samedi 12 décembre 2020

Emouvant récit biographique sur Marie Curie entre essai, roman, et autobiographie.

Dans un cadre professionnel, j'ai été amenée récemment à lire ce livre de Rosa Montero. Je n'avais encore jamais lu de romans de cette auteure espagnole pourtant très connue. Onze de ses romans ont d'ailleurs été traduits en français. Son style d'écriture m'a beaucoup plu, ce qui m'encourage à vraiment à lire ses autres livres.

L'idée ridicule de ne plus jamais te revoir est un peu un OLNI (objet littéraire non identifié). Ce n'est pas un roman, ce n'est pas un essai à proprement parler mais ce récit se situe entre la biographie de Marie Curie avec une touche d'autobiographie de Rosa Montero.


L'origine du livre? Rosa Montero a été sollicitée pour écrire une petite biographie sur Marie Curie mais elle s'est tellement pris de passion pour l'histoire de la chercheuse que sa petite bio s'est transformée en un récit de 175 pages! :-) L'auteure a été particulièrement touchée par le deuil qu'a vécu Marie Curie après le décès soudain de son mari alors qu'il n'avait que 46 ans et deux petites filles à charge. Elle se penche sur la Marie Curie "intime", celle qu'on ne connait pas. Elle cherche sous la carapace de la chercheuse déterminée à l'apparence froide et dure pour en faire un portrait vraiment touchant d'une femme brillante et combative.

En gros, ce petit livre très bien écrit est une suite de réflexions sur la vie de Marie Curie, ce n'est pas vraiment une autobiographie car sa vie n'y est pas décrite de manière toujours très chronologique. Mais cet ouvrage contient de nombreuses réflexions sur la vie en générale, sur la liberté, les injonctions, sur le fait d'avoir des enfants ou non, sur la difficulté de s'affirmer et de s'émanciper en tant que femme,  les diktats moraux, sociétaux, familiaux, etc.  Et c'est, bien sûr, un beau livre sur l'amour, la perte de l'être aimé, les rapports à la mort, la gestion du deuil.

Personnellement, j'ai appris plein de choses sur la vie de Marie Curie. Cette femme a fait preuve toute sa vie d'un courage incroyable ! D'abord pour quitter son pays toute seule à la fin du 19ème siècle afin de suivre son rêve, à savoir faire des études de physiques à Paris, puis pour entreprendre une carrière de scientifique tout en étant dévalorisée par ses compères masculins, et enfin pour avoir tenter de concilier carrière de chercheuse et vie de famille, au détriment d'ailleurs de sa santé. Et surtout pour avoir fait face toute sa vie à toutes sortes de pressions, de la part de ses proches, de la communauté scientifique et de la société.

Rosa Montero fait quelques parallèles avec sa propre histoire d'amour et le décès de son mari mort des suites d'une longue maladies. L'auteure compare leurs souffrances, leurs réactions face au deuil, face aux autres.

Derrière son apparence froide et dure, elle présente une Marie Curie aux multiples fragilités, prête à ne plus se nourrir faute de temps, une bête de travail capable de se mettre en danger physiquement, une femme amoureuse et passionnée... 

L'analyse faite par Rosa Montero de la psychologie et de la combativité de la chercheuse est à la fois très pertinente et touchante. La rencontre de Marie avec Pierre Curie, la naissance de ses filles, son combat pour mener en même temps une vie de famille et une vie de brillante chercheuse... Elle dû faire face toute sa vie au machisme et au manque de considération de ses homologues masculins et faire deux fois plus ses preuves qu'un homme. Pourtant elle ne s'est jamais plains à continuer à travailler dans la douleur et même dans la peine. Après la mort soudaine de son mari, Marie dû se battre encore davantage pour son travail, les scientifiques de l'époque tentant de saper son prestige, son travail, jaloux de sa réussite ne supportant pas son statut de femme scientifique.

Rosa Montero a suivi des études de psychologie et cela se ressent grandement dans ce livre : elle parvient à sonder l'âme humaine avec beaucoup de justesse ! Journaliste de métier, cela se reflète également dans ce récit, très bien documenté, écrit avec le coeur.

Le récit devient stupéfiant et effrayant quand l'auteure décrit les manipulations du radium que faisaient le couple Curie au détriment de leur santé ! Pierre avait toujours un peu de radium sur lui, ils faisaient une sorte de déni des dangers de la radioactivité, comme s'ils se sentaient intouchables.
D'ailleurs, le déni ou l'ignorance étaient collectifs : peu de temps après la découverte du radium, l'enthousiasme sur la découverte de ce nouvel élément était tel qu'on en retrouvait dans des cosmétiques et même des produits pour bébé... Sidérant !
Pierre et Marie Curie furent d'ailleurs très malades à la fin de leur vie (courte vie pour Pierre, qui ne pouvait presque plus marcher tellement les douleurs étaient fortes) mais ils ne reconnurent jamais les effets néfastes du radium.

J'ai plutôt bien aimé ce petit livre émouvant et bien écrit. La seule chose qui m'a un peu gênée ce sont des mots "clés" précédés de haschtags # , j'avoue ne pas comprendre vraiment ce que ça apporte au récit. Le rendre plus contemporain?

Mis à part ça, L'idée ridicule de ne plus jamais te revoir est une lecture originale et intéressante !

L'idée ridicule de ne plus jamais te revoir / Rosa Montero. - Metaillé, 2015

A propos des relations parents-enfants : "[...] ces relations tellement essentielles sont entretissées de bonheur et de douleur. Il est inévitable, je suppose, de se projeter d'une façon ou d'une autre dans ses enfants, tout comme il est inévitable pour les enfants d'exiger de leurs parents une dimension mythique impossible." p 67

"Procréer est une étape de la maturité physique et psychique : seul cet amour absolu et étincelant que les parents éprouvent pour leurs enfants permet de dépasser l'égoïsme individuel qui vous fait placer votre propore intégrité au-dessus de tout. Je veux dire que les parents sont capables de mourir pour leurs enfants : c'est un impératif génétique, un moyen de survie de l'espèce mais c'est aussi un mouvement du coeur qui vous rend plus complet, plus humain." p 67-68

"Ce radium resplendissant et puissant enflamma l'imagination des êtres humains : c'était le principe même de la vie, une pincée de l'énergie du cosmos, le feu des dieux apporté sur la Terre par ces nouveaux Prométhée qu'étaient les époux Curie.[...] l'enthousiasme atteignit des niveaux si élevés que ce nouvel élément commença à être dangereusement et inconsciemment utilisé pour tout, comme s'il s'agissait d'un baume magique." p 89

"[...] j'ai la sensation croissante qu'il existe un continuum dans l'esprit humain. Qu'il y a ,en effet, un inconscient collectif qui nous entretisse, comme si nous étions un banc de poissons sérrés qui dansent à l'unisson sans le savoir. Et les #Coïncidences font partie de cette danse, de ce tout, de cette musique, de cette chanson commune que nous n'arrivons pas à écouter tout à fait parce que le vent ne nous apporte que des notes isolées." p 123

L'auteure à propos du deuil : "Et c'est bizarre parce que ,malgré le temps qui passe lorsqu'elle se met à faire mal, la douleur éclate en vous moins fréquemment eet vous pouvez vous souvenir de votre mort sans souffrir.Mais quand la peine surgit, et vous ne savez pas très bien pourquoi elle le fait, c'est la même lacération, la même braise." p 151

"Mais la littérature, ou l'art en général, ne peux pas atteindre cet espace intérieur. La littérature s'applique à tourner autour du trou. Avec de la chance et avec du talent, peut-être qu'on parviendra à jeter à l'intérieur un coup d'oeil rapide comme l'éclair. Ce flash illumine les ténèbres, mais de manière si brève qu'il n'y a qu'une intuition, pas une vision. En outre, plus vous vous approchez de l'essentiel, moins vous pouvez le nommer. La moelle des livres se trouve aux coins des mots. Le plus important des bons romans s'amasse dans les ellipses, dans l'air qui circule entre les personnages, dans les petites phrases." p 165