samedi 12 août 2017

Emotion, suspens et mélancolie dans "La ballade de l'enfant gris", quand un médecin voit sa vie bouleversée par sa rencontre avec un enfant

Vous avez peut-être entendu parler de ce livre, La ballade de l'enfant gris, écrit par un jeune médecin, également blogueur et écrivain. Baptiste Beaulieu (pseudonyme) livre ici un magnifique roman empli de tendresse, de mélancolie et plein d'humanité. Je reconnais que j'avais quelques préjugés concernant ce livre : un jeune médecin qui va nous décrire l'envers du décors des hôpitaux, c'est du déjà vu. Et puis tout ce battage médiatique autour de ce roman, généralement ça me fait plus fuir qu'autre chose. Mais je me trompais !! 
La ballade de l'enfant gris est un superbe roman, sensible, drôle, émouvant, juste. Une merveille littéraire que je recommande !


 "La déchirure" entre un interne et un petit garçon

Jo' est un jeune médecin, interne dans un service de pédiatrie. Doué, bienveillant et sociable, proche de sa famille et en couple, tout semble rouler pour lui. Jusqu'à sa rencontre avec No, un petit garçon malade dont il a la charge. No est un enfant au teint gris, souffrant d'une grave maladie du sang. Jo se prend d'affection pour ce petit garçon qui se sent souvent seul et triste car sa maman ne vient pas souvent le voir. Il essaie de lui changer les idées en lui faisant faire des bêtises, en le faisant rire, lui racontant des histoires, lui donnant de l'espoir, en le faisant rêver.
Mais on sait dès le début que ça ne suffira pas. Il y a un "avant" et un "après" ce que Jo' appelle "La déchirure". D'ailleurs, les chapitres s'alternent en retraçant la vie de Jo "avant la déchirure" puis "après la déchirure". "Avant", c'est un compte à rebours racontant la complicité entre Jo et No, l'attente des visites de sa mère, les questions et rancœurs vis à vis d'elle, tout en suivant l'évolution de la vie personnelle de Jo. "Après", c'est le récit de Jo, hanté par le fantôme de No qui le suit partout, chez lui, sous la douche, dans la rue... L'enfant est toujours avec lui, au point de nuire à sa vie sociale et affective. Il décide alors de "rendre" le fantôme de No à sa maman, Maria qui a subitement disparu au moment de la "déchirure". 

A la recherche de la mère de l'enfant

Jo se lance alors dans une sorte d'enquête sur les traces de cette femme mystérieuse qui le mènera de Paris à Jérusalem, en passant par Rome...
Durant cette quête, le narrateur va rencontrer des personnages hauts en couleur : Mme Crinchon l'infirmière au verbe haut et aux insultes métaphoriques, deux vieilles femmes italiennes originales surnommées par le narrateur Glaucome et Catharate, des amies de Maria, des jeunes gens plein de vie dans une Jérusalem déchirée par les religions, etc. D'ailleurs, la vie dans ces villes est très bien racontée, on s'y croirait presque.
Au cours de son voyage, il constatera quelques similitudes entre ce qui lui arrive et ce qu'a vécu Maria quelques temps plus tôt. Ce voyage sur l'origine de l'enfant ne deviendrait t'il pas aussi pour Jo un voyage sur la quête de Soi?

Une écriture juste, bouleversante et une intrigue captivante

On est vraiment captivé par ce roman qui nous tient en haleine du début à la fin. Bien qu'on connaisse le triste dénouement dès les premières pages, on veut savoir pourquoi la mère de l'enfant ne venait pas plus souvent, pourquoi elle a disparu et si Jo' va réussir à se défaire de ses fantômes, au sens propre comme au figuré. J'ai vraiment eu du mal à faire des pauses dans ma lecture, tenue en haleine par l'histoire mais également par la qualité de l'écriture.

Car ce roman est très bien écrit, avec justesse, pudeur et non sans humour par moment. (Voir quelques citations tout en bas) Une écriture tantôt lyrique et poétique, tantôt cynique mais souvent mélancolique et onirique. Le rêve comme échappatoire d'une réalité trop sordide... Les drames ne sont jamais relatés explicitement mais on les devine toujours entre les lignes, dans les "silences" de la narration, derrière de jolies métaphores, derrière les comportements étranges des personnages, ce qui ne les rend pas moins cruels et tristes. 

Un roman engagé contre les préjugés

C'est également un récit engagé car l'auteur met en avant le courage féminin, l'exigence qui est demandée aux femmes, leur peur de ne pas être à la hauteur, les discriminations et violences dont elles sont victimes. Il y dénonce aussi l'obscurantisme et les diktats religieux. C'est également un beau livre sur les préjugés, prouvant qu'on ne connait jamais vraiment les gens, on ne sait pas ce qu'ils vivent ou ce qu'ils ont vécu et il est souvent difficile de juger des actes de quelqu'un sans avoir tout le contexte.
Et, bien évidement, c'est une histoire qui aborde les thèmes difficiles de la maladie, la souffrance, la mort et le deuil. L'auteur met aussi en avant, mais sobrement, le courage des médecins, qui, en plus de soigner les blessures physiques peuvent également soigner l'âme.

Le récit est construit comme un puzzle, tous les personnages, les indices, les pensées de Jo et de Maria s'emboîtent parfaitement pour aboutir à une histoire magnifique et surprenante. A la fin, j'avais juste envie de relire le livre, pour en avoir une nouvelle interprétation, certains détails, qui me semblaient anodins, prendraient alors toute leur importance. J'aime beaucoup avoir cette impression et cette envie à la fin d'un roman !

Pour résumer, La ballade de l'enfant gris est un livre superbement construit, une histoire émouvante et captivante, joliment contée. Il y a du suspens, de l'amour, de l'humour, de l'émotion, des personnages forts, de la réflexion, de l'indignation, du rêve, de la poésie... que demander de plus ?

Le blog de l'auteur où il raconte le quotidien des soignants : http://www.alorsvoila.com/
Ses chroniques ont également été éditées en livre.
La ballade de l'enfant gris est son troisième roman.


Quelques citations :

"Cela arriva très vite, comme on rapporte au service après-vente plusieurs achats impulsifs dont on a honte" p 69

"Lucinda se tortilla sur son fauteuil, mal à l'aise. Sous ses dehors rétifs, je devinais un feu couvant sous les braises, comme tous les individus perdus à jamais pour la tendresse et qui, pour ne pas avoir été assez aimés, sont incapables d'amour" p 158

"Avec le nourrisson, elle avait exigé d'elle-même des pensées parfaites, des sentiments parfaits, des actes parfaits [...] Comment Jo pourrait-il le savoir ? il pensait détenir une vérité - un enfant est malade et sa mère l'abandonne - mais voilà qu'il a devant lui deux êtres humains qui gloussent, se vautrent dans la joie d'un temps immature, vidé de toute altérité, un lieu perpétué, de la mère au fils, et du fils à la mère, un lieu qui n'appartient qu'à eux. Sans doute ces grands sourires-là naissent-ils comme les levers de soleil les plus mémorables : des nuits les plus profondes." p 184

"J'avais parlé tout haut, mais l'enfant s'était volatilisé et ça m'a soulagé d'un poids immense ; il s'absente rarement ; cependant, quand il le fait, je respire. Sa présence? un doigt glaé posé au bas d'un dos brûlant de fièvre, et qui, pour minuscule qu'il soit, parvient à raidir le corps tout entier du malade." p 286

"Peut-être existe-t'il des moments dans la vie où on ne sait plus si le monde est un mensonge ou si le mensonge est le monde." p 405

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