vendredi 29 juillet 2016

"Ma vie de pingouin", un roman plein de fraicheur et d'intelligence

Ma vie de Pingouin est le dernier roman de Katerina Mazetti, l'auteure des excellents romans Le mec de la tombe d'à coté (une de mes premières critique faite en 2012 !) et Le caveau de famille.
L'auteure suédoise a gardé son sens de l'humour dans ce nouveau livre qui relate les états d'âme d'un groupe de personnes effectuant une croisière en Antarctique, en alternant les points de vue des passagers.


Sur ce bateau, sorte de huis-clos flottant au milieu des icebergs, les passagers vont apprendre à se connaitre, des liens vont se créer, des groupes vont se former... Les chapitres alternent les points de vue des personnages révélant progressivement leurs blessures, leurs secrets, leurs envies.

On retrouve Alba, 74 ans, voyageuse et aventurière qui regarde le monde tourner autour d'elle avec distance et humour. Elle compare les humains aux animaux qu'elle observe en Antarctique et remplis de petits carnets de ses notes ethnographiques et éthologiques. Elle se compare elle même à un vieil albatros, âme solitaire sans attache. C'est incontestablement mon personnage préféré.
Thomas, journaliste trentenaire récemment divorcé, est en pleine dépression et passe son temps à s'apitoyer sur son sort au point d'oublier que le monde continue de tourner autour de lui.
Wilma est une jeune femme aux allures de garçon manqué débordante d'enthousiasme et de joie de vivre qui ne supporte pas justement les gens défaitistes. Mais derrière son sourire et sa naïveté joyeuse elle cache un secret. Ces deux derniers personnages, bien qu'ayant des caractères complètement différents, se lient très vite d'amitié pour ne plus se quitter de la croisière.

Il y a aussi ce couple où la femme passe son temps à se moquer de son mari et draguer le personnage d'équipage, cet autre couple de retraités enfermés dans la routine où le mari empêche sa femme de créer des liens, ce médecin de croisière qui se retrouve à soigner le mal de mer alors qu'il a parcouru le monde toute sa vie, ces deux soeurs quadragénaires dont l'une est le souffre-douleur de l'autre...
On suit les pensées de tous ces personnages forcés de se côtoyer le temps d'une croisière au pays des pingouins. Chacun participe à ce voyage pour une autre raison. Certains sont des férus d'ornithologie, d'autres sont venus là pour fuir leurs soucis, par goût de l'aventure, d'autres cherchent quelque chose : un nouvel amour, de nouveaux amis, un nouveau départ ou simplement une bouffée d'air frais.
Cette croisière permet à chacun de faire le point sur sa vie, de prendre du recul sur les problèmes du quotidien, de s'ouvrir aux autres ou de prendre une décision importante. Se retrouver seuls entourés d'une nature sauvage et glacée a quelque chose de mystique qui remet tout le monde à sa place.

Avec ce ton caustique bien à elle, Katarina Mazetti écrit ici un livre à la fois frais, distrayant et intéressant du point de vue sociologique, psychologique et sociétal. Du point de vue sociétal, la question du réchauffement climatique est bien entendue abordée. (J'ai bien aimé la réflexion que se font à un moment certains personnages sur leur propre hypocrisie de contribuer ainsi au réchauffement climatique lors d'une croisière de luxe en regardant la glace fondre à vue d'oeil...)
D'un point de vue psychologique, la plupart des maux de l'âme sont abordés au gré des personnages : la dépression, le déni, l'autoritarisme et le besoin d'humilier, l'égocentrisme, la jalousie, la solitude, l'excès d'enthousiasme, les regrets... Ce bateau se transforme alors en véritable laboratoire de soins psychologiques ! Enfin, d'un point de vue sociologique, j'ai adoré les comparaisons hommes / animaux faites par Alba.

J'ai beaucoup aimé ce petit roman que j'ai lu d'une traite grâce au formidable sens de narration de l'auteure, à son écriture pleine d'humour et à sa vision pertinente des comportements humains. Un livre rafraîchissant idéal pour les vacances estivales !

Ma vie de pingouin / Katerina Mazetti . - Ed. Gaïa, 2015

Quelques citations :

Wilma : "C'était totalement incroyable. Ca se passait ici et maintenant, et il n'y avait pas de clôture entre les animaux et moi, pas de pancarte avec leur nom en latin. Ils n'avaient même pas peur de nous, ils semblaient plutôt indifférents ou  la rigueur un peu irrités. Ca ne doit pas être inscrit dans leurs gènes qu'il vaut mieux éviter les humains - ils n'ont jamais eu de raison de le faire. Je sais maintenant que j'ai eu raison de venir ici, malgré ce que ça m'a coûte. Et ce que ça va me coûter." p 55

Alba : "Certaines femmes font de bon albatros, à cause de leurs aspirations à la liberté et à l'aventure. Les hommes peuvent nourrir les mêmes aspirations, et ils ont plus de possibilités de les réaliser dans les limites d'un comportement humain acceptable. Ils peuvent même obtenir les deux - la liberté de l'albatros ainsi qu'un nid douillet quelque part avec une volée fidèle qui les attend. Cela n'arrive jamais aux femmes. Si une femme opte pour une vie d'albatros, c'est un choix sans réserve, et cela a un prix. Pour une femme qui choisit d'être uniquement un albatros, ce prix est parfois très élevé." p. 86

Wilma : "J'ai eu raison de venir ici. En fait, je n'ai pas besoin de vivre beaucoup d'autres choses dans cette vie. Tomas arpente la plage d'une bonne foulée et semble se parler tout seul. Parfois il est totalement inaccessible. Mais parfois pas. Alors je peux en quelque sorte entrer tout droit en lui avec mes gros sabots, même pas besoin de les déposer dans le vestibule. Et d'autres fois je peux sentir à quel point il est triste." p 107

Alba : "Nous sommes tous devenus les proies de Linda Borkmeyer, le pétrel géant, nous sommes ses poussins manchots. Elle est diaboliquement douée pour voir nos points faibles et nous balader ensuite dans la conversation jusqu'à ce qu'un imprudent dise quelque chose qui nous fait apparaître comme les pires filous, ou dans le meilleur des cas comme des nouilles." p 119

Wilma : "Celui qui parle de son malheur réclame votre sympathie d'un manière toute particulière, en tout cas si vous n'êtes pas froid comme un glaçon de l'Antarctique. J'ai du mal à y parvenir. Les geignards et les pleurnicheurs, je sais les remettre à leur place, alors que les déprimés... J'ai souvent l'impression d'avoir pour vocation de les gaver de joie de vivre.[...] Les gens malheureux adoptent souvent la mauvaise habitude d'exiger de la compassion, ils voient cela comme un droit, si toutefois ils en sont conscients. [...] C'est épuisant de servir de poubelle, surtout s'ils se fâchent quand je les remue un peu et les traite d'égocentriques. " p 153

Thomas : "J'aurai voulu que tu m'apprennes à jouer au jeu du contentement ! Mais je crois qu'il est trop tard. Malheuresement. Ca te rendrait morne et triste de me fréquenter, et quand je t'aurai entrainé au fond, j'en aurais assez de toi et j'irais vider quelqu'un d'autre de sa joie de vivre ! " p 164

Sven, le médecin : "Tout le monde devrait connaitre un bon mal de mer de temps en temps, a-t-il marmotté. Ca vous rend humble et doux, on se rend compte qu'on n'a pas grand-chose à opposer à la nature. Je crois que je vais inventer un comprimé de mal de mer qui fonctionne  l'envers. Pour le jeter dans le gosier des tyrans omnipotents aux quatre coins du monde quand ils s'apprêtent à envahir un pays, ou à dévaster une forêt ou simplement à battre leur femme." p 169

Wilma : "Ca valait le coup. Tout ça valait le coup. Serrer les dents sur la douleur, participer à la vie et s'ouvrir à l'inconnu. Comment pourrais-je amener Tomas à voir ce que je voyais?" p 217

Alba : "Mais pourquoi faudrait-il se souvenir de tout? Moi, je choisis mes souvenirs, seulement les meilleurs, je les polis et les fais briller, j'en rajoute un peu là où c'est nécessaire et je les sors quand j'en ai besoin. Ils me procurent du plaisir tous les jours, je suis heureuse de les avoir rassemblés !" p 240

"La ruine des espèces
C'est un vulgaire malentendu de croire qu'il n'existe qu'une sorte de manchots, ou qu'une sorte d'humains. Ils peuvent être de grande taille, fiers, guindés, courageux ou bien petits, coléreux, curieux et peureux, dans toutes les combinaisons possibles. Ils sont voleurs et ils aiment et ils sont fidèles ou infidèles, mais la plupart du temps, ils ont une chose en commun : ils oeuvres pour la survie de leur espèrce. Les humains diffèrent cependant des autres espèces animales : les humains maltraitent et tuent parfois leurs propores femelles. C'est pourquoi l'expression - les hommes sont des animaux - est une offense aussi bien envers les manchots que les autres espèces animales." p 267

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