mercredi 16 décembre 2015

"Toute la lumière..." : magnifique roman qui relate le destin de deux adolescents pendant la guerre. Superbement écrit !

Cela faisait longtemps que je n'avais pas été à ce point plongé dans un roman ! "Toute la lumière que nous ne pouvons voir" est un livre d'une grande puissance qui nous transporte pendant la seconde guerre mondiale. Mais, contrairement à la plupart des romans abordant ce sujet, ce roman a le mérite d'épouser le point de vue français et allemand à travers deux personnages attachants, deux adolescents plongés dans la guerre malgré eux. 


Coté allemand, le jeune Werner, 16 ans, vit dans un orphelinat avec sa petite soeur Juta. Il passe son temps à se poser des questions scientifiques et à réaliser des expériences techniques. Avec sa soeur, ils aiment écouter des émissions à la radio, notamment une émission de vulgarisation scientifique diffusée le soir.
Il devient un véritable petit génie de l'électronique et éveille la curiosité d'un officier allemand qui l'incite à s'inscrire dans une célèbre école. Mais les grands rêves de découvertes et d'études supérieurs de Werner se voient vite confrontés aux limites de cette école, véritable fabrique de nazillons où il n'y a pas de place pour les sentiments et le libre arbitre et où obéissance et brutalité semblent être les leitmotivs. Ainsi, Werner va se faire entraîner malgré lui dans la triste aventure de la guerre et il aura bien du mal à conserver ses rêves d'enfant.

Coté français, la jeune aveugle Marie-Laure vit à Paris avec son père, serrurier au musée d'histoire naturelle. Ce dernier lui a fabriqué une maquette du quartier où ils vivent afin qu'elle puisse plus facilement se repérer. Il aime passer du temps avec sa fille. Marie-Laure apprécie les promenades dans le jardin des plantes et passe beaucoup de temps à parcourir des doigts les gros volumes en braille relatant les aventures de Jules Verne. Lorsque la guerre éclate, alors que les allemands pillent les richesses de la France, son père ainsi que 3 autres employés du musée se voit confier une pierre précieuse et ses trois répliques, chacun ignorant s'il a la véritable pierre ou non. Les quatre employés doivent se disperser sur le territoire. Cette pierre, d'après la légende, à le pouvoir de rendre immortel et de protéger la personne qui la détient mais au détriment de ses proches. Forcément, elle risque de susciter quelques convoitises...
Lorsque Paris est attaqué, il décide de fuir la capitale avec Marie-Laure. Leur périple les mènera jusqu'à Saint-Malo où ils trouveront refuge dans la demeure d'un grand-oncle qui vit reclus dans sa maison depuis qu'il est revenu traumatisé de la Grande Guerre. C'est madame Manec, sa gouvernante qui les accueillera chaleureusement et prendra soin d'eux durant leur séjour. Progressivement, le vieil oncle taciturne va sortir de son antre pour se rapprocher tout doucement de Marie-Laure. Et lorsque les allemands réquisitionnent tous les postes de radios, ce sont une dizaine de postes dont doivent se séparer les habitants de la maison ! Cependant, un vieux poste de radio subsiste et sera caché dans le grenier. A partir de ce moment, les occupants de la maison peuvent à tout moment être arrêtes comme terroristes par les allemands.


Toute la lumière que vous ne pouvez voir n'est pas seulement un roman sur la guerre. C'est aussi un roman historique et géopolitique, un roman d'apprentissage décrivant la perte des illusions de deux enfants français et allemand, une peinture sociale pleine d'humanité, un roman d'aventure, le tout écrit avec une touche de poésie et de mystère. Toutes ces caractéristiques en font un roman passionnant, superbement écrit, qui se dévore rapidement.
On oublie presque que l'auteur est américain tant il décrit si bien le vécu coté français et coté allemand tout au long de la guerre. L'auteur dépeint ses personnages avec beaucoup de tendresse. Par ailleurs, on sent un véritable attachement aux villes de Paris et de Saint Malo qui apparaissent presque comme des personnages à part entière. A ce titre là, le roman me fait penser à  L'Ombre du Vent de C.L. Zafon où est décrit avec beaucoup d'affection les aventures d'un garçon dans le Barcelone des années 30.

Enfin, ce roman est captivant grâce à son rythme d'écriture : des phrases courtes, percutantes, des chapitres courts alternant le récit des aventures de Marie-Laure et de Werner, de superbes passages descriptifs à la fois réalistes et poétiques... tout cela fait que le livre de plus de 600 pages se lit quasiment d'une traite.
Bref, c'est un livre magnifique qui mérite amplement le prix Pulitzer 2015 qui lui a été attribué !


Quelques citations : 

"Des portes sont soufflées de leurs chambranles. Des briques, pulvérisées. De gros nuages joufflus de craie, de terre et de granit jaillissent vers le ciel. Les douze forteresses volantes ont déjà fait demi-tour, repris de l'altitude et retrouvé leur alignement au dessus de la Manche, que les ardoises des toits n'ont pas fini de pleuvoir dans les rues." p 121

"Le monde semble tanguer délicatement, comme si la ville partait légèrement à la dérive. Comme si, sur le rivage, le reste des Français n'avait plus qu'à se ronger les ongles, à s'enfuir, trébucher, pleurer et se réveiller dans une aube grise et engourdie, incapable de comprendre ce qui se passe. A qui appartiennent les routes à présent? Et les champs? Et les arbres?" p 147

"Pour sa part, les doutes reviennent régulièrement. Pureté raciale, pureté politique - Bastian exprime son horreur de toute corruption, mais la vie n'est-elle pas corruption? se demande-t-il au coeur de la nuit. Dès qu'un enfant est né, le monde se jette sur lui. Pour lui prendre des choses, lui en imposer d'autres. Chaque bouchée de nourriture, chaque particule de lumière qui entre dans son oeil- le corps ne peut jamais être pur." p 329-330

"On est très loin de comprendre ce que c'est d'être aveugle, quand on ferme les yeux. Sous notre monde des cieux, des visages et des édifices, il en existe un autre, plus brut et plus ancestral, un espace où les surfaces planes se désintègrent et où les sons forment une multitude de rubans dans les airs" p 452

"Difficile d'avoir grandit dans les années quarante en France sans que la guerre soit le centre à partir duquel le reste de votre existence gravitera toujours." p 589