samedi 12 juin 2021

Une immense sensation de calme : Un petit roman puissant aux allures de conte

Une immense sensation de calme est le premier roman de l'autrice française Laurine Roux, sorti en 2018. Conseillé par un collègue, j'en ai apprécié la lecture, très agréable et captivante et le style poétique et aux frontières du fantastique. Cela m'a d'ailleurs un peu déroutée au début ne sachant pas trop de quel coté se trouvait l'histoire (monde réel ou imaginaire?) mais je me suis vite laissée captiver par l'écriture puissante de l'autrice qui est une conteuse de talent.


Nous sommes dans un pays de l'Est aux frontières de la taïga, probablement en Russie, à une époque indéterminée. La narratrice, une jeune orpheline, a un coup de foudre pour un beau jeune homme mystérieux, robuste, un peu sauvage prénommé Igor. Alors que sa "baba" (grand-mère) vient de mourir, elle quitte tout pour partir vivre avec lui dans la forêt. Commencent pour eux une vie nomade à deux. Igor subsiste en livrant des vivres à de vieilles femmes isolées. S'ils souhaitent vivre d'amour et d'eau fraîche, ils vont cependant devoir affronter les conditions climatiques difficiles. Par ailleurs, au fil des rencontres, le passé refait surface, dévoilant d'étranges et terribles secrets...

Prenant la forme d'un conte un peu mystique, ce beau petit livre raconte la force de l'amour, plusieurs histoires sentimentales tragiques formant ainsi le coeur du récit. C'est également un récit sur le poids de l'Histoire (avant et après le "Grand oubli" succédant à une terrible guerre) et des traditions, et sur l'omniprésence de la mort abordée ici comme un "passage"

Avec des phrases courtes et percutantes, l'autrice entretient un rythme prenant où des secrets liés à un passé tragique sont dévoilées au fil des pages. On flirte ici avec le fantastique : il est question de créatures mi hommes-mi bêtes, d'"Invisibles", de "Grand Oubli", de "passage" vers l'autre coté.... La nature tient une place primordiale dans ce petit roman, les hommes et femmes respectent leur environnement jusqu'à être en pleine communion avec lui.

Un roman-fable aussi magnifique que cruel qui souligne les méandres de l'âme humaine, des sentiments les plus nobles comme l'amour et l'entraide aux plus obscure tels le rejet, la haine, la violence. Une écriture puissante, poétique qui ne vous laissera pas indifférent.


Grand prix SGDL 2018.

Quelques citations :

 "Depuis la maison de la vieille Grisha, trois heures de marche mènent à ce trou de vie creusé par l'effort et poli par la solitude. Sur le chemin, j'ai peur. La crête marneuse est raide. [...] Mes semelles s'enfoncent dans cette chair de pierre molle. [...] Mon ombre se confond à son ombre. J'ai souvent cette impression d'être aspirée jusqu'à m'évaporer dans son sillage." p 15

"Il y a des gens qui sont bâtis pour exister toujours, leur corps éblouissant érigé pour résister aux assauts du temps, de la maladie et de la mort. Des anatomies de soleil et d'éclat." p 43

"Un rai de lune perce à travers les volets. Le feu s'est éteint. Tochko ronfle. Dans son sommeil, Igor semble moins agité. De la vapeur sort à intervalles réguliers de sa bouche. J'y vois flotter le cadavre de l'ourse. Alors j'approche mes lèvres des siennes et aspire la vision." p 52

"Nous sommes des dieux qui ont reçu la beauté en héritage. La splendeur de la jeunesse est éternelle. Seuls comptent le plaisir de l'effort et celui d'être là. Simplement là, ici et maintenant. Seulement la puissance de l'instant, Igor et la taïga" p 53

"Mais la déchirure du temps, la douleur de l'absence ont tôt fait de violacer les reflets d'aurore et, dans le silence bruissant du passé, la vieille respire longuement, replace chaque ride, chaque pli sur son visage, et la peau froncée, gardienne du souvenir, fait refluer la mémoire de son corps loin  à l'intérieur des chairs, scellée pour le futur." p 94

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