samedi 25 juillet 2020

Le Gang des rêves : un roman fleuve passionnant sur le New-York des années 1920

Voici assurément ma lecture du confinement : un livre qu'on m'a offert à Noël et qui m'attendait sagement sur ma table de chevet depuis quelques mois. Le Gang des rêves est un roman d'un auteur italien écrit en 2008 qui a eu un grand succès en Europe et a même été adapté en série. Il n'a pourtant été traduit en français qu'en 2017.

Il s'agit en fait d'un roman fleuve de 942 pages qui se passe dans le New-York des années 1920. Il ne faut pas se laisser décourager par le nombre de pages : ce roman se lit très facilement, au point que j'avais du mal à le lâcher !


Tout commence au début des années 1900, dans la campagne italienne. Cetta Luminata est une jeune fille issue d'une famille nombreuse et pauvre. Alors qu'elle travaille dans les champs, elle se fait violer et tombe enceinte. Pour fuir ses conditions de vie difficiles et garder son enfant, elle décide de tenter la traversée vers le pays où tout semble possible, les Etats-Unis d'Amérique. S'en suit un voyage en bateau horrible et une arrivée à New-York non moins cahotique.

Son bébé, prénommé Nathanaël, sera renommé Christmas à son arrivée aux Etats-Unis. Par "chance", Cetta est prise sous l'aile de Sal, un mac au grand coeur qui lui évite de nouveaux drames. Mais, à peine débarquée aux Etats-Unis, la toute jeune femme devient prostituée en maison close pour gagner sa vie et nourrir son fils. Hébergée par un couple de petits vieux très pauvres, des proches de Sal, Cetta débute une vie de misère mais d'espoir à New-York. Même si elle n'aspire plus à de grandes ambitions pour elle, elle mise beaucoup d'espoir sur son fils, ne cessant de l'encourager au fil des ans, lui promettant que lui, au moins, sera un "vrai" américain.

L'enfant grandit dans la rue, au milieu des gangs et des prostituées mais sa mère lui a transmis sa douceur et son courage et veille à ce qu'il ait toujours ce qui lui faut et apprenne à lire. Devenu adolescent, Christmas vit de débrouille et son gang a lui se construit surtout dans sa tête. En effet, c'est un garçon intelligent qui parvient à se sortir des situations difficiles grâce à son culot et sa ruse, son imagination et sa tchatche. Il fait croire à son copain Santo qu'il fait parti d'un gang craint et respecté appelé les "Diamons Dogs". La légende grandit ensuite dans tout New-York.

Je me suis un peu accrochée au début du roman car il y a de nombreux passages décrivant des scènes dures et d'autres relatant la prostitution. Malgré cette violence en arrière plan, c'est un récit plein d'humanité, on s'attache très vite aux personnages de Cetta et de Christmas. Et même à celui de Sal, ce mac un peu brusque au grand coeur et au mains sales, qui s'est pris d'affection pour la mère et l'enfant.

En parallèle de l'histoire de Cetta et Christmas, on suit l'histoire d'une jeune fille, Ruth, issue de la bourgeoisie juive de New-York, ado solitaire grandissant dans une grande maison avec des parents froids et distants. Un soir, en quête d'aventure, elle fait le mur avec le jardinier mais la soirée va se transformer en cauchemar pour elle et bouleverser sa vie à jamais. 

Ce même soir, alors que Christmas traîne avec son copain Santo dans les rues, il tombe sur la jeune fille dans la rue, inerte. Alors qu'il l'emmène à l'hôpital, il croise son regard vert émeraude et en tombe immédiatement amoureux . Il sait désormais que leurs destins seront liés à jamais.

Voici pour le début de l'histoire. Les 800 pages qui suivent retracent la décennie suivante, de 1920 à 1930, où les deux jeunes gens vont se retrouver, se quitter, se chercher... Éloignés par leurs milieux sociaux, leurs cultures divergentes, leurs quartiers, leurs familles. Mais irrémédiablement attirés l'un vers l'autre. Il va leur arriver toutes sortes d'aventures.
Le Gang des Rêves est un magnifique roman d'amour sur le courage, la passion, les rêves de gosses. Il y a aussi quelque chose du roman d'apprentissage dans ce récit-fleuve avec ces deux jeunes gens qui se cherchent et s'accomplissent dans un monde hostile.

Les deux ados grandissent dans une Amérique en pleine révolution industrielle. On est plongé dans les années 1920 en plein développement industriel, à l'époque des grands chantiers et des  premières grèves....
C'est aussi l'époque des nouveaux moyens de communication. Christmas est fasciné par le pouvoir de la radio qui relie les gens entre eux, Cetta adore le théâtre, Ruth la photographie. C'est aussi le début du cinéma muet parlant...

Le Gang des Rêves est un livre sur le monde de la rue, des gangs et de la prostitution. On y croise des gangsters sans pitié mais aussi intègres, protecteurs et parfois même drôles. Christmas va beaucoup apprendre à leurs côtés jusqu'à en faire une sorte de "spécialité". Et tout ça sans jamais vraiment défier la loi.
On suit aussi le parcours du jeune psychopathe qui a brisé la vie de Ruth d'un bout à l'autre de l'Amérique. Un personnage effrayant, solitaire, animé par un feu intérieur.

J'ai lu ce roman avec plaisir et avidité dès que j'avais un peu de temps durant la période du confinement. On se prend vite d'affection pour les personnages et on se demande sans cesse ce qui va encore leur arriver. On sent vite que les deux jeunes personnages de Christmas et de Ruth sont plein de ressources et prêts à réaliser de grandes choses. La figure du grand-père de Ruth est très forte aussi, un homme certes riche, mais honnête et juste, protecteur envers Ruth.

Il y a bien quelques passages où j'ai moins accroché que d'autres, mais globalement sur les 950 pages du roman, je ne me suis pas ennuyée. La lecture est agréable, l'écriture est très scénarisée rendant merveilleusement compte du contexte de l'époque. Les chapitres sont assez courts et certaines descriptions  vraiment magnifiques. Les dialogues sont souvent très riches, certains ont même une portée philosophique.  

Cette saga familiale et historique regorge de personnages formidables et courageux. C'est une histoire à la fois tragique, touchante, mais aussi pleine de joie et d'espoir avec des protagonistes débordant d'énergie.



Quelques citations :

"Tu sais ce que c'est l'amour ? fit-elle. C'est réussir à voir ce que personne d'autre ne peut voir. Et laisser voir ce que tu ne voudrais faire voir à personne d'autre."

"Le hasard, c'est un coup de pied dans le cul que la vie te donne pour te faire avancer."

"Tout à coup, il était devenu un homme. Les choses ne se passaient pas comme il l'avait imaginé. Ce qui l'avait fait grandir si rapidement, ce qui l'avait arraché à l'adolescence, c'était l'amour. Or, l'amour, ça enflammait, ça consumait, ça faisait devenir beau mais laid aussi. L'amour changeait les gens, ce n'était pas une fable. La vie n'était pas une fable. "

Miss Islande : un petit livre puissant et poétique sur la créativité et l'émancipation.

Autre lecture de ce début d'année : Miss Islande de l'auteure islandaise Auður Ava Ólafsdóttir dont j'avais déjà apprécié Le rouge vif de la rhubarbe (lu en 2016!)


L'histoire se passe en 1963 dans une Islande encore très conservatrice. La jeune Helka, qui porte le nom d'un volcan, bouillonne d'énergie et d'ambition : elle rêve notamment de devenir écrivain et de quitter l'Islande. Elle a d'ailleurs déjà écrit quelques nouvelles publiées sous un pseudonyme masculin. Ainsi, a 21 ans, elle quitte sa famille et son village natal pour s'installer à la capitale, Reykjavik, où se trouve un petit boulot de serveuse. Elle entreprend alors l'écriture de son roman dès qu'elle a du temps libre et contacte des maisons d'éditions. Mais il est difficile d'être une jeune femme avec de l'ambition dans un petit pays conservateur où règne le patriarcat. On préférerait la voir épouser un beau et riche jeune homme et faire plein d'enfants plutôt que de l'encourager dans l'écriture...

Hekla est très proche de Jon John, son ami homosexuel qui, pour se faire de l'argent, part à contre coeur et au péril de sa vie plusieurs mois en mer sur les grandes tournées de pêche. Ce dernier vit difficilement les préjugés et l'hostilité à son égard. Il demande d'ailleurs à Hekla de jouer le rôle de petite amie afin d'éviter de se faire maltraiter par ses collègues marins... Lui aussi rêve d'exil afin de réaliser son projet d'être styliste. 
Les deux amis ont en commun ce besoin d'évasion, cette ambition de réaliser des projets que certains qualifient de fous. Ils se sentent tous les deux prisonniers de leur condition.

La jeune femme voit aussi souvent sa copine d'enfance, Isey, qui a choisi une vie plus conventionnelle dans le rôle de mère au foyer. Cependant cette dernière soutient et admire son amie avec qui elle échange poésies et réflexions littéraires. D'ailleurs, elle-même nourrit une passion secrète pour l'écriture et la poésie mais elle s'est résignée pour son mari, pour ses enfants.

Ces trois personnages sont tous très attachants, dépeints avec beaucoup d'empathie. Hekla fait souvent référence à ses parents, avec tendresse et mélancolie. C'est une jeune femme loyale, sérieuse, studieuse et passionnée. Elle rencontre un homme, qu'elle appellera le poète, avec qui elle va avoir une liaison et tenter de partager sa passion littéraire. Au début, par pudeur, ou pour préserver son ego, elle lui cachera d'abord ses talents d'écrivain. "Le poète" devient vite énervant car il nourrit un fort complexe à l'égard Hekla dont il est jaloux de la créativité littéraire.

Alors qu'elle sert un client dans le restaurant où elle travaille, un homme lui propose de postuler au concours de Miss Islande. Ce qui est vraiment à l'opposé des plans d'Hekla, qui est quelqu'un de profond, de sincère, loin du coté superficiel d'un concours de beauté. Bien entendu, même si cela est flatteur, c'est loin de ses ambitions ! Je suis d'ailleurs étonnée que le roman ait pris le titre de miss Islande. Peut-être un pied de nez au concours de beauté justement, une manière de prouver qu'on peut devenir miss Islande avec son cerveau plutôt avec son physique?

C'est un livre sur l'émancipation, l'envie d'aller au bout de ses rêves, la lutte contre les préjugés. Ce roman est également une ode à la liberté, à la jeunesse et se veut résolument féministe.

Miss Islande est un beau petit roman qui explore le thème de la créativité et de la passion littéraire. C'est aussi un récit qui se veut critique à l'égard de la société de l'époque notamment l'occupation  militaire américaine, la montée du capitalisme, l'homophobie, le patriarcat et le machisme.

Avec une écriture à la fois simple, directe, belle et puissante, un phrasé poétique et délicat, Olafdottir nous transporte avec tendresse dans les pensées de ces personnages.

Ce roman a été récompensé par le prix Médicis Etranger 2019.


Quelques citations pour se faire une idée du style de l'auteure:

“Je suis réveillée.
le poète dort.
En dehors des étoiles qui scintillent au firmament,
le monde est noir.”
“C'est la vérité. Mais pas forcément la réalité .......j'ai tellement envie de continuer chaque jour à inventer le monde”

"Une phrase vient à moi, puis une autre, une image se dessine, cela fait toute une page, tout un chapitre qui se débat dans ma tête, comme un phoque pris dans un filet" (p 136)

"Tes pages sont traversées par les torrents impétueux et dévastateurs de la vie et de la mort, moi je suis un ruisseau qui murmure. Je ne supporte pas l'idée d'être un poète médiocre."

"J'ai tellement envie de continuer chaque jour à inventer le monde."

vendredi 17 juillet 2020

"Par les routes" une belle écriture pour relater l'envie d'évasion.

Cela fait bien longtemps que je n'ai pas écris sur ce blog. Faute de temps principalement, et ce malgré deux mois de confinement à la maison, mais entre le télétravail et la garde d'enfant il ne me restait guère de temps pour faire autre chose.
Et pourtant j'ai tout de même lu pas mal de livres depuis décembre dernier ! Certains que j'ai aimé, d'autres moins... Je vais essayer de me rappeler les coups de cœur littéraires depuis ce début d'année et de rattraper mon (gros) retard prochainement.

Je vais commencer par ce livre lu en tout début d'année.
Par les routes de Sylvain Prudhomme est un roman français assez facile à lire qui a notamment reçu le prix Fémina en 2019.

J'ai plutôt apprécié ce roman à l'écriture fluide, légère, teintée de poésie et d'une bonne dose de mélancolie. Signe particulier : la ponctuation y est simplifiée : pas de point d'interrogation, d'exclamation, de guillemets pour les dialogues. Cela surprend au début, mais on s'y habitue assez vite.

Voici l'histoire. Le narrateur, lui même écrivain, quitte Paris pour une petite ville du Sud de la France afin d'y trouver plus de calme et d'authenticité et de renouer avec l'inspiration littéraire. Il tombe par hasard sur un ami de jeunesse, ce qui fait resurgir bien des souvenirs. Il raconte ici l'histoire de "l'auto-stoppeur", c'est comme ça qu'il nomme son ami tout au long de l'histoire.

Par les routes, c'est l'histoire de deux quadragénaires qui ont du mal à vivre leurs vies d'adultes.  L'un s'est plus ou moins "rangé" dans une vie d'artiste et d'écrivain, l'autre dans une vie de famille. Mais pour ce dernier, le besoin de vadrouiller en stop est plus fort que tout. Bien qu'il ait une femme et un enfant qu'il aime et qui l'aiment, l'"auto-stoppeur" ressent ce besoin permanent de partir "sur les routes" en stop, d'aller à l'aventure, à la rencontre des gens, et de chercher quelque chose que finalement lui même ignore.

Au fur et à mesure, Sacha l'écrivain va se rapprocher de Marie, la femme de son ami, qui est toujours en vadrouille sur les petites routes de France et de Navarre. Ce roman, c'est l'histoire d'un mari, d'un père et d'un ami plein de mystère qui s’efface progressivement. C'est une ode à la campagne française, aux petites routes. L'auto-stoppeur envoie des cartes postales à ses proches de tous les bleds où il passe avec simplement quelques mots pour dire qu'il va bien. (c'est bien la première fois que je vois mentionné Dieuze dans un roman !)

Cette histoire se veut aussi un hymne au partage, aux rencontres. De belles idées, en somme. Mais là aussi je n'adhère pas au fait de faire des rencontres sur des aires d'autoroute et de voyager uniquement en voiture. Question de point de vue sûrement !

A l'issue de cette lecture, on peut y faire différentes analyses psychologiques des personnages mais je ne vais pas m'étaler là dessus de peur de dévoiler l'issue du roman.

Personnellement, si j'ai apprécié la forme du roman, j’émets quelques réserves sur le fonds. D'abord j'ai assez peu d'empathie pour les personnages principaux, l'éternel baroudeur qui ne sait pas apprécier sa vie de famille et l'artiste incompris qui se cherche... L'un en quête d'aventure, l'autre en quête de stabilité. Il y a quelque chose de très "bobo" dans cette histoire et dans ces personnages (même si je n'aime pas vraiment ce terme). On sent une certaine complaisance car c'est un roman d'un écrivain sur un écrivain. Il y a probablement une bonne dose d'autobiographie dans ce récit !

Bref, j'ai beaucoup aimé l'écriture de ce roman mais n'ai pas été convaincue par l'histoire. Cependant Par les routes reste un livre agréable à lire et une belle découverte littéraire.


Quelques citations :

Référence à une chanson de Leonard Cohen "Famous Blue Raincoat" la chanson préférée de l'auto-stoppeur, qui raconte une lettre à un amis " Et il lui fait cette déclaration dont je ne pense pas que beaucoup de longs poèmes l'égalent en beauté, en justesse, en conscience de l'impermanence des choses en ce bas monde : Je suis heureux que tu te sois trouvé sur ma route. Parole de voyageur. Parole d'habitué des routes, des carrefours, des rencontres. Parole de vrai amoureux de la vie, reconnaissant aux surprises qu'elle réserve. " p 386


"J'ai réalisé qu'il ne se passerait rien [...] Des jours tantôt habités avec intensité, imagination, lumière, des jours pour ainsi dire pleins, comme on dit carton plein devant une cible bien truffées de plombs. Tantôt abandonnés de mauvais gré au soir venus trop tôt. Désertés par excès de fatigue ou de tracas. Laissés vierges du moindre enthousiasme, de la moindre récréation, du moindre élan véritable. Jours sans souffle, concédés au soir trop tôt venu, à la nuit tombée malgré nos efforts pour différer notre défaite, et résignés alors nous marchons vers notre lit en nous jurant d'être plus rusés le lendemain - plus imaginatifs, plus éveillés, plus vivant." p 125