dimanche 30 août 2020

Les grands espaces, une jolie BD, hymne à la nature, aux jardins, à l'art et à la littérature

Cela fait bien longtemps que je n'ai pas partagé ici un coup de coeur BD. Il faut dire que je lis essentiellement des romans mais il m'arrive de me plonger dans une bande-dessinée de temps en temps. J'avais déjà entendu parlé de cette jolie BD de Catherine Meurisse et attendais de la lire avec impatience.


L'autrice de cette BD est aussi la narratrice de l'histoire. Elle relate ici ses souvenirs d'enfance à la campagne avec beaucoup de nostalgie, de mélancolie et pas mal d'humour ! Le récit commence ainsi :
"Longtemps j'ai rêvé d'avoir, dans mon appartement parisien, une porte spéciale qui s'ouvrirait directement sur les prés. Je l'emprunterais à chaque saison, en un rien de temps, en un coup de crayon, j'irai faire des provisions de paysages, d'odeurs, de silence..."

Lorsqu'elle est enfant, ses parents décident de quitter la ville et de racheter une ferme en ruine à la campagne. La famille s'installe donc dans un petit village de Charentes-Maritimes. Tandis que ses parents retapent la maison, Catherine explore les environs avec sa soeur. Elle découvre la vie à la campagne, l'odeur des bouses de vaches et le patois local. "La merde à la campagne sent bon. Parce qu'elle se mêle aux parfums de foin, de terre, de bêtes... c'est naturel." (p 24). Tout cela est relaté avec fraîcheur et humour.


Catherine se plait très vite à son nouvel environnement, elle joue à l'archéologue avec sa soeur. Elles vont même jusqu'à créer un petit musée avec des fossiles, des cailloux et des crottes d'animaux, à l'image de l'écrivain et collectionneur Pierre Loti.

Cependant, cette jolie ferme a beau être à la campagne, au milieu des champs, il n'y a pas d'arbres, pas de bosquets, rien à part des champs à perte de vue, la faute au remembrement. Ses parents se mettent donc à planter tout ce qu'ils trouvent autour de la maison : des fleurs, des arbres, des buissons, cela en vue de se protéger de la pollution agricole. A ce propos, sa mère dit d'ailleurs cette magnifique phrase : "on ne jardine pas, on entre en résistance" !

Pour ses parents, chaque fleur plantée a désormais une histoire, rappelant un membre de la famille ou un illustre personnage. Sa mère se plait à prendre des boutures partout où elle passe pour les replanter et donner ainsi un passé et un avenir à ses essences. 

"Je n'étais pas la seule rêveuse. Mes parents avaient fait du jardin une forêt de symboles"

Catherine a elle aussi droit à son petit jardin où elle se plait à régner comme si c'était le domaine de Versailles. Très vite, elle se prend de passion pour les légumes, les fleurs et aime les dessiner. Son autre passion, c'est dessiner, elle rêve de devenir illustratrice naturaliste, jusqu'à ce qu'une désillusion la pousse malgré elle vers la caricature...( Pour info, Catherine Meurisse est autrice de BD et fait aussi des dessins de presse, notamment pour Charlie Hebdo).

Au fil des pages, à travers les conversations qu'à Catherine avec ses parents, le récit se fait critique vis à vis de l'agriculture intensive, comme du remembrement responsable de la disparition des haies dans les champs, [avant que des "haies nouvelles, bien alignées, bien proprettes composées d'essences idiotes qui n'ont pas de passé et qui ne croissent jamais!" y soient plantées]. Mais dennonce aussi les travers de la société de loisirs, qui grignote progressivement les terres sauvages du pays. 

Le récit fourmille de références à la mythologie, à Pierre Loti, mais aussi de références littéraires (Zola mais surtout Marcel Proust). Les dialogues sont à la fois simples et pourtant souvent porteurs d'un message philosophique, sociologique et surtout écologique, ce qui rend la lecture de cet album à la fois enrichissante, drôle et émouvante.


"Étymologiquement le jardin signifie l'enclos, le paradis. Dedans, il y a l'agréable, la sécurité, le nourrissant, le spirituel..."

Les grands espaces c'est un hymne à la nature, au jardin, mais aussi à la littérature, à l'art comme moyens d'évasion, d'épanouissement et d'enrichissement personnel à portée de tous.
"La littérature est le meilleur des tour-opérateurs." (p 66)

Cet album, largement autobiographique et à forte consonance écologique, est très lumineux, empreint de la naïveté et de la curiosité de l'enfance, il se présente aussi comme une ode à la liberté et à la découverte.

Les dessins sont à la fois doux et drôles, percutants et touchants. J'ai lu cette BD d'une traite et la recommande vivement.

Les grands espaces / bande-dessinée de Catherine Meurisse,
mise en couleur par Isabelle Merlet. - Dargaud, 2018

mercredi 19 août 2020

"Sharp Objects" superbe petite série en mode thriller psychologique

Cela fait bien longtemps que je n'ai rien écrit sur une série TV, pourtant j'en regarde un certain nombre ! Et ce, faute de temps et, il faut bien l'avouer, de motivation... Mais là, j'ai vraiment eu un gros coup de coeur pour cette petite série américaine co-réalisée par Jean-Marc Vallée et je tenais à le partager ! Sharp Objects (objets coupants) est une série TV produite par HBO qui date de 2018 diffusée sur la plateforme OCS. Elle compte 8 épisodes qui durent en moyenne 60 minutes chacun. La série est disponible en DVD et en Blue-ray également.

J'aime beaucoup l'univers de Jean-Marc Vallée (CRAZY, Dallas Buyer Club...) et j'avais déjà beaucoup aimé les deux saisons de la série Big Little Lies du même réalisateur que je vous recommande vivement (la série passe bientôt sur TF1 !). Encore une fois, je ne suis pas déçue et j'ai carrément adoré Sharp Objects ! Le casting est moins impressionnant certes mais dès les premières images on sent la profondeur de la série, on retrouve l'ambiance propre au réalisateur, il y a quelque chose de rétro et d'intemporel dans les décors, l'image est soignée, chaque détail a son importance, chaque regard et chaque geste a du sens.  Des silences, des murmures, des non-dits, des bruits, des portes qui claquent, des regards en biais... L'ambiance est pesante, les personnages plein de secrets.

L'histoire :

Camille Preaker est journaliste à Saint Louis. Après de longues années d'absence, elle revient non sans quelques appréhensions dans sa ville natale, Wind Gap, une bourgade paumée au fin fond du Missouri  pour écrire un article sur deux meurtres d'adolescentes. Le jeune femme loge chez sa mère, Adora, une femme froide et taciturne, bourgeoise respectée qui fait partie de l'élite de la ville, et qui a refait sa vie depuis le départ de Camille. Celle-ci se montre froide et cruelle avec sa fille alors qu'elle ne l'a pas vu depuis des années. Camille croise aussi de vieilles connaissances avec qui elle reste courtoise mais qui lui rappellent un passé d'ado qu'elle préférerait oublier.

Camille Preaker interprétée par Amy Adams

Chaque épisode révèle des flash back sur l'enfance de Camille, des images, des sensations qui lui reviennent. Dès le premier épisode resurgissent des souvenirs douloureux. On comprend qu'elle a voulu fuire cette ville. Camille a perdu sa soeur étant enfant. Les relations avec sa mère sont tendues, compliquées. On sent dès le début qu'il y a beaucoup de tension, de non dits, de rancœur. Camille rencontre pour la première fois son autre soeur, issue d'une autre union de sa mère. Amma est une adolescente à double personnalité : petite fille sage et craintive en quête d'affection pour sa maman, ado rebelle en quête de sensations fortes avec ses copines. Camille va vite découvrir les deux volets de la personnalité de sa jeune soeur dont elle va se prendre d'affection.

Amma, la soeur de Camille

On suit donc le retour dans sa ville natale depuis son point de vue, son ressenti. Camille vient pour écrire sur les deux meurtres mais elle va surtout devoir affronter ses vieux démons, sa souffrance (on découvre vite qu'elle s'inflige des souffrances physiques et qu'elle est assez perturbée) et faire face à son étrange famille. La journaliste, qui apparaît d'abord comme forte et déterminée va progressivement se laisser submerger par les souvenirs, les émotions, la cruauté de sa mère, l'ambiance nocive de cette bourgade...
Elle va se rapprocher de Richard, un flic venu de Kansas City qui enquête sur les meurtres des jeunes filles.

Voici le trailer pour se faire une idée : 

Au fil des épisodes on en apprend un peu plus sur la psychologie des personnages, leurs failles, leurs ambiguïtés. Et surtout sur l'état psychologique de Camille, jeune femme meurtrie à différents niveaux. 

Sharp Objects est une série sur les relations mère-fille toxiques, sur la construction de soi. Je ne vais pas en dire plus de peur de "spoiler" mais c'est une série superbement réalisée et un thriller psychologique haletant. Il y aurait d'ailleurs beaucoup à dire sur la psychologie des différents personnages, même ceux plus "secondaires". 

Adora, la mère de Camille et son compagnon

J'ai été vraiment scotchée par le dénouement qui donne envie de revoir la série depuis le début pour y déceler des indices et s'en faire une nouvelle interprétation.

La série est adaptée d'un roman de Gillian Flynn "Sur ma peau" (" les Apparences" qui a inspiré le film Gone Girl) que j'ai envie lire pour approfondir la psychologie des personnages.

Sharp Objects est une série vraiment réussie : de superbes images, des dialogues réfléchis et percutants, une bande son épatante comme toujours avec JM Vallée, une intrigue bien ficelée et des actrices remarquables.

Sharp Objects / série américaine produite par Marti Noxon et réalisée par Jean-Marc Vallée, avec Amy Adams, Patricia Clarkson, Chris Messina . HBO, 2018