jeudi 30 novembre 2017

Underground Railroad, superbe roman à forte dimension historique et philosophique sur l'histoire de l'esclavage aux Etats-Unis

Un roman à forte dimension historique récompensé par des prix prestigieux
Underground Railroad est un formidable roman, entre récit historique et roman d'aventure, sur la terrible réalité de l'esclavage aux Etats-Unis au dix-neuvième siècle. Ce livre est le sixième de l'auteur Colson Whitehead, il a été récompensé par le National Book Award en 2016 (l'équivalent du Goncourt aux USA), par le prix Pulitzer en 2017 et plébiscité par Barack Obama.

C'est un roman  passionnant sur une part sombre de l'Histoire des Etats-Unis, à savoir la période de l'esclavage avant la guerre de Sécession, soit avant 1861. C'est aussi un récit d'aventure à travers les péripéties d'une jeune esclave, Cora, qui tente tout pour gagner un semblant de liberté. Un mélange des genres, entre fiction et faits historiaques avérés, des personnages intéressant, le tout superbement écrit, voilà qui fait de Underground Railroad un roman captivant, brillant et intelligent !


L'horreur de l'esclavage à travers les péripéties d'une jeune esclave en quête de liberté

Underground Railroad  c'est l'histoire de Cora, une adolescente noire, fille et petite fille d'esclaves qui a grandit dans la plantation de coton Randall, un maître esclavagiste en Géorgie. Sa mère, qui l'a abandonné quand elle était petite, est la seule esclave à être parvenue à s'échapper de cette plantation sans qu'on la retrouve jamais. Cora éprouve donc un mélange de sentiments d'abandon, d'admiration et colère vis à vis de cette mère qu'elle rêve pourtant secrètement de retrouver. Elle vit de plus en plus douloureusement sa vie de jeune esclave, entre le rythme de travail effréné, les brimades et les mauvais traitements. Aussi, lorsque Ceasar, un jeune esclave dégourdi, intelligent et organisé lui propose de s'enfuir avec lui, elle trouve d'abord l'idée complètement folle avant de se laisser tenter par cette promesse d'un avenir moins dur.
Leur objectif est de gagner les Etats libres du Nord, où ils pourraient être affranchis et enfin libres.

Leur fuite devient possible grâce à un réseau ferré sous terrain clandestin, le fameux "Underground Railroad" construit pour permettre aux esclaves de s'enfuir vers le Nord où se trouvent les Etats abolististes. Seuls quelques initiés connaissent ces gares secrètes et souterraines et les trajets, ou plutôt les fuites, se font toujours dans la plus grande discrétion afin de ne pas compromettre le réseau.

C'est le début d'une grande aventure pour Cora, ou d'un long cauchemar, c'est selon. En effet, son parcours s'avère semé d'embûches et elle n'est pas au bout de ses surprises. Partout, à chaque étape de son parcours, se trouvent des personnes qui pensent que la place d'un Noir est au travail forcé ou pire, au bout d'une corde, et n'hésitent pas à les dénoncer et à les traquer contre une bonne somme d'argent.
Cora sera, au fil de ses aventures, baby-sitter en Caroline du Sud, figurante dans un musée "historique" où elle doit jouer son propre rôle d'esclave, en fuite, traquée,  et même cachée des mois dans un espace exigu quelque part en Caroline du Nord, région de Blancs fanatiques qui interdit carrément aux Noirs de rentrer dans l'Etat... En fait, à chaque fois que Cora pense trouver un répit, un semblant de liberté, qu'elle se fie à une personne de confiance et commence à laisser tomber quelques barrières, elle se voit rattraper par la dure réalité de sa condition d'esclave et est condamnée à fuir à nouveau. D'autant plus qu'un chasseur d'esclaves de la plantation Randall semble obsédé par elle. La mère de Cora étant la seule esclave échappée qu'il n'ait jamais retrouvé, il est bien décidé à se venger sur la fille... On est sans cesse désolée pour cette jeune esclave et on espère tellement qu'elle trouve la paix, mais son calvaire va t'il un jour cesser?

Une part sombre de l'histoire américaine qui a un triste écho aujourd'hui

A travers le périple de Cora, Colson Whitehead dépeint une période clé de l'Histoire des Etats-Unis, juste avant la guerre de Sécession au milieu du XIXème siècle. Les Etats-Unis sont alors un pays jeune qui tente encore de se construire mais qui le fait en opprimant d'autres peuples. Une nation où les "races" et les ethnies sont sans cesse opposées et stigmatisées. A un moment, le livre aborde la colonisation des terres indiennes, ou encore la difficile intégration des européens exilés, comme les irlandais, même si c'est l'esclavage des Noirs qui est essentiellement abordé ici dans toute son horreur. Ces africains amenés de force pour être exploités en tant qu'esclaves sont vraiment considérés comme des animaux, des choses, leurs valeurs est évaluée et décroit avec l'âge et les maladies. Ils n'ont aucun droits, sont sans cesse brimés, humiliés, malmenés et, s'ils tentent de s'enfuir ou de se rebeller, ils sont torturés puis pendus au bout d'une corde.

Durant ses aventures, Cora croisera des Blancs cruels et sans pitié envers les Noirs, d'autres plus consensuels, passifs, qui subissent plus qu'autre chose le "régime" en place, et d'autres, plus rares, abolitionnistes, qui semblent enfin doté d'un peu d'humanité et se compromettent pour aider les esclaves, à leurs risques et périls. Puisqu'on est à l'époque du far-west, le moindre impaire et on risque la corde !

Le racisme et l'oppression prennent différentes formes : de manière cruelle avec les mauvais traitements et des tortures inimaginables, des lynchages systématiques des Noirs en Caroline du Sud, mais aussi sous une forme plus sournoise dans les Etats abolitionnistes où le racisme est tout de même omniprésent, où on incite fortement les femmes noires à se faire stériliser "dans leur intérêt", où on demande aux Noirs de jouer leurs propre rôles d'anciens esclaves dans un musée, etc. Tous ces comportements étant entretenus par une sorte de parano envers les Noirs qui seraient en train de prendre le contrôle du pays, raison ou prétexte pour en limiter la descendance, et si possible en éliminer le plus possible... Le tout est très justement mis en abîme à travers des descriptions détaillées, souvent dures, comme l'illustrent quelques citations ci-dessous et à travers les réflexions fort pertinentes de la jeune Cora.

Tout cela parait tellement inimaginable aujourd'hui! Mais, avec l'actualité américaine où les mouvances d'extrêmes droites se multiplient de manière fort décomplexées, cette page de l'Histoire a un triste écho aujourd'hui.
Par ailleurs, je n'ai pu m'empêcher de faire quelques parallèles entre le réseau des abolitionnistes au dix-neuvième siècle aux Etats-Unis et celui de la résistance en Europe durant la seconde guerre mondiale, avec son lot de collaborateurs et de résistants, le peuple juif traqué comme l'était à l'époque le peuple noir...


Une écriture précise, détaillée et une bonne maîtrise de rythme pour un roman à résonnance philosophique

L'auteur manie "la plume" avec justesse et précision, n'hésitant pas à faire des descriptions détaillées des conditions de vie des esclaves et des épreuves subies par Cora afin de rendre cela le plus crédible possible, tout en gardant une certaine pudeur et beaucoup d'humanité. Une admirable maîtrise des émotions qui rend ce roman d'autant plus fort et passionnant, puisqu'une fois commencé, passé les trente premières pages, on a du mal à le lâcher.
La narration est fluide et le récit bien rythmé, alternant descriptions passionnantes et rebondissements dans le parcours de Cora, un rythme assurément maîtrisé qui fait de Underground Railroad un roman intelligent et accessible, riche et passionnant.

Les personnages ont tous une personnalité forte, révélatrice d'un rôle ou d'un comportement type dans la société esclavagiste. De plus, à travers les réflexions de Cora, la pertinence de ses interprétations, il ressort une forte dimension philosophique de ce roman, amenant à réfléchir sur la condition de l'Homme en général. J'aime particulièrement cette citation tellement pertinente et représentative de l'esclavage : Les Blancs étaient venus sur cette terre pour prendre un nouveau départ et échapper à la tyrannie de leurs maîtres, tout comme les Noirs libres avaient fui les leurs. Mais ces idéaux qu'ils revendiquaient pour eux mêmes, ils les refusaient aux autres. (voir plus de citations tout en bas)
Colson Whitehead mêle des faits historiques avérés à une bonne part de fiction, incarnée bien sûr par les différents personnages mais aussi par la matérialisation du  fameux "Underground Railroad" qui était en réalité un réseau de routes clandestines pour aider les esclaves à fuir vers le Canada, il en fait ici un véritable réseau ferré sous-terrain secret.

L'auteur signe un livre puissant qui fait réfléchir sur une part sombre de notre passé, qui résonne douloureusement dans notre histoire contemporaine tout en interrogeant sur la condition de l'Homme, notre rapport aux autres et les leçons que nous tiront (ou pas) de l'Histoire.

Un roman qui restera dans l'histoire de la littérature, et un prix Pulitzer amplement mérité !
Par ailleurs, une adaptation cinématographique est déjà programmée par le réalisateur de Moonlight.

Underground Railroad / roman américain de Colson Whitehead . - Albin Michel, 2017



Quelques citations pour se faire une idée :

[la grand-mère de Cora] "L'air délétère de la cale, le cauchemar de la claustration et les hurlements de ses compagnons de chaînes contribuèrent à la faire basculer dans la folie. Compte-tenu de son âge tendre, ses ravisseurs ne lui infligèrent pas immédiatement leurs désirs, mais après six semaines de traversée, quelques matelots aguerris l'arrachèrent à la cale. Deux fois elle tenta de se tuer pendant ce voyage vers l'Amérique, d'abord en se privant de nourriture, puis en essayant de se noyer." p 12

"Son prix fluctuait. Quand on est vendu aussi souvent, le monde vous apprend à être attentif. Elle apprit donc à s'adapter rapidement aux nouvelles plantations, à distinguer les briseurs de nègres des cruels ordinaires, les tire-au-flanc des industrieux, les mouchards des confidents. Les maîtres et maîtresse dans toute leur gamme de perversité, les domaines aux moyens et aux ambitions variables." p 15

"Il arrive parfois qu'une esclave se perde dans un bref tourbillon libérateur. Sous l'emprise d'une rêverie soudaine au milieu des sillons, ou en démêlant les énigmes d'un rêve matinal. Au milieu d'une chanson dans la chaleur d'un dimanche soir. Et puis ça revient, inévitablement : le cri du régisseur, la cloche qui sonne la reprise du travail, l'ombre du maître, lui rappelant qu'elle n'est humaine que pour un instant fugace dans l'éternité de sa servitude." p 44

"Maisie avait dix ans. A cet âge, à la plantation Randall, toute joie était anéantie. Un jour les négrillons étaient heureux, et le lendemain ils avaient perdu leur lumière; entre-temps, ils avaient été initiés à une nouvelle réalité de l'esclavage." p 144-145

"En revanche, ignorer les visiteurs était une entreprise qui demandait davantage d'efforts. Les enfants tapaient à la vitre ,montraient du doigt les spécimens de façon irrespectueuse, les faisaient sursauter alors qu'elles faisaient semblant de démêler des noeuds de marin. Parfois, les spectateurs de leur pantomime hurlaient des commentaires qu'elles ne distingueaient pas clairement mais qui avaient tout l'air d'insinuations salaces." p 148

"Certes, le travail d'esclave consistait parfois à tisser du fil, mais c'était exceptionnel. Aucune esclave n'était tombée raide morte à son rouet, ou n'avait été massacrée pour un tissage emmêlé. Mais personne ne voulait l'entendre. Assurément pas les monstres blancs qui se pressaient derrière la vitrine à cet instant, collant leurs mufles gras contre le verre, ricanant et criaillant. La vérité était une vitrine régulièrement redécorée, manipulée par des mains invisibles dès qu'on tournait le dos, aguichante et toujours hors de portée." p 155

"Les Blancs étaient venus sur cette terre pour prendre un nouveau départ et échapper à la tyrannie de leurs maîtres, tout comme les Noirs libres avaient fui les leurs. Mais ces idéaux qu'ils revendiquaient pour eux mêmes, ils les refusaient aux autres." p 155

"Elle haïssait ce grotesque spectacle esclavagiste et préférait en finir le plus tôt possible. [...] Sa récente installation au musée la ramenait aux sillons de Géorgie, et les regards bêtes et béats des visiteurs l'arrachaient à sa liberté pour la réduire au statut d'objet exhibé." p 166

"Les nouvelles lois raciales interdisaient aux hommes et femmes de couleur de poser le pied en Caroline du Nord. Les affranchis qui refusèrent de quitter leur terre furent chassés ou massacrés. Les vétérans des guerres indiennes gagnèrent des sommes rondelettes pour leur expertise mercenaire." p 216

"Le faubourg des Irlandais était-il semblable aux quartiers noirs de Caroline du Sud? Traverser une seule rue suffisait parfois à modifier la façon de parler des gens, à déterminer la taille et l'état de leurs maisons, l'ampleur et la nature de leurs rêves. Dans les plantations, les Blancs sans le sou succédaient désormais aux Noirs sans le sou, sauf qu'à la fin de la semaine les Blancs n'étaient plus sans le sou. Contrairement à leurs frères plus foncés, ils pouvaient racheter leur contrat avec leur salaire et commencer un nouveau chapitre de leur vie." p 223

mardi 21 novembre 2017

Jeune trentenaire au bord de la crise de nerfs : "Jeune Femme", un premier film réussi

Jeune Femme est le premier film d'une jeune réalisatrice française, Leonor Serraille, qui raconte les déboires d'une jeune trentenaire fragile et paumée dans la capitale. Le film a reçu la Caméra d'Or lors du festival de Cannes 2017. Vu il y a deux semaines déjà, j'ai trouvé que c'était un film bouleversant.


Une jeune trentenaire fragile psychologiquement se retrouve livrée à elle même

Le film s'ouvre sur le visage de Paula, jeune trentenaire en pleine crise d'hystérie qui se retrouve à l'hôpital après s'être volontairement explosée la tête contre la porte de son petit ami qui vient apparemment de la mettre à la porte. Seule, désemparée, elle a du mal à trouver ses mots face au médecin qui l'interroge.
Dès les premières minutes, on sent sa vulnérabilité et sa sincérité. En colère, désemparée par le rejet de son compagnon, elle se dit incapable de s'en sortir seule à Paris, ville qu'elle ne connait pas puisqu'elle vivait à l'étranger. En piteux état et au bord de la maladie psychique, elle tente tout de même de se débrouiller pour trouver un petit boulot et un logement.

Petit à petit on en apprend plus sur cette jeune femme qui a vécu pendant de nombreuses années en Amérique du Sud aux crochets d'un célèbre photographe plus âgé qu'elle a suivit très jeune et pour qui elle servait de muse. Fille unique, Paula a perdu son père et a coupé les ponts avec sa mère. Dès le début du film, elle se présente comme seule, sans le sou, orpheline, incapable de s'en sortir toute seule. Elle trimbale partout le chat de son ex, comme une sorte de caution, un lien qu'elle ne parvint à rompre, son unique confident.


 La femme-enfant en quête de son indépendance

Au fil de ses déambulations et de ses tentatives pour s'en sortir, elle rencontre des personnages attachants, comme cette fille qu'elle croise dans le métro et qui se prend d'affection pour elle la confondant avec quelqu'un d'autre. Ou cette gamine farouche qu'elle va garder. Ou ce vigile du centre commercial avec qui elle se lie d'amitié. Des rencontres qui la font se sentir plus forte pour affronter la vie active à laquelle elle n'a jamais vraiment été confrontée. Tout doucement, Paula va gagner en indépendance, apprendre à se détacher de l'emprise de son ex-compagnon et réussir à faire ses propres choix.


La force du film réside dans la très juste interprétation de Laetitia Dosch : hyper naturelle, entière, directe, sincère et très sensible, elle parvient à montrer avec délicatesse et subtilité les fêlures de son personnage. Dès fois pénible, puérile voire limite "folle", d'autres fois très touchante et sincère, Paula ne nous laisse pas indifférents.

Jeune Femme, c'est un film sur une fille fragile, plutôt instable psychologiquement, mais qui parvient à se raccrocher à de petites choses pour s'en sortir. C'est le parcours d'une femme-enfant dépendante d’autrui qui parvint, tout doucement et tardivement, à prendre son envol. C'est aussi l'histoire d'une relation amoureuse toxique, de manipulation psychologique. Enfin, c'est une histoire sur l'entraide, et l'insertion.


Dans l'ensemble, j'ai bien aimé ce film qui dresse le portrait touchant d'une jeune trentenaire hyper sensible, même si certaines scènes de ses crises, filmées en gros plan au début du film, m'ont quelque peu géné. L'histoire est poignante, tantôt triste, tantôt optimiste et le tout est filmé avec délicatesse et tendresse et la réalisatrice parvient tout au long du film à garder un certain dynamisme. De plus, tous les personnages sont justement interprétés, notamment  Laetita Dosch qui crève l'écran.

Jeune femme / film français de Léonor Serraille, avec Laetitia Dosch, Grégoire Monsaingeon, Souleymane Seye Ndiaye. - sortie le 01/11/2017 (durée 1h37)
Caméra d'Or, Festival de Cannes 2017

dimanche 29 octobre 2017

Une relation mère-fille bien particulière au coeur du dernier roman d'Amélie Nothomb

Comme chaque année, le dernier livre d'Amélie Nothomb figure dans les best-seller de la rentrée littéraire. Si je n'ai pas lu les derniers  romans de l'auteure belge, je me suis laissée tenté par ce nouvel opus, "Frappe toi le coeur", l'histoire d'une fille délaissée par sa mère et marquée à vie par cet abandon.


Une jeune mère hypernarcissique

Le roman commence dans les années 70 par l'histoire de Marie, une jeune femme belle, brillante, arrogante, qui aime être au centre de tous les regards. Hyper-narcissique, elle a la vie devant elle et compte bien en profiter. Mais, lorsqu'à vingt ans elle tombe enceinte, elle le vit comme une punition, comme si on lui avait coupé les ailes avant qu'elle ait pu prendre son envol. Avant même que cet enfant naisse, elle ne l'aime pas. Elle se marie plus par principe que par amour et ne vit qu'à travers le regard des autres, à travers leur éventuelle envie ou jalousie. Marie veut que tout le monde l'admire. Aussi, lorsque l'intérêt se porte sur son adorable bébé, la petite Diane, cela l'énerve profondément, elle devient complètement jalouse de sa fille, au point de  renier cette enfant qui devient transparente à ses yeux. 

Je reconnais ne pas avoir beaucoup aimé ce début de roman centré sur le personnage de Marie, arrogante, égocentrique. Elle apparaît vraiment antipathique ! Mais au bout de trente pages environ, l'histoire se centre sur le personnage de Diane, première enfant non désirée d'un couple jeune et immature et ça devient plus intéressant.

Une enfant délaissée qui considère sa mère comme une déesse inaccessible

Cette dernière, très intelligente, considère d'abord sa mère comme une déesse inaccessible. Très jeune, elle comprend que sa mère est jalouse d'elle et ne lui en veut pas. Elle trouve refuge chez ses grands-parents qu'elle adore et qui prennent soin d'elle. Quand sa mère donne naissance à un second enfant, un garçon cette fois, et qu'elle a avec ce bébé un comportement normal, attentionné et aimant, elle se dit que c'est parce que c'est un garçon justement et n'éprouve ni jalousie ni ressentiment à son égard et envers sa mère. Mais lorsqu'arrive un troisième enfant, une petite fille, que sa mère étouffe d'un amour fou dès ses premiers jours, Diane est profondément blessée. Ce n'est donc pas parce qu'elle est une fille que sa mère la rejette. Son monde s'écroule. Elle devient de plus en plus distante avec les membres de sa famille au point de ne plus vivre avec eux dès ses 15 ans. Sa mère se rend à peine compte de son absence, et ne lui adresse de toute façon jamais la parole. Très intelligente, belle, fière débrouillarde et facile à vivre, Diane devient très vite mature. Elle se dévoue entièrement à ses études qu'elle réussit brillamment.

Ce qui est un peu curieux c'est que l'auteure relate les pensées de l'enfant de deux ans comme si celle-ci était déjà très mature pour son âge, voir adepte de la psychologie parentale. Même si c'est une enfant précoce et très intuitive, certaines de ses analyses en psychologie parentales m'ont semblé un peu exagérées.
Cependant, on se laisse happer par le récit de cette enfance délaissée où on suit avec peine les déboires de la petite Diane dans un foyer où elle ne semble pas avoir sa place.

Une vie d'adulte marquée par une enfance blessée

Cette enfance rejetée par sa mère a forcément des conséquences sur la vie de jeune femme et d'adulte de Diane. Après s'être entièrement consacrée à ses études, c'est dans son travail d'interne en médecine qu'elle se noiera, excluant toute relation extra professionnelle, toute vie sociale, oubliant ses amies. Elle est déterminée à être toujours la meilleure, comme si elle devait sans cesse prouver quelque chose à quelqu'un. Puis elle devient fascinée par sa professeur en cardiologie, Olivia, une belle femme brillante et respectée mais aussi froide et arriviste. Toutes deux vont vite devenir inséparables. Mais les apparences sont parfois trompeuses et Diane va progressivement découvrir la face caché de sa nouvelle amie...

Une histoire empreinte de psychologie familiale

Les blessures de l'enfance construisent forcément la personnalité de l'adulte. On le savait et c'est bien confirmé dans ce roman. La volonté d'être la meilleure pour arracher ne serait-ce qu'un regard à sa mère, la sagesse, le sérieux de Diane à toute épreuve en font une véritable sainte.

C'est une histoire qui révèle la complexité de la relation mère-fille, entre admiration, envie, jalousie, envie de plaire, crainte... Il est aussi question de l'instinct maternel qui n'est pas inné pour tout le monde et le fait que certains parents ont une nette préférence pour un de leurs enfants par rapport à un autre. Le cas abordé ici est toutefois extrême. Au coeur de l'histoire également, les rapports de compétition entre femmes, plus précisément entre mère et fille.
Diane recherchera toute sa vie la figure maternelle dans les nouvelles rencontres qu'elle fera, souvent des femmes belles, froides, intelligentes, à l'image de Marie. C'est aussi un récit qui parle des amitiés qui peuvent être très fortes, fusionnelles mais se dissoudre aussi vite qu'elles se sont construites. 

Une écriture limpide et percutante, du pur style Nothomb !

Si on est loin de l'époque de L'hygiène de l'assassin ou Stupeurs et tremblements qui restent ses meilleures romans, on retrouve ici l'écriture à la fois fluide et percutante d'Amélie Nothomb qui nous emporte facilement dans le parcours de cette fille délaissée par sa mère. Comme dans ses derniers ouvrages, il y a quelque chose du conte moderne dans cette histoire, à chacun de trouver sa propre morale. De plus le récit est riche en références littéraires et mythologiques. Le titre du livre vient d'ailleurs d'une célèbre phrase d'Alfred de Musset.
Frappe toi le coeur se lit facilement (j'ai lu ce roman en un week-end), c'est plutôt bien écrit tout en restant tout a fait abordable, bref c'est du Nothomb tout craché !


Quelques citations :

"Avait-elle déjà entendu le mot "jalouse"? Quoi qu'il en fût, elle eut le sentiment de savoir ce dont il s'agissait. Et elle y vit une bonne nouvelle : ce qui empêchait sa mère de lui montrer son amour, c'était la jalousie. Elle l'avait tant de fois aperçue sur le journal de la déesse.[...]" p.36

"La déesse m'aime, seulement elle m'aime d'une curieuse façon, elle n'aime pas me montrer qu'elle m'aime parce que  je suis une fille, son amour pour moi est un secret." p.44

"Quant à la cardiologie, je vous préviens : ma motivation va vous paraître idiote.
- Allez-y
- C'est une phrase d'Alfred de Musset qui m'a impressionnée : "Frappe toi le coeur, c'est la qu'est le génie" p.92-93

"La femme qui la regardait avec une curiosité douloureuse lui parut innocente. Ce qui l'absolvait n'était ni la prescription, ni l'oubli, c'était son démon [...] Ce qu'elle avait infligé à son aînée n'était que l'expression d'un narcissisme dévoyé dont elle ne semblait pas consciente" p.104

"L'espace d'un instant, elle se réjouit de la beauté de son ancienne amie. Mais soudain elle sentit son âme se fendre en deux et laisser place au gouffre, et elle sut que son être entier allait y être aspiré, si puissante était l'attraction de cette douleur béante." p. 146

mercredi 18 octobre 2017

Un roman noir sur l’ambiguïté de l'amitié porté par une écriture sensible et poétique

René Frégni est un écrivain français, plus précisément marseillais, qui eut une vie d'aventurier (voir sa bio) avant de se consacrer à l'écriture. Baroudeur, déserteur, infirmier psychiatrique puis animateur d'atelier d'écriture en prison, ses romans, notamment le dernier, ont une grande part d'autobiographie.
Les vivants au prix des morts et son quinzième roman, et pourtant le premier que lis.


Quand un observateur optimiste du monde tend la main à un évadé de prison...

Le narrateur, René, est écrivain, observateur optimiste du monde qui l'entoure, de la nature, des femmes et en particulier de sa compagne, la jolie institutrice. Il s'est d'ailleurs installée chez elle, dans la grande demeure familiale située dans une belle vallée de Provence.
Il tient un journal où chaque jour il décrit les petites joies du quotidien, les merveilles de la nature, sa relation avec Isabelle... Les mots, c'est toute sa vie. D'ailleurs, pendant plusieurs années, il a animé des ateliers d'écriture à la prison des Baumettes, un moyen de permettre aux détenus de s'évader avec leur esprit. Dorénavant, il profite de l'air frais de la campagne.
Mais un jour, il reçoit un appel de Kader, un détenu qui venait régulièrement à ses ateliers il y a quelques années. Ce dernier vient de s'évader une nouvelle fois de prison et lui demande de l'aide. Étrangement, sans même réfléchir, René accepte. Sans s'en rendre compte, il met alors le pied dans un engrenage dont il aura dû mal à sortir !

...son paisible quotidien s'en voit fortement perturbé

Il héberge secrètement Kader dans son petit appartement de Manosque, qu'il a déserté pour venir vivre chez Isabelle. Ce coup de main dans une situation d'urgence, d'abord provisoire, tend  pourtant à s'éterniser et les problèmes ne vont pas tarder à arriver.

"Les vivants au prix des morts" c'est 'histoire d'un homme qui aime les mots, la nature, les gens et qui voit sa vie basculer après avoir pris une décision rapide venant du coeur, celle d'aider un homme à priori sympathique oubliant que celui-ci est un fugitif, un malfrat. S'il met de coté les préjugés et ses principes, il n'en reste pas moins qu'il prend dès lors un certain nombre de risques en se mettant hors-la-loi.

Un roman noir un peu ambigu porté par une écriture sensible et poétique 

Je suis partagée sur ce roman. D'un coté je l'ai trouvé agréable à lire, c'est bien écrit, sensible, poétique. Il y a de belles descriptions de la nature, des gens. De l'autre, j'ai trouvé l'histoire quelque peu simpliste et surtout, le narrateur, René, un peu crédule. Au final, on se demande si son coup de main à un évadé qui se transforme vite en complicité est le résultat d'une innocente bêtise ou s'il n'était pas en quête d'aventure, de piment dans sa vie, pour devenir ainsi le personnage d'un roman qu'il aurait pu écrire... S'il semble dès fois conscient de se faire dépasser par les événements et regretter sa position délicate, il n'envisage toutefois à aucun moment de trahir son ami malfrat.
En tout cas, c'est une histoire qui fait réfléchir sur nos actes, nos intuitions, l'absence de jugements et de préjugés.
Ce qui est déstabilisant c'est que le narrateur et l'auteur ne font qu'un et on se demande qu'elle est la part de vérité dans cette histoire !

Il n'en reste pas moins que "Les vivants au prix des morts" est un bon roman noir, intéressant, très ancré dans l'actualité (on y parle des attentats de Bruxelles par exemple) et qui se lit agréablement bien. Malgré quelques réticences, j'ai tout de même lu ce livre en deux jours.



Quelques citations :

"Tout le monde devrait s'amuser à jeter quelques mots, sans trop réfléchir ni avoir peur, sur la page blanche de chaque jour. Comme on ramasse quelques pierres, plates et rondes, le long d'une rivière, pour le plaisir de les lancer dans un miroir plein d'oiseaux, de lumière et de nuages, et les voir rebondir dans une longue phrase de perles d'eau." p.16

"J'aurai aimé tenir mon bol de café, dans le silence de la cuisine, en guettant les troupes de pinçons qui giclent des forêts et envahissent les haies sous leur capuchons gris, observer les premiers couples de verdiers fouettés de jaune, voir s'allumer plus haut la cime des grands chênes blancs." p 45

"J'étais heureux dans ce petit vallon. J'ouvrais ce cahier chaque matin et j'étais ébloui par la liberté que m'offrait la blancheur vierge de chaque page, comme je l'étais dans le silence de tous ces chemins. Libre de marcher, d'écrire, de rêver." p 120

"[La pie] Prédatrice et ouvrière, comme nous les hommes. Nous avons bâti des merveilles, nous les détruisons. C'est là sans doute le mystère du monde. La puissance aveugle et merveilleuse du printemps qui explose partout, sans avoir prononcé le mot "bien" et le mot "mal".p 137

dimanche 8 octobre 2017

"Quand sort la recluse" : un polar à la fois décalé, sombre et intelligent

Fred Vargas est cette auteure de polar française incroyable dont les romans débutent souvent par une situation ou un détail incongru. Ainsi, je me rappellerai toujours l'originalité du début d'Un peu plus loin sur la droite qui commence par ... la découverte d'un os dans une crotte de chien !
Quand sort la recluse est son 32ème roman et on retrouve avec plaisir son personnage fétiche, l'inspecteur Adambserg ainsi que toute son équipe : le commandant Danglard droit et très cultivé qui parle souvent en "citations", l'imposante et efficace inspectrice Retancourt, son collègue et ami d'enfance béarnais Veyrenc, la gourmande et gastronome Froissy, etc.. Tous ont une personnalité atypique et sont finalement assez complémentaires.


Le retour du commissaire Adamsberg

Adamsberg rentre tout juste d'Islande où l'avait mené sa précédente enquête (voir mon billet sur Temps Glaciaires) après y être resté quelques temps afin de  prendre du recul. C'est un peu à contre-coeur qu'il est de retour à Paris, où il retrouve sa brigade et les affaires en cours. Le roman s'ouvre ainsi sur la mort suspecte d'une jeune femme dont le mari apparaît vite comme le principal suspect, puis une sur une forme de harcèlement sexuel un peu étrange dont est victime une collègue de la brigade. Cela m'a quelque peu déstabilisé au début car on ne sait pas trop quand l'histoire qui donne son titre au livre va vraiment commencer. L'auteure nous fait miroiter une petite cinquantaine de pages, le temps que le commissaire Adamsberg reprenne ses marques et l'occasion de nous familiariser de nouveau avec les personnages, avant de nous lancer sur une nouvelle intrigue.

Des piqûres d'araignée suspectes

Quand Adamsberg tombe sur un article que lisait son adjoint Veyrenc à propos de la mort de trois vieux, décédés à quelques jours d'intervalles dans la région niçoise d'une piqûre de recluse, une petite araignée qui vit cachée et n'ai habituellement pas dangereuse, cela éveille sa curiosité. Tout le monde pense que ces trois personnes étaient simplement plus fragiles et ont, de ce fait, succombé plus facilement à la dose de venin de l'araignée, mais Adamsberg ne peut s'empêcher de voir quelque chose d'intriguant et de suspect dans ces trois décès. Seul, contre l'avis de sa brigade, il décide alors de se renseigner sur cette fameuse recluse en se rendant chez un arachnophile où il va faire la rencontre d'Irène, une vieille dame passionnée d'araignées qui passe son temps sur les forums. Il va vite se lier d'amitié avec cette drôle de dame. En faisant des recherches sur les trois victimes, il leur découvre un sordide passé commun qui va l'amener à craindre d'autres morts suspectes. Mais, si une piqûre de cette araignée n'est pas mortelle, comment expliquer alors ces morts par venin si rapprochées?
Avec l'aide de ses fidèles lieutenants Retancourt, Veyrenc, et Froissy, le commissaire va faire des d'étonnantes découvertes souvent tristes et effrayantes aussi. Mais cette enquête va également être à l'origine de dissensions dans son équipe. De nouveaux indices en fausses pistes, Adamsberg va être de plus en plus intrigué, baladé, voir découragé mais, avec le soutien de ses collaborateurs et de quelques spécialistes, il viendra finalement au bout du mystère de la recluse.

Une enquête riche en références historiques et linguistiques avec une forte dimension psychologique

Après un démarrage du livre un peu laborieux je me suis finalement laissée embarquée par cette histoire passionnante. Et, si par moment ça semble vraiment tiré par les cheveux et complètement improbable, on pardonne presque à l'auteure tellement c'est bien écrit, réfléchi et finalement ça reste cohérent.

Comme dans ses précédents romans, on remarque l'intérêt de Fred Vargas pour l'Histoire, l'archéologie et les animaux. Quand on sait que l'archéozoologie est sa formation initiale, ça n'a plus rien d'étonnant ! De plus, l'auteure use judicieusement de la langue française, mettant l'accent sur les noms, soulignant l'importance de l’étymologie, de la linguistique. C'est un roman très riche, plein de références culturelles et, de ce fait, très intéressant et intriguant.

Il y a également une forte dimension psychologique dans ce roman. On sent rapidement que, si crime il y a, cela a quelque chose de très personnel qui révèle de la vengeance et donc d'une forte blessure psychologique (entre autre). Par ailleurs, le commissaire fait appel à un psychiatre qu'il connait afin d'obtenir quelques explications sur les tours que lui joue son subconscient et sur l'éventuelle psychologie du tueur ou de la tueuse.
S'ajoute à cela les caractères bien tranchés des membres de la brigade, tous plus originaux les uns que les autres. Certains dialogues, hors contexte, peuvent frôler l'absurde, les discussions sont empreintes de rêve, de poésie, d'un certain décalage par rapport à la réalité. (voir citations plus bas)

Chaque détail est un rouage de l'enquête, une "bulle" dans le cerveau du commissaire

Dans ses enquêtes, le commissaire Adamsbgerg, apporte beaucoup d'attention aux détails, aux petites phrases. Ces petites choses sont pour le commissaire des bulles qui vont gêner les rouages de sa pensée. Ça peut être une petite phrase dite par un de ses collaborateurs, un détail, une anecdote, autant de petites "bulles" qui volent dans son cerveau dont il pressent une certaine importance mais ne parvient pas à saisir tout le sens. Pour l'aider à réfléchir, le commissaire note ces pensées, ces détails dans un petit carnet qu'il a toujours sur lui et qu'il relit régulièrement afin de l'aider à réfléchir, jusqu'à ce que ces "bulles" finissent par éclater pour lui révéler un nouvel indice, un sous entendu ou un non-dit.

Le commissaire apporte aussi une certaine importance aux lieux, comme ce restaurant traditionnel "La garbure" où il retrouve son collègue Veyrenc presque tous les soirs pour faire le point sur l'enquête. D'ailleurs, Adamsberg révèle que, pour chaque enquête, il adopte un QG différent qu'il déserte ensuite une fois l'enquête bouclée.

Quand sort la recluse est un roman réfléchi, foisonnant d'informations, passionnant et attachant par ses personnages, excitant par son intrigue quasi improbable. C'est un roman qui rend hommage aux courage des femmes victimes de harcèlement, de viol voir de crime. 
J'ai bien aimé ce dernier roman de Fred Vargas, même si finalement, connaissant un peu la logique de l'auteure, j'avais pressenti le dénouement !

Quand sort la recluse / Fred Vargas . - Flammarion, 2017

Quelques citations :

" [Veyrenc] - Raconte moi cette femme qui t'a offert une araignée morte.
[Adamberg]- Les hommes offrent bien des manteaux de fourrure. Quelle idée. Imagine toi serrer dans tes bras une femme qui porte soixante écureuils morts sur le dos
-Tu vas porter ton araignée sur le dos?
- Je l'ai déjà sur les épaules, Louis
- Et moi, j'ai déjà un morceau de peau de panthère sur la tête, dit Veyrenc en passant sa main dans son épaisse chevelure." p 109-110

"Il s'installa comme il put dans sa voiture, un peu morose, environné par ses bulles qui patrouillaient sans relâche, seules et sans aide, sur des chemins inconnus." p 415

"Tout en surveillant son feu, il rouvrit son carnet. La pause aurait été de courte durée. Il relut, dans l'ordre, les phrases qu'il avait écrites dans l'espoir d'un éclatement de bulles. Comme on repasse sa leçon sans en saisir un traître mot." p.424

vendredi 25 août 2017

Un film sur des vaches, passionnant ? Oui, c'est possible, avec "Petit Paysan"

Voici un petit film français sensible et émouvant que j'ai eu la chance de découvrir lors d'une avant-première, en présence du réalisateur Hubert Charuel et de l'acteur principal Swann Arlaud. J'avoue que je ne serai peut-être pas allée voir ce film spontanément, aussi je suis contente d'avoir gagné des places pour cette soirée. Petit Paysan est vraiment un beau film, à la fois juste et bouleversant, sur le monde agricole et en particulier ici sur l'élevage de vaches laitières en France aujourd'hui.


Un jeune éleveur laitier passionné doit faire face à une crise sanitaire

Pierre est un trentenaire célibataire qui se démène pour faire fonctionner au mieux l'exploitation familiale. Il s'occupe seul de trente vaches laitières faisant la traite à la main deux fois par jour, leur donnant à manger, leur apportant les soins, etc. Il est toujours à l'écoute de son "babyphone" placé dans l'étable, guettant le moindre son anormal émanant de ses vaches, se tenant prêt par exemple à aider une vache à vêler au milieu de la nuit. C'est un éleveur "à l'ancienne" qui parle à ses bêtes, les appelle par leurs noms, les caresse. On sent une véritable connexion entre lui et ses vaches. Il en est tellement proche qu'il en rêve la nuit, en témoigne la première scène du film !


Adepte des méthodes à l'ancienne, il a certes plus de travail mais c'est ce qui fait qu'il est premier au classement départemental dans la catégorie "qualité".
Complètement absorbé par ses tâches, Pierre n'a pas vraiment de vie sociale, pas de vie amoureuse et vit encore avec ses parents à 35 ans. Il se lève chaque matin avec la crainte que ses vaches attrapent le fameux virus qui a déjà sévit en Belgique et suite auquel des troupeaux entiers ont été abattus par souci de précaution ! Sa soeur, vétérinaire, a beau le rassurer à ce sujet, il devient complètement parano. Et quand son cauchemar finit par se réaliser, il est prêt à tout pour sauver son troupeau...

Bande annonce :

Un mélange de genres réussi

Petit Paysan pourrait être un simple film du terroir mais, grâce à la qualité de l'interprétation de ce "petit paysan" et à la puissance narrative du film, il devient vite passionnant au point de devenir une sorte de thriller. En effet, certains moments de tension sont vraiment forts et accompagnés d'une musique oppressante, nous tenant ainsi en haleine.
Mais, à d'autres moments, le film se veut tendre et drôle, notamment grâce à un comique de situation et de gestuelle, qui atténue l'aspect dramatique du film. Enfin, la manière quasi documentaire et très réaliste de filmer les scènes à la ferme en fait un film fort, poignant. On y voit certaines scènes de la vie de fermier peu reluisantes comme lorsque Pierre aide une vache à mettre bas, les mains dans la m**** ou lorsque des bêtes sont en train d'agoniser et qu'il doit prendre une décision.
Ce mélange des genres savamment dosé fait de Petit Paysan un film sobre, poignant et réussi. En effet, qui aurait pu croire qu'un film sur des vaches soit aussi prenant?


Un film personnel et familial

Le jeune réalisateur signe un premier film personnel, sensible, captivant et donc pleinement réussi. Lui même fils d'éleveurs de vaches laitières, il a tourné le film dans la ferme de ses parents qui n'est à présent plus en activité mais qui a été réhabilitée pour l'occasion. En effet, trente vaches ont été amenées exprès pour le tournage ! Il a fallut attendre qu'elles s'habituent à leur nouvelle étable puis, progressivement, à l'équipe du film avant de tourner certaines scènes. Le tournage s'est ainsi fait en fonction du rythme des traites des vaches !
Le réalisateur a par ailleurs fait jouer plusieurs membres de sa famille dans des petits rôles : son père, sa mère qui joue la contrôleuse du lait, son grand-père qui joue un voisin à moitié sénile, son cousin un ami agriculteur.... C'est donc un film familial auquel se mêlent quelques acteurs professionnels comme Swann Arlaud et Sarah Giraudeau qui ont dû s'adapter au rythme des vaches.
Swann Arlaud qui habite vraiment son rôle de jeune paysan débordé mais passionné, a d'ailleurs reconnu s'être vite senti à l'aise au milieu des vaches. Le réalisateur a confirmé que ce dernier s'est vraiment impliqué dans son rôle et, effectivement, ça se ressent tout au long du film.
Quand on sait tout ça, appris grâce à la rencontre avec l'équipe du film à l'issue de la projection, cela en fait un film d'autant plus touchant !


Une réflexion sur le monde agricole

Ensuite, ce qui est intéressant dans ce film, c'est que chaque personnage secondaire a son importance et représente un point de vue sur l'agriculture, une influence, voir une crainte. Par exemple, cet ami de Pierre qui, contrairement à lui, exploite une grosse ferme industrielle et pour qui les vaches ne sont plus que des numéros, la contrôleuse du lait dont dépend finalement la survie de la ferme, ou la soeur de Pierre, vétérinaire, qui représente ici une forme d'autorité morale mais qui est partagée entre l'empathie qu'elle a pour son frère et son rôle de régulation, ou encore les autorités sanitaires qui apparaissent ici comme froides et insensibles.

Petit Paysan invite à une réflexion sur le monde agricole, montrant la vulnérabilité des exploitations qui peuvent sombrer à tout moment, du fait d'une maladie, d'une erreur de gestion, etc. Le film met en lumière le travail difficile des agriculteurs, soumis à des règles rigoureuses et à un stress permanent, devant faire face à des institutions froides et détachées. De plus, ils sont souvent assez seuls et sont victimes de préjugés. Enfin, ce long-métrage nous fait aussi nous interroger sur nos modes de consommation (ici par rapport au lait) ainsi que sur le bien-être animal.
Le film montre tout cela sans pour autant porter de jugement.

Petit Paysan / film français de Hubert Charuel, avec Swann Arlaud, Sarah Giraudeau... Sortie le 30 août 2017.
Vue en avant-première le 21 août.

mercredi 23 août 2017

Découverte des mystères du Vodou à la lumière des lampes torches

Saviez-vous que c'est à Strasbourg que se trouve la plus importante collection au monde d'objets vodou de l'Afrique de l'Ouest  ?

C'est dans un magnifique château d'eau de style néo-roman datant de 1878, qui servait à l'époque à alimenter les locomotives à vapeur, que sont exposés dorénavant des centaines d'objets ayant servi à des pratiques religieuses en Afrique. Le bâtiment est d'ailleurs classé à l'inventaire des Monuments Historiques.


Un musée privé récent

L'ensemble des objets vodou présentés ici proviennent de la collection privée de Marc Arbogast, ancien patron des brasseries Fischer, qui tomba amoureux de l'Afrique dans les années 70 et ne cessa d'y retourner par la suite. (Pour en savoir plus)
J'appréhendais un peu le coté "post-colonialiste" d'un tel musée craignant l'exposition de "trophées" pillés aux peuples autochtones. Mais, dès le début de la visite, on est rassuré : la plupart de ces objets n'étaient plus utilisés pour la pratique du Vodou faute de conversion au christianisme ou alors les objets étaient déchargés de leurs pouvoirs et à l'abandon. Et la mise en valeur des collections est respectueuse des rites pour lesquels ont servi ces objets. La scénographie a par ailleurs été réalisée par la même personne qui a fait celle du musée du Quai Branly.


Le musée a ouvert en 2013 mais je n'y étais jamais encore allée. Comme il s'agit d'un musée privé, l'entrée y est plus chère (14 €) mais la perspective d'une visite guidée à la lampe torche me semblait une bonne occasion pour découvrir ce lieu original.

Le vodou, entre croyances, philosophie et magie noire

Le vodou (ou vaudou) est un ensemble de rites, de croyances ainsi qu'une philosophie de vie que pratiquent certains peuples d'Afrique, d'Haiti et du Brésil. Personnellement je connaissais surtout le vodou haïtien, rendu populaire dans la littérature et au cinéma. (Exemple, dans le magnifique livre de Laurent Gaudé "Danser les ombres" )

carte extraite du site Internet du musée

Mais ce musée est axé uniquement sur les rites vodous de l'Afrique de l'Ouest, en particulier ceux du Bénin, du Togo, du Ghana et du Nigéria. Pour en savoir plus, le site du musée regorge d'informations concernant la géographie, l'ethnographie et la pratique de ces rites.
On peut notamment y lire ce qui semble être la finalité des rites Vodou :
"la complexité et la diversité des rites et des cultes vodou en Afrique tendent cependant dans leurs différentes cosmogonies, au même objectif : Aider les humains et donner un sens à leur vie, préparer leurs passages vers le pays des morts, en intégrant cette existence dans un cosmos peuplé d’ancêtres et de dieux dont les pouvoirs peuvent être aussi utiles que redoutés." Je trouve que cette phrase résume bien, à elle seule, la philosophie Vodou.

Le vodou, c'est un ensemble de croyances, de superstitions, une philosophie, un mode de vie. Mais le vodou c'est aussi beaucoup de mystères, de l'ésotérisme, une part d'inquiétude et un coté "magie noire" un peu inquiétant.


Une visite originale, à la lumière des lampes torches

Le musée organise régulièrement des visites guidées de ses collections, la journée, pour petits et grands, mais aussi la nuit. C'est ainsi que je suis tombée sur cette visite à la lampe torche, le vendredi soir, à 21 h et 22h.
Nous avons eu la chance d'avoir un super guide : un béninois, strasbourgeois d'adoption, complètement immergé dans la culture vodou puisque lui même est pratiquant. Très sympa, il a rendu cette visite passionnante en racontant plusieurs anecdotes personnelles.


La visite commence dans le hall d'entrée, à la lumière, où une présentation du lieu nous est faite : présentation du bâtiment, histoire du lieu puis présentation générale du vodou. Après distribution des lampes torches, nous montons ensuite vers le premier étage. Les collections sont réparties sur les trois étages du château d'eau.

Photo du hall d'accueil

Photo du hall d'accueil

Comme il s'agissait d'une visite guidée thématique qui devait durer une heure, seule une partie des objets ont été présentés. Pour profiter davantage des collections et pour lire toutes les explications, il faudra revenir faire une visite classique du musée en journée!

A la découverte des pouvoirs des objets Vodou

Notre guide nous a présenté de nombreux objets nous expliquant leur symbolique, leur "pouvoir", comment, pourquoi et par qui ils sont réalisés et quelles étaient leurs finalités.
Dans le vaudou, les vivants ne s'adressent pas directement aux Dieux mais passent par des intermédiaires, par le biais des ancêtres décédés et par des "messagers".

La visite commence par la présentation de "Legba", un esprit vaudou représenté généralement sous la forme d'un chien. Il sert d'intermédiaire, de médiateur, entre le monde des vivants et celui des divinités. C'est l'esprit des "croisements". Au Bénin, on trouve une statue Legba sur chaque place, à chaque croisement de rue pour assurer la protection des habitants.

"Legba" photo extraite du site Internet du musée

On déambule ensuite dans les trois étages du musée, toujours dans l'obscurité, à la lumière de nos lampes torches. Les statuettes et étranges figurines on un air mystique, leur coté magique ressort davantage. Notre guide fait des focus sur les principales figures du culte Vodou, nous expliquant les rites réalisés lors des naissances, des mariages ou de la mort.


Dans le Vodou, la mort n'est pas vu comme une fin en soi puisque les adeptes croient en la réincarnation des âmes. Ainsi, si une naissance a lieu peu de temps après le décès d'une personne dans un village, les habitants pensent que l'esprit du défunt habite le corps du nouveau-né.
Les adeptes du vodou croient aussi aux revenants, quand un esprit n'est pas apaisé, il revient se manifester auprès des vivants, sous la forme de l'esprit Ergungun.


Derrière chaque objet, il y a un rite qui le rend "vivant" qui lui donne son "pouvoir". Qu'il s'agisse de communiquer avec les défunts, de ne pas offusquer les morts, de rendre un mari fidèle, de porter chance, etc.  Mais certains rites se portent aussi "contre" quelqu'un ou quelque chose, c'est le coté "magie noire" un peu effrayant du vodou. D'autant plus que le rituel qui accompagne la réalisation de tous ces objets demande souvent un sacrifice animal (généralement un poulet).


Voici pour finir, quelques photos en vrac prises lors de cette visite à la lampe torche !






Pour finir la visite, le guide a effectué un rite de demande de protection sur le seul objet vodou encore "actif" dans le musée, figurant dans le hall d'entrée et qui a pour "pouvoir" d'assurer le succès matériel et financier. Mais je ne vous en dit pas plus, pour en savoir plus sur ce rite, il ne vous reste plus qu'à faire une visite guidée du musée!

Totem Vodou actif, dans le hall d'entrée du musée

J'ai beaucoup aimé cette visite à la lampe torche du Château Vodou.  Le lieu, les collections et la symbolique qui en émane, ce coté mystique, divin se prêtent merveilleusement bien à ce type de visite dans le noir. On se promène au milieu de tous ces objets qui étaient chargés de magie, on voit leurs ombres dès fois effrayantes s'agrandir sur les murs, on se plonge dans un système de croyances, de mystère, si loin de notre mode de vie occidental... Ça a quelque chose de vraiment fascinant et dès fois, il faut bien l'avouer, un peu effrayant !


De plus, notre guide était passionné et passionnant ce qui a contribué à la réussite de cette visite. J'étais toutefois étonnée de l'affluence car, nous étions une bonne vingtaine, ce qui m'a semblé un peu trop pour une visite intimiste "dans le noir", bien que tout le monde se soit montré calme et attentif, mais pour suivre les explications du guide devant certaines pièces on était dès fois un peu à l'étroit.
Enfin, la visite guidée met en lumière (c'est le cas de le dire :-) ) seulement certaines pièces de la collection. Pour une visite plus approfondie, pour tout voir et tout lire, il faudra revenir visiter ce musée en journée !

Château Musée Vodou de Strasbourg. Visite nocturne à la lampe torche vendredi 18 août 2017.
Ouverture habituelle du mercredi au dimanche de 14h à 18h.
Entrée 14 €.
Pour connaitre les dates des visites nocturnes, consultez la page Facebook du musée

samedi 12 août 2017

Emotion, suspens et mélancolie dans "La ballade de l'enfant gris", quand un médecin voit sa vie bouleversée par sa rencontre avec un enfant

Vous avez peut-être entendu parler de ce livre, La ballade de l'enfant gris, écrit par un jeune médecin, également blogueur et écrivain. Baptiste Beaulieu (pseudonyme) livre ici un magnifique roman empli de tendresse, de mélancolie et plein d'humanité. Je reconnais que j'avais quelques préjugés concernant ce livre : un jeune médecin qui va nous décrire l'envers du décors des hôpitaux, c'est du déjà vu. Et puis tout ce battage médiatique autour de ce roman, généralement ça me fait plus fuir qu'autre chose. Mais je me trompais !! 
La ballade de l'enfant gris est un superbe roman, sensible, drôle, émouvant, juste. Une merveille littéraire que je recommande !


 "La déchirure" entre un interne et un petit garçon

Jo' est un jeune médecin, interne dans un service de pédiatrie. Doué, bienveillant et sociable, proche de sa famille et en couple, tout semble rouler pour lui. Jusqu'à sa rencontre avec No, un petit garçon malade dont il a la charge. No est un enfant au teint gris, souffrant d'une grave maladie du sang. Jo se prend d'affection pour ce petit garçon qui se sent souvent seul et triste car sa maman ne vient pas souvent le voir. Il essaie de lui changer les idées en lui faisant faire des bêtises, en le faisant rire, lui racontant des histoires, lui donnant de l'espoir, en le faisant rêver.
Mais on sait dès le début que ça ne suffira pas. Il y a un "avant" et un "après" ce que Jo' appelle "La déchirure". D'ailleurs, les chapitres s'alternent en retraçant la vie de Jo "avant la déchirure" puis "après la déchirure". "Avant", c'est un compte à rebours racontant la complicité entre Jo et No, l'attente des visites de sa mère, les questions et rancœurs vis à vis d'elle, tout en suivant l'évolution de la vie personnelle de Jo. "Après", c'est le récit de Jo, hanté par le fantôme de No qui le suit partout, chez lui, sous la douche, dans la rue... L'enfant est toujours avec lui, au point de nuire à sa vie sociale et affective. Il décide alors de "rendre" le fantôme de No à sa maman, Maria qui a subitement disparu au moment de la "déchirure". 

A la recherche de la mère de l'enfant

Jo se lance alors dans une sorte d'enquête sur les traces de cette femme mystérieuse qui le mènera de Paris à Jérusalem, en passant par Rome...
Durant cette quête, le narrateur va rencontrer des personnages hauts en couleur : Mme Crinchon l'infirmière au verbe haut et aux insultes métaphoriques, deux vieilles femmes italiennes originales surnommées par le narrateur Glaucome et Catharate, des amies de Maria, des jeunes gens plein de vie dans une Jérusalem déchirée par les religions, etc. D'ailleurs, la vie dans ces villes est très bien racontée, on s'y croirait presque.
Au cours de son voyage, il constatera quelques similitudes entre ce qui lui arrive et ce qu'a vécu Maria quelques temps plus tôt. Ce voyage sur l'origine de l'enfant ne deviendrait t'il pas aussi pour Jo un voyage sur la quête de Soi?

Une écriture juste, bouleversante et une intrigue captivante

On est vraiment captivé par ce roman qui nous tient en haleine du début à la fin. Bien qu'on connaisse le triste dénouement dès les premières pages, on veut savoir pourquoi la mère de l'enfant ne venait pas plus souvent, pourquoi elle a disparu et si Jo' va réussir à se défaire de ses fantômes, au sens propre comme au figuré. J'ai vraiment eu du mal à faire des pauses dans ma lecture, tenue en haleine par l'histoire mais également par la qualité de l'écriture.

Car ce roman est très bien écrit, avec justesse, pudeur et non sans humour par moment. (Voir quelques citations tout en bas) Une écriture tantôt lyrique et poétique, tantôt cynique mais souvent mélancolique et onirique. Le rêve comme échappatoire d'une réalité trop sordide... Les drames ne sont jamais relatés explicitement mais on les devine toujours entre les lignes, dans les "silences" de la narration, derrière de jolies métaphores, derrière les comportements étranges des personnages, ce qui ne les rend pas moins cruels et tristes. 

Un roman engagé contre les préjugés

C'est également un récit engagé car l'auteur met en avant le courage féminin, l'exigence qui est demandée aux femmes, leur peur de ne pas être à la hauteur, les discriminations et violences dont elles sont victimes. Il y dénonce aussi l'obscurantisme et les diktats religieux. C'est également un beau livre sur les préjugés, prouvant qu'on ne connait jamais vraiment les gens, on ne sait pas ce qu'ils vivent ou ce qu'ils ont vécu et il est souvent difficile de juger des actes de quelqu'un sans avoir tout le contexte.
Et, bien évidement, c'est une histoire qui aborde les thèmes difficiles de la maladie, la souffrance, la mort et le deuil. L'auteur met aussi en avant, mais sobrement, le courage des médecins, qui, en plus de soigner les blessures physiques peuvent également soigner l'âme.

Le récit est construit comme un puzzle, tous les personnages, les indices, les pensées de Jo et de Maria s'emboîtent parfaitement pour aboutir à une histoire magnifique et surprenante. A la fin, j'avais juste envie de relire le livre, pour en avoir une nouvelle interprétation, certains détails, qui me semblaient anodins, prendraient alors toute leur importance. J'aime beaucoup avoir cette impression et cette envie à la fin d'un roman !

Pour résumer, La ballade de l'enfant gris est un livre superbement construit, une histoire émouvante et captivante, joliment contée. Il y a du suspens, de l'amour, de l'humour, de l'émotion, des personnages forts, de la réflexion, de l'indignation, du rêve, de la poésie... que demander de plus ?

Le blog de l'auteur où il raconte le quotidien des soignants : http://www.alorsvoila.com/
Ses chroniques ont également été éditées en livre.
La ballade de l'enfant gris est son troisième roman.


Quelques citations :

"Cela arriva très vite, comme on rapporte au service après-vente plusieurs achats impulsifs dont on a honte" p 69

"Lucinda se tortilla sur son fauteuil, mal à l'aise. Sous ses dehors rétifs, je devinais un feu couvant sous les braises, comme tous les individus perdus à jamais pour la tendresse et qui, pour ne pas avoir été assez aimés, sont incapables d'amour" p 158

"Avec le nourrisson, elle avait exigé d'elle-même des pensées parfaites, des sentiments parfaits, des actes parfaits [...] Comment Jo pourrait-il le savoir ? il pensait détenir une vérité - un enfant est malade et sa mère l'abandonne - mais voilà qu'il a devant lui deux êtres humains qui gloussent, se vautrent dans la joie d'un temps immature, vidé de toute altérité, un lieu perpétué, de la mère au fils, et du fils à la mère, un lieu qui n'appartient qu'à eux. Sans doute ces grands sourires-là naissent-ils comme les levers de soleil les plus mémorables : des nuits les plus profondes." p 184

"J'avais parlé tout haut, mais l'enfant s'était volatilisé et ça m'a soulagé d'un poids immense ; il s'absente rarement ; cependant, quand il le fait, je respire. Sa présence? un doigt glaé posé au bas d'un dos brûlant de fièvre, et qui, pour minuscule qu'il soit, parvient à raidir le corps tout entier du malade." p 286

"Peut-être existe-t'il des moments dans la vie où on ne sait plus si le monde est un mensonge ou si le mensonge est le monde." p 405

vendredi 28 juillet 2017

Flowers, une mini-série burlesque et mélancolique

Flowers la mini série fantasque diffusée récemment sur Canal + est dorénavant disponible sur Netflix. Ce titre vous évoque une série Peace & Love ou un décors féerique au milieu d'une jolie prairie? Eh bien, vous avez tout faux. Flowers est une série ovnie très mélancolique, un mélange de genres entre comédie burlesque, drame familial et un anti-conte de fée.


Flowers c'est en fait le nom d'une famille originale, excentrique mais aussi très attachante. Durant 6 épisodes on suit l'évolution des membres de cette famille à la fois déjantés et déprimés qui trompent leur ennui et cachent leurs problèmes comme ils peuvent.

Trailer :


Maurice, le père, auteur de livres pour enfants, est un homme doux, solitaire et renfermé. Déborah, la mère, cache son manque d'affection derrière une hystérie chronique et des mimiques incroyables. Elle n'est pas trop à l'écoute de ses proches, notamment de son mari. et ces deux là ont vraiment du mal à se comprendre !

la mère, Déborah

Leurs deux jumeaux de 25 ans passent leur temps à se quereller : Amy est une gothique mélancolique plongée dans des légendes du passé et son frère, un inventeur déjanté. Très différents, ils ont tout de même un point commun : tous deux sont restés bloqués en enfance et semblent effrayés par la vie d'adulte... Ils vivent aux crochets de leurs parents et ont du mal à débrouiller tous seuls.
Dans cette famille, tout le monde s'agite mais personne ne semble vraiment s'intéresser aux autres. 
Et autour d'eux gravitent plusieurs personnages déjantés et instables psychologiquement : un couple libertin, un voisin hyper narcissique et sa charmante fille, un autre voisin voeuf et désemparé, etc.

le père, Maurice

L'histoire commence par une tentative de suicide... ratée. S'en suit une série de quiproquos qui va plonger la famille dans le tourment.
L'action semble se passer quelques part dans les années 1980, dans un coin de forêt au Royaume-Uni. Et il y a effectivement un coté très "british" dans cette série, que ce soit dans la manière de filmer, dans les expressions des personnages...
On y trouve une bonne dose d'humour noir et, derrière le ton comique du récit, se cache une profonde mélancolie. En effet, au cours de ces six épisodes, de nombreux aspects psychologiques sont abordés : la dépression, des difficultés à communiquer, à écouter l'autre, la difficulté d'être adulte... Tous les personnages sont finalement plongés dans une profonde solitude et chacun tente de gérer cela à sa façon. La série se prête à de nombreuses analyses psychologiques. Par exemple, la panne d'inspiration de Maurice pour poursuivre sa saga sur les gentils monstres "Grubs"correspond au moment où sa famille traverse également un crise...

les jumeaux

Flowers, c'est une sorte de conte trash à la narration poétique, qui n'est pas sans rappeler celle des Désastreuses aventures des orphelins Baudelaire. Autre point commun entre les deux séries, l’esthétique des images, le coté intemporel et l'aspect tragi-comique et burlesque de la situation.

Flowers c'est aussi une comédie drama-mélancolique car chaque situation burlesque cache finalement une blessure, de la tristesse ou un vide. Rien ne se passe jamais comme prévu dans l'histoire de cette famille et on est sans cesse surpris. D'ailleurs, plus on avance dans les épisodes, plus l'aspect mélancolique l'emporte sur le coté burlesque. 
Enfin, tout au long de la série, l'imaginaire et le rêve occupent une place essentielle. La forêt apparaît souvent comme un échappatoire, la clé de tous les problèmes. Et la musique accompagne toujours très justement les déambulation de ces personnages.

L'illustrateur

Voilà pour les points positifs de Flowers. Cependant, cette drôle de série peut paraitre un peu trop décalée ou caricaturale, notamment avec le personnage de l'illustrateur- japonais réduit au rôle de serviteur un peu benêt... Mais on comprend mieux quand on sait que l'acteur qui joue ce personnage n'est autre que le réalisateur de la série, et qu'il souhaite dénoncer ainsi les préjugés et le racisme.

Autre aspect qui peut sembler trop poussé, c'est le soin qui est apporté à l'esthétisme et à l'imaginaire tout au long de la série. Je comprend que ça puisse lasser. Mais personnellement c'est quelque chose que j'apprécie.

Dans l'ensemble j'ai donc plutôt bien aimé cette petite série décalée et mélancolique, à la fois drôle et triste.

Flowers, série britanique. Saison 1 : 6 épisodes de 26 minutes. / Créée par Will Sharpe, avec Olivia Colman, Jullian Barratt, Will Sharpe...
Diffusée sur Canal Plus début juillet 2017.
Disponible sur Netflix.