samedi 12 mars 2016

"Les oubliés du dimanche" : un roman émouvant et passionnant qui parle d'amour, de mémoire, de transmission

Je viens de dévorer Les oubliés du dimanche, un beau roman relatant une histoire (ou plutôt des histoires) plutôt tragique(s) avec un ton tendre et léger. Des intrigues captivantes, une écriture délicate et rythmée, une bonne dose de tendresse, une once de poésie et une pointe d'humour, il ne m'en fallait pas plus pour que je lise d'une traite ce premier roman de Valérie Perrin !


La narratrice, Justine, est une jeune femme de 21 ans qui vit chez ses grands-parents taciturnes avec son cousin Jules -qu'elle considère d'ailleurs comme son petit frère- en pleine crise d'adolescence, dans une petite bourgade du centre de la France. Les parents respectifs des deux cousins sont morts dans un accident de voiture alors que tous deux étaient encore petits. Plutôt solitaire, Justine n'a pas vraiment d'amis et vit quelques aventures amoureuses sans lendemain. Elle a deux passions dans la vie : son travail d'aide soignante en maison de retraite et sortir danser au Paradis le samedi soir.
Ses "petits vieux", elle les adore. Elle s'est particulièrement prise d'affection pour Hélène, une vielle dame qui maintenant vit davantage dans le passé que dans le présent. Quand Justine ne lui fait pas la lecture, c'est Hélène qui lui raconte sa vie, notamment la grande histoire d'amour compliquée qu'elle a vécu avec un certain Lucien. La jeune femme, touchée par cette histoire (et aussi par le petit-fils d'Hélène aux yeux d'un bleu profond!), notera tous les souvenirs de la vieille dame dans un petit cahier bleu.

Ce roman se construit autour de deux histoires d'amour. D'un coté, l'histoire de Justine, le récit plein d'humour et de tendresse de son travail à la maison de retraite, les péripéties qui s'y passent, comme l'histoire de ce "corbeau" vengeur qui appelle les familles des résidents esseulés, ces fameux "oubliés du dimanche". Elle relate aussi ses rencontres amoureuses et la vie de famille si particulière qu'elle a avec ses grands-parents. Et surtout, le mystère qui plane sur la mort de ses parents pèse de plus en plus lourd sur ses épaules...
En parallèle, on suit la rétrospective de la vie d'Hélène. Dans les années trente, c'est une jeune et belle couturière complexée par sa dyslexie. Le jour où elle rencontre Lucien, un beau jeune homme prévenant qui va lui faire découvrir le braille, elle va littéralement (et littérairement !) revivre. Ensemble ils vont tenir le café du village, lieu de vie, de rencontre, d'échange en pleine campagne. Malheureusement la seconde guerre mondiale va bouleverser leur histoire et leur vie toute entière...

Que ce soit du coté de Justine et du coté d' Hélène, on est captivé par l'histoire de ces deux femmes, l'une qui cherche un sens à sa vie et rêve du grand amour, l'autre qui vit plongée dans son passé et ne cesse de penser à son amour de jeunesse. Toutes deux ont vu leurs existences bouleversées par une tragédie et la disparition d'êtres chers.

C'est un roman plein de tendresse et d'humanité qui parle de mémoire, de transmission, du poids des souvenirs et du désir d'avenir. La narratrice (et à travers elle, l'auteure) aime les gens et ça se sent. C'est un roman subtile, émouvant et captivant !


Quelques citations :

"Ce ne sont pas des heures supplémentaires que je fais, ce sont des heures où je n'ai pas envie de rentrer chez moi. Pas envie de voir pépé s'emmerder parce que c'est tout le temps l'hiver dans ses yeux, pas envie de voir mémé chercher le visage de mon père sur le mien, pas envie de frapper à la porte de la chambre de Jules, enfermé dans son mutisme [...]" p 55

"Ce que je ne trouve pas joli chez moi, je me dis qu'un jour ce sera la beauté de quelqu'un. Quelqu'un qui m'aimera et qui deviendra mon peintre. Ce sera celui qui me continuera. Qui me fera passer du brouillon au chef d'oeuvre si j'ai une grande histoire d'amour. On est tous le Michel-Ange de quelqu'un, le problème c'est qu'il faut le rencontrer" p 84

"La première fois que Lucien a embrassé Hélène, il a senti un battement d'ailes sous ses lèvres. Il paraît que ça n'arrive pas tout le temps. Qu'on peut passer une vie à attendre ce battement." p 85

"Hélène avait toujours le sentiment de rester à la surface des choses, des gens. En lisant, elle croque dans un fruit qu'elle a convoité pendant des années et sent enfin son nectar sucré couler dans sa bouche, sa gorge sur ses lèvres, ses doigts." p 108

"Des cahiers bleus je pourrais en écrire des centaines. Parfois, je me dis que je pourrais transformer chaque résident en nouvelle. Mais il faudrait que j'aie une jumelle." p 186

"Les résidents évoquent souvent la mort avec cynisme, casser sa pipe, canner, crever, foutre le camp, passer l'arme à gauche, bouffer les pissenlits par la racine, être plus près de saint Père que de Saint-Tropez. Les personnel soignant se doit d'employer des mots dignes, disparaître, partir, s'éteindre, quitter, s'endormir sans souffrir." p 315

"Comme on me dit tout le temps que quand un vieux meurt, c'est une bibliothèque qui brûle, je sauve quelques cendres." 366

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