dimanche 8 octobre 2017

"Quand sort la recluse" : un polar à la fois décalé, sombre et intelligent

Fred Vargas est cette auteure de polar française incroyable dont les romans débutent souvent par une situation ou un détail incongru. Ainsi, je me rappellerai toujours l'originalité du début d'Un peu plus loin sur la droite qui commence par ... la découverte d'un os dans une crotte de chien !
Quand sort la recluse est son 32ème roman et on retrouve avec plaisir son personnage fétiche, l'inspecteur Adambserg ainsi que toute son équipe : le commandant Danglard droit et très cultivé qui parle souvent en "citations", l'imposante et efficace inspectrice Retancourt, son collègue et ami d'enfance béarnais Veyrenc, la gourmande et gastronome Froissy, etc.. Tous ont une personnalité atypique et sont finalement assez complémentaires.


Le retour du commissaire Adamsberg

Adamsberg rentre tout juste d'Islande où l'avait mené sa précédente enquête (voir mon billet sur Temps Glaciaires) après y être resté quelques temps afin de  prendre du recul. C'est un peu à contre-coeur qu'il est de retour à Paris, où il retrouve sa brigade et les affaires en cours. Le roman s'ouvre ainsi sur la mort suspecte d'une jeune femme dont le mari apparaît vite comme le principal suspect, puis une sur une forme de harcèlement sexuel un peu étrange dont est victime une collègue de la brigade. Cela m'a quelque peu déstabilisé au début car on ne sait pas trop quand l'histoire qui donne son titre au livre va vraiment commencer. L'auteure nous fait miroiter une petite cinquantaine de pages, le temps que le commissaire Adamsberg reprenne ses marques et l'occasion de nous familiariser de nouveau avec les personnages, avant de nous lancer sur une nouvelle intrigue.

Des piqûres d'araignée suspectes

Quand Adamsberg tombe sur un article que lisait son adjoint Veyrenc à propos de la mort de trois vieux, décédés à quelques jours d'intervalles dans la région niçoise d'une piqûre de recluse, une petite araignée qui vit cachée et n'ai habituellement pas dangereuse, cela éveille sa curiosité. Tout le monde pense que ces trois personnes étaient simplement plus fragiles et ont, de ce fait, succombé plus facilement à la dose de venin de l'araignée, mais Adamsberg ne peut s'empêcher de voir quelque chose d'intriguant et de suspect dans ces trois décès. Seul, contre l'avis de sa brigade, il décide alors de se renseigner sur cette fameuse recluse en se rendant chez un arachnophile où il va faire la rencontre d'Irène, une vieille dame passionnée d'araignées qui passe son temps sur les forums. Il va vite se lier d'amitié avec cette drôle de dame. En faisant des recherches sur les trois victimes, il leur découvre un sordide passé commun qui va l'amener à craindre d'autres morts suspectes. Mais, si une piqûre de cette araignée n'est pas mortelle, comment expliquer alors ces morts par venin si rapprochées?
Avec l'aide de ses fidèles lieutenants Retancourt, Veyrenc, et Froissy, le commissaire va faire des d'étonnantes découvertes souvent tristes et effrayantes aussi. Mais cette enquête va également être à l'origine de dissensions dans son équipe. De nouveaux indices en fausses pistes, Adamsberg va être de plus en plus intrigué, baladé, voir découragé mais, avec le soutien de ses collaborateurs et de quelques spécialistes, il viendra finalement au bout du mystère de la recluse.

Une enquête riche en références historiques et linguistiques avec une forte dimension psychologique

Après un démarrage du livre un peu laborieux je me suis finalement laissée embarquée par cette histoire passionnante. Et, si par moment ça semble vraiment tiré par les cheveux et complètement improbable, on pardonne presque à l'auteure tellement c'est bien écrit, réfléchi et finalement ça reste cohérent.

Comme dans ses précédents romans, on remarque l'intérêt de Fred Vargas pour l'Histoire, l'archéologie et les animaux. Quand on sait que l'archéozoologie est sa formation initiale, ça n'a plus rien d'étonnant ! De plus, l'auteure use judicieusement de la langue française, mettant l'accent sur les noms, soulignant l'importance de l’étymologie, de la linguistique. C'est un roman très riche, plein de références culturelles et, de ce fait, très intéressant et intriguant.

Il y a également une forte dimension psychologique dans ce roman. On sent rapidement que, si crime il y a, cela a quelque chose de très personnel qui révèle de la vengeance et donc d'une forte blessure psychologique (entre autre). Par ailleurs, le commissaire fait appel à un psychiatre qu'il connait afin d'obtenir quelques explications sur les tours que lui joue son subconscient et sur l'éventuelle psychologie du tueur ou de la tueuse.
S'ajoute à cela les caractères bien tranchés des membres de la brigade, tous plus originaux les uns que les autres. Certains dialogues, hors contexte, peuvent frôler l'absurde, les discussions sont empreintes de rêve, de poésie, d'un certain décalage par rapport à la réalité. (voir citations plus bas)

Chaque détail est un rouage de l'enquête, une "bulle" dans le cerveau du commissaire

Dans ses enquêtes, le commissaire Adamsbgerg, apporte beaucoup d'attention aux détails, aux petites phrases. Ces petites choses sont pour le commissaire des bulles qui vont gêner les rouages de sa pensée. Ça peut être une petite phrase dite par un de ses collaborateurs, un détail, une anecdote, autant de petites "bulles" qui volent dans son cerveau dont il pressent une certaine importance mais ne parvient pas à saisir tout le sens. Pour l'aider à réfléchir, le commissaire note ces pensées, ces détails dans un petit carnet qu'il a toujours sur lui et qu'il relit régulièrement afin de l'aider à réfléchir, jusqu'à ce que ces "bulles" finissent par éclater pour lui révéler un nouvel indice, un sous entendu ou un non-dit.

Le commissaire apporte aussi une certaine importance aux lieux, comme ce restaurant traditionnel "La garbure" où il retrouve son collègue Veyrenc presque tous les soirs pour faire le point sur l'enquête. D'ailleurs, Adamsberg révèle que, pour chaque enquête, il adopte un QG différent qu'il déserte ensuite une fois l'enquête bouclée.

Quand sort la recluse est un roman réfléchi, foisonnant d'informations, passionnant et attachant par ses personnages, excitant par son intrigue quasi improbable. C'est un roman qui rend hommage aux courage des femmes victimes de harcèlement, de viol voir de crime. 
J'ai bien aimé ce dernier roman de Fred Vargas, même si finalement, connaissant un peu la logique de l'auteure, j'avais pressenti le dénouement !

Quand sort la recluse / Fred Vargas . - Flammarion, 2017

Quelques citations :

" [Veyrenc] - Raconte moi cette femme qui t'a offert une araignée morte.
[Adamberg]- Les hommes offrent bien des manteaux de fourrure. Quelle idée. Imagine toi serrer dans tes bras une femme qui porte soixante écureuils morts sur le dos
-Tu vas porter ton araignée sur le dos?
- Je l'ai déjà sur les épaules, Louis
- Et moi, j'ai déjà un morceau de peau de panthère sur la tête, dit Veyrenc en passant sa main dans son épaisse chevelure." p 109-110

"Il s'installa comme il put dans sa voiture, un peu morose, environné par ses bulles qui patrouillaient sans relâche, seules et sans aide, sur des chemins inconnus." p 415

"Tout en surveillant son feu, il rouvrit son carnet. La pause aurait été de courte durée. Il relut, dans l'ordre, les phrases qu'il avait écrites dans l'espoir d'un éclatement de bulles. Comme on repasse sa leçon sans en saisir un traître mot." p.424

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