dimanche 29 octobre 2017

Une relation mère-fille bien particulière au coeur du dernier roman d'Amélie Nothomb

Comme chaque année, le dernier livre d'Amélie Nothomb figure dans les best-seller de la rentrée littéraire. Si je n'ai pas lu les derniers  romans de l'auteure belge, je me suis laissée tenté par ce nouvel opus, "Frappe toi le coeur", l'histoire d'une fille délaissée par sa mère et marquée à vie par cet abandon.


Une jeune mère hypernarcissique

Le roman commence dans les années 70 par l'histoire de Marie, une jeune femme belle, brillante, arrogante, qui aime être au centre de tous les regards. Hyper-narcissique, elle a la vie devant elle et compte bien en profiter. Mais, lorsqu'à vingt ans elle tombe enceinte, elle le vit comme une punition, comme si on lui avait coupé les ailes avant qu'elle ait pu prendre son envol. Avant même que cet enfant naisse, elle ne l'aime pas. Elle se marie plus par principe que par amour et ne vit qu'à travers le regard des autres, à travers leur éventuelle envie ou jalousie. Marie veut que tout le monde l'admire. Aussi, lorsque l'intérêt se porte sur son adorable bébé, la petite Diane, cela l'énerve profondément, elle devient complètement jalouse de sa fille, au point de  renier cette enfant qui devient transparente à ses yeux. 

Je reconnais ne pas avoir beaucoup aimé ce début de roman centré sur le personnage de Marie, arrogante, égocentrique. Elle apparaît vraiment antipathique ! Mais au bout de trente pages environ, l'histoire se centre sur le personnage de Diane, première enfant non désirée d'un couple jeune et immature et ça devient plus intéressant.

Une enfant délaissée qui considère sa mère comme une déesse inaccessible

Cette dernière, très intelligente, considère d'abord sa mère comme une déesse inaccessible. Très jeune, elle comprend que sa mère est jalouse d'elle et ne lui en veut pas. Elle trouve refuge chez ses grands-parents qu'elle adore et qui prennent soin d'elle. Quand sa mère donne naissance à un second enfant, un garçon cette fois, et qu'elle a avec ce bébé un comportement normal, attentionné et aimant, elle se dit que c'est parce que c'est un garçon justement et n'éprouve ni jalousie ni ressentiment à son égard et envers sa mère. Mais lorsqu'arrive un troisième enfant, une petite fille, que sa mère étouffe d'un amour fou dès ses premiers jours, Diane est profondément blessée. Ce n'est donc pas parce qu'elle est une fille que sa mère la rejette. Son monde s'écroule. Elle devient de plus en plus distante avec les membres de sa famille au point de ne plus vivre avec eux dès ses 15 ans. Sa mère se rend à peine compte de son absence, et ne lui adresse de toute façon jamais la parole. Très intelligente, belle, fière débrouillarde et facile à vivre, Diane devient très vite mature. Elle se dévoue entièrement à ses études qu'elle réussit brillamment.

Ce qui est un peu curieux c'est que l'auteure relate les pensées de l'enfant de deux ans comme si celle-ci était déjà très mature pour son âge, voir adepte de la psychologie parentale. Même si c'est une enfant précoce et très intuitive, certaines de ses analyses en psychologie parentales m'ont semblé un peu exagérées.
Cependant, on se laisse happer par le récit de cette enfance délaissée où on suit avec peine les déboires de la petite Diane dans un foyer où elle ne semble pas avoir sa place.

Une vie d'adulte marquée par une enfance blessée

Cette enfance rejetée par sa mère a forcément des conséquences sur la vie de jeune femme et d'adulte de Diane. Après s'être entièrement consacrée à ses études, c'est dans son travail d'interne en médecine qu'elle se noiera, excluant toute relation extra professionnelle, toute vie sociale, oubliant ses amies. Elle est déterminée à être toujours la meilleure, comme si elle devait sans cesse prouver quelque chose à quelqu'un. Puis elle devient fascinée par sa professeur en cardiologie, Olivia, une belle femme brillante et respectée mais aussi froide et arriviste. Toutes deux vont vite devenir inséparables. Mais les apparences sont parfois trompeuses et Diane va progressivement découvrir la face caché de sa nouvelle amie...

Une histoire empreinte de psychologie familiale

Les blessures de l'enfance construisent forcément la personnalité de l'adulte. On le savait et c'est bien confirmé dans ce roman. La volonté d'être la meilleure pour arracher ne serait-ce qu'un regard à sa mère, la sagesse, le sérieux de Diane à toute épreuve en font une véritable sainte.

C'est une histoire qui révèle la complexité de la relation mère-fille, entre admiration, envie, jalousie, envie de plaire, crainte... Il est aussi question de l'instinct maternel qui n'est pas inné pour tout le monde et le fait que certains parents ont une nette préférence pour un de leurs enfants par rapport à un autre. Le cas abordé ici est toutefois extrême. Au coeur de l'histoire également, les rapports de compétition entre femmes, plus précisément entre mère et fille.
Diane recherchera toute sa vie la figure maternelle dans les nouvelles rencontres qu'elle fera, souvent des femmes belles, froides, intelligentes, à l'image de Marie. C'est aussi un récit qui parle des amitiés qui peuvent être très fortes, fusionnelles mais se dissoudre aussi vite qu'elles se sont construites. 

Une écriture limpide et percutante, du pur style Nothomb !

Si on est loin de l'époque de L'hygiène de l'assassin ou Stupeurs et tremblements qui restent ses meilleures romans, on retrouve ici l'écriture à la fois fluide et percutante d'Amélie Nothomb qui nous emporte facilement dans le parcours de cette fille délaissée par sa mère. Comme dans ses derniers ouvrages, il y a quelque chose du conte moderne dans cette histoire, à chacun de trouver sa propre morale. De plus le récit est riche en références littéraires et mythologiques. Le titre du livre vient d'ailleurs d'une célèbre phrase d'Alfred de Musset.
Frappe toi le coeur se lit facilement (j'ai lu ce roman en un week-end), c'est plutôt bien écrit tout en restant tout a fait abordable, bref c'est du Nothomb tout craché !


Quelques citations :

"Avait-elle déjà entendu le mot "jalouse"? Quoi qu'il en fût, elle eut le sentiment de savoir ce dont il s'agissait. Et elle y vit une bonne nouvelle : ce qui empêchait sa mère de lui montrer son amour, c'était la jalousie. Elle l'avait tant de fois aperçue sur le journal de la déesse.[...]" p.36

"La déesse m'aime, seulement elle m'aime d'une curieuse façon, elle n'aime pas me montrer qu'elle m'aime parce que  je suis une fille, son amour pour moi est un secret." p.44

"Quant à la cardiologie, je vous préviens : ma motivation va vous paraître idiote.
- Allez-y
- C'est une phrase d'Alfred de Musset qui m'a impressionnée : "Frappe toi le coeur, c'est la qu'est le génie" p.92-93

"La femme qui la regardait avec une curiosité douloureuse lui parut innocente. Ce qui l'absolvait n'était ni la prescription, ni l'oubli, c'était son démon [...] Ce qu'elle avait infligé à son aînée n'était que l'expression d'un narcissisme dévoyé dont elle ne semblait pas consciente" p.104

"L'espace d'un instant, elle se réjouit de la beauté de son ancienne amie. Mais soudain elle sentit son âme se fendre en deux et laisser place au gouffre, et elle sut que son être entier allait y être aspiré, si puissante était l'attraction de cette douleur béante." p. 146

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