mercredi 23 juillet 2014

Il ne fait pas bon danser dans l'Irlande des années 30... Superbe film de Ken Loach

Jimmy's Hall

Ken Loach, réalisateur engagé, défenseur des classes modestes, des travailleurs, de la liberté et de l'égalité aime peindre dans ses films la riche histoire politique et sociale du Royaume-Uni. Le voici de retour avec un  (dernier?) magnifique film engagé et  humaniste. L'histoire se base sur des faits réels, celle James Gralton qui ouvrit à deux reprises un lieu de vie, de culture et d'échange dans un village d'une campagne irlandaise, ce qui lui attira les foudres des conservateurs, de l'Etat, de l'Eglise car il bousculait ainsi l'ordre établit au point d'être condamné. (Plus d'infos sur la vie de James Gralton ici). Cela paraît tellement dingue comme histoire de nos jours qu'il fallait le talent de Ken Loach pour la raconter avec justesse.

L'histoire part d'un fait divers et se transforme en drame social reflétant les tensions et divergences entre classes sociales du pays.


Irlande, 1932. Jimmy revient de New York où il a passé 10 années loin de son pays natal. Il retrouve ses amis, sa mère, la femme qu'il a autrefois aimé. Tous ont été touché par les événements survenus en Irlande durant ces dix années, on le devine à mots couverts.
En 1922, il avait ouvert un "hall" dans son village, un lieu de vie pour danser, apprendre à chanter, à peindre, échanger. Mais les attroupements "libres" non autorisés par l'Eglise et l'Etat font peur car les gens découvrent d'autres façons de penser, d'autres cultures, s'épanouissent et peuvent être moins facilement influençables, voir manipulables. C'est ce que démontre avec justesse ce beau film.

Bande-annonce :



C'est un film très émouvant, pudique, sans mélo. Les personnages sont simples, authentiques, engagés. Et Jimmy (Barry Ward) est très charismatique.
L'histoire se déroule dans la verdoyante campagne irlandaise et offre de magnifiques vues. Les références à l'histoire du pays, à l'IRA, au début du syndicalisme, au puissant rôle de l'Eglise y sont très nombreuses.


L'Eglise, représentée ici par un vieux curé austère et moralisateur, heurté par le désir de vivre de ces habitants et le courage de Jimmy accuse ce dernier d'être un impie, un athée, pire : un communiste et fait tout pour le discréditer auprès de ses fidèles, jusqu'à employer des méthodes limites pour faire culpabiliser au maximum ces pauvres gens. Le personnage du prêtre est intéressant : il est fasciné par Jimmy, cet être libre qui respire la joie de vivre. Il considère le communisme comme une doctrine qui influence les gens qui ont besoin d'être "sauvés", que "croire en quelque chose" alors que l'Eglise fait finalement la même chose. Et Jimmy ne cesse de mettre le prêtre face à ses principes, ses peurs, de remettre en question sa "morale".


Il tente de démontrer que son projet, le "hall" est bon pour les habitants, pour le village, car il permet de les faire se rencontrer, échanger entre eux, se cultiver... Mais c'est véritablement ce qui fait peur à l'Eglise et aux groupes extrémistes et, malheureusement, Jimmy et ses acolytes se retrouveront bien démunis face à la bêtise  et l'obstination du pouvoir en place et auront bien des difficultés à faire changer les mentalités. Le curé est toutefois un personnage assez ambigu car, bien qu'opposant farouche à Jimmy, il finira par reconnaître son courage et sa foi dans ses idées, même si elles sont à l'opposé des siennes, lorsque ce dernier est malmené par une foule hargneuse. Il dira notamment : "cet homme a plus de courage que vous tous réunis!" en regardant partir son plus tenace adversaire.


Jimmy's hall c'est aussi une histoire d'amour impossible, de rendez-vous manqués à cause des tristes circonstances de la vie. Sans grandes démonstrations, Jimmy et Onaagh vous briseront le coeur.


C'est un film sur la joie de vivre, le courage, la volonté de se battre face à l'oppression, pour des convictions, d'aller au bout de ses rêves.


J'ai trouvé ce film sublime, bien construit, mais aussi assez épuré puisqu'il contient de nombreuses ellipses, de sous entendus et de silences qui en font toute la richesse. De plus, les textes sont riches, intelligents. Un vrai bonheur à voir et à écouter (ou à lire, si comme moi vous le voyez en VOST).

Jimmy's Hall / film britannique réalisé par Ken Loach, avec Barry Ward, Simone Kirby, Andrew Scott, Jim Norton, etc. . Sortie le 2 juillet 2014. 

mercredi 2 juillet 2014

La petite communiste qui ne souriait jamais

Après quelques lectures décourageantes, il était temps que je lise de nouveau un livre me redonnant le goût de la lecture. Enfin, après plusieurs mois d'attente (livre très réservé à la médiathèque), j'ai pu lire ce beau roman qui fut récompensé par plusieurs prix littéraires lors de sa sortie en janvier dernier.

La petite communiste qui ne souriait jamais c'est une sorte de biopic romancé de la célèbre gymnaste roumaine Nadia Comaneci qui pulvérisa les records lors des jeux olympiques de 1976, alors qu'elle n'avait même pas 14 ans. Mais ce sont aussi des échanges "imaginaires" entre l'auteur et son sujet d'écriture, le narrateur tentant de percer les secrets de la jeune gymnaste. A vrai dire, ce mélange de styles est un peu troublant car, apparemment, l'auteure n'a jamais eu de véritables échanges avec Nadia, la plupart de ces "conversations" -qui semblent pourtant très réalistes- seraient en fait tirées d'un livre autobiographique de Nadia Comaneci ! (De nombreuses sources documentaires sont citées à la fin du livre).
Mais, en plus d'être une histoire vraie, c'est également un roman d'aventures qui rend palpitante et énigmatique la vie de cette jeune championne. Enfin, il s'agit d'un roman historique puisqu'à partir du récit de la vie de Nadia C, Lola Lafon en fait une histoire de la Roumanie sous Ceausescu.


L'histoire :

Qui se cache derrière cette championne de gymnastique roumaine? Qui est cette adorable fillette qui fit "planter" les tableaux d'affichage de Montréal qui n'avaient jamais affichés la note 10.00 auparavant? (et affichèrent du coup 1.000!)
L'auteure décrit l'enfance de la jeune Nadia, repérée dans sa cour de son école par celui qui sera son entraîneur, Béla. Ce dernier est à la tête d'une école de gym, une véritable "fabrique" de championnes, qu'il entraîne sans relâche, sans pitié, malgré leurs blessures, les privations, pour en faire les meilleures, à la gloire de la Roumanie communiste. C'est ainsi que Nadia rafle toutes les médailles lors des JO de Montréal en 1976 et devient une idole dans son pays. Ceaucescu en fera une icône du pouvoir, un symbole de la force, du courage, de la ténacité et de la réussite communiste. Ainsi, elle deviendra un modèle pour toutes les petites filles roumaines mais aussi du monde entier.


De longs passages décrivent les entraînements drastiques, impitoyables qu'elle a pratiqué, la volonté de cette petite fille devenue championne du monde, son obsession de la réussite, le régime alimentaire drastique auquel elle doit se tenir, qui frise l'anorexie, pour rester la plus légère possible, puis, le traumatisme d'un corps qui change à l'adolescence, qu'elle appelle la "maladie". La puberté qui entraîne le rejet de ses paires et des médias face à une gymnaste un peu trop féminine, un modèle qui s'éloigne de l'adorable fillette, de "petit écureuil" (surnom que lui donne son entraîneur) qu'on a connu quelques années plus tôt.

Couverture du magazine Time en 1976 après l'épreuve des JO de Montréal

Ce roman dénonce l'instrumentalisation des sportifs par les politiques, en particulier sous le régime communiste. Il met aussi en évidence l'influence des médias sur la création d'un "star système" tellement fragile.

Pourquoi j'ai aimé ce livre :

J'ai beaucoup aimé ce roman car son sujet est intéressant et instructif : je suis trop jeune pour avoir connu les exploits de cette jeune gymnaste qui passionna les foules et qui fut instrumentalisée par le pouvoir communiste roumain. Ce livre montre bien à quel point les jeux olympiques et le sport de manière générale peuvent être utilisés par un régime, jusqu'à en faire une "arme" politique. Le roman est très bien documenté, ce qui fait qu'à plusieurs reprises j'ai été tenté de vérifier certains faits sur Internet. Même les plus tristes s'avèrent véridiques!
De plus, on est plongé dans la Roumanie de Ceaucescu, l'auteure détaillant le quotidien des habitants, l'espionnage, les lois absurdes, les privations, l'utilisation des femmes comme "machines à reproduire" et les horribles contrôles de fécondité, les échanges avec l'Occident... Là aussi j'ai appris énormément de choses.

Représentation officielle de Nicolae Ceaușescu, dans le style du réalisme socialiste. / Wikipédia

Puis vers la fin, lorsque Nadia fuit le régime communiste au dernier moment pour les Etats-Unis, alors qu'elle apparaît rondelette et hautaine, que son image est ternie par les médias, l'auteur met l'accent sur le contraste entre un pays capitaliste, libéral, soit disant "libre" qui apparaît tout aussi impitoyable que le régime communiste, dans un autre genre. D'ailleurs, Nadia dira qu'elle est dans un pays libre mais ne se sent pas "libre". On apprend aussi quelques informations sur sa fuite mystérieuse, ses mauvaises rencontres etc. Tout cela est passionnant.

Lola Lafon se démarque par son style, tantôt romanesque, tantôt épistolaire, où s'ajoutent de nombreuses notes en italiques décrivant les échanges souvent ambigüs entre l'"auteure" et la gymnaste. Les chapitres sont courts, l'écriture fluide et claire, le style agréable, ce qui est un véritable plaisir pour la lecture.
Vers la fin du roman, le rythme s'accélère en parallèle aux événements qui y sont relatés : la chute de Ceaucescu et la fuite de Nadia.

Lola Lafon est une auteure franco - russo - polonaise qui a vécu notamment à Bucarest. Elle est aussi passionnée de danse. C'est pourquoi ce livre a du lui tenir à coeur car il est vraiment bien documenté et construit.

Bref, tant sur la forme que sur le fond, j'ai beaucoup aimé ce livre alors que je ne suis pas passionnée de gymnastique!

La petite communiste qui ne souriait jamais / Lola Lafon . - Actes Sud, 2014

Quelques citations : 

- Elle est l'Enfant nouvelle du progrès, plus moderne encore que l'industrie pétrolière roumaine en pleine expansion. p. 106

- Je ne vais pas tourner le dos à ce qui me fait peur. Je fais face, parce que la seule façon d'échapper à ma peur c'est de la piétiner. p. 161

- Le pays, m'explique Radu P., un journaliste, était devenu une fiction à laquelle personne ne croyait, personne... Il fallait continuer à faire semblant. Les années 1980 étaient le cauchemar de l'absurde... p.218

- Décret : toutes les femmes de 18 à 40 ans devront se soumettre à des examens gynécologiques mensuels sur leurs lieux de travail pour détecter une éventuelle grossesse [...] p 231

- Avant, il n'y avait rien dans les magasins, aujourd'hui, il y a tout et on n'a pas les moyens d'acheter quoi que ce soit, alors quel système est le meilleur, ils posaient la question comme une équation amère. p 253
[...] "En 1989, ont-ils donné leur vie pour que nous ayons plus de Coca-Cola et de McDonald's? Ont-ils donné leur vie pour que nous devenions esclaves du FMI? Sont-ils morts pour que nous nous enfuyions toujours plus loin de cette Roumanie qui ne peut nous offrir une vie décente? [...] p 253

- Ils avaient constamment peur, c'est vrai, peur de dire des choses interdites, aujourd'hui, on peut tout dire, félicitations, seulement personne ne nous entend... Avant on avait pas l'autorisation de quitter la Roumanie, mais aujourd'hui personne n'a les moyens de quitter le pays. A la censure politique est terminée, mais pas de souci, elle a été remplacée par la censure économique. p 255

- C'était un lutin vierge qui, d'un adorable geste de la main à la fin des exercices nous faisait frisonner, ses cheveux brillaient comme ceux d'une poupée, rien chez elle, de chez adolescentes lascives et molles que Hollywook nous sert à la louche : c'est un angelot de fer, moralement inflexible. La petite communiste qui enseignait au monde entier l'équilibre sur les pointes de ses petons rayonnait sur nos vies, jusqu'au moment où  : elle nous piétine ! p. 276

- Les médias occidentaux managent le récit de la révolution roumaine, une histoire très semblable à celle de Nadia C. : des chiffres, des juges et du direct. La révolution, cet hiver 1989, fut le show mondial fascinant, le spectacle haletant d'une chute, détrônant celui des gamines implacables qui ne tombaient jamais. p.307