mardi 25 avril 2017

Berlin'56 : chronique historique et sociale passionnante de l'Allemagne des fifties à travers un portrait de famille

Peut-être avez-vous regardé dernièrement cette petite série allemande diffusée sur ARTE fin mars. Berlin 56 pour son titre français, Ku'damm 56 pour le titre original. Ku'damm c'est l'abréviation de Kurfürstendamm, une grande avenue qui traverse Berlin. Et 56 c'est le numéro de l'école de danse tenue par la famille Schöllack, au coeur de cette histoire familiale dans le Berlin d'après guerre.


56 c'est aussi l'année où se passe cette histoire, soit onze ans après la fin de la Seconde Guerre Mondiale, dans une ville en pleine reconstruction, où réapprennent à vivre ensemble les anciens oppresseurs et les anciens oppressés. C'est une époque au climat politique tendu, entre capitalisme et communisme, cinq ans avant la construction du Mur.

Le trailer en allemand (pas trouvé en français) :


Quatre portraits de femmes dans le Berlin des années 50

Dans la famille Schöllack, je vous présente la mère : allure impeccable, grand sens moral, elle garde quasiment tout le temps l'apparence d'une femme dure, droite, très à cheval sur ses principes et surtout sur les apparences. Très stricte avec ses trois filles, elle ne fait preuve d'aucune compassion, même quand celles-ci sont dans des situations vraiment difficiles. Cependant, sous ses airs irréprochables, elle cache bien des secrets, pas toujours en phase avec la morale qu'elle semble tant défendre... On en découvre un peu plus à chaque épisode, ce qui donne en partie son souffle à la série.

Le père, quant à lui, est officiellement porté disparu depuis la fin de la guerre mais les filles doutent qu'il soit mort. Leur mère préférait pourtant presque cela au fait qu'il ne veuille plus revenir, cela serait plus acceptable. Là aussi, on sent dès le premier épisode pointer une intrigue de ce coté.

Le plus grand désir de Mme Schöllack est de marier ses trois filles à de bons partis afin d'assurer le statut social de la famille. Bien entendu, on est dans les années 50 et il n'est même pas envisageable qu'une femme reste célibataire, travaille et soit autonome. Pour être heureuse, il faut forcément qu'elle fasse un "bon mariage" c'est à-dire un "riche" mariage en mettant de coté tout bon sentiment et tout plaisir puisque, dixit la mère, les femmes n'en ont pas (du plaisir). La femme a donc pour but dans la vie de trouver un riche mari et ensuite de tout faire pour le satisfaire.

la famille Shöllack

Helga, l’aînée des trois filles, vient tout juste de se marier à un jeune homme dont elle pense être amoureuse. Elle apprend maintenant à être une bonne ménagère en suivant les conseils de sa mère et les manuels dédiés. Son mari, en passe de devenir procureur, fait la grande fierté de sa mère. Mais leur couple apparemment idéal va vite être mis à mal, monsieur devant lutter contre des penchants qu'il refuse d'assumer, ce qui le rend autoritaire et injuste envers son épouse. Au final, Helga se retrouve coincée dans un mariage triste, faux, et soumise à un mari frustré et autoritaire.

Helga

Eva est la cadette, c'est aussi la seule des filles qui travaille. Elle est infirmière dans un hôpital psychiatrique où le remède miracle à la plupart des maux semblent être les électrochocs. Sur les conseils de sa mère, elle tente de séduire son professeur de presque trente ans son aîné afin de s'assurer un riche mariage. Lorsqu'elle est amenée à prendre en charge une nouvelle patiente, elle fait la connaissance du mari de cette dernière et va devoir faire face à de nouveaux sentiments. Suite à cette rencontre, ses certitudes s'effondrent.

Eva

Le plus gros de l'intrigue tourne toutefois autour du personnage de Monika. Contrairement à ses sœurs, elle n'a pas encore trouvé sa voie et encore moins un mari potentiel, au grand désespoir de sa mère. C'est une petite blonde à lunettes, timide, qui ne rentre pas dans le moule. Bien qu'obéissante et pleine de bonne volonté, elle se sent à l'étroit dans cette famille dont elle soupçonne beaucoup de non dits, de secrets et où elle se sent incomprise. De plus, elle ne répond pas aux codes que lui impose cette société formatée par une certaine morale. Sa mère la considère comme une bonne à rien depuis que Monika a été recalée de l'institut des arts ménagers, une école pour apprendre à être une bonne femme au foyer. Elle lui demande alors de se rapprocher de Joachim, un jeune homme séduisant issu de bonne famille mais très arrogant, qui prend chez elle des cours de bonnes manières. Or, la relation entre les deux jeunes gens ne se passe pas comme prévue et sera très ambiguë tout du long des 6 épisodes.

Monika et Joachim

Monika se voit ensuite confier un cours de valse qu'elle enseigne sans grande conviction et avec timidité. Lorsqu'elle rencontre le musicien libre et désinvolte Freddy et qu'il lui fait découvrir une nouvelle musique au rythme enflammé appelée le rock-and- roll, elle va là une échappatoire. Petit à petit, elle va s'émanciper, prendre de l'assurance et danser de mieux en mieux le rock'n roll.
Entre les secrets qui pèsent sur sa famille, ses rencontres masculines, la découverte de la musique, de la sexualité, Monika est au cœur des différentes intrigues. Son parcours est intéressant car elle est tiraillée entre la volonté de s'épanouir et le désir d'obéir à sa mère en suivant les valeurs morales traditionnelles.

Monika et Freddy


Une famille hantée par les fantômes du passé

Berlin 56 balaie, à travers les parcours des différents personnages, les grands moments de l'Histoire de l'Allemagne d'après guerre, montrant ainsi une société où anciens oppresseurs et anciens oppressés doivent réapprendre à vivre ensemble. Les fantômes du nazisme sont encore bien présents, les conséquences sociales et psychologiques également. Certains vivent avec des remords, d'autres veulent tourner la page, d'autres encore s'engagent dans des luttes politiques. En tout cas, on constate qu'onze ans après la fin de la guerre, la société allemande continue de recoller les morceaux de son passé douloureux.
En 1956, c'est aussi l'émergence de nouvelles tensions politiques avec le développement de la pensée communiste. L'histoire se déroule cinq ans avant la construction du mur qui sépara la ville en deux mais la division entre l'Est communiste et Ouest  libéral commence déjà à se faire sentir.

Une jeunesse tiraillée entre puritanisme et modernité

Berlin 56 c'est aussi une chronique sociale sur les années 50, une époque où le mariage est indispensable en terme de statut social, où le rompre par un divorce semble chose insensée, une époque où la femme se voit confiner à un rôle de femme au foyer soumise à son mari, rôle duquel il est bien difficile d'échapper, une époque où le viol reste impuni, l'avortement interdit, l'homosexualité considérée comme une maladie...  On sent toutefois qu'un besoin d'émancipation se fait sentir. Les rapports hommes - femmes, complexes, sont finalement au cœur de cette petite série.

Enfin, c'est une série sur la musique comme vecteur d'émancipation. Si le rock'n roll apparait comme une musique révolutionnaire pour la jeunesse, cette musique est considérée comme obscène, voire comme une "musique de nègre" dixit la mère de Monika et par la haute société allemande.
La prestigieuse école de danse dirigée d'une main de fer par Mme Schöllack et son collaborateur commence à perdre des élèves. L'époque où l'apprentissage de la valse était indispensable pour briller en société tend à s'éloigner. Les temps changent et ses filles, Monika en tête, souhaiteraient étendre les cours au rock et à la rumba. Ce qui est hors de question pour leur mère qui considère le rock comme une musique de sauvage et la rumba comme une musique érotique !



Une série bien rythmée qui décrit avec subtilité une période compliquée de l'Allemagne

J'ai vraiment bien aimé cette petite série. Le premier épisode demande un petit temps d'adaptation, le temps que l'intrigue se mette en place que nous fassions connaissance avec les personnages. J'avais un peu peur que ceux-ci soient trop caricaturaux, mais ce n'est pas trop le cas : les personnages sont en nuance, jamais tout-à-fait bons ni tout-à-fait mauvais. Dès le deuxième épisode, le contexte historique et social a retenu toute mon attention, puis j'ai été vraiment captivée à partir du troisième épisode où commencent à se soulever diverses intrigues, que se soit par rapport au passé de certains personnages, à l'histoire familiale Schöllack, aux situations amoureuses des filles.... Ensuite, les rebondissements sont nombreux et nous tiennent en haleine tout du long.

Pour conclure, je dirai que Berlin'56 est une série intéressante du point de vue historique, social, féministe et politique. A travers le portrait touchant d'une famille allemande, la série retrace le parcours d'une génération coincée entre tradition et modernité, essayant de se construire un présent sur un passé difficile et douloureux et se débattant d'un avenir qui semble pré tracé par leurs parents. C'est donc la confrontation de deux Allemagnequi est décrite avec justesse dans cette série : celle tournée vers le passé qui s'attache à d'anciennes valeurs et celle tournée vers la modernité et de nouvelles idées. Berlin 56 interroge sur le passé de l'Allemagne tout en subtilité et sans jugement, abordant les difficultés de l'émancipation de cette jeunesse et la place des femmes dans la société.

Une suite est en cours, intitulée Ku'Damm 59. A suivre...

Berlin'56 (Ku'Damm 56) . - Série allemande, 6 épisodes de 45 min. Avec Claudia Michelsen,  Sonja Gerhardt, Maria Ehrich, etc. Diffusée sur ARTE