jeudi 6 octobre 2016

"Landfall" : un roman puissant, magnifique et captivant sur le destin de deux jeunes filles après le passage de l'ouragan Katrina

Voici un formidable roman, intelligent, bien ficelé et passionnant écrit par l'américaine Ellen Urbani. Lanfall est son deuxième livre et il a quelque chose du chef-d'oeuvre tellement il est bien construit, intéressant et poignant.


L'histoire se passe en Louisiane, en 2005, quelques jours seulement après le passage du terrible ouragan Katrina qui ravagea toute cette région dans le sud des Etats-Unis. Rose et sa mère décident d'amener des vêtements neufs aux victimes de l'ouragan à la Nouvelle-Orléans mais, sur la route, elles se disputent et ont un terrible accident heurtant mortellement une jeune fille. Désormais orpheline, rongée par le remord et refusant que cette jeune femme sombre dans l'oubli, Rose part sur les traces de la victime. Elle se lance alors dans une véritable enquête allant de rencontre en rencontre pour essayer de comprendre qui était la jeune fille et comment elle arriva sur le bord de cette route qui lui fut fatale.
Rose va se découvrir de nombreux points communs avec la jeune disparue : toutes deux ont le même âge, (18 ans), quasiment le même prénom (Rose et Rosy), toutes deux vivaient avec leur mère et ont appris à se débrouiller seules, forgeant ainsi leur tempérament courageux et déterminé.  Mais elles s'opposent aussi par plusieurs aspects : leur couleur de peau tout d'abord, Rose est blanche et Rosy noire, leur relation avec leur mère, Rose ayant relation plutôt retenue avec sa mère Gertrude, Rosy une relation très fusionnelle avec Cilla. Rose et Rosy semblent être comme les deux faces d'une même pièce, l'une semblant être l'alter-égo de l'autre...

L'auteur décrit avec beaucoup de réalisme et d'humanité la vie des habitants de Louisiane avant, pendant et après le passage de l'ouragan. Cette population du Sud essentiellement noire et pauvre fut doublement victime de ce chaos climatique. D'abord les habitants subirent de plein fouet le terrible vent, les chutes d'eau abondantes et les inondations noyant des villages entiers, entraînant la destruction des maisons, des routes, les privant d'électricité, d'eau potable, de nourriture. S'ajoute à ce paysage de désolation les nombreux blessés, les disparus et les morts flottant dans les rues inondées... Mais on connait moins la "face cachée" de la catastrophe, le "après Katrina". Attendant d'être secourus, les habitants se rendent vite compte qu'ils sont seuls, abandonnés par les services publics, condamnés à lutter pour leur survie, la solidarité du début faisant place au "chacun pour soi". Les préjugés et le racisme, les inégalités sociales et la dénuement total de la population, l'absence de coordination des secours et le manque de soutien du gouvernement, tout cela entraîna un sentiment d'abandon et eut pour conséquence des troubles civils et des heurts avec la police. Ce deuxième effet de l'ouragan Katrina dont on a moins entendu parler est très justement retranscrit dans ce roman.

Alternant les récits de Rose au présent avec des passages retraçant les derniers moments de la vie de Rosy, les mélangeant avec leurs souvenirs d'enfances respectifs ainsi qu'avec le passé de leurs mères, l'auteur dresse de manière fort subtile les portraits psychologiques de ces quatre femmes à la fois fortes et fragiles. D'ailleurs, tout au long du récit, la plupart des personnages, essentiellement féminins, sont décrits avec beaucoup d'empathie,  ce qui en fait un récit très émouvant.

Enfin, Landfall est un roman captivant, l'auteur aiguisant habilement notre curiosité. En partant d'une situation dramatique que l'on découvre dès les premières pages, elle révèle au compte-goutte les informations nous permettant de comprendre comment les deux jeunes femmes en sont arrivées là, mêlant les souvenirs des unes et des autres, soulevant sans cesse de nouvelles questions. Le suspens est bien dosé, la construction du récit intelligente et l'histoire très bien documentée (à la fin du livre, l'auteur présente d'ailleurs toutes les sources qui l'ont aidé à la rédaction de ce roman). Bref, tout cela fait qu'il est très difficile de lâcher ce roman une fois qu'on est plongé dedans! Et, une fois la dernière page tournée, après avoir lu jusque tard dans la nuit et soufflée par l'issue du roman, j'ai eu envie de relire le livre pour en refaire son interprétation à la lumière de tous les indices auxquels je n'avais pas prêté attention !

Landfall / Ellen Urbani . - Gallmeister, mars 2016

>> NB : Ellen Urbani est spécialisée dans les traumatismes liés à la survie. Elle a notamment travaillé pour le département de la santé aux Etats-Unis et sur les répercussions émotionnelles dues à la maladie et aux catastrophes. On sent qu'elle connait bien son sujet tellement la description de la situation post ouragan est juste, tellement elle décrit avec empathie les sentiments de ces personnages, victimes d'un ou plusieurs traumatismes.

>> NB 2 : make landfall signifie "dévaster" dans le cas du passage d'un ouragan. Ici le titre est bien choisi puisque l'ouragan dévasta toute une région mais également les vies des principales protagonistes.

Quelques citations :

[Cilla] "Quand elle était chaussée, ils l'observaient avec méfiance, lui faisaient remarquer les tâches qu'elle avait manquées, glissaient la petite monnaie dans leur portefeuille. Quand elle était déchaussée, ils lui proposaient un verre d'eau, prenaient des nouvelles de sa fille. La présence d'une femme noire aux pieds nus dans leur maison nourrissait chez les résidents du Garden District un sentiment de confort héréditaire, atavique." p.30

[Rose]  "Elle avait simplement voulu prendre un nouveau départ. Recommencer à zéro. Faire ce qui devait être fait, et vite. Le faire avec force, sans s'effondrer, sans céder à l'émotion, comme sa mère lui avait appris. S'occuper l'esprit et les mains pour tenir, pour supporter la journée." p.128

[Rose] "L'idée, c'est qu'à n'importe quel moment, n'importe lequel d'entre nous pourrait $etre en train de faire quelque chose qui soit considéré un jour comme extraordinaie, et nous ne le savons même pas! On est juste en train de faire ce qui doit être fait pour que la journée passe, pour garder un bébé au chaud ou surmonter une tempête, et un jour quelqu'un en fait un livre, ou accroche notre création au mur d'un musée, et le monde entier la voit et s'en inspire !" p 177

[Rosy] "Je ne veux pas prier pour être protégée des dangers, mais pour avoir la force de les affronter. Je ne veux pas supplier pour que cesse ma douleur mais pour avoir le courage de la surmonter"







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