lundi 30 avril 2018

Entre fresque familiale et roman historique, L'Art de perdre est un roman passionnant et bien documenté sur la guerre d'Algérie et la décolonisation

Alice Zeniter est une jeune auteure qui, a tout juste trente ans, a reçu le prix Goncourt des lycéens pour son roman L'Art de perdre, sur la guerre d'Algérie, ses conséquences et la vie des Harkis en France. Et c'est déjà son quatrième roman !


Une épopée familiale qui débute peu de temps avant la guerre d'Algérie

L'Art de perdre est le récit d'une épopée familiale qui débute par l'histoire d'Ali, un montagnard kabyle, dans les années cinquante et soixante, qui tente de sauver sa famille pendant la guerre d'Algérie. Pour cela, sans le vouloir vraiment, en souhaitant simplement protéger les siens, il devient un harki. Alors que les tensions montent entre les partisans d'une Algérie indépendante de plus en plus violents et les militaires français de plus en plus déterminés, certains Algériens souhaitent l'apaisement et se mettent sous la protection des français.  Une étiquette de harki qui leur collera à la peau toute leur vie et poussera Ali et sa famille à l'exil dès lors que la violence se déchaîne dans leur pays et que leurs vies sont menacées. Ils débarquent alors en France, alors qu'ils n'ont jamais quitté leurs montagnes kabyles.

Le destin d'une famille de harkis

Ensuite, on suit l'histoire de son fils, Hamid, qui débarque en France alors qu'il est un enfant. Il grandit d'abord dans un camps pour Harkis près de Lyon dans lequel est "parquée" sa famille lors de leur arrivée en France les premières années, avant qu'ils ne soient transférés avec d'autres rapatriés dans des baraquements au milieu de la forêt en Normandie, jusqu'à son adolescence dans une cité HLM. Pour lui, l'Algérie est le pays de ses parents, il ne veut plus en entendre parler. Dès qu'il le peut, il fuit sa famille devenue trop nombreuse pour le petit appartement et part vivre à Paris où il découvre la vie étudiante et rencontre celle qui deviendra sa femme.
Et pour finir, on suit le parcours de Naïma, fille de Hamid et petite fille d'Ali qui cherche à en savoir plus sur ses origines et sur l'histoire de sa famille. Mais son grand-père est décédé entre temps et son père refuse d'en parler. Alors qu'elle travaille dans une galerie d'art qui souhaite exposer un artiste algérien, elle voit là l'occasion de retourner dans le pays d'origine de sa famille.

De la fresque familiale au récit historique richement documenté

Alice Zeniter a construit une superbe fresque romanesque truffée de références historiques, avec de nombreux personnages qui apportent tous quelque chose à l'histoire.  A travers cette histoire familiale, on en apprend beaucoup sur la guerre d'Algérie, sur la complexité de la décolonisation, avec ses partisans, ses opposants et les nombreux hommes qui ont juste voulu sauver leurs familles. 
C'est aussi un témoignage poignant d'une famille qui a du tout quitter pour un pays qu'elle ne connaissait pas et qui rêvait d'un avenir meilleur mais a été accueilli dans des conditions délétères.

Si j'ai du m'accrocher durant les premières pages car je ne connaissais pas vraiment les méandres de la guerre d'Algérie, c'est sans regrets car le roman est vite prenant, très intéressant et instructif, et on s'attache progressivement aux membres de cette famille. Rapidement on se rend compte que la narratrice n'est autre que Naïma, la petite fille d'Ali en quête de ses origines.
C'est un livre qui interroge sur une part sombre de notre histoire : les déboires de la décolonisation et la mauvaise gestion de l'"après" par la France. Le roman fait réfléchir sur les questions de l'immigration et d'accueil, sur les difficultés d'intégration, mais aussi sur la notion de culture, de transmission, d'héritage familial.
Autant de sujets qui en font un roman riche, intelligent, et, qui plus est, superbement bien écrit.
Alice Zeniter est à coup sûr une jeune écrivaine prometteuse !

L'art de perdre / Alice Zeniter . - Flammarion, 2017
Prix Goncourt des Lycéens 2017