ça fait sept jours et que je suis encore là en train de gamberger sur ce qui s'est passé. Et le plus gênant, c'est que je ne suis pas plus avancé aujourd'hui qu'il y a une semaine. Je ne sais toujours pas où je suis. Je ne sais toujours pas ce que je fais ici. Je ne sais toujours pas ce qu'il veut. Je ne sais toujours pas comment sortir d'ici. Je ne sais toujours pas ce que l'avenir me réserve. Je ne sais pas ce que je vais faire. Je n'en peux plus." p 75

"Tout ça, c'est des jeux. Il joue à ses jeux et nous jouons aux nôtres. Son jeu à Lui consiste à nous donner ce que nous croyons vouloir, selon nos vices, ou ce qui, d'après Lui, peut nous faire du mal, selon nos faiblesses, pour voir ce qui se passe. Je suppose que c'est un peu comme ces jeux sur ordinateur qui imitent la vie en société. Le genre de jeux qui permettent de se prendre pour Dieu. Oui, je le vois bien adorer ça." p 140

"Quatre heure de chaleur à crever suivies de quatre heures de froid polaire. Puis encore la chaleur et le froid, et la chaleur, et le froid... Et encore du bruit à en faire éclater les tympans. rien à manger. survivre et supporter. Faire retraite à l'intérieur de sa tête, essayer de couper le contact, et attendre que ça passe. Rien ne dure éternellement. Tu peux l'endurer. Endure. Endure." p 170

"Je le déteste vraiment, ce gros naze. Ce n'est pas seulement lui, bien qu'il soit vraiment tordu, c'est tout ce qu'il représente. Le type qui part au boulot depuis sa banlieue tous les matins. Le type en costume gris. Le type qui fait du business. Qui passe sa vie à geindre et à se plaindre de quelque chose, jamais satisfait. Le train a du retard, il fait trop froid, je suis tellement crevé. Ils sont tous les mêmes, comme de gros bébés en taille adulte, avec leurs costards. Ils ont leurs joujoux dans des petites valises de cuir, des trains en guise de tricycles, des épouses à la place de leurs mères, de la bière à la place du lait..." p 181

"C'est ça qu'il veut, j'ai pensé. C'est exactement ça qu'Il veut. La folie, la pagaille, la descente en spirale vers le chaos. C'est le but du jeu depuis le début. Il est comme un gamin qui enfonce son bâton dans une fourmilière. Il adore observer le chaos." p 235

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