samedi 12 décembre 2020

Emouvant récit biographique sur Marie Curie entre essai, roman, et autobiographie.

Dans un cadre professionnel, j'ai été amenée récemment à lire ce livre de Rosa Montero. Je n'avais encore jamais lu de romans de cette auteure espagnole pourtant très connue. Onze de ses romans ont d'ailleurs été traduits en français. Son style d'écriture m'a beaucoup plu, ce qui m'encourage à vraiment à lire ses autres livres.

L'idée ridicule de ne plus jamais te revoir est un peu un OLNI (objet littéraire non identifié). Ce n'est pas un roman, ce n'est pas un essai à proprement parler mais ce récit se situe entre la biographie de Marie Curie avec une touche d'autobiographie de Rosa Montero.


L'origine du livre? Rosa Montero a été sollicitée pour écrire une petite biographie sur Marie Curie mais elle s'est tellement pris de passion pour l'histoire de la chercheuse que sa petite bio s'est transformée en un récit de 175 pages! :-) L'auteure a été particulièrement touchée par le deuil qu'a vécu Marie Curie après le décès soudain de son mari alors qu'il n'avait que 46 ans et deux petites filles à charge. Elle se penche sur la Marie Curie "intime", celle qu'on ne connait pas. Elle cherche sous la carapace de la chercheuse déterminée à l'apparence froide et dure pour en faire un portrait vraiment touchant d'une femme brillante et combative.

En gros, ce petit livre très bien écrit est une suite de réflexions sur la vie de Marie Curie, ce n'est pas vraiment une autobiographie car sa vie n'y est pas décrite de manière toujours très chronologique. Mais cet ouvrage contient de nombreuses réflexions sur la vie en générale, sur la liberté, les injonctions, sur le fait d'avoir des enfants ou non, sur la difficulté de s'affirmer et de s'émanciper en tant que femme,  les diktats moraux, sociétaux, familiaux, etc.  Et c'est, bien sûr, un beau livre sur l'amour, la perte de l'être aimé, les rapports à la mort, la gestion du deuil.

Personnellement, j'ai appris plein de choses sur la vie de Marie Curie. Cette femme a fait preuve toute sa vie d'un courage incroyable ! D'abord pour quitter son pays toute seule à la fin du 19ème siècle afin de suivre son rêve, à savoir faire des études de physiques à Paris, puis pour entreprendre une carrière de scientifique tout en étant dévalorisée par ses compères masculins, et enfin pour avoir tenter de concilier carrière de chercheuse et vie de famille, au détriment d'ailleurs de sa santé. Et surtout pour avoir fait face toute sa vie à toutes sortes de pressions, de la part de ses proches, de la communauté scientifique et de la société.

Rosa Montero fait quelques parallèles avec sa propre histoire d'amour et le décès de son mari mort des suites d'une longue maladies. L'auteure compare leurs souffrances, leurs réactions face au deuil, face aux autres.

Derrière son apparence froide et dure, elle présente une Marie Curie aux multiples fragilités, prête à ne plus se nourrir faute de temps, une bête de travail capable de se mettre en danger physiquement, une femme amoureuse et passionnée... 

L'analyse faite par Rosa Montero de la psychologie et de la combativité de la chercheuse est à la fois très pertinente et touchante. La rencontre de Marie avec Pierre Curie, la naissance de ses filles, son combat pour mener en même temps une vie de famille et une vie de brillante chercheuse... Elle dû faire face toute sa vie au machisme et au manque de considération de ses homologues masculins et faire deux fois plus ses preuves qu'un homme. Pourtant elle ne s'est jamais plains à continuer à travailler dans la douleur et même dans la peine. Après la mort soudaine de son mari, Marie dû se battre encore davantage pour son travail, les scientifiques de l'époque tentant de saper son prestige, son travail, jaloux de sa réussite ne supportant pas son statut de femme scientifique.

Rosa Montero a suivi des études de psychologie et cela se ressent grandement dans ce livre : elle parvient à sonder l'âme humaine avec beaucoup de justesse ! Journaliste de métier, cela se reflète également dans ce récit, très bien documenté, écrit avec le coeur.

Le récit devient stupéfiant et effrayant quand l'auteure décrit les manipulations du radium que faisaient le couple Curie au détriment de leur santé ! Pierre avait toujours un peu de radium sur lui, ils faisaient une sorte de déni des dangers de la radioactivité, comme s'ils se sentaient intouchables.
D'ailleurs, le déni ou l'ignorance étaient collectifs : peu de temps après la découverte du radium, l'enthousiasme sur la découverte de ce nouvel élément était tel qu'on en retrouvait dans des cosmétiques et même des produits pour bébé... Sidérant !
Pierre et Marie Curie furent d'ailleurs très malades à la fin de leur vie (courte vie pour Pierre, qui ne pouvait presque plus marcher tellement les douleurs étaient fortes) mais ils ne reconnurent jamais les effets néfastes du radium.

J'ai plutôt bien aimé ce petit livre émouvant et bien écrit. La seule chose qui m'a un peu gênée ce sont des mots "clés" précédés de haschtags # , j'avoue ne pas comprendre vraiment ce que ça apporte au récit. Le rendre plus contemporain?

Mis à part ça, L'idée ridicule de ne plus jamais te revoir est une lecture originale et intéressante !

L'idée ridicule de ne plus jamais te revoir / Rosa Montero. - Metaillé, 2015

A propos des relations parents-enfants : "[...] ces relations tellement essentielles sont entretissées de bonheur et de douleur. Il est inévitable, je suppose, de se projeter d'une façon ou d'une autre dans ses enfants, tout comme il est inévitable pour les enfants d'exiger de leurs parents une dimension mythique impossible." p 67

"Procréer est une étape de la maturité physique et psychique : seul cet amour absolu et étincelant que les parents éprouvent pour leurs enfants permet de dépasser l'égoïsme individuel qui vous fait placer votre propore intégrité au-dessus de tout. Je veux dire que les parents sont capables de mourir pour leurs enfants : c'est un impératif génétique, un moyen de survie de l'espèce mais c'est aussi un mouvement du coeur qui vous rend plus complet, plus humain." p 67-68

"Ce radium resplendissant et puissant enflamma l'imagination des êtres humains : c'était le principe même de la vie, une pincée de l'énergie du cosmos, le feu des dieux apporté sur la Terre par ces nouveaux Prométhée qu'étaient les époux Curie.[...] l'enthousiasme atteignit des niveaux si élevés que ce nouvel élément commença à être dangereusement et inconsciemment utilisé pour tout, comme s'il s'agissait d'un baume magique." p 89

"[...] j'ai la sensation croissante qu'il existe un continuum dans l'esprit humain. Qu'il y a ,en effet, un inconscient collectif qui nous entretisse, comme si nous étions un banc de poissons sérrés qui dansent à l'unisson sans le savoir. Et les #Coïncidences font partie de cette danse, de ce tout, de cette musique, de cette chanson commune que nous n'arrivons pas à écouter tout à fait parce que le vent ne nous apporte que des notes isolées." p 123

L'auteure à propos du deuil : "Et c'est bizarre parce que ,malgré le temps qui passe lorsqu'elle se met à faire mal, la douleur éclate en vous moins fréquemment eet vous pouvez vous souvenir de votre mort sans souffrir.Mais quand la peine surgit, et vous ne savez pas très bien pourquoi elle le fait, c'est la même lacération, la même braise." p 151

"Mais la littérature, ou l'art en général, ne peux pas atteindre cet espace intérieur. La littérature s'applique à tourner autour du trou. Avec de la chance et avec du talent, peut-être qu'on parviendra à jeter à l'intérieur un coup d'oeil rapide comme l'éclair. Ce flash illumine les ténèbres, mais de manière si brève qu'il n'y a qu'une intuition, pas une vision. En outre, plus vous vous approchez de l'essentiel, moins vous pouvez le nommer. La moelle des livres se trouve aux coins des mots. Le plus important des bons romans s'amasse dans les ellipses, dans l'air qui circule entre les personnages, dans les petites phrases." p 165

mardi 10 novembre 2020

Asta : un roman puzzle sur l'Amour sublimé par une écriture charnelle et poétique

Les auteur-e-s islandais-e-s ont un don pour décrire avec brio, force et poésie les sentiments humains tout comme la nature qui les entoure, probablement car la littérature et la poésie sont profondément ancrés dans leur culture. C'est le cas des romans d'Olafdottir, c'est aussi le cas dans ceux de Jón Kalman Stefánsson, célèbre auteur islandais dont j'avais déjà parlé ici il y a quelques années, à propos d'une belle fresque romanesque et historique intitulée D'ailleurs les poissons n'ont pas de pieds.


Son dernier roman, Ásta  fait le récit croisé des existences d'une jeune fille prénommée Ásta, de son père Sigvaldi, de sa mère Helga, et de nombreux personnages de son entourage (sa nourrice, son premier amour...), sans oublier certains chapitres consacrés au narrateur, lui même écrivain. L'auteur saute en plus sans prévenir d'une époque à une autre, passant des années 50 à l'époque actuelle pour revenir aux années 60... Autant dire qu'au début on peut s’emmêler un peu les pinceaux, chaque chapitre abordant la vie d'un personnage à une époque différente.

"Il est impossible de raconter une histoire sans s'égarer, sans emprunter des chemins incertains, sans avancer et reculer, non seulement une fois, mais au moins trois - car nous vivons en même temps à toutes les époques." (le narrateur, p 46 )

L'histoire débute dans les années 50 au moment où la passion anime Sigvaldi et Helga. Un couple autant fusionnel que destructeur comme nous l'apprendra le roman par la suite. De cet union née Ásta , dont le prénom émane d'une grande figure de la littérature islandaise et qui, à une lettre près, signifie Amour (Ast). Sa mère, Helga, est une femme tourmentée qui ne se sent pas à sa place dans le rôle de mère et de femme au foyer, elle a cette urgence de vivre qui fait qu'elle se sent à l'étroit dans sa vie. Sigvaldi, le père, est marin-pécheur et, quand il n'est pas en mer, il tente de maintenir un équilibre émotionnel avec sa femme au tempérament explosif.. On comprend de manière elliptique que leur passion, leur amour ardent, la fureur de vivre d'Helga a fini par dévorer leur relation et par faire exploser leur famille.

"[...] la vie de l'homme est si courte, en soi, elle n'est pas plus longue que l'espace qui sépare le jour de la nuit. Voilà pourquoi nous devons faire durer pleinement et entièrement les moments où notre existence toute entière vibre. Où elle s'approfondit au point, parfois, de devenir bonheur." p 17

Après une enfance apparemment chaotique, on accompagne Ásta, adolescente, dans les années 60, qui se retrouve à passer un été dans une ferme isolée des fjords de l'ouest, aux cotés d'un fermier complètement renfermé sur lui-même, de sa vieille mère sénile et de Josef, un garçon de ferme aussi étrange que fascinant. Cet été va bouleverser la vie de la jeune fille et va la faire grandir indubitablement.

A travers les récits croisés et mélangés de chaque personnage, l'auteur livre ici l'histoire tragique  d'amours passionnés ce sentiment si fort qui peut ronger l'âme jusqu'à la folie. Chaque personnage, même secondaire, apporte au récit son histoire d'amour et sa mélancolie.
En y réfléchissant, on peut aussi penser qu' Ásta est un roman sur la transmission, l'héritage émotionnel que peuvent laisser les parents à un enfant.  
Ce récit est construit comme un puzzle, où, à la fin, on comprend les liens qui unissent ou ont uni les différents personnages.

"Il y a en toi des bouillonnements si puissants et communicatifs que ça m'effraie. Ils sont si violents que j'ai peur de t'aimer. Tellement peur de perdre le contrôle de ma vie. Notre amour me terrifie." p 393

Comme à son habitude, Jón Kalman Stefánsson nous éblouit par son écriture sensible et poétique. La poésie est d'ailleurs très présente sur la forme comme sur le fonds, nombreuses étant les références à la littérature islandaise, notamment les célèbres poètes. Son récit est également teinté par moments d'un érotisme mélancolique et les réflexions philosophiques ne sont pas en reste.

"Les vérités du coeur ne font pas toujours bon ménage avec celles du monde. C'est cela qui rend la vie incompréhensible. C'est notre douleur. Notre tragédie. La force qui fait notre lumière." p 483

J'ai beaucoup aimé ce roman, même si je reconnais qu'au début j'étais un peu déboussolée par sa construction, notamment les "sauts" temporels d'un chapitre à l'autre. Une fois habitué, on rentre dans l'histoire et on se laisse porter par cette superbe écriture, profonde, charnelle, qui décrit tellement bien les sentiments humains. Et on veut vraiment savoir ce que devient cette jeune femme !

Ásta / Jón Kalman Stefánsson .- Grasset, 2018

J'ai pour habitude de corner les pages contenant des phrases m'ayant marqué, par leur beauté ou leur force. Autant dire que j'ai corné un certain nombre de pages de ce livre. 

Voici d'autres belles citations que j'ai relevé :

"Les fjords qui s'ouvrent comme autant de cris face à l'océan glacial et ses abîmes, certains sont une fureur, une haine muette, d'autres un soupir d'apaisement, la plupart peut-être tout cela à la fois." p 59

"Il est écrit quelque part que la houle est le cri de l'abîme. Une colère immémoriale. Colère contre quoi, je ne saurai le dire. Peut-être contre la mort. Ou la vie elle-même, son injustice, bien que je ne voie pas vraiment en quoi la mer et ses profondeurs pourraient avoir une opinion sur la vie et la mort." p 73

"Les mots sont-ils assez puissants pour ressusciter la joie qui s'enfuit - créer un sens nouveau quand tout s'est affadi?
Non, il faut réessayer en redoublant d'efforts.
Mais à l'ouest, c'est la quiétude absolue
." p175

"Moi je suis prisonnière parce que je vois les barreaux de ma cellule. On t'a débranché à temps. On a annihilé ton impatience, ta fougue, ta soif de nouveauté, ton désir d'imprévu. Moi, je dois composer avec tout ça. Voilà mon malheur." Helga, p 297

"L'argent, c'est comme un labyrinthe qui vous enferme et vous déambulez d'un cercle à l'autre jusqu'à prendre conscience que ce n'est pas vous qui le collectionnez, mais lui qui vous collectionne." p 317

"Août, n'est-ce-pas le mois le plus important car il porte en lui toute la profondeur de l'été, les soirées rêveuses, des senteurs lourdes et capiteuses. Il porte en lui la vie arrivée à maturité, mais aussi le soupçon de l'autmone à venir, ce moment où tout pâlit. Puis les ténèbres s'épaississent." p 433


samedi 19 septembre 2020

Magnifique premier roman acide et caustique sur une jeune héroïne des temps modernes prisonnière d'une vie de famille toxique

Toujours chez l'éditeur L'iconoclaste j'ai découvert une autre jeune autrice talentueuse : Adeline Dieudonné. La vraie vie est le premier roman de cette jeune écrivain belge prometteuse. Comme dans Une bête au Paradis, il s'agit d'un livre coup de poing qui explore les failles psychologiques des personnages, plus précisément leur coté obscure. Un roman captivant où la tension ne cesse de monter qui se lit presque d'une traite !


Quand la violence fait voler en éclat enfance et innocence

Au début de l'histoire, la jeune narratrice a dix ans. Elle est très proche de son petit frère de sept ans, Gilles, qu'elle materne et protège. Ils jouent dehors la plupart du temps car à la maison l'ambiance est lourde. Le père peine à contenir une violence latente en lui, il est toujours prêt à exploser pour un regard, une remarque, une viande pas assez cuite, etc. Seules ses safaris de chasse semblent faire redescendre la tension. La mère est effacée, craintive. "Je ne sais pas si elle existait avant de le rencontrer. J'imagine que oui. Elle devait ressembler à une forme de vie primitive, unicellulaire, vaguement translucide. Une amibe. Un ectoplasme, un endoplasme, un noyau et une vacuole digestive. Et avec les années au contact de mon père, ce pas grand chose s'était peu à peu rempli de crainte." (p 12) La famille vit dans un lotissement où la plupart des gens passent leur temps devant la télé rêvant d'une meilleure vie. 

Le père conserve ses "trophées", des animaux empaillés, dans une pièce de la maison interdite d'accès. Un soir, un événement aussi horrible que burlesque vient faire voler en éclat l'enfance du frère et la soeur. Sans le réconfort et l'amour de leurs parents, sans soutien psychologique, le petit Gilles se renferme, se mure dans son traumatisme. Sa soeur décrit alors son changement, la part sombre en lui qui s'étend progressivement, faisant référence à une hyène empaillée qui semble lui dévorer le cerveau. Elle décide alors de tout faire pour remonter le temps, pour retrouver son petit frère d'avant, avec son rire enfantin et ses dents de lait. Elle se lance dans des recherches pour pouvoir remonter le temps et se passionne dès lors pour les sciences physiques.
"Alors j'ai décidé que moi aussi j'allais inventer une machine et que je voyagerais dans le temps et que je remettrais de l'ordre dans tout ça. A partir de ce moment-là, ma vie ne m'est plus apparue que comme une branche ratée de la réalité, un brouillon destiné à être réécrit, et tout m'a semblé plus supportable." p 50

Survie en milieu hostile pour notre jeune héroïne


Au fil des pages, les enfants grandissent et deviennent adolescents. Le coté obscure de Gilles semble  gagner de plus en plus de terrain, le jeune garçon a tout perdu de son innocence et de sa joie de vivre. "Elle" (on ne connait pas son prénom) garde pourtant espoir de retrouver son petit frère adoré, de revenir en arrière, à la "vraie vie". 
"La vermine dans la tête de mon frère était aussi vorace et vicieuse que les vérociraptors de Jurassic Park." p 117
Toute la famille vit dans la crainte de ce père imprévisible et violent, respirant seulement en son absence. Avec beaucoup de courage et de détermination, la jeune fille est bien décidée à survivre en milieu hostile, à savoir dans sa propre famille. 

L'adolescente devient brillante à l'école car très motivée, mais le cache à sa famille pour ne pas attiser encore plus la haine de son père. Tout comme elle cache son corps qui se transforme, son père la méprisant en tant que jeune femme. En parallèle de sa vie familiale pathétique, elle fait des rencontres qui apparaissent comme des bouées de sauvetages : une vieille voisine sympathique, un jeune couple beau et attachant, un professeur particulier secret et bienveillant... Adolescente, elle ressent ses premiers fantasmes et émois amoureux. Le tout est décrit avec beaucoup de sensualité.

L'autrice décrit avec brio le mélange de sentiments de la jeune fille : entre amour et douceur pour son petit frère, pitié compassionnelle pour sa mère, crainte et recherche d'affection vis à vis de son père, envie et admiration pour d'autres connaissances...
Les animaux ont aussi une place importante dans cette histoire : tantôt réconfortants pour la fille et sa mère, tantôt des proies à traquer pour son père et son frère. Lorsque l'adolescente adopte un petit chien et l'appelle Curie en l'hommage à Marie Curie, son modèle, sa mère lui fait faire une médaille gravée "curry"... Le fossé est tel entre sa mère et elle qu'elle a depuis longtemps cessé toute communication. C'est toute seule qu'elle tente de sauver son frère. Et de s'en sortir elle aussi.

Un roman d'apprentissage d'un nouveau genre, une écriture caustique et percutante.

La Vraie Vie est un livre sur la perte de l'innocence, la fin de l'enfance. C'est l'histoire d'une fille forte, courageuse et brillante, qui veut tout faire pour s'en sortir mais reste piégée dans les mains des hommes. Malgré les sujets très graves (violences familiales, traumatisme psychologique) l'écriture est souvent drôle, caustique, métaphorique, mais aussi violente et par moment sensuelle. On pourrait presque dire que La Vraie Vie est un roman d'apprentissage d'un nouveau genre ou une sorte de conte cruel où la violence prédomine. C'est aussi un livre résolument féministe.

L'ambiance est étouffante. Le récit est d'ailleurs très bien rythmé, les phrases sont courtes et percutantes ce qui contribue à rendre ce récit captivant. Le roman est superbement construit, chaque chapitre faisant grimper la tension, jusqu'à un chapitre vers la fin du roman où celle-ci est digne des plus grands thrillers et m'a tenu en haleine une bonne partie de la soirée !

Bref, j'ai beaucoup aimé ce roman ! Il a d'ailleurs reçu plusieurs prix, entièrement mérités. (Prix Fnac, Prix Renaudot des lycéens, Grand prix des lecteurs Elle...)

La Vraie Vie / Adeline Dieudonne . - L'iconoclaste, 2018

"Comme un abcès qui avait pris le temps de mûrir, l'horreur éclatait et se déversait sur ses joues. J'ai compris que c'était bon signe, que quelque chose se remettait à circuler en lui, que la machine repartait". p.52

"J'avais compris que le bruit des larmes, c'était la clameur du village gaulois qui s'élevait au loin lorsque la vermine s'endormait" p 87

mercredi 16 septembre 2020

Une bête au paradis : Un livre puissant sur l'attachement et le désir

Cela faisait longtemps que je voulais lire un roman de cette jeune autrice de 30 ans qui a déjà écrit 9 livres (!) (dont Trois saisons d'orage prix des Libraires 2017). Une bête au paradis est un superbe roman qui explore les failles psychologiques d'une jeune femme vivant dans la ferme de sa grand-mère. Dès les premières pages, j'ai été happée par l'histoire et j'ai eu du mal à lâcher ce roman que j'ai lu en quelques soirées.


"Une bête au Paradis" c'est l'histoire d'une lignée de femme au destin tragique.  C'est le récit d'une petite fille, Blanche, trop tôt orpheline, trop tôt endurcie par la vie, qui se créé une carapace et devient une jeune femme déterminée, forte et travailleuse, mais aussi intransigeante. Adolescente, elle découvre le grand amour mais essuie aussi une terrible peine de coeur, ce qui va la fragiliser pour le restant de sa vie. 

Emilienne, la grand-mère, tient sa ferme de manière acharnée à force de travail et d'un caractère bien trempé. Sa ferme, c'est "le Paradis". C'est ainsi que l'avait baptisée sa fille Marianne. Mais, vivre sur ce domaine n'a rien de paradisiaque : l’aïeule n'a pas une minute pour souffler entre son travail à la ferme et ses deux petits-enfants, Blanche et Gabrielle, dont elle a la charge. 

"Les deuils répétés avaient faits d'elle (Emilienne) une puissance humaine dont le pouvoir grandissait dans l'imagination de ceux qui la côtoyaient" (p 52)

Blanche est une fillette très vive, courageuse, pugnace, elle tient beaucoup de sa grand-mère. Mais elle se montre aussi souvent dure et froide. Son frère Gabriel, au contraire, est très chétif et craintif et a besoin de plus d'attention. Alors que les enfants sont encore petits, Emilienne recueille Louis, un jeune garçon battu par son père et en fait son commis pour l'aider à la ferme. Louis sera pour toujours fidèle à Emilienne. 

"Chacun son poste, chacun sa mission, chacun ses animaux, chacun ses secrets. Chacun ses gestes. Et chacun sa peur de n'être que de passage, d'abîmer ce qui est déjà fragile, de gâcher la beauté. Chacun ses nuits de colère, chacun ses réveils à l'aube, et chacun pour soi, tous pour Emilienne, jusqu'à la fin" p. 239

Amoureuse, Blanche va baisser pour la première fois ses défenses. Le roman débute d'ailleurs par ce passage, ce moment où Blanche a été pleinement heureuse. Les sentiments de Louis vis à vis d'elle évoluent également et en feront un garçon torturé. Mais Blanche est une jeune femme entière, sans concessions, et sa première peine de coeur la rendra encore plus froide et distante. Elle se dévouera corps et âme à la ferme et à sa grand-mère pendant toute sa vie, murée dans ses silences, dans son passé, dans sa douleur. Bien des années plus tard, le fameux Alexandre revient et va bouleverser une nouvelle fois la vie de Blanche...

C'est un magnifique roman sur la force destructrice des sentiments que j'ai dévoré rapidement. Les phrases sont courtes, percutantes. Et, bien qu'il s'agisse d'une sorte de huis-clos (l'action ne sort pas vraiment du cadre de cette ferme), on est vraiment happé par l'histoire. Chaque chapitre porte le nom d'un verbe : "grandir", "surgir", "protéger", "venger"... qui décrit l'évolution du personnage de Blanche. L'autrice décrit superbement bien les tréfonds de l'âme, le mal être, le désespoir et plus encore. 

"Une bête au Paradis" me fait penser à une sorte de conte tragique où Blanche fait figure d'héroïne grecque. La tension monte au fil des pages, on sent d'ailleurs dès le début que ça va mal finir. L'écriture de Cécile Coulon a quelque chose de vraiment organique, tantôt poétique tantôt violente. Débutant comme une saga familiale, le roman se termine comme un véritable thriller psychologique haletant et bouleversant.

Une bête au Paradis / Cécile Coulon . - Ed. L'Iconoclaste, 2019

Quelques citations :

"La vieille parlait à cette femme sans détour. Avec dans la voix cette fermeté de celles qui n'abandonnent rien à la violence des autres." p 27

"Emilienne ressemblait à ce que la terre avait fait d'elle : un arbre fort aux branches tordues." "Tenir les bords du Paradis comme on retient une portée de chatons dans un torchon humide. Elle traversait l'existence, dévolue au domaine et aux âmes qui l'abritaient." p 51

"Blanche était la seule trace de lumière dans cette étendue verte et brune, grise et pâle, sèche ou trempée." p 136

"C'est donc cela, les pleurs, les vrais. Des torrents de honte, d'incompréhension, auxquels les mots de consolation se cognaient [...]C'est donc cela, les pleurs, les vrais. Des blessures en avalanche, les muscles, la peau, les os, le sang, qui tentent de sortir par les yeux, qui fuient ce navire à la dérive, cette épave incapable d'accueillir d'autres matelots que ceux du passé, dont le pont s'est depuis longtemps écroulé sous le poids de ce grelot, énorme à présent, monstrueux, une gigantesque boule qui grossissait encore. C'est donc cela, les pleurs : le sacre du désespoir." p 298

jeudi 3 septembre 2020

Huis-clos glacé au Québec : une écriture sublime pour décrire la force de la nature

J'ai pour habitude l'été d'avoir des lectures rafraîchissantes, au sens propre du terme, c'est-à-dire des livres dont l'action se passe dans des pays nordiques, où il fait très froid. Sans doute un moyen pour moi de me rafraîchir l'esprit quand le mercure dépasse 30 degrés !

Au début de l'été, entre deux polars islandais, j'ai donc lu ce petit bouquin pris un peu au hasard dans les rayons de la médiathèque. Le poids de la neige est écrit par un jeune écrivain québecois, Christian Guay-Poliquin. Il s'agit de son deuxième roman, et ce dernier a été couronné par de nombreux prix québécois, à juste titre !
Le livre est paru en 2016 au Québec et a été traduit aux éditions de l'Observatoire en 2018.


Chaque chapitre est introduit par un chiffre, qui ne signifie non pas une année ou une autre temporalité comme on pourrait s'y attendre, mais à la hauteur de la neige aperçue depuis la fenêtre d'un chalet isolé dans la forêt. Ça commence à trente-huit centimètres pour augmenter constamment, au même titre que la tension qui règne dans ce huis-clos.

Souvent les chapitres commencent par une description de la météo : "Des bourrasques secouent la véranda, les murs gémissent et le silence se fissure de part en part."( p 64) . La météo et la quantité de  neige sont ici les facteurs déterminants de l'action de ce récit.
Le roman débute d'ailleurs ainsi : "La neige règne sans partage. Elle domine le paysage, elle écrase les montagnes. Les arbres s'inclinent, ploient vers le sol, courbent l'échine". Voilà, on est dans l'ambiance ! Il fait froid, c'est tout blanc, on est dans la forêt, loin de tout. Le village le plus proche est à la fois proche et loin par ces conditions climatiques.

Le contexte ? Les habitants sont coupés du monde à cause de la quantité de neige mais il regne dans ce roman une petite ambiance fin du monde : il n'y a plus d'électricité, presque plus d'essence, le téléphone est coupé, les vivres commencent à manquer et on parle même d'épidémies qui ont lieu à la ville... (Ce contexte me rappelle bien sûr le magnifique roman Dans la forêt où deux soeurs apprennent à survivre dans un contexte similaire, sans le froid et la neige. )

L'histoire? Matthias est un vieil homme isolé et mystérieux qui semble avoir échoué dans un chalet à l'extérieur du village. Un jeune homme sans nom, le narrateur, se retrouve alité chez Matthias à la suite d'un grave accident. Il a failli perdre l'usage de ses jambes et se remet avec peine. Un deal a été passé avec les habitants du village : le vieil homme prend soin du blessé en échange de bois de chauffage et de nourriture et d'une place pour un convoi vers la ville, quand ce sera possible.. Le narrateur se retrouve donc entièrement dépendant d'un inconnu qui ne pense qu'à partir. Les deux hommes sont donc confinés ensemble, malgré eux, dans des conditions extrêmes.

Le quotidien du jeune et du vieil homme s'organise alors autour des tâches comme couper le bois, allumer le feu, faire cuire les patates, préparer la soupe, chercher des vivres... Et regarder la neige tomber, encore et encore.
Beaucoup de personnages aux prénoms commençant par J (Joseph, Jude, Judith...) gravitent autour d'eux ainsi que la belle Marie qui vient soigner le blessé. La nature et la neige ont une présence très forte dans ce roman, comme des personnages à part entière.

La solitude, le confinement, la nuit, la neige, le froid, le manque de perspectives entament progressivement le mental des personnages et l''ambiance se fait de plus en plus lourde. 
La relation entre les deux hommes évolue sans cesse : dès fois complices, partenaires, bienveillants et protecteurs, ils peuvent devenir méfiants, hostiles, voir dangereux l'un pour l'autre. Comment leur relation va t'elle se finir ? Vont-ils parvenir à s'échapper de ce piège de glace? Et pour aller où?

Il a beau ne pas se passer grand chose dans ce huis-clos, ce roman se lit très facilement. Les phrases sont courtes, percutantes. Les descriptions de la nature sont magnifiques, sauvages et poétiques. Une écriture forte et lumineuse qui m'a happée dès la première page.

"Nous avons voulu fuir le sort qui nous était réservé et nous voilà engloutis par le cours des choses. Avalés par une baleine. Et, très loin de la surface, nous espérons qu'elle nous recrache sur le rivage. Nous sommes dans le ventre de l'hiver, dans ses entrailles. Et, dans cette obscurité chaude, nous savons qu'on ne peut jamais fuir ce qui nous échoit." (p. 92)

Vous l'aurez compris, il s'agit d'un huis-clos glacé, un brin angoissant et toujours captivant. Malgré quelques longueurs vers le milieu du récit, j'ai apprécié la lecture de ce très beau roman.

Le Poids de la neige / Christian Guay-Poliquin . -Editions de l'Observatoire, 2017 (256 pages)

dimanche 30 août 2020

Les grands espaces, une jolie BD, hymne à la nature, aux jardins, à l'art et à la littérature

Cela fait bien longtemps que je n'ai pas partagé ici un coup de coeur BD. Il faut dire que je lis essentiellement des romans mais il m'arrive de me plonger dans une bande-dessinée de temps en temps. J'avais déjà entendu parlé de cette jolie BD de Catherine Meurisse et attendais de la lire avec impatience.


L'autrice de cette BD est aussi la narratrice de l'histoire. Elle relate ici ses souvenirs d'enfance à la campagne avec beaucoup de nostalgie, de mélancolie et pas mal d'humour ! Le récit commence ainsi :
"Longtemps j'ai rêvé d'avoir, dans mon appartement parisien, une porte spéciale qui s'ouvrirait directement sur les prés. Je l'emprunterais à chaque saison, en un rien de temps, en un coup de crayon, j'irai faire des provisions de paysages, d'odeurs, de silence..."

Lorsqu'elle est enfant, ses parents décident de quitter la ville et de racheter une ferme en ruine à la campagne. La famille s'installe donc dans un petit village de Charentes-Maritimes. Tandis que ses parents retapent la maison, Catherine explore les environs avec sa soeur. Elle découvre la vie à la campagne, l'odeur des bouses de vaches et le patois local. "La merde à la campagne sent bon. Parce qu'elle se mêle aux parfums de foin, de terre, de bêtes... c'est naturel." (p 24). Tout cela est relaté avec fraîcheur et humour.


Catherine se plait très vite à son nouvel environnement, elle joue à l'archéologue avec sa soeur. Elles vont même jusqu'à créer un petit musée avec des fossiles, des cailloux et des crottes d'animaux, à l'image de l'écrivain et collectionneur Pierre Loti.

Cependant, cette jolie ferme a beau être à la campagne, au milieu des champs, il n'y a pas d'arbres, pas de bosquets, rien à part des champs à perte de vue, la faute au remembrement. Ses parents se mettent donc à planter tout ce qu'ils trouvent autour de la maison : des fleurs, des arbres, des buissons, cela en vue de se protéger de la pollution agricole. A ce propos, sa mère dit d'ailleurs cette magnifique phrase : "on ne jardine pas, on entre en résistance" !

Pour ses parents, chaque fleur plantée a désormais une histoire, rappelant un membre de la famille ou un illustre personnage. Sa mère se plait à prendre des boutures partout où elle passe pour les replanter et donner ainsi un passé et un avenir à ses essences. 

"Je n'étais pas la seule rêveuse. Mes parents avaient fait du jardin une forêt de symboles"

Catherine a elle aussi droit à son petit jardin où elle se plait à régner comme si c'était le domaine de Versailles. Très vite, elle se prend de passion pour les légumes, les fleurs et aime les dessiner. Son autre passion, c'est dessiner, elle rêve de devenir illustratrice naturaliste, jusqu'à ce qu'une désillusion la pousse malgré elle vers la caricature...( Pour info, Catherine Meurisse est autrice de BD et fait aussi des dessins de presse, notamment pour Charlie Hebdo).

Au fil des pages, à travers les conversations qu'à Catherine avec ses parents, le récit se fait critique vis à vis de l'agriculture intensive, comme du remembrement responsable de la disparition des haies dans les champs, [avant que des "haies nouvelles, bien alignées, bien proprettes composées d'essences idiotes qui n'ont pas de passé et qui ne croissent jamais!" y soient plantées]. Mais dennonce aussi les travers de la société de loisirs, qui grignote progressivement les terres sauvages du pays. 

Le récit fourmille de références à la mythologie, à Pierre Loti, mais aussi de références littéraires (Zola mais surtout Marcel Proust). Les dialogues sont à la fois simples et pourtant souvent porteurs d'un message philosophique, sociologique et surtout écologique, ce qui rend la lecture de cet album à la fois enrichissante, drôle et émouvante.


"Étymologiquement le jardin signifie l'enclos, le paradis. Dedans, il y a l'agréable, la sécurité, le nourrissant, le spirituel..."

Les grands espaces c'est un hymne à la nature, au jardin, mais aussi à la littérature, à l'art comme moyens d'évasion, d'épanouissement et d'enrichissement personnel à portée de tous.
"La littérature est le meilleur des tour-opérateurs." (p 66)

Cet album, largement autobiographique et à forte consonance écologique, est très lumineux, empreint de la naïveté et de la curiosité de l'enfance, il se présente aussi comme une ode à la liberté et à la découverte.

Les dessins sont à la fois doux et drôles, percutants et touchants. J'ai lu cette BD d'une traite et la recommande vivement.

Les grands espaces / bande-dessinée de Catherine Meurisse,
mise en couleur par Isabelle Merlet. - Dargaud, 2018

mercredi 19 août 2020

"Sharp Objects" superbe petite série en mode thriller psychologique

Cela fait bien longtemps que je n'ai rien écrit sur une série TV, pourtant j'en regarde un certain nombre ! Et ce, faute de temps et, il faut bien l'avouer, de motivation... Mais là, j'ai vraiment eu un gros coup de coeur pour cette petite série américaine co-réalisée par Jean-Marc Vallée et je tenais à le partager ! Sharp Objects (objets coupants) est une série TV produite par HBO qui date de 2018 diffusée sur la plateforme OCS. Elle compte 8 épisodes qui durent en moyenne 60 minutes chacun. La série est disponible en DVD et en Blue-ray également.

J'aime beaucoup l'univers de Jean-Marc Vallée (CRAZY, Dallas Buyer Club...) et j'avais déjà beaucoup aimé les deux saisons de la série Big Little Lies du même réalisateur que je vous recommande vivement (la série passe bientôt sur TF1 !). Encore une fois, je ne suis pas déçue et j'ai carrément adoré Sharp Objects ! Le casting est moins impressionnant certes mais dès les premières images on sent la profondeur de la série, on retrouve l'ambiance propre au réalisateur, il y a quelque chose de rétro et d'intemporel dans les décors, l'image est soignée, chaque détail a son importance, chaque regard et chaque geste a du sens.  Des silences, des murmures, des non-dits, des bruits, des portes qui claquent, des regards en biais... L'ambiance est pesante, les personnages plein de secrets.

L'histoire :

Camille Preaker est journaliste à Saint Louis. Après de longues années d'absence, elle revient non sans quelques appréhensions dans sa ville natale, Wind Gap, une bourgade paumée au fin fond du Missouri  pour écrire un article sur deux meurtres d'adolescentes. Le jeune femme loge chez sa mère, Adora, une femme froide et taciturne, bourgeoise respectée qui fait partie de l'élite de la ville, et qui a refait sa vie depuis le départ de Camille. Celle-ci se montre froide et cruelle avec sa fille alors qu'elle ne l'a pas vu depuis des années. Camille croise aussi de vieilles connaissances avec qui elle reste courtoise mais qui lui rappellent un passé d'ado qu'elle préférerait oublier.

Camille Preaker interprétée par Amy Adams

Chaque épisode révèle des flash back sur l'enfance de Camille, des images, des sensations qui lui reviennent. Dès le premier épisode resurgissent des souvenirs douloureux. On comprend qu'elle a voulu fuire cette ville. Camille a perdu sa soeur étant enfant. Les relations avec sa mère sont tendues, compliquées. On sent dès le début qu'il y a beaucoup de tension, de non dits, de rancœur. Camille rencontre pour la première fois son autre soeur, issue d'une autre union de sa mère. Amma est une adolescente à double personnalité : petite fille sage et craintive en quête d'affection pour sa maman, ado rebelle en quête de sensations fortes avec ses copines. Camille va vite découvrir les deux volets de la personnalité de sa jeune soeur dont elle va se prendre d'affection.

Amma, la soeur de Camille

On suit donc le retour dans sa ville natale depuis son point de vue, son ressenti. Camille vient pour écrire sur les deux meurtres mais elle va surtout devoir affronter ses vieux démons, sa souffrance (on découvre vite qu'elle s'inflige des souffrances physiques et qu'elle est assez perturbée) et faire face à son étrange famille. La journaliste, qui apparaît d'abord comme forte et déterminée va progressivement se laisser submerger par les souvenirs, les émotions, la cruauté de sa mère, l'ambiance nocive de cette bourgade...
Elle va se rapprocher de Richard, un flic venu de Kansas City qui enquête sur les meurtres des jeunes filles.

Voici le trailer pour se faire une idée : 

Au fil des épisodes on en apprend un peu plus sur la psychologie des personnages, leurs failles, leurs ambiguïtés. Et surtout sur l'état psychologique de Camille, jeune femme meurtrie à différents niveaux. 

Sharp Objects est une série sur les relations mère-fille toxiques, sur la construction de soi. Je ne vais pas en dire plus de peur de "spoiler" mais c'est une série superbement réalisée et un thriller psychologique haletant. Il y aurait d'ailleurs beaucoup à dire sur la psychologie des différents personnages, même ceux plus "secondaires". 

Adora, la mère de Camille et son compagnon

J'ai été vraiment scotchée par le dénouement qui donne envie de revoir la série depuis le début pour y déceler des indices et s'en faire une nouvelle interprétation.

La série est adaptée d'un roman de Gillian Flynn "Sur ma peau" (" les Apparences" qui a inspiré le film Gone Girl) que j'ai envie lire pour approfondir la psychologie des personnages.

Sharp Objects est une série vraiment réussie : de superbes images, des dialogues réfléchis et percutants, une bande son épatante comme toujours avec JM Vallée, une intrigue bien ficelée et des actrices remarquables.

Sharp Objects / série américaine produite par Marti Noxon et réalisée par Jean-Marc Vallée, avec Amy Adams, Patricia Clarkson, Chris Messina . HBO, 2018

samedi 25 juillet 2020

Le Gang des rêves : un roman fleuve passionnant sur le New-York des années 1920

Voici assurément ma lecture du confinement : un livre qu'on m'a offert à Noël et qui m'attendait sagement sur ma table de chevet depuis quelques mois. Le Gang des rêves est un roman d'un auteur italien écrit en 2008 qui a eu un grand succès en Europe et a même été adapté en série. Il n'a pourtant été traduit en français qu'en 2017.

Il s'agit en fait d'un roman fleuve de 942 pages qui se passe dans le New-York des années 1920. Il ne faut pas se laisser décourager par le nombre de pages : ce roman se lit très facilement, au point que j'avais du mal à le lâcher !


Tout commence au début des années 1900, dans la campagne italienne. Cetta Luminata est une jeune fille issue d'une famille nombreuse et pauvre. Alors qu'elle travaille dans les champs, elle se fait violer et tombe enceinte. Pour fuir ses conditions de vie difficiles et garder son enfant, elle décide de tenter la traversée vers le pays où tout semble possible, les Etats-Unis d'Amérique. S'en suit un voyage en bateau horrible et une arrivée à New-York non moins cahotique.

Son bébé, prénommé Nathanaël, sera renommé Christmas à son arrivée aux Etats-Unis. Par "chance", Cetta est prise sous l'aile de Sal, un mac au grand coeur qui lui évite de nouveaux drames. Mais, à peine débarquée aux Etats-Unis, la toute jeune femme devient prostituée en maison close pour gagner sa vie et nourrir son fils. Hébergée par un couple de petits vieux très pauvres, des proches de Sal, Cetta débute une vie de misère mais d'espoir à New-York. Même si elle n'aspire plus à de grandes ambitions pour elle, elle mise beaucoup d'espoir sur son fils, ne cessant de l'encourager au fil des ans, lui promettant que lui, au moins, sera un "vrai" américain.

L'enfant grandit dans la rue, au milieu des gangs et des prostituées mais sa mère lui a transmis sa douceur et son courage et veille à ce qu'il ait toujours ce qui lui faut et apprenne à lire. Devenu adolescent, Christmas vit de débrouille et son gang a lui se construit surtout dans sa tête. En effet, c'est un garçon intelligent qui parvient à se sortir des situations difficiles grâce à son culot et sa ruse, son imagination et sa tchatche. Il fait croire à son copain Santo qu'il fait parti d'un gang craint et respecté appelé les "Diamons Dogs". La légende grandit ensuite dans tout New-York.

Je me suis un peu accrochée au début du roman car il y a de nombreux passages décrivant des scènes dures et d'autres relatant la prostitution. Malgré cette violence en arrière plan, c'est un récit plein d'humanité, on s'attache très vite aux personnages de Cetta et de Christmas. Et même à celui de Sal, ce mac un peu brusque au grand coeur et au mains sales, qui s'est pris d'affection pour la mère et l'enfant.

En parallèle de l'histoire de Cetta et Christmas, on suit l'histoire d'une jeune fille, Ruth, issue de la bourgeoisie juive de New-York, ado solitaire grandissant dans une grande maison avec des parents froids et distants. Un soir, en quête d'aventure, elle fait le mur avec le jardinier mais la soirée va se transformer en cauchemar pour elle et bouleverser sa vie à jamais. 

Ce même soir, alors que Christmas traîne avec son copain Santo dans les rues, il tombe sur la jeune fille dans la rue, inerte. Alors qu'il l'emmène à l'hôpital, il croise son regard vert émeraude et en tombe immédiatement amoureux . Il sait désormais que leurs destins seront liés à jamais.

Voici pour le début de l'histoire. Les 800 pages qui suivent retracent la décennie suivante, de 1920 à 1930, où les deux jeunes gens vont se retrouver, se quitter, se chercher... Éloignés par leurs milieux sociaux, leurs cultures divergentes, leurs quartiers, leurs familles. Mais irrémédiablement attirés l'un vers l'autre. Il va leur arriver toutes sortes d'aventures.
Le Gang des Rêves est un magnifique roman d'amour sur le courage, la passion, les rêves de gosses. Il y a aussi quelque chose du roman d'apprentissage dans ce récit-fleuve avec ces deux jeunes gens qui se cherchent et s'accomplissent dans un monde hostile.

Les deux ados grandissent dans une Amérique en pleine révolution industrielle. On est plongé dans les années 1920 en plein développement industriel, à l'époque des grands chantiers et des  premières grèves....
C'est aussi l'époque des nouveaux moyens de communication. Christmas est fasciné par le pouvoir de la radio qui relie les gens entre eux, Cetta adore le théâtre, Ruth la photographie. C'est aussi le début du cinéma muet parlant...

Le Gang des Rêves est un livre sur le monde de la rue, des gangs et de la prostitution. On y croise des gangsters sans pitié mais aussi intègres, protecteurs et parfois même drôles. Christmas va beaucoup apprendre à leurs côtés jusqu'à en faire une sorte de "spécialité". Et tout ça sans jamais vraiment défier la loi.
On suit aussi le parcours du jeune psychopathe qui a brisé la vie de Ruth d'un bout à l'autre de l'Amérique. Un personnage effrayant, solitaire, animé par un feu intérieur.

J'ai lu ce roman avec plaisir et avidité dès que j'avais un peu de temps durant la période du confinement. On se prend vite d'affection pour les personnages et on se demande sans cesse ce qui va encore leur arriver. On sent vite que les deux jeunes personnages de Christmas et de Ruth sont plein de ressources et prêts à réaliser de grandes choses. La figure du grand-père de Ruth est très forte aussi, un homme certes riche, mais honnête et juste, protecteur envers Ruth.

Il y a bien quelques passages où j'ai moins accroché que d'autres, mais globalement sur les 950 pages du roman, je ne me suis pas ennuyée. La lecture est agréable, l'écriture est très scénarisée rendant merveilleusement compte du contexte de l'époque. Les chapitres sont assez courts et certaines descriptions  vraiment magnifiques. Les dialogues sont souvent très riches, certains ont même une portée philosophique.  

Cette saga familiale et historique regorge de personnages formidables et courageux. C'est une histoire à la fois tragique, touchante, mais aussi pleine de joie et d'espoir avec des protagonistes débordant d'énergie.



Quelques citations :

"Tu sais ce que c'est l'amour ? fit-elle. C'est réussir à voir ce que personne d'autre ne peut voir. Et laisser voir ce que tu ne voudrais faire voir à personne d'autre."

"Le hasard, c'est un coup de pied dans le cul que la vie te donne pour te faire avancer."

"Tout à coup, il était devenu un homme. Les choses ne se passaient pas comme il l'avait imaginé. Ce qui l'avait fait grandir si rapidement, ce qui l'avait arraché à l'adolescence, c'était l'amour. Or, l'amour, ça enflammait, ça consumait, ça faisait devenir beau mais laid aussi. L'amour changeait les gens, ce n'était pas une fable. La vie n'était pas une fable. "

Miss Islande : un petit livre puissant et poétique sur la créativité et l'émancipation.

Autre lecture de ce début d'année : Miss Islande de l'auteure islandaise Auður Ava Ólafsdóttir dont j'avais déjà apprécié Le rouge vif de la rhubarbe (lu en 2016!)


L'histoire se passe en 1963 dans une Islande encore très conservatrice. La jeune Helka, qui porte le nom d'un volcan, bouillonne d'énergie et d'ambition : elle rêve notamment de devenir écrivain et de quitter l'Islande. Elle a d'ailleurs déjà écrit quelques nouvelles publiées sous un pseudonyme masculin. Ainsi, a 21 ans, elle quitte sa famille et son village natal pour s'installer à la capitale, Reykjavik, où se trouve un petit boulot de serveuse. Elle entreprend alors l'écriture de son roman dès qu'elle a du temps libre et contacte des maisons d'éditions. Mais il est difficile d'être une jeune femme avec de l'ambition dans un petit pays conservateur où règne le patriarcat. On préférerait la voir épouser un beau et riche jeune homme et faire plein d'enfants plutôt que de l'encourager dans l'écriture...

Hekla est très proche de Jon John, son ami homosexuel qui, pour se faire de l'argent, part à contre coeur et au péril de sa vie plusieurs mois en mer sur les grandes tournées de pêche. Ce dernier vit difficilement les préjugés et l'hostilité à son égard. Il demande d'ailleurs à Hekla de jouer le rôle de petite amie afin d'éviter de se faire maltraiter par ses collègues marins... Lui aussi rêve d'exil afin de réaliser son projet d'être styliste. 
Les deux amis ont en commun ce besoin d'évasion, cette ambition de réaliser des projets que certains qualifient de fous. Ils se sentent tous les deux prisonniers de leur condition.

La jeune femme voit aussi souvent sa copine d'enfance, Isey, qui a choisi une vie plus conventionnelle dans le rôle de mère au foyer. Cependant cette dernière soutient et admire son amie avec qui elle échange poésies et réflexions littéraires. D'ailleurs, elle-même nourrit une passion secrète pour l'écriture et la poésie mais elle s'est résignée pour son mari, pour ses enfants.

Ces trois personnages sont tous très attachants, dépeints avec beaucoup d'empathie. Hekla fait souvent référence à ses parents, avec tendresse et mélancolie. C'est une jeune femme loyale, sérieuse, studieuse et passionnée. Elle rencontre un homme, qu'elle appellera le poète, avec qui elle va avoir une liaison et tenter de partager sa passion littéraire. Au début, par pudeur, ou pour préserver son ego, elle lui cachera d'abord ses talents d'écrivain. "Le poète" devient vite énervant car il nourrit un fort complexe à l'égard Hekla dont il est jaloux de la créativité littéraire.

Alors qu'elle sert un client dans le restaurant où elle travaille, un homme lui propose de postuler au concours de Miss Islande. Ce qui est vraiment à l'opposé des plans d'Hekla, qui est quelqu'un de profond, de sincère, loin du coté superficiel d'un concours de beauté. Bien entendu, même si cela est flatteur, c'est loin de ses ambitions ! Je suis d'ailleurs étonnée que le roman ait pris le titre de miss Islande. Peut-être un pied de nez au concours de beauté justement, une manière de prouver qu'on peut devenir miss Islande avec son cerveau plutôt avec son physique?

C'est un livre sur l'émancipation, l'envie d'aller au bout de ses rêves, la lutte contre les préjugés. Ce roman est également une ode à la liberté, à la jeunesse et se veut résolument féministe.

Miss Islande est un beau petit roman qui explore le thème de la créativité et de la passion littéraire. C'est aussi un récit qui se veut critique à l'égard de la société de l'époque notamment l'occupation  militaire américaine, la montée du capitalisme, l'homophobie, le patriarcat et le machisme.

Avec une écriture à la fois simple, directe, belle et puissante, un phrasé poétique et délicat, Olafdottir nous transporte avec tendresse dans les pensées de ces personnages.

Ce roman a été récompensé par le prix Médicis Etranger 2019.


Quelques citations pour se faire une idée du style de l'auteure:

“Je suis réveillée.
le poète dort.
En dehors des étoiles qui scintillent au firmament,
le monde est noir.”
“C'est la vérité. Mais pas forcément la réalité .......j'ai tellement envie de continuer chaque jour à inventer le monde”

"Une phrase vient à moi, puis une autre, une image se dessine, cela fait toute une page, tout un chapitre qui se débat dans ma tête, comme un phoque pris dans un filet" (p 136)

"Tes pages sont traversées par les torrents impétueux et dévastateurs de la vie et de la mort, moi je suis un ruisseau qui murmure. Je ne supporte pas l'idée d'être un poète médiocre."

"J'ai tellement envie de continuer chaque jour à inventer le monde."

vendredi 17 juillet 2020

"Par les routes" une belle écriture pour relater l'envie d'évasion.

Cela fait bien longtemps que je n'ai pas écris sur ce blog. Faute de temps principalement, et ce malgré deux mois de confinement à la maison, mais entre le télétravail et la garde d'enfant il ne me restait guère de temps pour faire autre chose.
Et pourtant j'ai tout de même lu pas mal de livres depuis décembre dernier ! Certains que j'ai aimé, d'autres moins... Je vais essayer de me rappeler les coups de cœur littéraires depuis ce début d'année et de rattraper mon (gros) retard prochainement.

Je vais commencer par ce livre lu en tout début d'année.
Par les routes de Sylvain Prudhomme est un roman français assez facile à lire qui a notamment reçu le prix Fémina en 2019.

J'ai plutôt apprécié ce roman à l'écriture fluide, légère, teintée de poésie et d'une bonne dose de mélancolie. Signe particulier : la ponctuation y est simplifiée : pas de point d'interrogation, d'exclamation, de guillemets pour les dialogues. Cela surprend au début, mais on s'y habitue assez vite.

Voici l'histoire. Le narrateur, lui même écrivain, quitte Paris pour une petite ville du Sud de la France afin d'y trouver plus de calme et d'authenticité et de renouer avec l'inspiration littéraire. Il tombe par hasard sur un ami de jeunesse, ce qui fait resurgir bien des souvenirs. Il raconte ici l'histoire de "l'auto-stoppeur", c'est comme ça qu'il nomme son ami tout au long de l'histoire.

Par les routes, c'est l'histoire de deux quadragénaires qui ont du mal à vivre leurs vies d'adultes.  L'un s'est plus ou moins "rangé" dans une vie d'artiste et d'écrivain, l'autre dans une vie de famille. Mais pour ce dernier, le besoin de vadrouiller en stop est plus fort que tout. Bien qu'il ait une femme et un enfant qu'il aime et qui l'aiment, l'"auto-stoppeur" ressent ce besoin permanent de partir "sur les routes" en stop, d'aller à l'aventure, à la rencontre des gens, et de chercher quelque chose que finalement lui même ignore.

Au fur et à mesure, Sacha l'écrivain va se rapprocher de Marie, la femme de son ami, qui est toujours en vadrouille sur les petites routes de France et de Navarre. Ce roman, c'est l'histoire d'un mari, d'un père et d'un ami plein de mystère qui s’efface progressivement. C'est une ode à la campagne française, aux petites routes. L'auto-stoppeur envoie des cartes postales à ses proches de tous les bleds où il passe avec simplement quelques mots pour dire qu'il va bien. (c'est bien la première fois que je vois mentionné Dieuze dans un roman !)

Cette histoire se veut aussi un hymne au partage, aux rencontres. De belles idées, en somme. Mais là aussi je n'adhère pas au fait de faire des rencontres sur des aires d'autoroute et de voyager uniquement en voiture. Question de point de vue sûrement !

A l'issue de cette lecture, on peut y faire différentes analyses psychologiques des personnages mais je ne vais pas m'étaler là dessus de peur de dévoiler l'issue du roman.

Personnellement, si j'ai apprécié la forme du roman, j’émets quelques réserves sur le fonds. D'abord j'ai assez peu d'empathie pour les personnages principaux, l'éternel baroudeur qui ne sait pas apprécier sa vie de famille et l'artiste incompris qui se cherche... L'un en quête d'aventure, l'autre en quête de stabilité. Il y a quelque chose de très "bobo" dans cette histoire et dans ces personnages (même si je n'aime pas vraiment ce terme). On sent une certaine complaisance car c'est un roman d'un écrivain sur un écrivain. Il y a probablement une bonne dose d'autobiographie dans ce récit !

Bref, j'ai beaucoup aimé l'écriture de ce roman mais n'ai pas été convaincue par l'histoire. Cependant Par les routes reste un livre agréable à lire et une belle découverte littéraire.


Quelques citations :

Référence à une chanson de Leonard Cohen "Famous Blue Raincoat" la chanson préférée de l'auto-stoppeur, qui raconte une lettre à un amis " Et il lui fait cette déclaration dont je ne pense pas que beaucoup de longs poèmes l'égalent en beauté, en justesse, en conscience de l'impermanence des choses en ce bas monde : Je suis heureux que tu te sois trouvé sur ma route. Parole de voyageur. Parole d'habitué des routes, des carrefours, des rencontres. Parole de vrai amoureux de la vie, reconnaissant aux surprises qu'elle réserve. " p 386


"J'ai réalisé qu'il ne se passerait rien [...] Des jours tantôt habités avec intensité, imagination, lumière, des jours pour ainsi dire pleins, comme on dit carton plein devant une cible bien truffées de plombs. Tantôt abandonnés de mauvais gré au soir venus trop tôt. Désertés par excès de fatigue ou de tracas. Laissés vierges du moindre enthousiasme, de la moindre récréation, du moindre élan véritable. Jours sans souffle, concédés au soir trop tôt venu, à la nuit tombée malgré nos efforts pour différer notre défaite, et résignés alors nous marchons vers notre lit en nous jurant d'être plus rusés le lendemain - plus imaginatifs, plus éveillés, plus vivant." p 125