samedi 25 février 2017

"Repose-toi sur moi" : de l'histoire d'amour improbable au thriller psychologique, ce roman passe du conventionnel à inattendu.

Je continue la lecture des nouveautés de la rentrée littéraire 2016. Serge Joncour, l'auteur de L'Amour sans le faire et L'écrivain National a publié en septembre dernier Repose-toi sur moi, un roman certes très parisien mais captivant dans lequel il dresse le portrait psychologique de deux êtres que tout oppose.


Des corbeaux à l'origine d'une rencontre improbable

Ludovic est une armoire à glace de 46 ans, un doux géant solitaire de nature toujours sereine et positive. Mais derrière son apparente tranquillité se cachent bien des blessures. Arrivé à Paris depuis peu, il exerce le triste métier de recouvreur de dettes, boulot dont il n'est pas très fier mais qu'il essaie de faire avec le plus de tact et de justice possible. Sa vie est faite de sacrifices, par rapport à sa famille, à la ferme de ses parents, à son village d'origine, à sa femme... Il vit dorénavant avec ses souvenirs, ses regrets et ses frustrations, seul dans un petit deux-pièces parisien.

De l'autre coté de sa cour, se trouvent des appartements bourgeois. C'est là que vit Aurore, avec son riche mari américain et ses deux enfants. C'est une femme distinguée, gracieuse, intelligente bien qu'un peu snob. Styliste de métier, elle a lancé sa propre marque de vêtements il y a quelques années mais fait fasse à de gros problèmes financiers. Elle a de plus en plus de mal à jongler entre sa caquette de mère de famille, celle de femme moderne et celle de patronne. Jusqu'à présent, elle trouvait refuge dans la quiétude de sa cour d'immeuble mais voilà que des corbeaux y ont pris leurs aises ! Incomprise par son mari,  démunie face aux difficultés financières, elle fait face à beaucoup de pression et se sent de plus en plus dépassée. S'ajoute à cela ces deux oiseaux noirs qui l'effraient et lui semblent de mauvais augure...

Dans la première partie du roman, les chapitres alternent successivement la description du quotidien de Ludovic et de celui d'Aurore, nous dévoilant leurs pensées, décrivant leur environnement professionnel et familial. Certains passages m'ont lassé, notamment ceux évoquant le milieu la mode dans lequel travaille Aurore, ou ses tracas de bobo parisienne. En fait, durant les 50 premières pages j'ai trouvé cette histoire trop conventionnelle et sans grand intérêt. Mais l'auteur parvient à éveiller progressivement notre curiosité en évoquant quelques étranges réactions des personnages, dévoilant tout doucement des profils psychologiques intéressants.

Une histoire d'amour impossible

Ludovic et Aurore sont deux citadins presque ordinaires, bloqués dans leur routine parisienne. L'un fait parti de la classe populaire, l'autre de la petite bourgeoisie. Ils n'ont en commun que la cour de leur immeuble.
Tout les oppose et, d'ailleurs, lors de leurs premiers échanges, ils s'exaspèrent mutuellement. Lui méprise les airs bourgeois et condescendants d'Aurore et elle ne comprend pas cette quiétude permanente, sa simplicité. Elle est à la fois énervée et intriguée par cet homme que "rien ne gêne" (c'est lui qui le dit).
Puis, petit à petit, à cause de cette histoire de corbeaux notamment, ils vont se rapprocher. Ils commencent par se guetter, se chercher. L'énervement mutuel fait place à une drôle d'attirance. Car, comme le dit un diction populaire, "les contraires s'attirent"... Et, inéluctablement, ils vont entamer une ardente liaison.
Mais quel est l'avenir de cette relation entre cet homme de la campagne renfermé et cette citadine élégante mariée mère de deux enfants?

Leur relation est passionnée, ils vivent chaque rencontre comme si c'était la dernière. Mais tandis qu'Aurore se livre à Ludovic, ce dernier reste plus secret, voulant conserver son rôle d'homme inébranlable. L'un comme l'autre, ils veulent se protéger, combler leurs manques respectifs, parer à leurs difficultés. Si bien que Ludovic finit par s'embarquer dans des histoires qui ne le concernent pas et qu'Aurore s'agrippe à lui comme à une bouée de sauvetage : il est sa bulle d'oxygène, son confident, sa béquille. Progressivement, on constate que derrière l'apparente tranquillité de Ludovic se cache un caractère impulsif et fougueux. Un surplus de tristesse, de solitude et de frustration en ont fait une cocotte-minute prête à exploser.

Une tension psychologique montante

La dernière partie du roman tient plus du thriller psychologique que de l'histoire d'amour. On découvre les failles des personnages, des fêlures qui étaient dissimulées derrière des apparences et qui resurgissent face au stress, à la pression, à l'attente de l'autre et à l'amour passionné. On sent qu'ils perdent pieds, qu'ils ne maîtrisent plus rien et que ça peut déraper à tout moment. Et c'est cette tension qui nous tient en haleine durant la deuxième partie du roman, avec notamment plusieurs rebondissements. Un parallèle intéressant est fait avec leur état de santé physique également...
La fin est inattendue, surprenante et le titre prend enfin tout son sens dans les dernières pages !

Repose-toi sur moi est l'histoire d'une rencontre entre deux personnes antagonistes qui va faire exploser leur quotidien. C'est un récit sur les maux urbains, notamment la solitude des citadins et certaines phobies sociales. C'est un roman très mélancolique qui fait référence au poids du passé, de la famille, des souvenirs. Et, surtout, c'est un récit sur les faux-semblants, sur les apparences qu'on veut donner de soi, sur le rôle qu'on se donne à soi-même comme aux autres.

Avec un rythme soutenu, une écrite rapide et efficace faite de phrases dès fois très longues, hachées par de nombreuses virgules, l'auteur nous pousse dans ce récit à en perdre haleine. J'ai trouvé cette histoire très cinématographique, en partie notamment grâce aux nombreuses descriptions qui sont faites de l'environnement des personnages ainsi que de la personnalité même de Ludovic et d'Aurore.

Repose-toi sur moi / Serge Joncour . - Flammarion, 2016
Prix Interallié 2016

Quelques citations :

"Ces deux corbeaux sont à l'image de toutes ces peurs qui l'encerclent en ce moment, ces choses qui se détraquent, ces dettes qui s'accumulent, et son associé qui ne lui parle plus, depuis septembre tout concours à l'affoler." p 22

"En ville on passe sa vie à produire une première impression, à longueur de journée on croise des milliers de regards, autant d'être frôlés de trop près, certains en les remarquant à peine, d'autres en ne les voyant même pas." p 23

"Quand on parait fort, il faut en plus se résoudre à l'être. Depuis quarante-six ans on le voit comme un gars solide, celui que rien n'atteint. Alors qu'en réalité il se sent complètement écrasé par cette ville." p 25

"Parfois, à des petits carrefours inattendus de la vie, on découvre que depuis un bon bout de temps déjà on avance sur un fil, depuis des années on est pari sur sa lancée, sans l'assurance qu'il y ait vraiment quelque chose de solide en dessous, ni quelqu'un, pas uniquement du vide, et alors on réalise qu'on en fait plus pour les autres qu'ils n'en font pour nous, que ce sont eux qui attendent tout de nous, dans ce domaine les enfants son voraces,avides, toujours en demande et sans la moindre reconnaissance, les enfant après tout c'est normal de les porter, mais elle pensa aussi à tous les autres, tous ceux face auxquels elle ne devait jamais montrer ses failles, parce qu'ils s'y seraient engouffrés, ils ne lui auraient pas fait de cadeaux." p 72

"Il devait sans cesse dominer cette envie de taper dedans, que ce soit avec l'alcool, un volant, une moto, tout ce qui grise, il fallait su'il gère. [...] même à quarante-six ans le problème pour lui c'était de toujours gérer l'influx, de déjouer l'agressivité et surtout d'éviter tout ce qui aurait servi à compenser, que ce soit l'alcool ou la bouffe, la tentation de défier."p 193

"Il sentait bien qu'aimer cette femme était une suite de risques à prendre, non seulement elle était mariée, mariée à un homme indiscutable, à l'aise, brillant, sur tous les plans elle était très éloignée de lui, mais en plus elle était en traint de perdre pied." p 295

"Elle était tout l'inverse de lui. En fin de compte il l'enviait, il enviait sa jeunesse, sa grâce, c'était un moment volé à une vie qu'il n'avait pas, un fragment de couple" p 373

"Elle le croyait fiable, inébranlable. Ce serait terrible pour elle de découvrir qu'il n'était pas aussi fort que ça. Il ferait tout pour lui épargner cette désillusion, même s'il voyait bien que les événements se mettaient à le dépasser" p 373

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