mercredi 10 février 2021

Une histoire familiale poignante et captivante, un premier roman réussi pour Olivia Ruiz

Olivia Ruiz, chanteuse à la voix chaude et aérienne, parolière plutôt douée, a publié l'an dernier son premier roman devenu un best-seller de la rentrée littéraire d'automne 2020. La jeune femme avait déjà montré différentes facettes de son métier d'artiste en devenant actrice et même en réalisant un court-métrage. Elle avait également déjà publié deux textes mais La commode aux tiroirs de couleur est son premier roman.


Ce livre est "presque" un coup de coeur. Je dis "presque" car l'épilogue m'a un peu déçue. Hormis le dernier chapitre, j'ai beaucoup aimé ce livre que j'ai dévoré le temps d'un week-end.
D'inspiration autobiographique, Olivia Ruiz raconte dans ce roman une histoire familiale jalonnée de drames et de secrets tout décrivant quatre générations de femmes fortes et courageuses. 

La narratrice hérite de la vieille commode à tiroirs colorés de sa grand-mère espagnole après le décès de celle-ci. Durant toute son enfance dans le sud de la France, elle a lorgné sur cette commode mais n'avait pas le droit de l'ouvrir. Sa grand mère, l'Abuela, l'appelait son "renferme mémoire". Du coup, elle a fantasmé durant des années sur le contenu du fameux meuble. Pleine d'émotions, elle va enfin ouvrir les mystérieux tiroirs et se plonger, le temps d'une nuit, dans une histoire familiale rocambolesque et tragique dont elle ignorait de nombreux tenants.

Chaque tiroir révèle des lettres, des objets racontant le passé d'une femme, Rita, sa grand-mère, qui a traversé de nombreuses épreuves avant de devenir la femme forte, attachante et quelque peu distante qui a servi de pilier à sa petite-fille.
Du terrible sacrifice de ses parents résistants sous le régime de Franco à son exil forcé vers la France alors qu'elle n'était qu'une enfant dans les années 40, de ses difficultés d'intégration dans la société française, sa nostalgie de l'Espagne à son premier grand amour qui va bouleverser sa vie... Puis, sa vie d'adulte, de mère, puis de grand-mère, une vie jalonnée de deuils et de doutes.

C'est un récit sur l'immigration, sur les racines et l'avenir qu'on essaie de se construire, malgré les obstacles. L'auteure dépeint avec brio la réalité sociologique de l'exil et de l'intégration tout en rappelant la réalité historique de l'Espagne du milieu du XXème siècle. C'est une histoire de secrets et de drames qui ont façonné la vie d'une femme, sa grand-mère. Enfin, c'est surtout un récit sur la perte et sur l'amour. La perte des être aimés, cause de désespoir et l'amour, cause de force et de résilience...

J'ai trouvé ce roman absolument poignant et captivant, bien écrit et rythmé, oscillant entre chaleur et nostalgie, alliant franc-parler, écriture métaphorique et réflexions philosophiques.

Seul bémol : la fin. C'est vraiment dommage car, après le récit de la vie de la grand-mère, il y a un épilogue racontant la relation qu'a aujourd'hui la narratrice avec le grand-père restant. Je trouve que le roman aurait pu se terminer juste avant, cela aurait été parfait. Pour cette dernière partie, j'ai eu l'impression qu'elle fut écrite par une autre personne, il y a un trop gros décalage avec le reste de l'histoire. De plus, sans vouloir rien révéler, j'ai trouvé la fin exagérée et en décallage avec le reste du roman. Mais à chacun-e de se faire son idée !

Il n'en reste pas moins que La commode aux tiroirs de couleurs est un beau roman qui se lit avec plaisir et émotion.

La commode aux tiroirs de couleur / Olivia Ruiz .- JC Lattès, 2020

Quelques citations pour se faire une idée du style :

"Ma grand-mère depuis toujours, c'est elle qui décide, elle qui nous mate. Elle est comme sa cuisine, d'abord elle te tente irrésistiblement, te surprend, puis te violente de son tempérament épicé. Quand le repas est terminé pourtant, c'est une saveur suave qui te reste  dans la bouche, rassurante parce qu'elle te donne l'impression d'être aimé passionnément." p 14

"Je ne pouvais pas imaginer la misère qu'affrontaient ceux qui étaient restés. Je ne pouvais pas imaginer à quel point notre départ avait été vécu comme un rejet par les nôtres. Je ne pouvais pas imaginer que là-bas j'étais devenue une étrangère, une traitressen une prétentieuse petite Française." p 74

"Tu sais quoi mi vida? On s'en fiche, cette histoire c'est la nôtre, que ça leur plaise ou non. Je serai tes origines, tu seras mes racines, et on s'inventera la vie qui nous plaira. On ira où on voudra, on sera qui on a envie d'être, et on s'écrira un avenir fantastique, ensemble." p75

[ le foulard bleu] Ce bleu donnera sa couleur au reste de ma vie. Ce sera le bleu de ma liberté. De mes choix. De mes sacrifices. des sacrifices que j'ai choisi de faire en hiérarchisant mes priorités. Parce que dès que j'ai porté ce foulard, j'ai fait un bond dans le temps. Je n'ai cessé d'apprendre et de comprendre, de pardonner, de grandir, tout le temps où il a enrubanné mon cou." p 117 " Le souvenir, c'est bien quand il te porte. S'il te ralentit ou même te fige, alors il faut le faire taire. Pas disparaître. Juste le faire taire, car à chaque moment de ta vie, le souvenir peut avoir besoin que tu le réveilles pour laisser parler tes fantômes."

"Je voudrais disparaître, ou mieux, ne pas avoir existé du tout. Je voudrais qu'aucun futur ne m'attende plus jamais. Mais Cali est le cadenas qui fait de mon piège une forteresse. Pour elle, je reviendrai vers cette vie que je déteste de fond en comble et sur laquelle je n'ai plus aucune prise." p 121