vendredi 29 juillet 2016

"Ma vie de pingouin", un roman plein de fraicheur et d'intelligence

Ma vie de Pingouin est le dernier roman de Katerina Mazetti, l'auteure des excellents romans Le mec de la tombe d'à coté (une de mes premières critique faite en 2012 !) et Le caveau de famille.
L'auteure suédoise a gardé son sens de l'humour dans ce nouveau livre qui relate les états d'âme d'un groupe de personnes effectuant une croisière en Antarctique, en alternant les points de vue des passagers.


Sur ce bateau, sorte de huis-clos flottant au milieu des icebergs, les passagers vont apprendre à se connaitre, des liens vont se créer, des groupes vont se former... Les chapitres alternent les points de vue des personnages révélant progressivement leurs blessures, leurs secrets, leurs envies.

On retrouve Alba, 74 ans, voyageuse et aventurière qui regarde le monde tourner autour d'elle avec distance et humour. Elle compare les humains aux animaux qu'elle observe en Antarctique et remplis de petits carnets de ses notes ethnographiques et éthologiques. Elle se compare elle même à un vieil albatros, âme solitaire sans attache. C'est incontestablement mon personnage préféré.
Thomas, journaliste trentenaire récemment divorcé, est en pleine dépression et passe son temps à s'apitoyer sur son sort au point d'oublier que le monde continue de tourner autour de lui.
Wilma est une jeune femme aux allures de garçon manqué débordante d'enthousiasme et de joie de vivre qui ne supporte pas justement les gens défaitistes. Mais derrière son sourire et sa naïveté joyeuse elle cache un secret. Ces deux derniers personnages, bien qu'ayant des caractères complètement différents, se lient très vite d'amitié pour ne plus se quitter de la croisière.

Il y a aussi ce couple où la femme passe son temps à se moquer de son mari et draguer le personnage d'équipage, cet autre couple de retraités enfermés dans la routine où le mari empêche sa femme de créer des liens, ce médecin de croisière qui se retrouve à soigner le mal de mer alors qu'il a parcouru le monde toute sa vie, ces deux soeurs quadragénaires dont l'une est le souffre-douleur de l'autre...
On suit les pensées de tous ces personnages forcés de se côtoyer le temps d'une croisière au pays des pingouins. Chacun participe à ce voyage pour une autre raison. Certains sont des férus d'ornithologie, d'autres sont venus là pour fuir leurs soucis, par goût de l'aventure, d'autres cherchent quelque chose : un nouvel amour, de nouveaux amis, un nouveau départ ou simplement une bouffée d'air frais.
Cette croisière permet à chacun de faire le point sur sa vie, de prendre du recul sur les problèmes du quotidien, de s'ouvrir aux autres ou de prendre une décision importante. Se retrouver seuls entourés d'une nature sauvage et glacée a quelque chose de mystique qui remet tout le monde à sa place.

Avec ce ton caustique bien à elle, Katarina Mazetti écrit ici un livre à la fois frais, distrayant et intéressant du point de vue sociologique, psychologique et sociétal. Du point de vue sociétal, la question du réchauffement climatique est bien entendue abordée. (J'ai bien aimé la réflexion que se font à un moment certains personnages sur leur propre hypocrisie de contribuer ainsi au réchauffement climatique lors d'une croisière de luxe en regardant la glace fondre à vue d'oeil...)
D'un point de vue psychologique, la plupart des maux de l'âme sont abordés au gré des personnages : la dépression, le déni, l'autoritarisme et le besoin d'humilier, l'égocentrisme, la jalousie, la solitude, l'excès d'enthousiasme, les regrets... Ce bateau se transforme alors en véritable laboratoire de soins psychologiques ! Enfin, d'un point de vue sociologique, j'ai adoré les comparaisons hommes / animaux faites par Alba.

J'ai beaucoup aimé ce petit roman que j'ai lu d'une traite grâce au formidable sens de narration de l'auteure, à son écriture pleine d'humour et à sa vision pertinente des comportements humains. Un livre rafraîchissant idéal pour les vacances estivales !

Ma vie de pingouin / Katerina Mazetti . - Ed. Gaïa, 2015

Quelques citations :

Wilma : "C'était totalement incroyable. Ca se passait ici et maintenant, et il n'y avait pas de clôture entre les animaux et moi, pas de pancarte avec leur nom en latin. Ils n'avaient même pas peur de nous, ils semblaient plutôt indifférents ou  la rigueur un peu irrités. Ca ne doit pas être inscrit dans leurs gènes qu'il vaut mieux éviter les humains - ils n'ont jamais eu de raison de le faire. Je sais maintenant que j'ai eu raison de venir ici, malgré ce que ça m'a coûte. Et ce que ça va me coûter." p 55

Alba : "Certaines femmes font de bon albatros, à cause de leurs aspirations à la liberté et à l'aventure. Les hommes peuvent nourrir les mêmes aspirations, et ils ont plus de possibilités de les réaliser dans les limites d'un comportement humain acceptable. Ils peuvent même obtenir les deux - la liberté de l'albatros ainsi qu'un nid douillet quelque part avec une volée fidèle qui les attend. Cela n'arrive jamais aux femmes. Si une femme opte pour une vie d'albatros, c'est un choix sans réserve, et cela a un prix. Pour une femme qui choisit d'être uniquement un albatros, ce prix est parfois très élevé." p. 86

Wilma : "J'ai eu raison de venir ici. En fait, je n'ai pas besoin de vivre beaucoup d'autres choses dans cette vie. Tomas arpente la plage d'une bonne foulée et semble se parler tout seul. Parfois il est totalement inaccessible. Mais parfois pas. Alors je peux en quelque sorte entrer tout droit en lui avec mes gros sabots, même pas besoin de les déposer dans le vestibule. Et d'autres fois je peux sentir à quel point il est triste." p 107

Alba : "Nous sommes tous devenus les proies de Linda Borkmeyer, le pétrel géant, nous sommes ses poussins manchots. Elle est diaboliquement douée pour voir nos points faibles et nous balader ensuite dans la conversation jusqu'à ce qu'un imprudent dise quelque chose qui nous fait apparaître comme les pires filous, ou dans le meilleur des cas comme des nouilles." p 119

Wilma : "Celui qui parle de son malheur réclame votre sympathie d'un manière toute particulière, en tout cas si vous n'êtes pas froid comme un glaçon de l'Antarctique. J'ai du mal à y parvenir. Les geignards et les pleurnicheurs, je sais les remettre à leur place, alors que les déprimés... J'ai souvent l'impression d'avoir pour vocation de les gaver de joie de vivre.[...] Les gens malheureux adoptent souvent la mauvaise habitude d'exiger de la compassion, ils voient cela comme un droit, si toutefois ils en sont conscients. [...] C'est épuisant de servir de poubelle, surtout s'ils se fâchent quand je les remue un peu et les traite d'égocentriques. " p 153

Thomas : "J'aurai voulu que tu m'apprennes à jouer au jeu du contentement ! Mais je crois qu'il est trop tard. Malheuresement. Ca te rendrait morne et triste de me fréquenter, et quand je t'aurai entrainé au fond, j'en aurais assez de toi et j'irais vider quelqu'un d'autre de sa joie de vivre ! " p 164

Sven, le médecin : "Tout le monde devrait connaitre un bon mal de mer de temps en temps, a-t-il marmotté. Ca vous rend humble et doux, on se rend compte qu'on n'a pas grand-chose à opposer à la nature. Je crois que je vais inventer un comprimé de mal de mer qui fonctionne  l'envers. Pour le jeter dans le gosier des tyrans omnipotents aux quatre coins du monde quand ils s'apprêtent à envahir un pays, ou à dévaster une forêt ou simplement à battre leur femme." p 169

Wilma : "Ca valait le coup. Tout ça valait le coup. Serrer les dents sur la douleur, participer à la vie et s'ouvrir à l'inconnu. Comment pourrais-je amener Tomas à voir ce que je voyais?" p 217

Alba : "Mais pourquoi faudrait-il se souvenir de tout? Moi, je choisis mes souvenirs, seulement les meilleurs, je les polis et les fais briller, j'en rajoute un peu là où c'est nécessaire et je les sors quand j'en ai besoin. Ils me procurent du plaisir tous les jours, je suis heureuse de les avoir rassemblés !" p 240

"La ruine des espèces
C'est un vulgaire malentendu de croire qu'il n'existe qu'une sorte de manchots, ou qu'une sorte d'humains. Ils peuvent être de grande taille, fiers, guindés, courageux ou bien petits, coléreux, curieux et peureux, dans toutes les combinaisons possibles. Ils sont voleurs et ils aiment et ils sont fidèles ou infidèles, mais la plupart du temps, ils ont une chose en commun : ils oeuvres pour la survie de leur espèrce. Les humains diffèrent cependant des autres espèces animales : les humains maltraitent et tuent parfois leurs propores femelles. C'est pourquoi l'expression - les hommes sont des animaux - est une offense aussi bien envers les manchots que les autres espèces animales." p 267

mercredi 27 juillet 2016

"L'aigle et l'enfant" : belle fable naturaliste

Il y a quelques temps je suis allée voir L'aigle et l'enfant, un film pour lequel j'avais gagné des places grâce à la LPO. Entre fiction familiale et documentaire animalier, c'est une fable naturaliste aux superbes paysages, un film plutôt apaisant.


L'histoire : Lukas est un enfant d'une dizaine d'années qui vit avec son père taciturne dans les montagnes autrichiennes. Renfermé sur lui même depuis la mort de sa mère, il ne parle pas, n'a pas d'ami et ne se sent bien qu'au contact de la nature. Un jour, il trouve un jeune aigle tombé du nid. Il décide de s'en occuper, de l'abriter, de le nourrir, de lui apprendre à voler... Tout ça, en cachette de son père qui n'affectionne pas particulièrement les animaux qu'il préfère chasser, mais sous le regard bienveillant du forestier du coin, interprété par Jean Reno. C'est d'ailleurs ce garde forestier qui est le narrateur de l'histoire.

Bande-annonce :


Le film s'ouvre sur un oeuf qui se fendille et un oisillon qui en sort. Dès lors, on suit le périple de cet aiglion et sa lutte pour survivre. Né en deuxième dans la couvée, il  va être délaissé par son frère et sa mère avant de se retrouver livré à lui même. Jusqu'à ce que le jeune garçon lui vienne en aide.


Les images sont grandioses : grâce à des techniques de tournages incroyables, on suit l'aigle lorsqu'il apprend à voler au dessus des montagnes, lorsqu'il chasse ses premières proies, etc.



Outre les superbes vues sur les Alpes, on est plongé dans la dure vie de ces animaux sauvages qui doivent lutter au quotidien pour leur survie. La juxtaposition d'images dignes d'un documentaire de la BBC nous place en témoin privilégié de cette nature si belle et si sauvage.



La manière de filmer l'aigle et les animaux en général est vraiment impressionnante (certaines scènes où l'aigle chasse et tombe en piqué semblent tout simplement incroyables !) et je me suis demandée comment ces scènes avaient pu être tournées ! La collaboration avec le réalisateur de films animaliers Otmar Penker y est sans doute pour quelque chose. Ce photographe animalier a en effet juxtaposé des scènes de vie des aigles qu'il a filmé ces dernières années pour en faire une histoire continue ici dans ce film. Le résultat est tout simplement bluffant !




Par contre, les personnages sont caricaturaux et jeu des acteurs est plutôt médiocre : le rôle du père bourru voir effrayant par moment est très mal joué. Jean Reno est bon conteur mais manque d'expression. Heureusement, ils ont une place secondaire dans le film. Le jeune acteur Manuel Camacho s'en sort lui plutôt bien. Il est maintenant un habitué des films animaliers puisqu'il avait déjà joué dans un film réalisé par le même réalisateur intitulé L'Enfant-loup.

Pour conclure je dirai que malgré un scénario un peu simpliste et un jeu d'acteur limité, on se laisse embarquer dans ce conte plein de tendresse et de poésie qui sublime la nature et on apprend plein de choses sur le mode de vie de ce rapace des alpages qu'est l'aigle royal.

L'aigle et l'enfant / film autrichien - espagnol de Gerardo Olivares et Otma Penker, avec Jean Reno, Tobias Moretti, Manuel Camacho. Sortie le 6 juillet 2016.

vendredi 22 juillet 2016

"Irréprochable" : beau drame psychologique

Premier long métrage de l'écrivain et scénariste Sébastien Marnier, Irréprochable est un drame psychologique aux airs de thriller et le portrait d'une femme instable psychologiquement, très justement interprétée par Marina Foïs.



L'histoire : Constance, la quarantaine, vient de perdre son travail dans l'immobilier à Paris. Elle se retrouve au chômage, sans logement et sans revenu. Elle décide alors de revenir dans sa petite ville d'origine en Charentes-Maritimes, et de vivre dans la maison de sa mère qui est hospitalisée en attendant de retrouver du travail. Dans le train qui l'emmène en province, elle rencontre un homme d'affaire mystérieux, interprété par Benjamin Biolay. Elle va alors entretenir une relation sexuelle décomplexée avec cet homme dont elle tombe progressivement amoureuse.


Déterminée à récupérer son ancien poste dans l'agence immobilière de cette petite ville où elle travaillait il y a quelques années, elle ne se laisse pas abattre lorsqu'elle apprend que c'est une jeune femme d'une vingtaine d'années qui obtient le poste. Elle devient vite obsédée par cette fille jeune et jolie, Audrey et semble partagée entre jalousie, envie et rivalité. Prête à tout pour récupérer sa place, elle se met à jouer un jeu de plus en plus dangereux.


En parallèle, elle se rapproche aussi de son ex petit-ami qui a refait sa vie mais semble toujours troublé par cette ex un peu bizarre.

Bande-annonce :


Au fur et à mesure qu'on avance dans le film, des aspects du passé de Constance refont surface et nous éclairent davantage sur sa personnalité ambiguë. Au début, on pense que c'est une femme en proie aux difficultés sociales (au chômage, victime de licenciement, de harcèlement...), puis on découvre progressivement que sous son front buté et son regard clair, se cache une personne instable victime de ses propres obsessions.


C'est en effet une mythomane, obsédée, obsessive, manipulatrice, froide et inquiétante. Mais c'est aussi une femme fragile en quête perpétuelle de reconnaissance et d'affection. Elle a un besoin constant (sans mauvais jeu de mot) de se défouler en faisant du sport ou de se calmer en se couchant sur le carrelage froid. Comme un moyen de modérer ses pulsions...
Une personnalité aux multiples facette qui font du personnage de Constance un rôle très riche pour Marina Foïs qui réussit superbement son interprétation, avec sobriété et justesse.


Si j'ai eu un peu du mal à rentrer dans l'histoire en trouvant quelques longueurs dans la première moitié du film, je me suis ensuite laisser captiver par la personnalité complexe de cette femme fêlée (c'est le cas de le dire), qui semble toujours sur le point de se briser mais qui, plutôt que de s'écrouler décide de s'imposer partout où elle va.
La manière de filmer les actrices, les surprises du scénario et la musique font monter la tension, et on s'attend à tout moment à une catastrophe.

Irréprochable / film français réalisé par Sébastien Marnier, avec Marina Foïs, Jérémie Elkaïm, Joséphine Jappy . - sortie 6 juillet 2016

vendredi 15 juillet 2016

"Un goût de cannelle et d'espoir" : un double récit captivant qui nous plonge dans l'Allemagne nazie et l'Amérique contemporaine

Un goût de cannelle et d'espoir est un roman passionnant, entre fresque historique et roman contemporain, c'est un livre sur la guerre, sur la liberté, sur la vie. Les chapitres s'alternent en proposant un double récit : on suit d'un coté les aventures d'Elsie, une adolescente allemande qui vit en Bavière pendant la Seconde Guerre Mondiale et, en parallèle, on est projeté en 2007-2008, où on suit le récit de Reba, jeune journaliste américaine qui ne sait plus trop où elle en est dans sa vie, hantée par des souvenirs du passé, elle a du mal à aller vers l'avant.


Elsie sort à peine de l'enfance lorsque la guerre éclate. Jusque là, elle a vécu de manière plutôt passive la montée du nazisme, ses parents patriotes étant fiers d'appartenir à la "grande nation allemande" mais elle a toutefois refusé de participer aux Jeunesses hitlériennes, contrairement à sa sœur aînée, préférant aider son père à la boulangerie. Les Schmidt tiennent en effet une des meilleures boulangerie-pâtisserie de la ville qui continue de fonctionner au début de la guerre grâce à un accord passé avec les SS. Elsie grandit dans cet environnement sans trop se poser de questions. Elle est même demandée en mariage par un officier nazi qu'elle connait à peine, elle qui n'a que 16 ans. Mais, un jour, elle est témoin de la barbarie nazie et rencontre un petit garçon juif en fuite. Elle va devoir alors faire un choix : lui venir en aide ou lui claquer la porte au nez... 

Hazel, sa grande soeur, lui écrit régulièrement depuis le Lebensborn où elle est allée avec son petit garçon après la mort de son petit ami de 19 ans, Petter. Ce centre de naissance est en fait un endroit où les femmes de type aryens sont "utilisées" pour procréer avec des officiers afin de donner naissance à de parfaits bébés aryens, et d'en faire futurs petits soldats nazis. Les bébés sont dès leur naissance éduqués dans la culture nazie et les mères privées de quasiment tout contact avec eux, le régime nazi considérant que la mère de chaque enfant est avant tout "la Patrie"...
Les extraits de correspondances entre Elsie et sa soeur Hazel décrivent effroyablement bien le contexte nazi dans lequel elles grandissent. D'ailleurs, toutes leurs lettres se terminent par "Heil Hitler". Mais, au fur-et-à mesure de leur correspondance, leur patriotisme va s'étioler face aux injustices.

C'est un récit sur des destins brisés par la guerre, des familles éclatées, des personnages tiraillés entre leurs sentiments personnels, leur devoir patriotique et leur devoir moral ... Parmi les personnages : un officier nazi torturé par sa mauvaise conscience, une jeune allemande courageuse pleine de bon sens, une vieille dame peu commode qui n'est pas celle qu'on pense, un petit garçon juif humble et courageux, un autre garçon de 7 ans complètement embrigadé par l'idéologie nazie, des bourreaux, des victimes et beaucoup de gens tiraillés entre les deux... Chaque personnage semble au début plutôt indifférent au régime nazi jusqu'à ce qu'un proche soit directement menacé, blessé ou tué par les nazis. 
En toile de fond c'est le récit d'événements historiques, l'évolution de la guerre vue du coté allemand, le rationnement, la faim, les camps de concentration, puis l'arrivée des américains, considérés comme des sauveurs par certains, comme des envahisseurs pour d'autres... Un peuple divisé, une nation fracturée et blessée à l'issue de la guerre.

En parallèle, coté américain, Reba vit à El Paso près de la frontière mexicaine et entretient une relation incertaine avec Riki, garde frontière américain d'origine mexicaine. Ce dernier est tiraillé entre sa conscience professionnelle et ses sentiments personnels envers les immigrés clandestins, emprunt de compassion. Là aussi se pose la question du devoir d'obéissance et de la conscience morale... C'est un parallèle intéressant entre les deux histoires. Cet aspect est également abordé dans des références au passé du père de Reba...
Dans le cadre de son travail, cette dernière va interviewer une boulangère d'origine allemande. C'est alors qu'elle fait la connaissance de Jane et de sa mère Elsie, deux personnes très attachantes avec qui elle va se lier d'amitié et apprendre à s'épanouir.

J'ai davantage été happée par l'histoire d'Elsie que par les déambulations de Reba qui ne sait plus où elle en est dans sa vie personnelle. Cette fresque historique se lit d'une traite. On est tenu en haleine par l'intrigue, des personnages attachants et par le lien qu'on devine entre ces deux histoires dès le début. Et toujours, en toile de fond, cette bonne odeur de pâtisserie qu'on devine! (à la fin de livre on peut d'ailleurs lire les bonnes recettes des pains et pâtisseries qui nous font saliver durant la lecture !)
De plus, l'alternance des chapitres et l'écriture rythmée en font un roman captivant. Cela faisait d'ailleurs longtemps que je n'avais pas été plongée par un roman à ce point.

La construction du livre (alternance de deux histoires) ainsi que sa thématique (les destins brisés par la Seconde Guerre mondiale) rappelle beaucoup le beau livre d'Antony Doers Toute la lumière que nous ne pouvons voir lu il y a quelques mois, que j'avais adoré, dévoré et que je recommande.

Un goût de cannelle et d'espoir / Sarah McCoy . - Les escales, 2014

Quelques citations :

Extrait d'une conversation entre Reba et Elsie :
"-Vous étiez une nazie?
- J'étais allemande.
- Et donc, vous souteniez les nazis?
- J'étais allemande, répéta Elsie. Etre nazi est un positionnement politique, pas une ethnie. Le fait que je sois allemande ne fait pas de moi une nazie." p. 84

Extrait d'une lettre de Hazel à Elsie :
"Je n'ai pas ressenti autant de bonheur depuis des mois. Julius avait l'air de bien se porter. Il a dit qu'il aimait beaucoup ses cours et qu'il sait claquer ses talons comme il faut. Il est vraiment doué pour ça et rit en entenant le frottement du cuir. Ensuite il lève le bras et crie "Heil Hitler !" Je n'en reviens pas del a vitesse à laquelle il devient un petit soldat" P. 112.

Extraits d'une lettre de Hazel à Elsie :
       "Les médecins se font du souci pour le garçon. Même si je sais qu'il n'est pas à moi, mais est un            enfant de la patrie, je ne peux m'empêcher de vouloir le protéger" p 127

        "Lauréate de la croix d'argent l'année dernière pour sa grande fertilité, elle est une des favorites         de beaucoup d'officiers SS admirés. Elle a donné naissance à sept enfants parfaits et elle les                appelle par un numéro plutôt que par leur nom." p 127

       "Comme vous le savez, l'objectif de l'association est de produire de bons Allemands pour notre             nation. Je suis venue ici pour faire mon devoir et honorer à la fois notre famille et la mémoire de         Peter, et j'ai la conviction que j'ai apporté ma contribution à la patrie. Il y a quelques mois, je             vous ai annoncé la naissance des jumeaux dans l'association. La fille est parfaite. Son frère en             revanche, est sans cesse malade et faible. Les dirigeants de l'association ont décidé que , malgré          nos efforts, il ne sera jamais de bonne qualité." p 159

Les pensées de Riki, USA, 2008 :
"Riki se souvint du visage sévère de la femme quelques semaines plus tôt, son petit garçon sur son tricycle : "au revoir!" Elle était aussi d'origine mexicaine. Peut-être qu'elle pensait comme lui, que les règles existaient pour de bonnes raisons, même si elles n'étaient pas évidentes. Mieux valait être de ce coté là de la barrière. Pourtant, quand les ambulanciers arrivèrent et pointèrent leurs lampes dans ses yeux, Riki ne put s'empêcher de penser qu'il devait y avoir une meilleure solution - souffrance inutile, pertes gratuites. Il devait trouver un moyen de rester fidèle à son pays sans trahir ses convictions personnelles." p 201

La mère d'Elsie :
     " N'oublie jamais ta place. Nous sommes des femmes, déclara-t-elle en fixant Elsie. Nous devons         nous montrer sages dans nos paroles et nos actions. Tu comprends?" p 218

"La lumière du jour était aussi pâle que l'infusion de pissenlit que préparait Mutti avec les bourgeons prématurés qu'elle aviat cueillis dans la matinée. Dans la nuit, un orage leur avait fait courber la tête, tels des écoliers punis. A présent, la brise, mordante et humide, charriait l'odeur des vers de terre qui se tortillaient sous les fraisiers en hibernation." p 235

"-Il y a encore des gens pour se rappeler que les lois de Dieu prévalent sur celles des hommes. Ces énergumènes ne nous entraîneront pas dans la voie de la destruction. J'ai appris très jeune que les morts ne peuvent sauver les vivants. Nous seuls pouvons le faire. Tant qu'il y a de la vie, il reste de l'espoir." p 244

Pensées d'Elsie : 
"Je prie pour son pardon et sa bénédiction. Il me manque et j'espère qu'il finira par comprendre que le monde a changé et l'Allemagne avec lui. Personne n'est mauvais ou bon par naissance, nationalité ou religion. !au fond de nous, nous sommes tous maîtres et esclaves, riches et pauvres, parfaits et imparfaits. Je sais que je le suis et lui aussi, il l'est. Nous tombons amoureux malgré nous. Nos coeurs trahissent nos esprits." p 360

Reba, Etats-Unis, 2008 :
"Elle avait appris que le passé était une mosaïque floue faite de bon et de mauvais. Il fallait admettre sa part dans les deux et s'en souvenir. Si on essayer d'oublier, de fuir ses peurs, ses regrets et ses fautes, ils finissaient par vous retrouver et vous consumer comme le loup de son père l'avait fait pour lui." p 400

lundi 4 juillet 2016

L'effet aquatique : un film drôle, frais et à moitié islandais !

L'effet aquatique est une petite comédie romantique franco-islandaise, réalisée par Solveig Anspach, la réalisatrice de Lulu femme nue. Cette dernière n'aura pu malheureusement assister à la sortie en salle de son film car elle est décédée d'un cancer en août 2015, juste après avoir terminé ce film. :-(
Quand je parle ici de comédie romantique, on oublie le style hollywoodien avec étalage de bons sentiments, larmes et réconciliations sur l'oreiller. Ici on est plus dans la comédie romantique douce-amère, délicate et sobre. Mais surtout, L'effet aquatique est un film décalé et drôle.

Bande-annonce:


L'histoire : Samir grand quadra naïf, timide et généreux tombe sous le charme d'une impétueuse jeune femme dans un bar. Lorsqu'il apprend que celle-ci est maître-nageuse à la piscine municipale, il décide de s'inscrire à des cours de natation bien qu'il sache déjà nager. Timide et mal dans sa peau, il se retrouve dans des situations qui frisent le ridicule pour séduire la belle Agathe.

Agathe et Samir

Mais lorsque cette dernière se rend compte de son mensonge, elle est furax. Et quand Samir apprend qu'elle est partie au congrès des maîtres-nageurs en Islande, où les islandais "adorent les petites françaises" dixit le collègue d'Agathe, il décide d'aller la retrouver dans le grand Nord.

Reboute, le responsable de la piscine, et Samir

La première partie du film se passe essentiellement à la piscine de Montreuil et c'est la partie la plus drôle. Les personnages sont certes caricaturaux mais tellement hilarants ! Une maitre-nageuse au franc-parler obsédée par tous "ces petits culs" autour d'elle, un maître-nageur trentenaire aux cheveux gras un peu simplet, un directeur de la piscine moustachu et ringard... Et Samir qui affiche toujours ce sourire béat... Tous ces personnages ont véritablement une "gueule", c'est leur attitude et leurs expressions qui font rire. (Et ceux qui me connaissent bien savent que je ne ris pas facilement au cinéma...)

Agathe

La seconde partie du film se déroule en Islande où a lieu le congrès international des maîtres nageurs. On découvre là-bas de nouveaux personnages. Cette partie est moins drôle mais plus romancée avec des rebondissements assez improbables et, surtout, plus romantique. Par ailleurs, on a de nombreuses vues de l'Islande et ce, pour mon plus grand plaisir. (J'ai ainsi revu plusieurs endroits que j'ai foulé de mes pieds il y a un peu moins d'un an) J'ai aussi souri en voyant les règles très strictes d'entrée dans les bains (véridique) ainsi que notre coté très pudique par rapport aux islandais ! (vécu également)


L'effet aquatique est un film dynamique, plein de surprises, porté par de talentueux acteurs. C'est une comédie drôle empreinte de nostalgie et d'une certaine gravité. On y retrouve aussi des métaphores, comme le fait de se jeter à l'eau par amour, (ici au sens figuré comme au sens propre), le parallèle entre apprendre à nager, se laisser porter par l'eau et apprendre à faire confiance, à se laisser porter par le cours de la vie...

Pour conclure, je dirai que c'est un film énergique, romantique, drôle et rafraîchissant : c'est ça l'effet aquatique !

Le film a été récompensé lors de la Quinzaine des réalisateurs du festival de Cannes en mai dernier