mardi 20 décembre 2016

"La compagnie des artistes" : un beau roman d'apprentissage empreint de suspens psychologique

La compagnie des artistes est le dernier roman de Chris Womersley, un auteur australien que j'avais découvert il y a quelques années en lisant Les Affligés, un roman à l'ambiance sombre et gothique relatant un drame familial à l'issue de la Première Guerre Mondiale (vous pouvez d'ailleurs relire ma critique ici même.)
Dans ce nouveau roman, changement d'époque et de contexte. Chris Womersley nous transporte dans Australie des années 80, en particulier dans le milieu bohème et artiste de Melbourne, à travers un roman d'apprentissage teinté de suspense psychologique.


L'histoire :

Tom a 18 ans et s'ennuie dans sa petite ville province. Il se sent seul, mal dans sa peau et incompris par sa famille. Lorsque l'opportunité s'offre à lui de partir pour Melbourne, grande ville étudiante et culturelle, il n'hésite pas une seule seconde, bien décidé à prendre enfin son envol. Il loge dans l'appartement de sa tante décédée qu'il admirait tant, ses parents ayant hérité de l'appartement situé dans le quartier de Cairo. En contrepartie, Tom s'engage à faire des études et à retaper l'appart. 
Rapidement, il rencontre ses nouveaux voisins, Max et Sally, un jeune couple d'esthètes un peu loufoque, passionnés de musique, de littérature et d'art. Seul et toujours en quête de reconnaissance, Tom est vite comblé par l'intérêt qu'ils lui portent et admire ce couple énigmatique qui semble si cultivé et épanoui. Max, Sally et leurs amis vont lui faire découvrir le milieu de l'art ainsi que la vie nocturne de Melbourne. Grisé par son souhait d'indépendance, sa soif de liberté, son besoin de rencontre, et toujours emprunt d'une douce naïveté, Tom se laisse emporter, dès fois malgré lui, dans une vie de bohème et d'arnaques. Bien qu'en désaccord avec certains des actes de ses nouveaux amis, il aura toutefois bien du mal à leur refuser quoi que ce soit, au risque de se retrouver piéger dans un engrenage.

Le livre s'ouvre par un prologue où le narrateur livre ses pensées des années après les faits relatés dans le roman. C'est à ce moment là un homme d'âge "mur" encore hanté par ces personnes croisées dans sa jeunesse qui ont bouleversé son existence.
"Il y a d'autres choses dont je me souviens, des choses si bizarres que même aujourd'hui après toutes ces années, je me demande si c'est vraiment arrivé, si ce n'était pas tout simplement le fruit de l'imagination exaltée d'un jeune homme - une imagination à jamais associée à l'odeur de térébenthine et de peinture à l'huile, à un motif récurrent au piano, à un coup de feu, à un rire moqueur, à un premier chagrin d'amour" (p 13) On sait déjà qu'il s'est passé quelque chose de grave, qu'il était amoureux d'une certaine Sally. A elle seule, cette phrase résume plutôt bien tout le roman !

La première moitié du livre s'apparente à un roman d'apprentissage relatant les pensées et états d'âmes d'un jeune homme passant à l'âge adulte : Tom cherche sa voie, fait des rencontres, tombe amoureux, cherche à s'affirmer.... Quelques passages m'ont semblé un peu longuets, alternant descriptions de personnages excentriques et déambulations dans des fêtes et j'avais du mal à voir où l'auteur voulait en venir. On se rend vite compte que les personnages de Max et Sally sont ambigus, manipulateurs, nocifs. Mais, pendant 150 pages, on attend qu'il se passe quelque chose, on attend ce drame annoncé dès les premières pages.

Le basculement se fait vers le milieu du roman et cette seconde partie est du coup beaucoup plus captivante! Il s'y passe plus de choses et plusieurs rebondissements vont bouleverser la vie de Tom. Des failles apparaissent rapidement dans les portraits psychologiques des personnages. Tous ont des fêlures. On sent le drame arriver mais on ne sait pas par qui, ni comment cela va surgir. A ce titre, cette deuxième partie tient plus du thriller psychologique !
Autant je me suis un peu forcée à la lecture durant les cent premières pages, autant les cent dernières je les ai lu avec beaucoup plus de plaisir et de hâte !

La compagnie des artistes évoque bien entendu le milieu de l'art, en particulier la peinture, du processus de création à l'aspect commercial de l'oeuvre. Mais c'est surtout un roman qui dresse différents profils psychologiques : des personnages ambigus, fragiles, manipulés ou manipulateurs, en quête de reconnaissance... En tant que "roman d'apprentissage", c'est un livre sur le passage à l'âge adulte, la perte des illusions, la naïveté à l'épreuve de la réalité du monde. Enfin, c'est également un livre sur l'amour : l'amour qui rend aveugle, l'amour qui pousse à faire n'importe quoi, l'amour impossible, le premier amour. Quelques exemples avec les citations ci -dessous. 
Quelques citations :

"Je suis plein d'une chose tellement plus riche et savoureuse que l'amour, et ce n'est rien d'autre que ceci : son ardente promesse." p 11

"Ces rêves ont également, à l'évidence, un caractère prémonitoire et menaçant, ce filigrane qui n'est perceptible que rétrospectivement. Ce sont comme des dépêches du passé. J'ai presque du mal à croire ce qui s'y passe, à quel point c'est féroce et beau." p . 12

" Il est des périodes dans la vie qui nous marquent à jamais, des saisons ou des journées qui déterminent notre personnalité si totalement que c'est à l'aune de ces moments là que le reste de notre existence se mesure, tout comme il existe peut-être une seule photo de nous à avoir saisi notre véritable moi." p 14

"Comme les tableaux, les gens sont jugés sur les apparences, mais ils renferment une foule de secrets pour ceux qui savent les débusquer. La tâche du connaisseur est comparable à celle du juge qui cherche à démêler le vrai du faux. Il y a l'instinct et il y a la science. " p14

"Le premier amour est comme une nostalgie du présent : on sait, à une sorte de niveau moléculaire, que ça ne se reproduira pas. La tragédie, c'est qu'on ne peut jamais calculer cela, jusqu'au jour où l'on sait que ça ne reviendra plus." p 211

"Notre appréciation de l'oeuvre d'art est souvent sans commune mesure avec ses qualités esthétiques intrinsèques, poursuivit Gertrude, s'échauffant sur ce thème. Ce qui intéresse les gens, c'est l'aura qui l'entoure. L'artiste, l'époque de sa création et ainsi de suite. Comme pour une marque. C'est ridicule. Dans les musées, on e voit qui passent au pas de charge devant une oeuvre. Puis ils s'aperçoivent qu'elle est signée d'un peintre célèbre, alors ils reviennent pour s'extasier. Bang ! Leur opinion change du tout au tout..." p 241

"C'est quoi l'amour pour toi? "Une chaumière et un coeur?" L'amour, c'est compliqué, embrouillé. Une forêt sombre. C'est difficile de trouver comment en sortir, à supposer qu'on le veuille." p 338

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