vendredi 10 février 2017

"La succession", un roman mélancolique teinté d'humour noir sur le poids de l'héritage familial

L'écrivain Jean-Paul Dubois est connu pour son regard cynique et désabusé qu'il porte sur la société et les rapports humains. Son dernier roman, La succession, n'échappe pas à la règle : c'est un roman à la fois ironique, sombre et mélancolique sur les déboires d'un homme en quête de sens, écrasé par une histoire familiale dramatique. Une autre découverte de la rentrée littéraire 2016 !



Un homme en quête de sérénité trouve refuge dans la compétition de pelote basque aux USA

"Ce fut des années merveilleuses. Quatre années prodigieuses durant lesquelles je fus soumis à un apprentissage fulgurant et une pratique intense du bonheur" C'est en faisant le point sur sa vie que s'ouvre le roman. Ces quatre années auxquelles le narrateur fait référence ce sont celles qu'il passa à Miami dans les années 80 en tant que joueur professionnel de "Cesta Punta", la belote basque. Originaire de Toulouse, Paul a fuit une histoire familiale difficile et une voie de médecin toute tracée par son paternel pour trouver un avenir plus serein aux Etats-Unis. Un jour, alors qu'il fait un tour en bateau, il sauve un petit chien de la noyade. Celui-ci deviendra son compagnon pendant les dix années à venir. Le seul d'ailleurs, car, malgré quelques amis de son club, Paul se sent assez seul. "Je ne dirai jamais assez combien la compagnie et la présence de ce chien me furent précieuses durant cette période où la mémoire des morts allait et venait au gré des flux et des marées de la mémoire."(p 85)

Une histoire familiale tragique refait brutalement surface

Il évoque avec cynisme et détachement son enfance terne et solitaire dans une famille peu démonstrative où chacun s'est progressivement donné la mort. Un grand-père qui fut un des médecins de Staline et avait à ce sujet des histoires incroyables à raconter. Une mère inséparable de son propre frère au point de vivre toute sa vie à ses cotés. Un père médecin qui ne vivait que pour son travail. Des parents qui ne manifestaient jamais d'émotion ni entre eux ni envers lui. Le narrateur raconte avec humour noir comment les membres de sa famille se sont tour à tour suicidés et comment cela ne semble pas les avoir bouleversés plus que ça, du moins en apparence. Selon lui, c'est probablement le mélange de sang slave et grec de sa famille qui justifie le penchant de sa famille pour le drame et la tragédie, comme une sorte de fatalisme généalogique.

Bien qu'il ne se soit jamais vraiment senti proche des membres de sa famille, Paul a préféré mettre de la distance avec l'histoire tragique de sa famille. Mais voilà qu'il reçoit un courrier de son père qu'il n'a pas vu depuis plusieurs années. L'enveloppe contient juste la photo de la voiture familiale dans laquelle s'est tué sa mère et cela suffit pour faire remonter des souvenirs. Et Paul est à peine surpris quand, quelques jours plus tard, il apprend le suicide de son paternel... Il revient alors en France s'occuper des funérailles et le voilà replongé dans le passé, d'autant plus qu'il loge dans la sombre demeure de son enfance. Lorsqu'un collègue de son père vient à sa rencontre, c'est pour lui dresser un portrait de cet homme, bien différent de celui qu'il croyait connaitre. Un voile s'ouvre alors sur la personnalité ambiguë et méconnue de son père...

Une longue parenthèse américaine

La première partie du roman raconte cette étrange histoire de famille qui pourrait constituer le scénario d'une tragédie grecque. Or, le ton est plutôt ici à la comédie burlesque. Ensuite, lorsque Paul repart aux Etats-Unis après les funérailles de son père, une longue digression de près de cent pages relate sa vie de joueur professionnel, revient sur sa découverte de la pelote basque, son repérage par un entraîneur et son envol pour jouer en pro aux USA. S'en suit l'ambiance de l'équipe, le management compétitif, les complications du club, etc. Il revient aussi longuement sur sa rencontre avec une femme plus âgée dont il tombe amoureux. Toute cette partie m'a semblé trop longue et comme détachée du reste de l'histoire. C'est sans doute voulu, comme pour montrer le besoin de couper les ponts, de s'évader du narrateur, mais on ne voit pas trop le rapport avec le début de l'histoire. Je me suis un peu lassée ne comprenant pas où voulait en venir l'auteur.
C'est une période durant laquelle Paul se pose pas mal de questions, s'interrogeant notamment sur son avenir professionnel, sa situation amoureuse, le sens de sa vie. La mort de son père semble avoir fait éclater la bulle de confort qu'il s'était construit en Amérique.  

Un dénouement intriguant et inattendu

Paul revient plus tard en France s'installer dans la sombre demeure familiale et, en fouillant un peu, va découvrir progressivement un des secrets de son père... Je ne peux pas en dire plus au risque de révéler l'intrigue mais le dénouement est surprenant et plutôt inattendu. Au fur et à mesure qu'on avance dans le récit, l'histoire prend une autre tournure, le ton devenant plus mélancolique, plus grave.
Ce livre invite à une réflexion sur le sens de la vie, le poids de l'héritage familial, les secrets de familles. Peut-on échapper à son destin? La succession est un roman assez sombre qui dresse le portrait psychologique d'un homme torturé, un récit qui aborde tant la succession matérielle que la succession morale.

Les lecteurs habitués de Jean-Paul Dubois retrouveront dans ce roman plusieurs éléments récurrents de l'oeuvre de l'écrivain : le narrateur se prénommant Paul, la présence du petit chien, la place qu'occupe les voitures, l'océan, le sport...

L'écriture est rythmée et acérée alternant des phrases courtes et percutantes avec d'autres plus longues, souvent très imagées, relatant les réflexions philosophiques ou psychologiques du narrateur. Le ton est original, alliant humour noir, amertume, fatalisme, introspection psychologique et réflexions sur le monde.
Dans l'ensemble, j'ai plutôt bien aimé ce roman malgré les longueurs du milieu : le ton est original,c'est bien écrit et l'histoire incite à la réflexion. De plus le dénouement est surprenant !

Quelques citations :

"Sans doute Jules était-il un homme translucide, traversé par la lumière sans jamais la capter, mais il fut le seul membre de ma famille à tenter de m'ouvrir au monde et aux autres, à me sortir de l'enclos katrakilien, à m'extraire de ce bain amniotique dans lequel nous marinions tous à longueur d'années." p 78

"Les moteurs humains démarrent parfois au moment où on ne les attend pas et il serait vain de se montrer trop regardant sur la nature du carburant qui alors les anime." p 112

"Depuis que le monde était monde, il y avait toujours eu deux façons de le considérer. La première consistait à le voir comme un espace-temps de lumière rare, précieuse et  bénie, rayonnant dans un univers enténébré, la seconde, à la tenir pour la porte d'entrée d'un motel mal éclairé, un trou noir vertigineux qui depuis sa création avait avalé 108 milliards d'humains espérants et vaniteux au point de se croire pourvu d'une âme" p 224

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