dimanche 6 novembre 2016

"Le rouge vif de la rhubarbe" : un roman islandais plein de grâce et de poésie

Je viens de finir ce petit roman islandais qui figure parmi les grands succès de cette rentrée littéraire 2016. Auður Ava Ólafsdóttir est une écrivain très connue en Islande. Le rouge vif de la rhubarbe est son troisième roman et c'est un petit bijou littéraire. 
Les auteurs islandais ont toujours ce regard perspicace et poétique sur le monde qui les entoure, comme s'ils prenaient plus de recul pour observer les choses, qu'ils prenaient davantage le temps de décrire les paysages, les petites choses du quotidien... Si vous avez lu les livres de Stefanson, vous savez de quoi je parle. Ce doit être l'effet de la nuit polaire, qui pousse ainsi à la méditation !
Et Olafsdottir n'échappe pas à cette "règle" de la littérature islandaise.



Avec une écriture tendre, caustique et poétique, elle raconte l'adolescence d'Agustina, délaissée par ses parents, qui s'interroge sur son origine, son devenir et sur la vie en général. Outre de nombreuses réflexions philosophiques et méditations diverses, Agustina a un rêve qui peut sembler si simple : celui de pouvoir marcher, avoir une vie sociale normale et grimper des montagnes. En effet, un handicap la prive de ses jambes, mais elle ne se laisse pas abattre pour autant et fait preuve de beaucoup de détermination et de courage pour avoir une vie "normale". 

Sa mère est une scientifique rêveuse qui parcourt le monde à la recherche des oiseaux migrateurs. Régulièrement, elle lui écrit de brèves lettres dans lesquelles elle lui fait part de ses observations, en y ajoutant quelque fois une touche de poésie et philosophie. Son père, elle ne l'a jamais connu. Elle est élevé par Nina, une amie de sa mère, aidée de son ami Vermundur, l'homme à tout faire du village. Ce sont un peu ses parents de substitution. Ils lui racontent sa naissance, ses parents, leurs vie d'avant. Et quand elle a besoin de se retrouver seule, Agustina va se coucher dans le jardin de rhubarbe.

L'auteur décrit avec tendresse le quotidien de ses personnages au fil des saisons, comme la récolte de la rhubarbe à n'en plus savoir quoi faire (un des seuls fruits qui pousse sans problème en Islande.), la fabrication du boudin, la préparation de Noël... Et bien sûr, la capacité d'adaptation des islandais face à un climat difficile. Enfin, la nature, magnifique et sauvage, est très présente au fil des pages.

C'est un roman extraordinairement bien écrit, plein de grâce et de poésie où chaque détail est sublimé. Ci-dessous, quelques citations que j'ai particulièrement apprécié permettent de se faire une idée du style de l'auteur.
Le rouge vif de la rhubarbe est un livre délicat, un hymne à la vie, une invitation à la médiation, plein de réflexions philosophiques. Enfin, c'est aussi une sorte de fable dont la morale serait : on a tous un rêve, une montagne qu'on rêve d'escalader. Il faut toujours essayer de grimper sa montagne, d'aller au bout de ses rêves et ne pas baisser les bras.

Quelques citations :

"Personne ne soupçonnerait qu'elle soit là, à la recherche de son origine, creusant pour trouver ses racines dans les ténèbres de la forêt de rhubarbe" p.18

lettre de la mère d'Augustina : "C'est incroyable de penser que la montagne couverte de neige se dresse en plein coeur de l'équateur même. J'ai l'impression d'avoir connu l'éternité. Pourtant je ne suis pas sûre d'être plus avancée. La maturité marque une certaine stagnation. Peut-être doit-on laisser le champ libre à ses aspirations les plus folles."

"La prochaine fois, il faudrait qu'elle commence par le bon bout, qu'elle écrive du point de vue de celle qui est assise par terre en contrebas, au moment printanier où la Montagne se scinde et ruisselle, accueillant à corps perdu les flots jaunes qui s'en déversent. Elle n'avait qu'à inverser la pile de mots. Au lieu des lointains bleu-vert vue de la cime, ce serait la Montagne de boue brune sous ses ongles, tandis qu'elle s'échinait à progresser dans la caillasse, juste au dessus du jardin de rhubarbe, les bras plein de montagne." p 72

Nina, couchée dans la neige :"Son ange a indubitablement des ailes, mais pas ce tutu évasé que les autres peuvent tracer à loisir en écartant les jambes. Le sien est mince du bas, comme un oiseau prisonnier d'un rouleau de fil de fer qui aurait battu frénétiquement des ailes." p 74

"Au deuxième jour de sa nouvelle vie, elle ferait l'ascension de la Montagne. Ce serait le premier des nombreux sommets du monde : d'autres montagnes suivraient." p. 91

"La vue est une affaire compliquée. La plupart des gens se contentent de regarder sans voir, ou bien on ne regarde pas, mais on voit quand même" p 106

"Soudain, il n'y a plus de nuit où s'enrouler, où s'abriter dans la tour. Un vent glacial souffle au nord, le ciel bleu est ouvert et vaste comme la mer. Agustina se blottit sous la couette pour s'engloutir dans le matin. Sa tête est pleine des ruisseaux dorés dévalant des montagnes vers la mer." p 131

"L'été dans l'île dure sept semaines, la lumière bien davantage, et le temps qui passe avant qu'elle ne s'atténue semble infini par un matin comme celui-ci.

Quand le jour cesse de s'assombrir, le temps s'immobilise pour durer, durer, durer. Il n'y a plus alors de cloisons entre les jours confondus, plus d'entracte au milieu du temps. Dans le noir, au contraire, les hommes sont tous égaux." p 145

"Les instants durent si peu, mais il est possible de les allonger indéfiniment sur la grève du sable noir pendant le jour, sur sa plage à elle, baignée de froid soleil, débordant de lumière, où elle s'étire en short, le nombril orné de coquillages. Les attelles gisent à ses cotés comme les valves d'un mollusque inconnu." p 145

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