mercredi 31 janvier 2018

Leila Slimani engagée dans une BD de témoignages sur la sexualité des femmes au Maroc et dans un recueil de textes contre l'obscurantisme

On connait la romancière Leila Slimani pour ses romans Dans le jardin de l'ogre et Chanson douce récompensé par le prix Goncourt 2016. En plus d'être une auteure brillante, c'est aussi une jeune femme engagée, notamment sur les questions des droits des femmes et des libertés individuelles en général. D'origine marocaine, c'est vis-à-vis de son pays d'origine qu'elle a le plus de choses à dire.


Je vous présente ici deux de ses ouvrages : le premier est une bande-dessinée où il est question de la place des femmes et de la sexualité au Maroc, le deuxième un recueil de nouvelles parues dans le journal Le Un à propos de l'obscurantisme religieux.


Paroles d'honneur : une bande-dessinée émouvante sur des témoignages de femmes marocaines sur la sexualité


Auteure d'un livre documentaire intitulé Sexe et mensonges : la vie sexuelle au Maroc, elle a retranscrit une partie des témoignages qu'elle a recueillie pour ce livre dans une jolie bande-dessinée illustrée par Laetitia Coryn.

Dans Paroles d'honneur, Leila Slimani met en lumière les paroles de femmes marocaines qu'elle a rencontré au cours de l'été 2015 à Rabbat, avec qui elle a discuté de la place de la femme dans la société et de sexualité.


J'ai eu la chance d'assister à une rencontre avec l'auteure et l'illustratrice dans le cadre des Bibliothèques Idéales à Strasbourg, en septembre dernier et c'était tout à fait passionnant. Intelligente, cultivée, accessible et pertinente, Leïla Slimani s'exprime de manière claire et passionnée.   
Vous pouvez d'ailleurs réécouter la rencontre sur Sound Cloud (enregistrement c. Eurométropole de Strasbourg.)


Paroles d'honneur est une BD de reportage et de témoignages à forte dimension biographique, tout-a-fait ancrée dans l'actualité et fortement engagée.
L'auteure et narratrice retranscrit ici les échanges qu'elle a eu avec plusieurs personnes au Maroc, notamment avec Nour, une femme d'une trentaine d'années, célibataire et à tendance laïque, mais aussi avec des femmes plus libérées et d'autres plus âgées et plus traditionalistes. A la fin de l'album, on retrouve aussi quelques témoignages d'hommes.

Toutes et tous témoignent du tabou qu'est la sexualité au Maroc, de la place de la femme dans la société et de leur perception par les hommes, de la sacralisation de la virginité, des nombreux interdits comme l'avortement... En cause? Une société schizophrène bloquée entre tradition et modernité, le poids de la religion, de la morale et des traditions, la peur de la "houchma", la honte qui tolère pourtant le viol et les violences conjugales... C'est une société hypocrite qui est décrite ici, qui condamne la liberté d'aimer, le désir et une partie des libertés individuelles. Les femmes sont perçues soit comme des épouses soumises à leur mari soit comme des prostituées, il n'y a pas de juste milieu.

Certaines femmes non pratiquantes mettent ainsi le voile dans les espaces publics pour être tranquilles, de peur sinon de se faire agresser. D'autres se font reconstruire l'hymen de peur de ne trouver jamais de mari. Beaucoup de jeunes, hommes ou femmes, rêvent de changement ou d'exil.

Paroles d'honneur, c'est une peinture de la société marocaine d'aujourd'hui, où sont retranscrits notamment de récents faits divers comme, par exemple, le scandale qu'a suscité le film Much Love qui a été censuré ou alors la polémique suscitée par la tenue de Jenifer Lopez lors d'un concert en 2015.

Lors d'un entretien avec une théologienne, cette dernière rappelle que ce sont pourtant les arabes qui ont choqué l'occident avec les premiers écrits érotiques au 15ème siècle.
"On oublie trop souvent que dans les premiers temps de l'Islam, le sexe était loin d'être condamnable. La sexualité y était même considérée comme une sorte d'épanouissement" "Et aujourd'hui chacun utilise, l'instrumentalise pour justifier ou interdire tel ou tel comportement." (p 49)

Elle donne aussi une autre place des femmes dans la religion :
"Il faut que les femmes aient les outils pour argumenter face à cette inculture religieuse généralisée. Nous ne devons pas accepter n'importe quoi au nom du sacré. Le libre arbitre des femmes détermine le degré d'islamisation d'une société. L'honneur, l'image, la transmission, la vertu, tout repose sur les épaules féminines." (p 44)

Paroles d'honneur est une jolie bande-dessinée entre documentaire et fiction qui aborde la question de l'égalité homme-femme, de la laïcité, de la place de la religion et de la morale dans la société marocaine. Cet album se lit facilement et est très enrichissant. Je recommande !

Ci dessous, voici d’autres citations qui m'ont semblé pertinentes :

"Au Maroc, la femme n'a pas le droit d'avoir de désir. elle ne choisit pas." p 15

"Certains hommes ne comprennent pas la différence entre faire le choix d'avoir une sexualité et consentir à un acte sexuel, ce qui joue en leur faveur c'est qu'ils savent que les filles ne porteront pas plainte. Il faut que la honte change de camps." p.22


"La société marocaine est bipolaire : on dit que l'on veut se moderniser et protéger nos habitants, mais la question de la sexualité reste taboue. Il faut en parler, ce n'est pas un problème strictement médical, les avortements mal faits, les septicémies, les infections, les sicides, les crimes d'honneur, les abandons et les infanticides sont un vrai problème au sein de la société marocaine, que l'ont doit résoudre une bonne fois pour toutes. (Pr Chraibi dans une interview à Jeune Afrique) p 37

Sur le port du voile, le témoignage d'une jeune femme : "Ça freine beaucoup de choses, ça rend les relations humaines difficiles. Dans mon ancien boulot, j'étais la seule à ne pas porter de voile et je bossais dans un milieu très masculin. Une fois j'y suis allée en jupe et j'ai carrément eu l'impression d’être à poil ! C'était atroce. Je ne l'ai jamais refait et ne le referai jamais." p 42

"Quand je vois toutes ces femmes au Maroc qui oscillent entre la volonté de se libérer et l'acceptation des carcans qui leur sont imposés... Pourquoi sont-elles si nombreuses à envisager de se refaire l'hymen ou de porter le voile, alors même qu'elles s'étaient libérées de certains conditionnements?" p 56

[Le réalisateur de Much Love] "Quand tu vois ta femme comme une machine à procréer, qui n'est pas censée éprouver de plaisir et dont le corps est quasiment ta propriété, comment veux-tu avoir un rapport sain à la sexualité?" "Les hommes marocains refoulent, ils sont très frustrés, tout ce qui a trait à l'appétence, au désir est rejeté parce qu'on a appris aux gens à les diaboliser. Du coup quand on met les gens face à cette image, ils réagissent de manière extrêmement violente." p 69

"Les marocains oscillent entre fantasme et détestation" p 70

"Ce qui me choque c'est l'absence totale de subtilité dès qu'il s'agit de penser la sexualité. Pour les hommes, il n'y a pas d'intermédiaire entre la femme vertueuse et la prostituée. Ils ont une vision très manichéenne des femmes" p 80

"Les garçons ne sont pas nos ennemis dans ce combat. Eux aussi souffrent de ce malaise. Ils ont, eux aussi, envie que les relations avec les femmes soient plus simples. Les gens ont beaucoup de mal à comprendre les droits individuels. En gros, ne craint pas Dieu, mais le regard de l'autre. Toute notre société est construite sur la notion d'interdit, de secret. Vous réalisez la pression que cela constitue pour les gens?"

"Avant d'être un individu, une femme est une mère, une soeur, une épouse, une fille, garante de l'honneur familial et, pire encore de l'identité nationale. Sa vertu est un enjeu public." p. 101



Un recueil de petits textes plein de justesse et d'intelligence sur l'islamisme radical 


Le diable est dans les détails est un petit livre qui recense les textes que Leïla Slimani a écrit pour le journal Le Un entre 2014 et 2016. Six petits textes, des nouvelles, des articles, des cris du coeur sur les dérives de l'Islam.


Là encore, c'est très bien écrit, c'est fin, intelligent et pertinent. Les textes sont plein de vie, de rage, de passion, ce sont des réflexions sur notre société, sur la défense de nos valeurs, de nos convictions et libertés individuelles face à l'obscurantisme religieux.

Voici un petit résumé des six textes condensés dans ce petit livre.

Dans Le diable est dans les détails, un vieux musulman se sent dépassé par les réactions des membres de son entourage où il constate des dérives de l'interprétation de la religion.

Une armée de plumes est un texte écrit par Leila Slimani après l'attentat de Charlie Hebdo. Elle interroge sur la responsabilité des intellectuels, des écrivains. "Qu'en est-il de la responsabilité en littérature? Un écrivain a t'il à se montrer "responsable" face à la situation géopolitique d'un pays, face aux événements? Doit-il s'autocensurer s'il sait que son propos risque d'embraser une société déjà à vif ? Je ne le crois pas." (p 23)

Dans En attendant le messie. un vieil homme est confronté aux déviances de l'Islam, aussi bien chez la jeune génération que chez les anciens. "A présent, il y a autant de musulmans que de marques de voitures. Et chacun pense qu'il vaut mieux que les autres." (p 34).

Intégristes, je vous hais, est un cri du coeur écrit par l'auteure au lendemain des attentats du 13 novembre à Paris. Elle parle de son enfance au Maroc et de son apprentissage de la religion où on lui a appris à ne pas contester. Elle fait le parallèle avec les attentats terroristes et la difficulté de s'exprimer après un tel drame, sans paraître moralisateur.
"Qu'écrire alors? S'il faut employer des mots, assurons nous qu'ils ne soient pas creux. Car c'est de cela aussi que l'on meurt : de trop de tiédeur, trop de compromissions, trop de cynisme. Notre monde, et en particulier nos dirigeants, manquent de clarté, de cohérence, d'intransigeance." (p.38)

"Arrêtons de nous cacher derrière un pseudo respect des cultures, dans un relativisme écœurant qui n'est que le masque de notre lâcheté, de notre cynisme, de notre impuissance." (p.40)

Elle clame aussi son amour pour Paris et pour les libertés individuelles.

Dans Française, enfant d'étrangers, l'auteure raconte son enfance au Maroc et la diversité d'origines de ses parents et grands parents qui n'empêchait pas les repas de famille dans la bonne humeur.

"Je me suis demandée ce que ma génération allait être capable de faire de ce monde. Serons-nous à la hauteur de ceux qui se sont battus pour pouvoir fêter Noël ensemble? Saurons-nous nous définir par autres choses que nos dieux, nos origines? Faudra-t'il encore et toujours prouver nos allégeances ?" (p.46)

Et pour finir Un ailleurs est une nouvelle sur une jeune fille qui s'évade de son quotidien morose grâce à la lecture.

Ces 56 pages se lisent rapidement avec beaucoup de plaisir et d'intérêt. Là encore, je recommande vivement !

Le diable est dans les détails / recueil de textes écrits par Leïla Slimani dans le journal Le Un entre 2014 et 2016 ; Eric Fotorino . - Ed de l'aube, 2016

jeudi 25 janvier 2018

Quand le retour au pays d'un entrepreneur ravive une vieille enquête criminelle. Acquitted, une série norvégienne intimiste

Acquitted est une série norvégienne sortie en 2015, diffusée sur Canal Plus à ce moment là et désormais disponible en DVD et Blue-Ray ainsi que sur Netflix. Entre intrigues familiales, enjeux économiques et enquête criminelle, on retrouve dans cette série l'ambiance propre aux séries nordiques qu'on a apprécié dans Fortitude, Occupied ou The Killing, avec un rythme maîtrisé et des profils psychologiques intéressants.


Au début, un retour aux sources pour une histoire de rachat d'entreprise

Axel est un investisseur d'origine norvégienne qui vit depuis vingt ans en Malaisie. Il y a une bonne situation, une femme et un enfant adolescent. Un jour, il reçoit un appel de Norvège, son pays d'origine où une vieille connaissance lui demande, à lui et à son entreprise, de venir en aide à l'entreprise SolarTech, qui fabrique des panneaux solaires, dans son village d'origine, Lisfjord , en proie à des difficultés financières. D'abord réticent, il décide pourtant de retourner en Scandinavie après vingt ans d'absence. En effet, Axel a derrière lui un lourd passé qu'il cache à sa famille et qu'il a tenté d'oublier durant sa nouvelle vie.

William Hansteen et Axel

Deux décennies plus tard, le voici donc de retour dans ce village enclavé au fond d'un fjord de Norvège. Accueilli comme un sauveur d'entreprise par certains, d'autres verront son retour comme une insulte.
Axel

Un passé trouble qui refait surface

En effet, la directrice de l'entreprise en difficulté, Eva Hansteen, d'abord ravie d'apprendre qu'un entrepreneur asiatique est prêt à lui venir en aide, manque de s'évanouir lorsqu'elle reconnait Axel. On apprend rapidement que ce dernier a été soupçonné du meurtre de sa fille Karine vingt ans plus tôt, alors qu'il était son petit ami. Après avoir été accusé du crime et passé un an en prison, il a finalement été acquitté grâce au témoignage d'une ex petite-amie. Mais Eva reste persuadée de sa culpabilité et le retour au pays d'Axel ravive de douloureux souvenirs. La fusion d'entreprise tant attendue se voit alors compromise.

Lars, Eva et William Hansteen

Une affaire criminelle vieille de vingt ans revient hanter les habitants du fjord

Les deux premiers épisodes sont plutôt centrés sur les difficultés de l'entreprise et son potentiel rachat par l'investisseur asiatique mais les tentions entre Eva et Axel et les rivalités personnelles vont faire progressivement dévier l'histoire vers cette affaire de meurtre vieille d'il y a vingt ans.

Au fil des épisodes, on croise une bonne dizaine de personnages répartis essentiellement entre la famille Hansteen, aisée et respectée, et la famille d'Axel, bien plus modeste.

Dans la famille Hansteen, William, le mari d'Eva, vit dans l'ombre de sa femme. Il a moins de ressentiment vis à vis d'Axel car il le croit innocent. Lars, le fils, est complètement sous l'emprise de ses parents, et malgré sa bonne quarantaine, ne parvient pas à s'émanciper. Sa femme Inger, dirige l’hôtel du village et souhaite le moderniser. Elle a toutefois du mal à se faire une place dans cette famille. Hélène, la fille adolescente de Lars se sent un peu délaissée par sa famille et va tout doucement se rebeller. Dans cette famille bourgeoise, de nombreuses tensions et non dits vont entraîner des dissensions et conflits.

Eva et Helene Hansteen

Du coté d'Axel, sa mère se réjouit peu de revoir son fils qu'elle n'a pas vu depuis vingt ans. Elle est parano, infantile et renfermée sur ses habitudes Elle vit recluse dans une petite maison isolée de tous où son fils Erik, le frère d'Axel, prend soin d'elle.
Tous deux sont un peu réticents à retrouver Axel après tant d'années et ne lui font pas totalement confiance. Mais Erik va progressivement se rapproche de ce frère qu'il avait presque oublié tandis que sa mère va rester sans cesse sur la défensive.

Erik, le frère d'Axel

Tonia est une ex petite copine du lycée d'Axel plutôt contente de retrouver son amour de jeunesse. Désormais à la tête de l'équipe technique de l'entreprise SolarTech, elle travaille sur un nouveau prototype de panneau solaire. Vingt ans plus tôt, c'est grâce à son témoignage qu'Axel a été acquitté. Le retour de ce dernier la trouble et ranime de vieux souvenirs.

Tonia et Axel

Finn est le policier du coin, proche de la famille Hansteen, qui, sous la pression d'Eva va tout doucement relancer l'enquête sur la mort de Karine.

Eva veut à tout prix prouver la culpabilité d'Axel au point que ce dernier finit par douter de plus en plus de sa totale innocence, d'autant plus que nombreux sont ceux qui le considèrent encore comme coupable. L'acteur qui interprète le personnage d'Axel joue très bien avec les silences, les expressions du visage, une certaine retenue, et au fil des épisodes, notre sentiment vis à vis d'Axel évolue également.

Par la suite, dans la saison 2, une jolie procureure va débarquer à Lifjord pour reprendre cette affaire qui ne semble jamais se résoudre.

Des profils psychologiques variés et de nombreux suspects potentiels

Tout au long des deux saisons de cette série se croisent de nombreux personnages aux profils psychologiques variés, et forcément, des tensions se créées, des dissensions tout comme des rapprochements se font nous mettant sans cesse sur la piste de suspects potentiels.
En effet, à chaque épisode, on passe d'un suspect à un autre et ce jusqu'au dernier épisode de la saison 2 ! Pour cela, la série est vraiment bien construite, maintenant le suspens tout en travaillant la psychologie des personnages. Car tous ont des failles, des secrets, des problèmes relationnels, un besoin de reconnaissance, quelque chose à prouver...


Acquitted est une série intéressante et bien ficelée, qui débute par les déboires économiques d'une entreprise locale pour dévier progressivement vers une enquête criminelle. La série devient vite prenante grâce aux profils psychologiques des personnages, à un bon rythme où les silences sont aussi éloquents que les dialogues, avec quelques rebondissements, du suspens, des surprises... Malgré quelques personnages un peu trop caricaturaux à mon goût, j'ai été emballée par cette série !

Enfin, regarder Acquitted c'est profiter de la vue de magnifiques paysages des fjords de Norvège d'abord en été (saison 1) puis en hiver sous la neige et les congères ! (saison 2)

Acquitted / série norvégienne créée par Siv Rajendram Eliassen, Anna Bache-Wiig, Avec Nicolai Cleve Broch, Susanne Boucher, Lena Endre. Titre original : Frikjent

mercredi 10 janvier 2018

"Les heures sombres" : grand film historique et politique sur les débuts de Churchill en tant que Premier Ministre

Un film historique et politique sur les enjeux du début de la Seconde Guerre Mondiale

Réalisé par le britannique Joe Wright, Les heures sombres retrace les premiers jours de Winston Churchill en tant que Premier Ministre, en mai 1940. Alors que l'Europe se fait envahir par l'Allemagne nazie, le précédent chef du gouvernement britannique, Neville Chamberlain, est poussé à la démission en raison de son inaction dans ce contexte de guerre mondiale. Afin de satisfaire le parti conservateur et l'opposition, c'est Churchill qui est nommé à sa place, plutôt à contre-cœur, et chargé de former un gouvernement ainsi qu'un conseil de guerre et surtout de se positionner clairement face à Hitler.

Les Heures sombres est à la fois un film historique sur le début de la Seconde Guerre Mondiale vue du coté britannique, un grand film politique montrant les principaux enjeux dans une situation de crise et c'est aussi le portrait d'un homme qui consacra sa vie à la politique.


Une brillante interprétation qui sent les Oscars...

Winston Churchill est ici superbement interprété par Gary Oldman, métamorphosé pour le rôle. Que ce soit à travers sa posture, ses gestes, ses paroles ou ses regards, tout est étudié, calculé et justement retransmis. Il parvient à mettre parfaitement en avant le caractère taciturne de Churchill mais aussi ses doutes et ses faiblesses.
Pour avoir une idée de la métamorphose de Gary Oldman, voici une photo de l'acteur (à gauche) et une de son personnage dans le film (à droite). En bas de l'article se trouve une photo du "vrai" Wilson Churchill














La femme de Winston Churchill, Clémentine, est interprétée ici par Kristin Scott Thomas et sa secrétaire dévouée et assidue par Lily James (qui interprète Rose dans Dowtown Abbey).


Tout le film retrace les trois premières semaines de Churchill en tant que Premier Ministre, à partir du 8 mai 1940, jour de sa nomination, à contre-coeur, par le Roi.
C'est un film sur la guerre, mais vue du point de vue stratégique et politique, coté britannique. Il n'y a que très peu d'images des combats dans le nord de la France, c'est plus l'étude des stratégies militaires et des décisions politiques qui est mise en avant ici.

Bande-annonce :



Durant ses premiers jours à la tête du gouvernement, le Premier Ministre découvre l'état catastrophique dans lequel se trouve l'Europe, après l'invasion par les allemands de la Hollande, de la Belgique et de leur percée au nord de la France. D'abord plein d'espoir et déterminé à sauver les troupes britanniques envoyées en renfort en France, il se voit vite confronté à la dure réalité et doit prendre de graves décisions pouvant engendrer la mort de nombreux soldats.
Face à une Allemagne suréquipée et très organisée, dans le contexte d'une Europe vaincue, le Royaume-Uni se retrouve bien seul pour gérer cette crise, d'autant plus qu'à ce moment là les Etats-Unis semblent peu concernés par le conflit européen.


De plus, Churchill ne fait pas l'unanimité au sein de la Chambre et va devoir composer avec des adversaires politiques afin d'éviter une nouvelle crise politique.
Comment inspirer confiance et donner de l'espoir dans un tel contexte? Comment prendre des décisions importantes et les assumer pleinement ensuite ?

Le portrait d'un drôle de personnage dont l'éloquence est la plus grande force

Les heures sombres, c'est aussi le portrait d'un homme qui traîne en pyjama chez lui, un cigare aux lèvres et un verre de whisky à la main, marmonnant des propos incohérents ou hurlant des ordres à sa secrétaire. Grand orateur en public, il est plutôt renfermé en privé, c'est un homme qui pense sans cesse à ses discours, les dictant à sa secrétaire depuis son bain, son lit ou même ses toilettes ! C'est un personnage taciturne, qui s'emporte facilement mais est toujours à l'écoute de son entourage. Un homme qui, comme le dit un de ses collaborateurs, "a 100 idées dans la journée, 4 sont formidables, les autres sont absurdes". Le film montre que Churchill réfléchit beaucoup, c'est quelqu'un de très cultivé, qui manie admirablement la langue anglaise. Son éloquence reste sa plus grande force, c'est pour sa verve qu'il est à la fois admiré, craint, voir détesté, certains lui reprochant de trop s'écouter parler.


Mais Churchill est aussi homme politique déconnecté de la réalité de ses concitoyens puisqu'il reconnait n'avoir jamais acheté de pain lui-même et n'avoir jamais pris le métro (tout parallèle avec nos hommes politiques actuels... n'est pas de la fiction). D'ailleurs, sans vouloir révéler l'issue du film, c'est une rencontre avec le peuple qui va l'aider à y voir plus clair et à prendre une grande décision.

C'est donc un portrait tout en nuance d'un homme qui doute, avec ses qualités et ses défauts, qui est prêt à changer d'avis, à revoir ses positions selon les circonstances. Une image loin de l'homme déterminé et sûr de lui qu'on peut s'imaginer !


Une réalisation soignée qui met en valeur les grands discours

En plus d'une superbe interprétation, le film jouit d'une réalisation soignée et d'un bon rythme. Le réalisateur joue notamment avec la force de certaines images, comme lorsque Churchill, dans sa voiture, observe les gens dans la rue se hâtant sous la pluie, ou, plus saisissante encore, l'image de clôture du film, formidable... Par ailleurs, il filme souvent en gros plan les visages, notamment les yeux, afin de montrer toute la tension d'un moment important.
Les scènes fortes du film sont les grands discours que prononcent Churchill et ceux-ci sont filmés comme des scènes d'action, avec un certain suspense.

Dans l'ensemble, j'ai apprécié ce film justement interprété et bien réalisé. Il est très intéressant car il interroge sur de grandes questions : faut-il céder ou négocier face à la terreur, à la tyrannie, à la dictature ou faut-il se battre, coûte que coûte, même si cela demande d'énormes sacrifices?
C'est aussi un film qui fait réfléchir sur notre démocratie actuelle, sur l'Europe, sur les relations étrangères...



"Le succès n'est pas final, l'échec n'est pas fatal : c'est le courage de continuer qui compte.
Winston Churchill.