vendredi 30 décembre 2016

Bouffée d'air frais en provenance du Groenland avec un film léger, émouvant et drôle

En cette fin d'année j'avais envie de voir un film calme, sans violence et sans drame, qui permet de s'évader un peu. Aussi, je me suis dit qu' "un voyage au Groenland" devait bien permettre de déconnecter de l'actualité tellement déprimante ! Et c'est chose faite avec ce petit film français à la fois émouvant et drôle réalisé par Sébastien Betbeder (Inupiluk, 2 automnes 3 hivers)


Le réalisateur s'est inspiré d'une histoire familiale pour réaliser ses deux films. En effet, avec un frère explorateur polaire, (Nicolas Dubreuil,) il avait matière à raconter le milieu arctique ! Ce dernier a accueilli deux inuits chez lui en 2013. L'occasion pour Sébastien Betbeder de réaliser ensuite un moyen-métrage sur la venue des deux groenlandais. À la fin du film, ces derniers invitent en retour les Français à les retrouver au Groenland...


Le voyage au Groenland est donc une suite à ce précédent film, version long-métrage cette fois. On retrouve les mêmes acteurs, Thomas Blanchard et Thomas Scimeca, naturellement drôles avec leurs têtes d'ados attardés.

Bande-annonce : 


L'histoire :

Deux amis d'enfance, prénommés tous deux Thomas, se rendent dans un village groenlandais, à Kullorsuaq, petite île située le long de la côte ouest de l'île polaire, face au Canada, où est allé vivre le père de l'un d'eux. Tous deux sont des comédiens occasionnels et intermittents du spectacle, un peu paumés dans la vie. Pour eux, ce voyage au grand Nord est comme une parenthèse dans un quotidien assez laborieux mais c'est aussi l'occasion de faire de belles rencontres.


C'est ainsi que les deux trentenaires parisiens se retrouvent au bout du monde, à découvrir les us et coutumes de ces habitants perdus dans le froid polaire, en marge de toute civilisation. Ils vont faire l'expérience du jour sans fin, des nuits sans nuit, de l'immensité glacée, du calme imperturbable, des fêtes sans alcool, de la chasse au phoque, des traditions assez rustiques, d'un mode de vie plutôt rude mais aussi côtoyer des inuits généreux, accueillants et ouverts d'esprit.


La réalisation du film est quasi documentaire et empreinte d'un grand réalisme ce qui contribue certainement à l'effet immersif et quelque peu mélancolique qui en ressort. C'est un film plein d'empathie et de générosité avec, en plus, une pointe d'humour. Loin des clichés qu'on retrouve habituellement dans les comédies potaches abordant les différences culturelles, les particularités des deux cultures sont traitées ici avec beaucoup de pudeur et d'humanité. Pas de vannes lourdes ni de caricature, l'humour est subtil, presque involontaire. Rien que par leurs têtes et leurs expressions, les deux personnages principaux font rire. Mais derrière leur fausse naïveté et leurs airs juvéniles se cachent des interrogations d'adultes un peu perdus dans la vie.


Le film est ponctué de dialogues et scènes quasi absurdes comme lorsque les deux amis font un footing dans leur combi et leurs bottes de neige sous les yeux ébahis des autochtones qui ne comprennent pas pourquoi ils sont si pressés ! Ou encore, lorsqu'ils campent sous tente au milieu du désert arctique et que, d'un coup, au milieu de la "nuit", l'un d'eux pense à son actualisation Assedic.


En parallèle, la vie des Inuits apparaît pleine de contrastes : d'un coté des modes de vie ancestraux, un peuple qui vit de la pêche et de la chasse, une grande solitude aussi qui pousse parfois certains à commettre le pire, et, d'un autre coté, des groenlandais ancrés malgré tout dans la modernité, qui jouent du rock ou écoutent du hip hop, vont sur Internet (avec des connexions assez laborieuses, mais quand même...), font leurs courses dans des supermarchés, et dont les ados suivent les modes vestimentaires.


Perdu dans ce bout de banquise, les deux amis font face aussi à leurs différences de caractères : l'un est plus timide, en retrait, a plus de mal à s'intégrer tandis que l'autre a plus d'aisance et se plie aux coutumes locales sans trop de problème. Tout en retenu, sans éclat de voix ni épanchement, on sent que les deux compères sont confrontés à leurs faiblesses et se remettent doucement en question.
Le voyage au Groenland est un film sur les relations humaines que ce soit entre amis, en famille ou avec des inconnus issus de culture différente. C'est aussi une histoire qui aborde la difficulté de communiquer avec ses proches, par pudeur ou timidité ou encore la faculté de s'intégrer ou non dans un pays étranger.
On comprend facilement que, face à cette immensité de blanc et de pureté immaculée, il est facile de se remettre en question!


Pour résumer, je dirai que Le voyage au Groenland est un joli petit film sans prétention qui a le mérite de nous présenter un peuple méconnu avec intelligence et pudeur. De plus c'est un film réalisé par des températures extrêmes (-20 degrés !) avec du matériel utilisé normalement pour tourner des documentaires en climat polaire.
Enfin, sachez qu'après ce film, aurez envie de manger des crêpes accompagnées d'un bon chocolat chaud !

Le voyage au Groenland / film français réalisé par Sébastien Betbeder, avec Thomas Blanchard et Thomas Scimeca. Sortie le 30 novembre 2016.

Secrets de tournage
: le réalisateur a tenu un carnet de bord sur Internet et une web série racontant la préparation du film tout au long du tournage au Groenland !


mercredi 28 décembre 2016

Et si on décryptait le graphisme des films Disney? Rendez-vous au musée de l'art ludique !


Récemment, lors d'une petite escapade à Paris, j'ai eu l'occasion de me rendre au musée d'art ludique. Cet établissement privé est assez récent puisqu'il a été inauguré en novembre 2013. Situé sur les bords de Seine, à deux pas de la gare d'Austerlitz dans un bâtiment à l'architecture futuriste appelé "Les docks", le musée côtoie la Cité de la mode et du design.
"Abolissant les frontières entre bande dessinée, manga, jeu vidéo, cinéma live action ou film d’animation, l’Art Ludique met en valeur les œuvres des créateurs d’univers qui marquent notre imaginaire et influencent la culture de notre siècle." L'objectif du musée d'art ludique est de montrer le coté artistique des films d'animation. Y ont déjà été proposées des expos sur les studios Pixar, Marvel, Ghibli (Myazaki), Aardman... Sur le site du musée on peut d'ailleurs voir une rétrospective de ces différentes expositions.

vue depuis les berges de la Scène sur le bâtiment "Les docks" 
dans lequel se trouve le musée d'Art Ludique

L'art graphique de Disney à l'honneur


Actuellement, et jusqu'au 5 mars, c'est l'incontournable studio de Walt Disney qui est à l'honneur. Mais, plutôt qu'aborder une énième fois l'aspect historique ou la "succes story" que l'on connait par coeur, c'est ici l'aspect graphique qui est étudié. Vous croyez tout savoir sur le maître du dessin animé ? Peut-être connaissez-vous par coeur les films, (ce n'est pas mon cas) mais savez-vous comment ils ont été préparé en amont ? On oublie souvent que, derrière ces histoires qui font rêver petits et grands il y eut des heures de recherche pour trouver le croquis parfait, un travail graphique monumental, la réalisation de milliers de planches, leur juxtaposition et enfin leur mise en animation.
De plus, si on met de coté l'aspect pop culture de Disney, on retrouve dans certains films d'animation l'influence des grands mouvements artistiques, avec quelques fois une pointe de surréalisme,  de cubisme, ou encore d'abstraction.


La nature comme source d'inspiration

L'intitulé exact de l'exposition est  "L’Art des studios d’Animation Walt Disney "le mouvement par nature". Cette exposition a pour objectif de montrer que les artistes de Disney se sont depuis toujours inspirés du réel et de la nature pour réaliser leurs dessins, notamment en étudiant scrupuleusement les mouvements et en essayant de rendre les émotions les plus crédibles possibles.
En déambulant dans les salles du musée, on voit bien comment les techniques de dessin ont évolué avec le temps, passant du dessin à la main au début (de belles esquisses au crayon, des dessins à la gouache ou au  pastel) aux images de synthèse actuelles.



Une visite chronologique et interactive

La visite se fait dans l'ordre chronologique, commençant par la projection du premier cartoon Disney, Steamboat Willie, sorti en 1928, accompagné des esquisses de préparation. Le musée compte une vingtaine de salles dans lesquelles sont présentées plus de 400 oeuvres, des planches de dessins réalisées à la main en vue de la préparation des plus grands dessins animées. La scénographie est à la fois sobre et colorée. Chaque salle présente le travail préparatoire d'un ou deux dessins-animés représentatifs de l'art graphique Disney. Les planches illustrées sont accompagnées de texte explicatif et plusieurs extraits des dessins animés sont également diffusés. De plus, la visite est interactive grâce aux audio-guides. C'est d'ailleurs très important car sans cela je ne suis pas sûre que j'aurai bien apprécié la visite sans.

photo de la salle présentant le travail graphique sur Blanche Neigehttp://www.chroniquedisney.fr/dossier/2016-expo-disney-mouvement-nature.htm

Les 4 grandes périodes de Disney sont représentées : la période des héros animaliers des années 30-40-50, avec par exemples Bambi et Dumbo puis l'entrée dans l'air du modernisme et du cubisme avec la sortie en 1951 d' Alice au pays des merveilles. Dès lors, les dessins sont plus colorés et plus créatifs (La belle et le clochard, Les 101 dalmatiens). Ensuite, dans les années 80, les studios Disney reviennent aux fondamentaux tout en se modernisant, avec des histoires de princesses revisitées : La petite sirène, Pocahontas. C'est aussi l'apparition des premières techniques numériques. Enfin, à la fin des années 90 et durant les années 2000 on retrouve des personnages à plus fort caractère comme Mulan. C'est aussi la période des grosses évolutions techniques comme en témoignent les images de préparation du film Les mondes de Ralph.


dessin de La reine des neiges

Moi qui suis loin d'être une fana de Disney - je n'ai pas vu la moitié des films représentés à l'expo-  j'ai trouvé intéressant la présentation du travail des graphistes, ces petites mains qui travaillent dans l'ombre. La scénographie est très bien faite et on suit vraiment l'évolution des techniques au fil des décennies.


Aussi, on apprend que pour dessiner les esquisses de "bambi", un jeune faon fut amené dans les studios, et une quinzaine de personne se mettaient autour de lui pour le dessiner. (pauvre petit faon des années 40!) Des années plus tard, notamment pour la préparation du Roi Lion, ce sont les équipes elles-mêmes qui se déplacent dans les quatre coins du monde pour observer les animaux dans leur milieu naturel afin de les rendre le plus crédible possible dans leurs dessins !



Une sélection d'oeuvres les plus représentatives de l' "art Disney"

Au vue de la production énorme des studios Disney en plus de 80 ans (plus de 240 films d'animations réalisés), seuls les plus représentatifs en terme de graphisme ou de changement technique sont à l'honneur ici.
Au gré des salles on admire ainsi des planches de Blanche Neige et les sept nains (1938) ; Pinocchio ; Fantasia ; Dumbo ; Bambi (1948) ; La Belle et le Clochard ; Les 101 dalmatiens ; Pocahontas; Mulan ; Tazan ; Raiponse ; La Belle et la bête ; La reine des neige ; Les nouveaux héros; Zootopie, etc. Ce ne sont donc même pas dix pour cent des films d'animations des studios Disney qui sont décryptés ici ! (Voir la rétrospective des films Disney ici)
C'est un véritable parti pris du musée qui, en collaboration avec la Walt Disney Animation Research Library, a effectué une sélection drastique et a trouvé que les films précités étaient les plus représentatifs graphiquement.

dessin de Pinocchio

De manière générale, j'ai trouvé cette exposition intéressante car elle montre un aspect souvent méconnu des studios Disney mais néanmoins très important : la préparation graphique en amont. De plus, l'aspect "mondialisation" de Disney est mis de coté pour s’intéresser uniquement au coté artistique et ce n'est pas pour me déplaire.
Malgré l'entrée assez chère (15€ par personne) l'exposition est judicieusement réalisée et permet de voir de magnifiques dessins dans des styles variés. Les explications sont claires et très enrichissantes (merci l'audioguide qui facilite grandement la visite). Ça m'a donné envie de voir ou de revoir certains films Disney, sur lesquels, c'est sûr je porterai dorénavant un autre regard !

« L’Art des studios d’Animation Walt Disney – Le Mouvement par Nature » / exposition au musée de l'Art ludique, à Paris, du 14 octobre 2016 au 5 mars 2017
Vidéo de présentation : http://www.artludique.com/video.html

mardi 20 décembre 2016

"La compagnie des artistes" : un beau roman d'apprentissage empreint de suspens psychologique

La compagnie des artistes est le dernier roman de Chris Womersley, un auteur australien que j'avais découvert il y a quelques années en lisant Les Affligés, un roman à l'ambiance sombre et gothique relatant un drame familial à l'issue de la Première Guerre Mondiale (vous pouvez d'ailleurs relire ma critique ici même.)
Dans ce nouveau roman, changement d'époque et de contexte. Chris Womersley nous transporte dans Australie des années 80, en particulier dans le milieu bohème et artiste de Melbourne, à travers un roman d'apprentissage teinté de suspense psychologique.


L'histoire :

Tom a 18 ans et s'ennuie dans sa petite ville province. Il se sent seul, mal dans sa peau et incompris par sa famille. Lorsque l'opportunité s'offre à lui de partir pour Melbourne, grande ville étudiante et culturelle, il n'hésite pas une seule seconde, bien décidé à prendre enfin son envol. Il loge dans l'appartement de sa tante décédée qu'il admirait tant, ses parents ayant hérité de l'appartement situé dans le quartier de Cairo. En contrepartie, Tom s'engage à faire des études et à retaper l'appart. 
Rapidement, il rencontre ses nouveaux voisins, Max et Sally, un jeune couple d'esthètes un peu loufoque, passionnés de musique, de littérature et d'art. Seul et toujours en quête de reconnaissance, Tom est vite comblé par l'intérêt qu'ils lui portent et admire ce couple énigmatique qui semble si cultivé et épanoui. Max, Sally et leurs amis vont lui faire découvrir le milieu de l'art ainsi que la vie nocturne de Melbourne. Grisé par son souhait d'indépendance, sa soif de liberté, son besoin de rencontre, et toujours emprunt d'une douce naïveté, Tom se laisse emporter, dès fois malgré lui, dans une vie de bohème et d'arnaques. Bien qu'en désaccord avec certains des actes de ses nouveaux amis, il aura toutefois bien du mal à leur refuser quoi que ce soit, au risque de se retrouver piéger dans un engrenage.

Le livre s'ouvre par un prologue où le narrateur livre ses pensées des années après les faits relatés dans le roman. C'est à ce moment là un homme d'âge "mur" encore hanté par ces personnes croisées dans sa jeunesse qui ont bouleversé son existence.
"Il y a d'autres choses dont je me souviens, des choses si bizarres que même aujourd'hui après toutes ces années, je me demande si c'est vraiment arrivé, si ce n'était pas tout simplement le fruit de l'imagination exaltée d'un jeune homme - une imagination à jamais associée à l'odeur de térébenthine et de peinture à l'huile, à un motif récurrent au piano, à un coup de feu, à un rire moqueur, à un premier chagrin d'amour" (p 13) On sait déjà qu'il s'est passé quelque chose de grave, qu'il était amoureux d'une certaine Sally. A elle seule, cette phrase résume plutôt bien tout le roman !

La première moitié du livre s'apparente à un roman d'apprentissage relatant les pensées et états d'âmes d'un jeune homme passant à l'âge adulte : Tom cherche sa voie, fait des rencontres, tombe amoureux, cherche à s'affirmer.... Quelques passages m'ont semblé un peu longuets, alternant descriptions de personnages excentriques et déambulations dans des fêtes et j'avais du mal à voir où l'auteur voulait en venir. On se rend vite compte que les personnages de Max et Sally sont ambigus, manipulateurs, nocifs. Mais, pendant 150 pages, on attend qu'il se passe quelque chose, on attend ce drame annoncé dès les premières pages.

Le basculement se fait vers le milieu du roman et cette seconde partie est du coup beaucoup plus captivante! Il s'y passe plus de choses et plusieurs rebondissements vont bouleverser la vie de Tom. Des failles apparaissent rapidement dans les portraits psychologiques des personnages. Tous ont des fêlures. On sent le drame arriver mais on ne sait pas par qui, ni comment cela va surgir. A ce titre, cette deuxième partie tient plus du thriller psychologique !
Autant je me suis un peu forcée à la lecture durant les cent premières pages, autant les cent dernières je les ai lu avec beaucoup plus de plaisir et de hâte !

La compagnie des artistes évoque bien entendu le milieu de l'art, en particulier la peinture, du processus de création à l'aspect commercial de l'oeuvre. Mais c'est surtout un roman qui dresse différents profils psychologiques : des personnages ambigus, fragiles, manipulés ou manipulateurs, en quête de reconnaissance... En tant que "roman d'apprentissage", c'est un livre sur le passage à l'âge adulte, la perte des illusions, la naïveté à l'épreuve de la réalité du monde. Enfin, c'est également un livre sur l'amour : l'amour qui rend aveugle, l'amour qui pousse à faire n'importe quoi, l'amour impossible, le premier amour. Quelques exemples avec les citations ci -dessous. 
Quelques citations :

"Je suis plein d'une chose tellement plus riche et savoureuse que l'amour, et ce n'est rien d'autre que ceci : son ardente promesse." p 11

"Ces rêves ont également, à l'évidence, un caractère prémonitoire et menaçant, ce filigrane qui n'est perceptible que rétrospectivement. Ce sont comme des dépêches du passé. J'ai presque du mal à croire ce qui s'y passe, à quel point c'est féroce et beau." p . 12

" Il est des périodes dans la vie qui nous marquent à jamais, des saisons ou des journées qui déterminent notre personnalité si totalement que c'est à l'aune de ces moments là que le reste de notre existence se mesure, tout comme il existe peut-être une seule photo de nous à avoir saisi notre véritable moi." p 14

"Comme les tableaux, les gens sont jugés sur les apparences, mais ils renferment une foule de secrets pour ceux qui savent les débusquer. La tâche du connaisseur est comparable à celle du juge qui cherche à démêler le vrai du faux. Il y a l'instinct et il y a la science. " p14

"Le premier amour est comme une nostalgie du présent : on sait, à une sorte de niveau moléculaire, que ça ne se reproduira pas. La tragédie, c'est qu'on ne peut jamais calculer cela, jusqu'au jour où l'on sait que ça ne reviendra plus." p 211

"Notre appréciation de l'oeuvre d'art est souvent sans commune mesure avec ses qualités esthétiques intrinsèques, poursuivit Gertrude, s'échauffant sur ce thème. Ce qui intéresse les gens, c'est l'aura qui l'entoure. L'artiste, l'époque de sa création et ainsi de suite. Comme pour une marque. C'est ridicule. Dans les musées, on e voit qui passent au pas de charge devant une oeuvre. Puis ils s'aperçoivent qu'elle est signée d'un peintre célèbre, alors ils reviennent pour s'extasier. Bang ! Leur opinion change du tout au tout..." p 241

"C'est quoi l'amour pour toi? "Une chaumière et un coeur?" L'amour, c'est compliqué, embrouillé. Une forêt sombre. C'est difficile de trouver comment en sortir, à supposer qu'on le veuille." p 338

mercredi 7 décembre 2016

Le changement c'est maintenant, alors "qu'est-ce-qu'on attend ?" Un village d'Alsace montre l'exemple.

Il était une fois un village d'irréductibles gaulois qui résistaient à la mondialisation, au capitalisme et au repli sur soi. Quoi, ça existe? Oui ! Et ce village n'est pas si loin d'ici puisqu'il se trouve dans le Haut-Rhin, à Ungersheim.
Porté par un maire écologiste consciencieux, déterminé à faire bouger les choses, cette petite ville de 2000 habitants est entrée en "transition" dès 2005. En transition vers quoi ? Vers une autonomie intellectuelle, alimentaire, énergétique et sociale, vers une réduction de l'utilisation du pétrole et, de ce fait, de son empreinte carbone. Cette démarche a été formalisée en 2009 dans une feuille de route intitulée "21 actions pour le 21ème siècle".


La documentariste Marie-Monique Robin, réalisatrice d'un documentaire sur l'entreprise Mosanto en 2008 et d'un autre film sur les sociétés autonomes, s'est intéressée au cas de cette commune française qui fait figure d'exemple. Après plusieurs mois d'immersion en 2015 à Ungersheim au contact des habitants, elle a réalisé un documentaire montrant la mise en place de ces projets de transition.

Bande-annonce :


On est loin des effets de style et du dynamisme pédagogique du film Demain qui alternait voix off, interviews, démonstrations graphiques, etc. Loin aussi de la réalisation hollywoodienne du film de Leonardo Di Caprio sur le réchauffement climatique, Avant le déluge, réaliste, alarmiste et finalement assez pessimiste. Dans Qu'est-ce-qu'on attend? la réalisatrice reste centrée sur les habitants de la commune d'Ungersheim, prenant le temps de les interroger sur leur ressenti, leur travail, leur action dans cette ville en transition, sans apporter de commentaires ou d'analyse.

Le film se compose d'une succession d'entretiens avec les habitants du village, réalisés quelques fois en aparté, d'autres fois dans leur milieu professionnel ou lors des réunions communales participatives. La réalisatrice montre comment des villageois ont été emportés par le dynamisme de leur maire et se sont intéressés davantage à l'écologie et à la vie de leur commune. J'ai particulièrement été touchée par le témoignage d'une mamie de 85 ans toujours aussi motivée pour faire changer les choses ainsi que d'une femme en contrat d'insertion qui s'est découvert une vocation dans le travail de la terre.
D'autres habitants témoignent de leur reconversion professionnelle, de leur souhait d'adopter un mode de vie plus sain et plus éthique, ou, simplement, de leur découverte des bienfaits de l'économie sociale et solidaire.


La commune d'Ungersheim s'est engagée à travers ses 21 actions à améliorer les différents aspects de la vie quotidienne de ses administrés. Plusieurs aspects sont abordés dans le film.
En terme d'agriculture et d'alimentation, le village s'est réapproprié des champs pour cultiver des légumes destinés aux habitants du village plutôt que du maïs destiné à l'industrie agro-alimentaire, à cultiver d'anciennes variétés de blés pour faire du pain bio, à proposer une alimentation exclusivement biologique notamment dans les cantines scolaires et ce, grâce à la gestion d'une ferme maraîchère.
En terme d'économie solidaire, la commune encourage les circuits-courts grâce toujours à la gestion de la ferme employant des personnes en contrat d'insertion, à la mise en place d'une monnaie locale et, au final, la création d'une centaine d'emplois !
Concernant l'habitat, la ville suit la construction d'un éco-hameau participatif et d'une maison de la nature. Pour les transports, le cheval a été réimplanté au coeur de la vie du village pour les transports scolaires ou le travail aux champs.
Et enfin, du point de vue énergétique, Ungersheim a investi dans une éolienne en faisant participer les enfants de l'école à son élaboration et a réhabilité l'ancienne exploitation minière en champ photovoltaïque.


Et surtout, l'aspect incontournable de cette transition c'est le coté participatif. En effet, les citoyens ont été sollicités et se sont impliqués de diverses manières dans la vie de leur village. Les notions de lien social et de solidarité souvent oubliées dans notre société individualiste ont ainsi été remises au goût du jour.

Pour finir, Rob Hopkins, enseignant en permaculture, fondateur du réseau de la Transition en 2006 fut l'invité de la commune pour l'inauguration des projets énergétiques. Il salua le travail engagé par ce maire, tout en encourageant de nouvelles initiatives comme celles-ci.


Le rythme du film est plutôt lent (j'ai trouvé d'ailleurs quelques longueurs) mais je pense que c'est intentionnel afin de laisser le temps aux protagonistes de s'exprimer calmement et au spectateur d'assimiler les nombreuses informations. D'ailleurs, à un moment dans le film est abordée la notion de temps, soulignant le fait que dans notre société, nous avons perdu la notion du temps véritable... Veillez toutefois à ne pas être trop fatigué lorsque vous regarderez le film qui dure quand même deux heures. 

J'ai trouvé ce documentaire encourageant et enrichissant même s'il n'a qu'un rôle d'observateur. Contrairement aux autres documentaires cités plus haut, il n'y a pas vraiment d'analyse ici, juste un constat, un regard sur la concrétisation d'initiatives locales. A nous de faire des recherches pour en savoir plus, notamment sur le site de la commune.
En effet, la réalisatrice ne fait que survoler certains sujets. On peut s'interroger alors : en quoi consiste réellement l'habitat participatif ? Quel est son coût et pour quel usage ? Quel est le coût de l'investissement dans les énergies renouvelables et qu'est-ce-que ça rapporte ? Quel est le résultat de cette politique de transition de la commune d' Ungersheim finalement ? Voici ce que j'ai trouvé après avoir fait de rapides recherches :  "Depuis 2005, 120 000 euros ont été économisés en frais de fonctionnement et les émissions directes de gaz à effet de serre ont été réduites de 600 tonnes par an".


A l'heure où le réchauffement climatique semble inéluctable, où on se sent impuissant face à la mondialisation et où les politiques semblent déconnectés de la réalité ou pourris par le pouvoir et l'argent, c'est encourageant de voir un élu local faire bouger les choses, remobiliser les citoyens, redonner confiance à ses administrés. Comme quoi, on peut tous faire bouger les choses, à son échelle. Le changement peut venir d'en bas. Alors, qu'est-ce-qu'on attend?

Qu'est-ce-qu'on attend ? / film documentaire français réalisé par Marie-Monique Robin, avec les habitants du village d'Ungersheim. Sortie le 23 novembre 2016.

Pour en savoir plus, consultez le site de la mairie d' Ungersheim

vendredi 2 décembre 2016

Engagé, sincère, poignant : le dernier film de Ken Loach ne vous laissera pas indifférent !

A 80 ans, Ken Loach, le maître du film social, prouve qu'il sait encore mettre le doigt là où ça fait mal et prendre la défense des plus démunis. Moi, Daniel Blake est un film engagé, lucide et émouvant qui mérite amplement sa palme d'Or. Dans un style sobre et poignant, le réalisateur britannique dénonce l'absurdité et la violence sous-jacente du système d'aide sociale anglais. Un film tristement d'actualité.


L'histoire :

Daniel, menuisier d'une cinquantaine d'année, est déclaré inapte à travailler suite à une grave crise cardiaque et le personnel médical l'incite à demander la prime d'invalidité. Or, pour toucher cette prime, il faut répondre à certains critères, rentrer dans des cases bien précises. Aussi, lorsque la télé-opératrice de l'aide sociale lui pose une série de questions pour évaluer son "handicap" (par exemple, s'il peut s'habiller tout seul), il s'avère que Dan ne rentre pas dans les critères définis. Suite à ce test téléphonique absurde, cette dame lui annonce mécaniquement qu'il ne pourra plus toucher les indemnités d'invalidité.
Stupéfait par l'absurdité de cette décision qui va à l'encontre de l'avis des médecins, Daniel décide de faire appel. Mais, en attendant, il va devoir faire preuve de patience et de sang froid face à l’aberration des formalités administratives. Privé d'indemnités et de salaire, on lui demande alors de s'inscrire comme demandeur d'emploi pour pouvoir bénéficier de l'aide sociale, qui s'avère être finalement sa seule source de revenu possible. Pour cela, il doit entamer sérieusement des recherches  pour un travail qu'il ne pourra de toute façon pas exercer, et ce sous peine de sanction !


Dan est déterminé à sortir de ce labyrinthe administratif, quitte à se battre avec les ordinateurs lui qui n'a jamais utilisé l'informatique.
Lors de ces pérégrinations administratives, il va rencontrer Katie, une jeune maman de deux enfants qui se démène elle aussi pour obtenir une aide financière. Par la suite, des liens forts vont se créer entre ces deux êtres pourtant si différents mais tous deux exclus d'un système formaté. Ils vont s'accrocher l'un à l'autre pour s'entraider et ne pas sombrer.

Bande annonce :

A défaut d'avoir son coeur bien accroché, Daniel l'a sur la main (son coeur). Il incarne à merveille cette figure d'indigné qui n'hésite pas à aider son voisin. Et ce, jusqu'à ce que ce soit lui qui ait besoin d'aide.
Quant à Katie, c'est un personnage bouleversant dont les silences et les expressions en disent plus sur la misère sociale que de grands discours. Elle nous renvoie à nos besoins de base : se nourrir, se laver, se chauffer, vêtir ses enfants... Katie, c'est le visage de milliers de personnes qui luttent pour manger, pour se nourrir, avoir un logement au risque de la honte et des humiliations. A eux deux, Dan et Katie représentent tous les laissés-pour-compte, ceux dont le combat pour la dignité est quotidien.
Filmé d'un regard quasi documentaire, dans des tons plutôt ternes, Ken Loach rend son film d'autant plus réaliste.


Ces personnages sont incarnés avec pudeur et sobriété par de formidables acteurs. Nombreux sont aussi les rôles secondaires qui contribuent à donner un sens social au film, que ce soit l'employée du service d'aide qui tente d'aller à l'encontre des ordres de sa hiérarchie pour aider Dan, le jeune voisin qui témoigne brièvement de la galère du monde du travail, etc.

Certaines scènes sont vraiment poignantes de part leur simplicité et leur véracité. Des silences, des gestes, des regards en disent beaucoup sur la détresse des personnages et c'est vraiment émouvant.


Avec Moi, Daniel Blake, Ken Loach évoque les différentes failles sociales de la société anglaise, que ce soit le désengagement de l'Etat vis à vis de la population avec la privatisation des service publics, la nécessité de rendement avec la traque aux "fraudeurs", le manque de suivi personnalisé dans l'attribution des aides sociales ou encore le "formatage" du personnel administratif. Mais sont aussi dénoncés de nouveaux facteurs d'exclusion : la complexité des démarches et le passage au tout numérique. Enfin, c'est un film qui montre que l'Etat a une responsabilité dans la lutte contre la misère, que l'administration a la vie de ses citoyens entre ses mains.

D'un coté c'est un film grave et triste mais, de l'autre, c'est également une formidable histoire d'entraide, sur la générosité et la solidarité désintéressée. Tout au long de leurs périples respectifs, Dan et Katie ne croisent que des personnes bienveillantes et compatissantes. Utopiste? Il n'en reste pas moins que c'est un film profondément humaniste, qui donne envie d'aider, de s'indigner et de faire changer les choses. Un film militant réussi.

Moi, Daniel Blake / film réalisé par Ken Loach, avec  Dave Johns, Hayley Squires, Dylan McKiernan. Sortie le 26 octobre.
Palme d'or au festival de Cannes 2016




vendredi 25 novembre 2016

Un roman émouvant, poétique et cynique qui interpelle sur l'aide humanitaire en Afrique

Paule Constant est une écrivain française qui a vécu sur les quatre continents et ça se sent dans ses romans. Dans Des chauves-souris, des singes et des hommes, l'histoire se passe au Congo. Elle porte un regard perspicace et critique sur ses personnages et on sent vraiment la chaleur et l'esprit africain entre les lignes. 
Le titre du livre fait penser à une fable innocente, et ça pourrait en être une effectivement, puisque dans ce roman sont retranscrits de manière un tantinet innocente et un poil fataliste les destins de plusieurs personnages qui portent tous des prénoms ou surnoms très littéraires. Cependant, l'histoire relatée ici n'a rien d'innocent et se fait le triste écho de notre actualité, sur bien des aspects.


L'histoire :

Olympe fait partie du peuple Boutoul, un peuple du Congo qui vit dans un grand dénuement et qui subsite grâce aux quelques richesses de la forêt proche. C'est une petite fille rejetée par sa tribu au prétexte qu'elle a interrompu une lignée de braves petits garçons. Elle erre seule dans son village et fait appel à son imagination pour s'occuper. Un jour, elle trouve un bébé chauve-souris qu'elle trimbale ensuite partout avec elle, comme son protégé, son animal de compagnie, son seul ami. On se prend vite d'affection pour cette fillette livrée à elle-même et on espère pour elle un destin heureux, malheureusement, dès le début l'auteure annonce que cette histoire est tout sauf optimiste.
Un jour, les jeunes garçons du village reviennent avec un gorille mort qu'ils disent avoir fièrement chassés. S'en suit une grande  fête et les voisins sont conviés pour partager ce festin. Mais, quelques heures plus tard, des petits enfants sont les premières victimes d'un mal étrange. La faute est alors rejetée sur Olympe et sa chauve-souris qui porteraient malheur... Ce peuple se réfugie en effet derrière d'ancestrales superstitions et une magie omniprésente pour expliquer leurs malheurs.

En parallèle, on suit le parcours d'Agrippine, religieuse et médecin du monde qui rejoint une communauté de soeurs en Afrique en vue de leur apporter son aide car elle ne supporte plus l'hypocrisie et la superficialité des occidentaux. Ces religieuses exercent dans des conditions dignes du début du vingtième siècle, c'est-à-dire dans un quasi dénuement, et tentent de mener tant bien que mal une campagne de vaccination envers la population boutoule.

Agrippine va rencontrer un étudiant en ethnologie - sociologie, Virgile, jeune idéaliste plein d'idées reçues et d'espoir pour le peuple africain, qui étudie notamment les maladies endémiques. Tous deux vont confronter leur vision de la médecine et de l'aide humanitaire.

Au fil des pages, on croise également Thomas, l'aide polyglotte, un chef d'entreprise mégalo, des primatologues occidentaux bien-pensants, etc.
Tous ces personnages vont se côtoyer, confrontant leurs points de vue très différents sur la médecine, sur l'Afrique et sur le monde en général.

A travers ce récit émouvant, Paule Constant dresse une sévère critique de la médecine humanitaire occidentale. Elle dénonce aussi les comportements passés et actuels des occidentaux ex-colonialistes vis à vis du peuple africain. Elle décrit avec justesse le choc des cultures et des civilisations entre une Afrique ancrée dans ses traditions, laissée pour compte, qui fait face à un monde occidental riche et féru de science, mais aussi hypocrite et condescendant.
Des chauves-souris, des singes et des hommes est un roman à la fois beau et triste, judicieusement bien écrit avec cette plume douce amère qui oscille entre cynisme, fatalité et poésie.

Alors je reconnais que certaines descriptions m'ont semblé quelques fois un peu longues et, surtout, par moment, j'ai eu du mal à comprendre où voulait en venir l'auteure à force de passer d'un personnage à l'autre. Il n'en reste pas moins que c'est un superbe roman, qui se lit finalement comme un thriller, le nom du coupable étant révélé seulement à la dernière phrase...
Ce livre m'a laissé un goût amer car c'est un récit dur et triste qui secoue et fait réfléchir. J'en suis sortie bouleversée.

L'auteure a écrit une douzaine de romans et a notamment reçu le prix Goncourt en 1998 pour le livre Confidence pour Confidence.

Des chauves-souris, des singes et des hommes  / Paule Constant, de l'académie Goncourt . - Gallimard (collection blanche), 2016

Quelques citations relevées au fil des pages pour se faire une idée du style de l'auteur :


"Olympe était un petit, tout petit contre-présage, l'infime accroc dans la toile sans défaut du destin exemplaire des Boutouls" p.20

"C'est toujours au moment où l'héroïne capitule que le sortilège s'impose, comme si, ayant abandonné toute résistance, elle laisse advenir ce qui doit être" p 15

"Entre gambade et cabriole, Olympe, papillonnante, bouleversait l'ordre des choses, accélérait le temps, brûlait les étapes." p 24

[Agrippine]" Depuis pas mal de temps, elle tournait dans le monde avec des ONG au gré des guerres et des épidémies, et quand elle reprenait pied en Europe, le dégoût la saisissait. C'était une civilisation à bout de course qui n'avait plus le souvenir de sa longue histoire et qui mettait ce qui lui restait de vitalité à défendre un individualisme borné"  p.29

[Virgile]"-Vous leur apportez les invendus des grandes puissances industrielles? Vous venez liquider en douce les surplus des consortiums pharmaceutiques? L'Afrique, poubelle du monde, la bonne conscience en prime." p 62

[Virgile] "La tante n'avait pas tort, tout cauchemar comporte sa part de vérité, tout fantasme repose sur une réalité, tout conte dit un secret qui nous concerne, toute argumentation folle déploie sa logique imparable, toute condamnation n'est pas forcément injuste, toute répression est fondée. Personne ne se trompe tout à fait mais personne n'a raison." p 86

"Pas de laboratoire, pas de diagnostique. Où étaient-il les grands professeurs de la Mégalo? En congrès à Atlanta? Où étaient les médecins qui devaient effectuer une visite par mois dans tous les dispensaires et qui n'étaient pas venus depuis deux ans? Praticiens hospitaliers dans une ville d'Europe? " p 127

"-C'est, maugréa Alex à l'intention d'Alice, comme si on empoisonnait la forêt, comme si notre sale civilisation ne pouvait s'empêcher en mettant son nez partout de détruire l'ordre de la nature." p 134

[Agrippine]"Si j'ouvrais un cabinet, je consulterais en souffrances refoulées, celles que nous logeons dans le secret de nos corps pour nous rappeler une angoisse négligée, une colère oubliée. Il n'y a pas que les saints pour porter des stigmates, nos chagrins creusent dans nos chairs de profonds blessures et nos plaintes retenues s'échappent en cris sauvages." p 163

vendredi 18 novembre 2016

"Captain Fantastic" : entre road-trip familial initiatique et belle fable utopiste

Captain Fantastic est une fable philosophique moderne, une histoire sur la famille, sur les idéaux, un film à la fois frais et profond qui invite à la réflexion.


L'histoire :

Viggo Morgensten interprète ici Ben, un père de famille particulier et marginal. Déjà, il élève seul ses six enfants depuis que sa femme a été hospitalisé, mais surtout ils vivent dans une yourte au milieu de la forêt, loin de la civilisation et de la société de consommation. En effet, Ben et sa femme ont souhaité vivre en marge d'une société qu'ils jugent gangrenée par le capitalisme et le repli sur soi. Allant au bout de leurs idéaux, ils se sont donc installés dans la forêt et vivent en autarcie et en quasi auto-suffisance.


Le film commence par une scène de chasse digne d'un film d'aventure. En effet, Ben et ses enfants, couverts de boue, traquent la bête sauvage avec des couteaux. Ils cuisinent ensuite le gibier accompagné de plantes qu'ils cultivent. Ils n'ont quasiment aucun produit manufacturé et n'ont pas l'électricité. Les enfants ne vont pas à l'école mais Ben assure leur éducation à travers les classiques de la littérature. Il leur demande ensuite de lui livrer leur analyse, les poussant ainsi à réfléchir, à développer leur esprit critique. Incollables sur les grands principes mathématiques, sur la constitution américaine, petits philosophes en graines et joyeux musiciens, les enfants sont aussi des pros du yoga, de la méditation et en grande forme physique grâce à un entrainement intensif. Enfin, ils ne fêtent pas Noël ni aucune autre fête traditionnelle mais célèbrent chaque année l'anniversaire d'un philosophe américain contemporain à tendance anarchiste, Noam Chomsky.
Ben se montre souvent intransigeant avec ses enfants sans jamais se montrer brutal. Finalement, ce père gourou intrigue, on ne sait pas si on doit être admiratif de son idéal et de ses convictions ou les lui reprocher puisqu'il a choisi d'imposer un mode de vie marginal à sa famille. Et c'est à mon sens tout l'intérêt de l'histoire.


Cette bulle d'idéalisme éclate soudainement lorsque la maman décède, laissant derrière elle une famille désemparée. La petite tribu part alors à bord du bus "Steve" pour retrouver la famille du coté maternel et suivre les dernières volontés de leur mère qui souhaitait être incinérée. Mais ils vont se heurter aux traditions de cette famille américaine typique. Plus généralement, ce retour à la civilisation est un véritable choc des cultures pour les enfants qui sont alors confrontés au normalisme, aux nouvelles technologies, à la société de consommation, au superficiel. Ça devient un parcours initiatique aussi puisque le plus jeune des garçons est en pleine rébellion tandis que l’aîné rêve de prendre son envol... 
Ben finit par se retrouver dépasser par la situation et voit son cocon d'anticonformisme ainsi que ses convictions voler en éclat. 

Bande annonce :



Captain Fantastic invite à la réflexion sur ce que sont les utopies, les idéaux, les normes. Peut-on vivre heureux en vivant en autarcie? Peut-on aller au bout de ses utopies et concilier idéaux et vie familiale et sociale? Sommes-nous assez philosophes? Le choix de vie de Ben pour sa famille est-il le bon? Différents points de vue sont abordés et le film n'est finalement pas moralisateur, invitant plutôt à la réflexion et au compromis. 


Malgré quelques scènes caricaturales et des incohérences vers la fin, j'ai trouvé le film émouvant, plein d'humanité. Les personnages sont hauts en couleur, au sens propre comme au figuré. Viggo Mortensen interprète brillamment ce père de famille fantasque (fantastique?) qui va au bout de ses convictions et élève ses enfants selon ses valeurs humanistes. Tous les jeunes acteurs son formidables également même si j'ai trouvé l’aîné des fils un peu énervant.


Bref, je me suis laissée portée par l'histoire et ne me suis pas ennuyée. Je pense qu'il faut voir ce film comme un conte moderne, une fable philosophique ce qui permet d’atténuer l'aspect caricatural de certaines scènes.

Captain Fantastic a reçu le prix de la mise en scène dans la catégorie Un certain Regard au festival de Cannes 2016 et le prix du Jury et du Public lors du festival de Deauville.




dimanche 13 novembre 2016

""Ma vie de courgette," une chronique sociale en stop-motion pleine d'intelligence et de tendresse

Ma vie de courgette est un superbe film d'animation adapté du livre Autobiographie d'une courgette de Gilles Paris. Ce n'est pas un dessin animé ni un film de marionnettes mais un film d'animation en stop-motion (animation en volume) ce qui a nécessité un travail considérable : plus de 60 décors et 50 personnages ont été fabriqués, peints et animés. Loin des films habituels destinés aux enfants plein d'innocence et de joie de vivre, Ma vie de Courgette aborde des sujets graves, les personnages sont mélancoliques et leurs voix douces et graves pourraient être celles d'un véritable documentaire.


Les personnages ont tous de grands yeux qui font un peu penser aux héros de Tim Burton, qui montrent ici l'évolution de leurs émotions, leur ouverture sur le monde. Les dialogues sont percutants, plein de petites vérités, d'humanité, de tendresse et d'humour, brisant tous les préjugés. Cela contribue à en faire un film tendre, triste, émouvant mais aussi plein d'espoir.


L'histoire :

Courgette est le surnom qu'a donné une mère à son garçon de 10 ans. Ce dernier vit avec sa mère alcoolique dans un petit appartement en ville. Pendant que sa maman comate devant la télé en buvant des bières, lui ramasse les canettes qui traînent dans l'appartement pour en faire des pyramides et fait voler son cerf-volant par la fenêtre, à la recherche d'un peu d'air, d'un peu d'espoir. Jusqu'au jour où un drame survient et où Courgette se retrouve seul. Le policier qui le reçoit se prend d'affection pour ce petit bonhomme désemparé. Il l'emmène dans un orphelinat où ce dernier va devoir s'intégrer parmi un petite bande de gamins orphelins ou délaissés, blessés par la vie.
Quelques temps après son arrivée dans le centre, une petite fille, Camille, est amenée. Très vite, des liens forts vont se tisser entre les deux enfants.

Bande-annonce :


Ma vie de courgette aborde des sujets graves comme l'abandon, la maltraitance, les histoires de familles difficiles, la vie en foyer ou la solitude mais porte aussi un message plein d'espoir grâce à l'amitié, l'entraide et l'amour. C'est également un film qui interroge sur la parentalité, sur ce qu'est une famille. Ici le foyer apparaît comme une véritable "bulle", un refuge, par rapport au monde extérieur.


La réalisation est soignée, les personnages attachants avec ces yeux toujours expressifs, les paysages enfantins (des voitures ou des maisons ressemblant à des jouets) qui atténuent la gravité des faits relatés. Par ailleurs, le film révèle plein de petits détails qui contribuent à rendre ce film tendre et réaliste, comme par exemple un tableau mobile sur lequel les enfants peuvent afficher leur météo du moral. De plus, certains plans sont vraiment superbes, décuplant ainsi les émotions.


Ma Vie de Courgette est un film d'animation mélancolique, une chronique sociale adorable pleine d'intelligence et de finesse qui mêle avec brio émotion, humour, aventure et réalisme social. 
Et pour confirmer cette réussite, les musiques du film composées ou choisies par Sophie Hunger, sont toutes magnifiques ! (à noter notamment sa superbe interprétation de la chanson de Noir Désir "Le vent nous portera")

Ce film a d'ailleurs reçu le prix du public lors du festival du film d'animation d'Annecy en 2016 parmi une quinzaine d'autres prix au total.

dimanche 6 novembre 2016

"Le rouge vif de la rhubarbe" : un roman islandais plein de grâce et de poésie

Je viens de finir ce petit roman islandais qui figure parmi les grands succès de cette rentrée littéraire 2016. Auður Ava Ólafsdóttir est une écrivain très connue en Islande. Le rouge vif de la rhubarbe est son troisième roman et c'est un petit bijou littéraire. 
Les auteurs islandais ont toujours ce regard perspicace et poétique sur le monde qui les entoure, comme s'ils prenaient plus de recul pour observer les choses, qu'ils prenaient davantage le temps de décrire les paysages, les petites choses du quotidien... Si vous avez lu les livres de Stefanson, vous savez de quoi je parle. Ce doit être l'effet de la nuit polaire, qui pousse ainsi à la méditation !
Et Olafsdottir n'échappe pas à cette "règle" de la littérature islandaise.



Avec une écriture tendre, caustique et poétique, elle raconte l'adolescence d'Agustina, délaissée par ses parents, qui s'interroge sur son origine, son devenir et sur la vie en général. Outre de nombreuses réflexions philosophiques et méditations diverses, Agustina a un rêve qui peut sembler si simple : celui de pouvoir marcher, avoir une vie sociale normale et grimper des montagnes. En effet, un handicap la prive de ses jambes, mais elle ne se laisse pas abattre pour autant et fait preuve de beaucoup de détermination et de courage pour avoir une vie "normale". 

Sa mère est une scientifique rêveuse qui parcourt le monde à la recherche des oiseaux migrateurs. Régulièrement, elle lui écrit de brèves lettres dans lesquelles elle lui fait part de ses observations, en y ajoutant quelque fois une touche de poésie et philosophie. Son père, elle ne l'a jamais connu. Elle est élevé par Nina, une amie de sa mère, aidée de son ami Vermundur, l'homme à tout faire du village. Ce sont un peu ses parents de substitution. Ils lui racontent sa naissance, ses parents, leurs vie d'avant. Et quand elle a besoin de se retrouver seule, Agustina va se coucher dans le jardin de rhubarbe.

L'auteur décrit avec tendresse le quotidien de ses personnages au fil des saisons, comme la récolte de la rhubarbe à n'en plus savoir quoi faire (un des seuls fruits qui pousse sans problème en Islande.), la fabrication du boudin, la préparation de Noël... Et bien sûr, la capacité d'adaptation des islandais face à un climat difficile. Enfin, la nature, magnifique et sauvage, est très présente au fil des pages.

C'est un roman extraordinairement bien écrit, plein de grâce et de poésie où chaque détail est sublimé. Ci-dessous, quelques citations que j'ai particulièrement apprécié permettent de se faire une idée du style de l'auteur.
Le rouge vif de la rhubarbe est un livre délicat, un hymne à la vie, une invitation à la médiation, plein de réflexions philosophiques. Enfin, c'est aussi une sorte de fable dont la morale serait : on a tous un rêve, une montagne qu'on rêve d'escalader. Il faut toujours essayer de grimper sa montagne, d'aller au bout de ses rêves et ne pas baisser les bras.

Quelques citations :

"Personne ne soupçonnerait qu'elle soit là, à la recherche de son origine, creusant pour trouver ses racines dans les ténèbres de la forêt de rhubarbe" p.18

lettre de la mère d'Augustina : "C'est incroyable de penser que la montagne couverte de neige se dresse en plein coeur de l'équateur même. J'ai l'impression d'avoir connu l'éternité. Pourtant je ne suis pas sûre d'être plus avancée. La maturité marque une certaine stagnation. Peut-être doit-on laisser le champ libre à ses aspirations les plus folles."

"La prochaine fois, il faudrait qu'elle commence par le bon bout, qu'elle écrive du point de vue de celle qui est assise par terre en contrebas, au moment printanier où la Montagne se scinde et ruisselle, accueillant à corps perdu les flots jaunes qui s'en déversent. Elle n'avait qu'à inverser la pile de mots. Au lieu des lointains bleu-vert vue de la cime, ce serait la Montagne de boue brune sous ses ongles, tandis qu'elle s'échinait à progresser dans la caillasse, juste au dessus du jardin de rhubarbe, les bras plein de montagne." p 72

Nina, couchée dans la neige :"Son ange a indubitablement des ailes, mais pas ce tutu évasé que les autres peuvent tracer à loisir en écartant les jambes. Le sien est mince du bas, comme un oiseau prisonnier d'un rouleau de fil de fer qui aurait battu frénétiquement des ailes." p 74

"Au deuxième jour de sa nouvelle vie, elle ferait l'ascension de la Montagne. Ce serait le premier des nombreux sommets du monde : d'autres montagnes suivraient." p. 91

"La vue est une affaire compliquée. La plupart des gens se contentent de regarder sans voir, ou bien on ne regarde pas, mais on voit quand même" p 106

"Soudain, il n'y a plus de nuit où s'enrouler, où s'abriter dans la tour. Un vent glacial souffle au nord, le ciel bleu est ouvert et vaste comme la mer. Agustina se blottit sous la couette pour s'engloutir dans le matin. Sa tête est pleine des ruisseaux dorés dévalant des montagnes vers la mer." p 131

"L'été dans l'île dure sept semaines, la lumière bien davantage, et le temps qui passe avant qu'elle ne s'atténue semble infini par un matin comme celui-ci.

Quand le jour cesse de s'assombrir, le temps s'immobilise pour durer, durer, durer. Il n'y a plus alors de cloisons entre les jours confondus, plus d'entracte au milieu du temps. Dans le noir, au contraire, les hommes sont tous égaux." p 145

"Les instants durent si peu, mais il est possible de les allonger indéfiniment sur la grève du sable noir pendant le jour, sur sa plage à elle, baignée de froid soleil, débordant de lumière, où elle s'étire en short, le nombril orné de coquillages. Les attelles gisent à ses cotés comme les valves d'un mollusque inconnu." p 145

"Black Mirror", une série d'anticipation sous forme d'anthologie qui interroge sur notre rapport aux technologies : captivant et effrayant !

Black mirror est une petite série britannique très originale qui mêle réalité et science-fiction. Elle compte pour l'instant trois saisons, les deux premières datant de 2011 et 2013 contenant chacune 3 épisodes et la dernière, produite cette année, 6 épisodes. Actuellement, les trois saisons sont disponibles sur Netflix.


Chaque épisode peut se regarder indépendamment des autres et ce, quelle que soit la saison. Du coup, il est difficile de parler de série étant donné qu'il n'y a pas d'histoire suivie, que les personnages diffèrent d'un épisode à l'autre et qu'il n'y a pas de chronologie. Il s'agit plus d'une anthologie de plusieurs histoires créée par Charlie Brooker, journaliste, animateur et scénariste britannique. Cependant, chaque épisode est réalisé par une autre personne. Le seul point commun à toutes ces histoires est cette petite touche de science-fiction qui saupoudre une réalité proche de la notre, avec toujours, au centre, l'omniprésence des technologies et leur coté dévastateur.

Trailer de la saison 3 :


Chaque épisode relate une histoire qui montre les dérives de notre société, d'un point de vue numérique, sécuritaire, politique, médiatique... Tous sont effrayants dans la mesure où ils se basent sur des faits, comportements ou situations existant-e-s actuellement mais qui sont poussés ici à l’extrême et ce, afin d'en montrer le coté malsain, le coté "noir" du miroir. A ce titre, la série porte bien son nom !  Le producteur explique dans une interview que le Black Mirror désigne en fait tous les écrans qui nous entourent (ordinateurs, télévisions,  smartphones).

saison 3, épisode 1 

La réalisation est à la fois sobre, sans effets spéciaux et soignée. Une grande attention a été apportée aux décors et aux costumes afin de créer une ambiance particulière dans chaque épisode. Le rythme est plutôt lent mais entretient généralement une certaine tension, un stress montant. De plus, il y a ce petit coté "so british", voir une petite touche d'humour anglais dans ces drames futuristes, si ce n'est un franc cynisme !
Quoiqu'il en soit, à la fin de chaque épisode, on est soit mal à l'aise, soit carrément scotché ou choqué ! (Ça a été mon cas à la fin de certains épisodes)

Saison 1, épisode 2

Afin de vous donner une idée du style de la série, voici les résumés des épisodes de la saison 1 :

Episode 1 : Les services du Premier Ministre britannique reçoivent une vidéo : la princesse est retenue en otage. Elle sera libérée seulement si... le Premier Ministre s'accouple avec un porc en direct à la télévision et sur Internet !!! Absurde? Impossible? Pas si sûr, dans une société des écrans devenue nombriliste et perverse...
Tout semble terriblement réel dans ce premier épisode, c'est d'ailleurs le seul où il n'y a pas de science fiction. Et c'est ce qui le rend tellement dur. Le but est probablement de montrer les dérives des médias et d'Internet, le coté sordide de la société de spectacle.
L'épisode est très bien réalisé, la tension permanente. C'est une sorte de thriller politique, policier et psychologique. Par contre, c'est aussi un des épisodes les plus choquants ! Je suis vraiment étonnée que ce soit le premier de la "série. C'est un pari osé !

Saison 1, épisode 1

Episode 2 : Tout l'épisode se déroule dans lieu futuriste, entre prison des écrans et salle de sport hyper-connectée où des gens pédalent toute la journée face à des chaines de TV, et ce, en vue de cumuler des points leur assurant un certain confort, essentiellement numérique. A tel point que la différence entre les personnes et leurs avatars virtuel est devenue plus que ténue. Toute leur vie est devenue virtuelle. Dans cette prison des écrans, un jeune homme mutique et désabusé tombe sous le charme d'une nouvelle venue et reprend soudain contact avec la réalité. Ébahie par sa belle voix, il l'encourage à passer un casting qui pourrait changer son avenir de "pédaleuse" pour entrer dans la catégorie des "nouvelles stars". Mais le casting ne se passe pas comme ils l'espéraient et les deux protagonistes se retrouvent piégés...
Là encore, c'est une critique de la société numérique, de tous ces écrans qui nous happent constamment et nous empêche de réfléchir. L'épisode dénonce plus particulièrement la télévision avec ses émissions de "starification" et de télé-réalité malsaines, comme il en existe malheureusement déjà.

Saison 1, épisode 2

Episode 3 : Quasiment tous les humains ont désormais une puce implantée derrière l'oreille qui leur permet de stocker leurs souvenirs et de les regarder ensuite à leur guise dans leur tête ou sur un écran, comme un film, pour revivre les émotions passées. Une sorte de disque dur interne en quelque sorte.
Lorsqu'il rejoint sa femme à un dîner entre amis, Liam est troublé par le comportement d'un des invités, un vieil ami de son épouse. Son trouble va se transformer en véritable crise de jalousie, alimentée sans cesse par des détails de sa "boite à souvenirs" et celle de sa femme... Un thriller psychologique effrayant !

Saison 1, épisode 3

Et dans la saison 2 vous aurez droit à :

Episode 1 : Une jeune femme vient de perdre tragiquement son fiancé alors qu'ils venaient d'emménager à la campagne. Plongée dans le désespoir et la solitude, elle se laisse tenter par un logiciel dont lui a parlé une amie et qui permet de communiquer avec le disparu bien aimé, en se basant sur la vie virtuelle du défunt (ses mails, ses échanges sur les réseaux sociaux, etc)... Et la technologie pousse le vice jusqu'à rendre le défunt de plus en plus réel...
Un épisode triste, qui met franchement mal à l'aise.



Episode 2 : Alors cet épisode est vraiment flippant. Je l'ai regardé au moment d'Halloween, et ça tombait bien. Il est également difficile à résumer. En gros, une jeune femme se réveille groggie et attachée sur une chaise dans un bâtiment désert où un étrange symbole flotte sur tous les écrans de TV ou d'ordinateurs. Lorsqu'elle tente de trouver des réponses à l'extérieur, tous les gens la filment avec leurs téléphones portables tels des zombies alors que d'autres personnes masquées tentent de la tuer. Qui sont ces gens? Pourquoi veulent-t'ils la tuer? Pourquoi tout le reste de la population s'est transformée en spectateurs impassibles? Et surtout, qui est-elle et que faisait-t'elle dans cette maison? Tout au long de l'épisode, on est envahi de questions et tenu constamment en haleine. La fin est plus que stupéfiante mais je n'en dirai pas plus !
C'est un épisode incroyablement bien construit, avec un suspens permanent. C'est également un de ceux (avec le premier de la saison 1) qui m'a le plus bouleversé. Là encore, c'est une critique de la société du spectacle, du monopole des téléphones portables, mais pas seulement...


Episode 3: Un avatar rigolo emblème d'une émission de télévision s'invite dans le débat politique, au point de devenir le symbole de la contestation, bien qu'il ne propose aucune idée et se contente de faire le pitre derrière l'écran. Non seulement il rabaisse encore plus le débat politique, décrédibilisant ses portes- parole, mais il parvient à capter l'attention des gens qui ne s’intéressaient jusqu'alors pas à la politique. Derrière cet avatar, se cache un interprète et toute une équipe de production prête à tout pour faire de ce petit ours bleu une vraie star... C'est une critique intéressante du milieu politique à l'heure où justement le débat politique est tombé bien bas mais aussi de la télévision, et de la mondialisation. Encore un épisode qui pousse à réfléchir et à s'interroger notamment sur la notion d'engagement.


Voilà qui vous donne une idée de cette étrange anthologie ! C'est une série vraiment originale et intéressante qui marque les esprits. Elle dérange, bouleverse nos codes et fait réfléchir sur notre société et notre rapport aux technologies, à l'information, aux autres. Certains épisodes font froids dans le dos, certains m'ont laissé bouche-bée, la plupart m'ont plongé dans d'intenses réflexions.

A voir et à suivre !

Black Mirror / série britannique créée par Charlie Brooker. Nombreux réalisateurs et acteurs.
Saison 1 (2011), saison 2 (2013) et 3 (2016) disponible sur Netflix.