mercredi 18 janvier 2017

"La mémoire des embruns" : un roman émouvant sur l'introspection d'une vieille femme au crépuscule de sa vie.

Nous revoilà partis pour l'Australie avec ce roman de Karen Viggers, La mémoire des embruns, qui nous fait partager l'introspection d'une femme au crépuscule de sa vie sur fond de paysage marin du Sud de la péninsule.


L'histoire :

Mary a 75 ans et souffre d'insuffisance cardiaque. Un jour, un vieil homme qu'elle semble avoir connu par le passé lui apporte une mystérieuse lettre. Cela la bouleverse énormément. Suite à cette visite, elle demande à sa petite fille de l'emmener sur l'île où elle a vécu dans sa jeunesse avec son défunt mari, Jack, pour pouvoir finalement y rester quelques jours, afin de réfléchir, s'apaiser, méditer et se préparer pour ses derniers instants... Face à l'incompréhension de sa famille qui considère sa démarche comme pure folie étant donné son état de santé, elle se retrouve d'autant plus isolée. Seul son fils Tom, un quadragénaire quelque peu taciturne, semble la comprendre.

Ce dernier est à la fois hanté et fasciné par son séjour de six mois en Antarctique en tant que mécanicien il y a neuf ans de ça. Durant cette période où il était coupé du monde, plusieurs événements ont bouleversé sa vie. Désormais, alors qu'il mène une existence plutôt monotone, il songe à retourner au pôle Sud pour observer les manchots et retrouver une certaine solitude et plénitude qui lui manquent mais souhaite en même temps profiter de la présence de sa mère dont il est assez proche. Sa rencontre avec la pétillante Emma, une jeune biologique fêlée du pôle Sud comme lui, va le secouer. Or, derrière cette femme indépendante et brillante, se cache une personne fragile et inconstante.

Sur l'île Bruny où elle s'est recluse, Mary repense à son premier amour, à sa vie avec Jack, à la naissance de ses enfants et leur vie particulière dans un phare au sud de l'Australie. Au crépuscule de sa vie, elle fait le bilan, pense à ses erreurs, à ses bonheurs passés... Entre regrets et satisfactions, elle cherche l'apaisement. Mais elle est toujours hantée par cette lettre qu'elle ne parvint pas à brûler et qui semble contenir un pesant secret.
Chaque jour, Léon le garde forestier de l'île, passe la voir pour s'assurer que tout va bien. C'est un jeune homme bourru, renfermé, qui semble toujours en colère. Mais petit à petit, Mary va réussir à l'"amadouer".

Un roman émouvant, sensible et bien documenté.

Alternant les chapitres relatant les souvenirs et les sentiments de Mary avec ceux racontant les déboires de Tom, et quelques incursions dans les pensées de Léon, l'auteure dépeint avec pudeur, émotion et mélancolie les relations humaines. A l'approche de la mort d'un parent, les membres d'une famille réagissent différemment par la compassion, la colère, l'impuissance, l'ignorance ou encore la nonchalance. Par ailleurs, chacun porte le poids d'un passé qui empêche d'avancer dans la vie.

Karen Viggers décrit sublimement, avec tendresse et  une touche de poésie, les paysages australiens de ce bord de mer, l'ambiance particulière du cap Bruny au sud de la péninsule, son climat venteux, rude, sa faune.
La vie en Antarctique est également superbement relatée, avec sa beauté, sa grandeur, sa magie, mais aussi sa violence, et elle explique pourquoi un séjour au Pôle Sud bouleverse un homme à tout jamais. L'auteure, vétérinaire spécialiste de la faune sauvage a notamment exercé en Antarctique et sait donc de quoi elle parle, cela se sent. Il suffit de lire les citations ci-dessous pour s'en rendre compte.

Des longueurs et un certain essoufflement de l'intrigue

La mémoire des embruns est un beau roman, émouvant, sensible mais qui contient toutefois pas mal de longueurs. J'ai eu un peu de mal à entrer dans l'histoire. Le récit commence assez fort avec des phrases courtes, un certain suspens et la révélation rapide d'une intrigue avec l'arrivée de cette mystérieuse lettre. Mais ensuite, on part dans les souvenirs et l'introspection de Mary et on se demande où cela va bien nous mener. L'issue du roman est elle sans surprise, on avait deviné la fin depuis longtemps ! 

Malgré cela, c'est un beau livre sur l'approche de la mort, les relations familiales, les non-dits, la confiance en soi, le poids du passé, les questionnements existentiels. Il y a une dimension contemplative et philosophique dans ce récit ce qui fait que, sans être un grand roman, La mémoire des embruns est une lecture plaisante et intéressante.



Quelques citations pour se faire une idée du style :

"Et si l'auteur de la lettre revenait? Il fallait qu'elle se décide. Mais que faire? Cette lettre où fusionnaient passé ou avenir était comparable à un lourd fardeau. Son humeur devint chagrine, elle était irritable. Elle qui aurait dû se laisser vivre tranquillement , à présent que Jack n'était plus là et que sa propre santé déclinait, était sommé d'agir. A cause de ce bout de papier, elle devait reprendre les choses en main." p.17

"Avec le temps, elle avait appris à compenser par les plaisirs simples, le chant des oiseaux, un bon rôti, une compagnie agréable, un roman préféré, le réconfort des paroles non dites et pourtant tacitement comprises." p.20

"Jack et elle étaient assis main dans la main sur la vaste plage sauvage et assistaient au retour des pingouins. Le clair de lune déposait son blanc scintillement sur les ventres dodus des oiseaux qui égermaient de l'océan. Aujourd'hui, la colonie était sûrement désertée, les derniers jeunes puffins étant partis fin avril pour leur éprouvant voyage migratoire jusqu'en Sibérie." p 28

"Mary se retint de lui dire qu'il était important de ne pas oublier de vivre. Jeune, on pense que l'existence n'a pas de fin. Et, quand la vie vous rattrape au tournant, on regrette de ne pas avoir mieux utilisé son temps. Pourtant, à ne jamais perdre la perception du temps qui passe - en quête d'intensité existentielle-, on risque de passer à coté du sens de sa vie." p 31

"L'Antarctique possède un charme auquel on succombe pour la vie. Peut-être est-ce l'effet du paysage; sa sauvagerie, son désert, sa nudité. Ou peut-être est-ce à cause de tout ce blanc? Ou l'intensité des relations qu'on y noue. Quoiqu'il en soit, ce vaste espace et cette clarté resplendissante opèrent sur vous une transformation. Vous vous découvrez autre, nouveau. Vous voilà capable de vous fondre dans les lointains. Et cette sensation de liberté vous donne des ailes. En même temps, le germe d'une nostalgie éternelle a été planté en vous. Vous ne penserez plus qu'à y retourner. A vous glisser dans cette nouvelle peau qui est la vôtre sur la banquise, ce "moi" qui ne connait plus les bornes conventionnelles" p 82

"Elle avait souvent souhaité pouvoir enseigner à ses enfants comment empêcher les relations de s'étioler dans un couple. L'art du bonheur conjugal. Mais, même si elle était en mesure de leur décrire ce qui se passait dans son cœur, il n'était pas question de leur dicter la manière de mener leur vie. Impossible de leur épargner les souffrances douces-amères engendrées par les désillusions et les erreurs. Faire renaître l'amour de ses cendres était un prodige dont le secret n'était pas transmissible. On ne pouvait pas épargner aux autres le chagrin. Il était inscrit dans la destinée de chacun. Si c'était à refaire, elle s'y serait peut-être prise autrement." p 117

"Du haut de son grand âge, elle distinguait la maille qui avait sauté dans le tricot de leur vie commune. Elle avait mis des années à comprendre que, si on ne les prononce pas à point nommé, les mots s'effacent pour toujours." p 118

"Nous étions, je crois, une famille ordinaire. Avec du bon et du mauvais. Du bonheur et de la tristesse. N'est-ce-pas ainsi pour tout le monde? On habitait un drôle d'endroit. Mon âme en est imprégnée. Mais j'ai beau ne pas être tout à fait comme les autres, j'ai les mêmes besoins. L'amour, la compagnie, l'espoir, le travail, les loisirs. Maman a toujours été là pour moi. Elle est la force invisible et muette derrière ma guérison."p 124

"Bientôt, elle serait en mesure de biffer une ligne supplémentaire de sa liste. Et puis, c'était merveilleux de s'échapper du chalet. Le sable fouetté par les embruns. Un océan de lumière perlée et scintillante. Le monde était beau et elle en faisait partie, là, lancée à une allure extravagante. Le soleil échancrait les nuages et étincelait les flots"  p 166

"J'ai appris à cueillir ces moments de bonheur au fil d'une existence ordinaire. Il s'agit de favoriser un certain état d'esprit imperméable à l'effervescence ambiante. Rien à voir avec l'euphorie qu'on éprouve au Pôle, mais une forme de paix est néanmoins à notre portée." p.223

"Se dire qu'on a construit un mariage durable procure une certaine satisfaction. En restant ensemble, ils avaient accompli une chose précieuse et intangible - un acte de confiance mutuelle et de solidarité révélateur : ils étaient passés par une rude épreuve sans être détruits. Il y avait de quoi se réjouir" p 329

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