samedi 13 mars 2021

Nos espérances : superbe roman intimiste sur la quête d'accomplissement de trois trentenaires

Nos espérances est le troisième roman de l'autrice anglaise Anna Hope. J'ai adoré cette histoire très actuelle sur les parcours de trois amies d'enfance qui, a 35 ans, sont en proie à des questionnements existentiels et reviennent sur les différentes étapes qui ont jalonné leurs vies.


Trois parcours de femmes en quête d'accomplissement

Libres et indépendantes, les trois amies avaient chacune des rêves et un idéal de vie différent : devenir comédienne pour Lissa, trouver l'amour de sa vie pour Cate, fonder une famille et avoir métier épanouissant pour Hannah... Il y a encore quelques années, elles pensaient avoir le temps et ne doutaient pas de parvenir à remplir leurs objectifs.

A 35 ans, les trois londoniennes voient leur jeunesse s'éloigner tout doucement et c'est avec nostalgie et mélancolie qu'elles sont en proie à quelques questionnements existentiels. 
Elles pourraient être heureuses, et pourtant. Lissa enchaine les auditions en espérant décrocher le rôle de sa vie mais elle continue d'avoir du mal à boucler les fins de mois. Hannah a un emploi épanouissant, un mari charmant mais, il manque à son bonheur l'enfant tant désiré. Cate, qui deux ans auparavant vivait une vie désinvolte, se retrouve femme au foyer à la campagne, mariée avec un bébé. Chacune envie une part de ce qu'a l'autre. Et elles s'interrogent. Qu'ont t 'elles vraiment accompli ? Faut-il s'obstiner à atteindre ses objectifs malgré les obstacles et les échecs ? Comment être heureuse?

Une construction originale mêlant trois narrations

Nos espérances est une sorte roman choral mélangeant les chronologies et les narrations, passant d'Hannah à Lissa et à Cate, revenant sur leur rencontre, leurs années d'amitié fusionnelle lorsqu'elles habitaient ensemble à Londres quelques années plus tôt, leurs déboires amoureux et leur ressenti d'adultes trentenaires. Ces retours en arrière en écho à la nostalgie du temps présent permettent de mieux comprendre leurs blessures et leurs secrets ainsi que leur mélancolie.

J'ai été particulièrement touchée par ce roman qui aborde les questions existentielles qu'on peut se poser vers la fin de la trentaine. Par ailleurs, j'ai été très sensible au parcours d'une des protagonistes. Il est vraiment rare qu'un roman décrive aussi bien le cheminement et le ressenti des femmes en parcours de PMA, détaillant de manière quasi chirurgicale les étapes physiologiques et psychologiques par lesquelles on peut passer. 

Un roman doux-amer très intimiste sur la quête du bonheur

Ce beau roman à trois voix met aussi en lumière le chemin tumultueux de l'amitié entre filles, mêlant petites joies, instants fragiles et instants fusionnels, admiration, mais aussi rancœur, jalousie, trahison et... pardon.
L'autrice dépeint avec beaucoup de justesse la multitude de sentiments de trois femmes en quête d'accomplissement. Comment concilier bonheur conjugal, maternité, épanouissement professionnel et bonheur personnel ? Est-ce seulement possible ? Faut-il apprendre à renoncer?

Comment prendre de la distance, avoir un regard extérieur sur sa propre vie? Comment reprendre du plaisir pour soi ? Ce roman avance des questions que toute femme se pose aujourd'hui. En fin de compte, chacune des trois amies trouvera la paix après avoir perdu quelque chose... ou quelqu'un. 

Nos espérances est un roman doux-amer, générationnel, très intimiste, écrit dans l'air du temps qui interroge aussi sur l'avenir (quid de l'avenir de nos enfants avec le réchauffement climatique ?) Une histoire qui explore la condition féminine, le rôle de transmission des parents, la maternité... Bref, un roman profond, très actuel, dont la force vient véritablement de sa construction originale et de la belle écriture, lumineuse et sensible d'Anna Hope. 


Nos espérances / Anna Hope. roman trad de l'anglais par Elodie Leplat . - Gallimard, 2020

Quelques citations : 

Hannah "La matinée s'écoule ainsi. Il y a une orangeade aqueuse à boire. Une par une les femmes s'en vont, Hannah les regarde partir : chacune avec sa précieuse cargaison, pleine d'espoir. Elle essaie de déchiffrer leur visage, leur corps, comme si elle pouvait y voir écrit leur destin : laquelle aura l'enfant tant désiré. Comme si leur réussite signifiait son échec. Comme si la fertilité était un jeu à somme nulle." p103

Lissa "Les hommes la dévisagent. Elle est une batterie qui vient d'être rechargée. C'est une simple question d'électricité : la moralité n'entre pas en jeu. Ses sensations sont empreintes d'une dangereuse et chatoyante exultation" p 240

Hannah Elle pense à la nuit précédente. Le choc du corps de cet homme : sa différence, sa forme. Son odeur.[...] elle a pensé à Nathan. Elle prend conscience qu'elle a oublié de le considérer comme une entité séparée. Oublié de ressentir son étrangeté. D'accueillir l'animal en lui. Et avec cette pensée vient autre chose : une sorte de chagrin, pour sa propre nature animale, et ses désirs sauvages." p 305

Lissa "Elles les admire, ces femmes de la génération de sa mère : elles brillent à ses yeux, telle une constellation se couchant à l'ouest. Ces femme, ces veilleuses. Qu'arrivera-t-il au monde quand elles ne seront plus ?" p 333

mardi 9 mars 2021

Un roman noir d'émancipation féministe absolument palpitant !

Tess Sharpe est une jeune autrice américaine qui signe avec Mon Territoire un roman noir haletant.  L'autrice a grandi de façon assez marginale, au fond de la forêt californienne et cela se ressent dans son livre. L'histoire se déroule au fin fonds des bois, un peu à l'écart du monde, loin de toute civilisation. Avec son écriture rapide, percutante, digne des plus grands auteurs de polars, Tess Sharpe m'a fait tourner frénétiquement les pages de ce roman, souvent jusqu'au milieu de la nuit !



L'enfance d'une héritière d'un empire mafieux

Harley McKenna est la fille unique d'un chef de la mafia, Duke, qui dirige d'une main de fer les trafics de drogue et d'armes dans tout le nord de la Californie. Elle a 8 ans quand elle voit son père tuer un homme pour la première fois, quelque temps après qu'elle ait assisté à la mort violente de sa mère. Dès lors, son père, en guerre avec une autre famille, va lui apprendre à survivre, va la modeler en petite guerrière lui apprenant à se méfier de tout le monde, à se défendre... et à attaquer. Tout cela en vue d'en faire son héritière. Harley grandit dans la violence, la peur et l'isolement mais aussi dans l'amour de personnes très proches, son père, oncle Jack, l'amie de sa mère Mo et son âme soeur Will.

Bien sûr, Harley souffre de cette éducation quasi militaire, violente et impitoyable que lui a donné son père, qui l'aime pourtant plus que tout. Mais cela fait aussi pleinement parti de son identité maintenant qu'elle est une jeune adulte. Son atout ? En tant que femme, les hommes des deux camps ennemis ont souvent tendance à la sous-estimer. Or, Harley est très intelligente, c'est une fine stratège qui n'a pas froid aux yeux.

Une double narration palpitante

La narratrice a 22 ans lorsqu'elle raconte ici son histoire. Elle revient sur ses souvenirs d'enfance et de jeunesse, relatant les événements terribles qui ont contribué à faire la jeune femme qu'elle est devenue (Le livre commence d'ailleurs ainsi : "J'ai huit ans la première fois que je vois papa tuer un homme". Et c'est ainsi pour chaque chapitre de son enfance... la première fois qu'elle a eu le nez cassé, la première fois qu'elle s'est battue, etc.) Elle alterne ces souvenirs avec les péripéties de sa vie actuelle. Les phrases sont courtesOn comprend dès le début qu'elle prépare quelque chose mais ce n'est que vers la fin que se déroule le fil de l'histoire.

Les "flash back" permettent de comprendre qui est la Harley d'aujourd'hui et, au fil des pages plusieurs secrets sont révélés justifiant le dénouement tant attendu. Car aujourd'hui Harley se bat pour son territoire, pour le territoire de son père. Mais elle veut changer les choses. Car Harley, derrière sa carapace de petit soldat a toujours eu bon coeur comme sa maman qui avait créé un refuge pour femmes battues "le Ruby" dont elle a hérité. La lutte contre les maltraitance des femmes, c'est son combat. Ainsi, lorsqu'une de ses protégées est retrouvée violentée par un membre du gang ennemi, c'est le déclencheur d'une rage destructrice pour Harley.
Accompagnée de sa fidèle chienne, avec l'aide de son âme-soeur Will et de son amie d'enfance, elle va braver les règles pour tenter de sauver son territoire et de leurrer tout le monde.

Un roman d'apprentissage noir et féministe

Mon Territoire est un roman d'apprentissage d'un autre genre, un récit d'émancipation d'une jeune femme formatée malgré elle, mais qui va se démener pour tracer sa propre voie. En ce sens, c'est un roman résolument féministe ! D'ailleurs, tous les personnages féminins de ce roman sont déterminés et courageux, empreints d'une certaines sagesse contrairement aux personnages masculins qui sont guidés par la soif de vengeance et la jalousie. 

C'est aussi un histoire de gangsters, une sorte de western des temps modernes écrit comme un polar, avec plein de fureur mais aussi d'espoir. 
Alors certes, on peut peut-être reprocher à la jeune autrice quelques longueurs par moment mais dans l'ensemble j'ai beaucoup aimé ce livre que j'ai dévoré en quelque jours (nuits surtout) malgré ses 556 pages.

Ce livre a été récompensé par le Grand prix des lectrices Elle 2020.

Mon territoire / Tess Sharpe, trad de l'américain par Héloïse Esquié . - Sonatine ed. 2019

Quelques citations pour se faire une idée du style :

"Bennett me déteste parce qu'il voit en quoi on se ressemble. En quoi on a été marqués, tous les deux, par des hommes aux mains pleine de sang et aux coeurs louches. Comment ce monde dans lequel on est nés nous a déjà pris davantage que tout ce qu'on aurait jamais été prêts à sacrifier." p 124

"Papa m'élève différemment parce que je suis une fille. Il ne le reconnaîtrait jamais, mais aussi fier soit-il, il me sous-estime." p 190

"Je m'y attendais, mais une boule d'angoisse se forme pourtant dans mon ventre. C'est puéril, mais puissant, cette peur résiduelle qui reste ancrée en moi. Ne viole pas les règles mon Harley."p 253

"J'ai la gorge sèche. Il faut que je me remette en route. Ils doivent tous m'attendre. Pourvu qu'ils m'attendent tous. Mais ma peur, cette foutue paranoïa, cette succession infinie d'hypothèses que Duke a gravée dans mon cerveau, me déchire de l'intérieur." p 311