dimanche 14 février 2016

"Otages intimes", un roman délicat et intimiste

Etienne, photojournaliste, est retenu en otage depuis plusieurs mois, quelque part dans un lointain pays en guerre. Vient enfin le jour tant attendu, celui de sa libération. Entre la joie de retrouver la liberté, la rancœur et la colère envers ses ravisseurs cette guerre et ses injustices, l'appréhension de retrouver ses proches et sa vie d'avant, différents sentiments l'envahissent. Sa mère et ses amis l'attendent, partagés entre impatience, joie et anxiété. Passée l'émotion du retour, Etienne retourne dans son village d'enfance chez sa mère. Là, il se retrouve au calme, loin du tumulte du monde. Cette sérénité nouvelle l'invite à réfléchir sur sa vie, son travail de reporter en zone de guerre, ses amis et ses amours passées. Il repense beaucoup à son enfance, aux liens qu'il a tissé avec Enzo et Jofranka, ses amis de toujours. Bien que toujours très proches, tous trois ont pris des chemins différents. Il repense également à son ex petite amie, Emma, qui l'a quitté car ses absences répétées lui pesaient trop. 


Multipliant les narrations, alternant successivement le récit des pensées d'Etienne, celles de Jofranka, d'Enzo, d'Emma et de sa mère Irène, ce roman nous plonge au plus intime des pensées de chacun.
Etienne repense au cauchemar qu'il a vécu ses derniers mois. En colère d'avoir été transformé en simple monnaie d'échange, au même titre qu'un simple objet, blessé d'avoir vécu confiné à la merci de soldats déterminés, il a beau être dorénavant libre, il se retrouve changé à tout jamais, enfermé dans ses pensées. Il s'interroge sur le sens de sa vie, la comparant à celle de ses amis, ceux qui "ont choisis de rester". Il se questionne sur son engagement, sa volonté de témoigner des horreurs de ce monde.

Les proches de l'ex-otage sont aussi en proie à des pensées confuses. Pour tous, le retour d'Etienne soulève beaucoup d'émotions. Enzo, au caractère pourtant très différent d'Etienne, retrouve son ami d'enfance. Jofranka, avocate défendant les femmes victimes de guerre retrouve l'ami défendant les mêmes causes qu'elle. Emma apprend à vivre sans son ancien amant. Et sa mère, Irène, est aux petits soins pour son fils, à la fois heureuse de son retour et triste de ce qu'il a enduré. Elle l'aide à reprendre pied, respecte son silence. Mais elle appréhende un nouveau départ et repense avec regret à son mari, parti des années plus tôt.
Tous sont chamboulés par ce retour : la joie des retrouvailles, les regrets d'une vie passée, des non dits, des échecs, des blessures de l'enfance, des rêves brisés...

L'écriture de Jeanne Benameur est poignante et poétique. Certains passages enchaînent des phrases courtes, percutantes, incisives pour décrire une situation ou des sentiments d'impatience.  
" Sur le tarmac, un frémissement. Ca y est. L'avion est apparu dans le ciel. Les coeurs battent plus fort, les têtes sont levées. Etienne laisse quelque chose d'immense l'irradier, une vague de fonds qui l'emporte le roule le submerge mon dieu la joie la joie la joie." (p.58)

D'autres sont métaphoriques ou davantage philosophiques pour retranscrire les réflexions des différents personnages. 
" Il y a parfois dans les ciels tumultueux de printemps, au bord de l'océan une clarté brusque qui aveugle contre l'ardoise miroitante des nuages. Dans une déchirure du ciel, inattendu, un bleu, irrisé de lumière et de pluie, lavé, incroyable. Un bleu de miracle. C'est là que se tient sa mère. Juste sa peau contre les nuages. Une bourrasque et elle pourrait disparaître." (p 59)

Tout en retenue, l'auteure décrit avec beaucoup de justesse les sentiments ce cet ex otage ainsi que ceux de ses proches. Toutefois, j'avoue que toutes ces réflexions intimes ainsi que les nombreux effets de styles m'ont parfois lassé. Il n'en reste pas moins qu' Otages intimes est un beau roman délicat et... intimiste.



Quelques citations :

"Etienne sent le souffle comme arrêté dans sa poitrine. Cet homme a vu tout ce que la guerre permet, il a eu les armes en main, lui il avait juste son appareil. Ce qu'ils peuvent avoir en partage, c'est seulement l'effroi, il en est soudain conscient et ça lui fait horreur. Aucun des deux n'est plus innocent de ce qu'un homme peut faire à un autre homme. C'est un savoir qu'aucune paix n'efface" p.36

" Chaque nuit depuis son retour, il faut qu'il lutte pour ne pas se sentir réduit. Il lutte contre le sentiment d'avoir perdu quelque chose d'essentiel, quelque chose qui le faisait vivant parmi les vivants." p. 68

" Les grands arbres sont là. Il sent leur présence muette autour de lui. S'en remettre à leur force. Rien ici n'a changé. Et rien n'a besoin de lui pour être. Il peut être inutile. C'est ça le repos." p.71

"Il y a des nuits où tout l'espace de la mémoire se déploie. Les territoires sont ouverts. C'est cela qu'il avait fuit pendant tout le temps de son enfermement. Il s'était tenu loin de lui même. Il avait arrêté quelque chose de vivant. Suspendu. L'enfermement creuse les failles." p. 113

"Dormez, dormez encore, c'est juste l'aube, moi je veille. Pour chacun de vous. Pour nos enfances. Pour la part à l'intérieur de nous que nous n'atteignons jamais. Notre part d'otage." p. 123

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