samedi 25 juillet 2020

Miss Islande : un petit livre puissant et poétique sur la créativité et l'émancipation.

Autre lecture de ce début d'année : Miss Islande de l'auteure islandaise Auður Ava Ólafsdóttir dont j'avais déjà apprécié Le rouge vif de la rhubarbe (lu en 2016!)


L'histoire se passe en 1963 dans une Islande encore très conservatrice. La jeune Helka, qui porte le nom d'un volcan, bouillonne d'énergie et d'ambition : elle rêve notamment de devenir écrivain et de quitter l'Islande. Elle a d'ailleurs déjà écrit quelques nouvelles publiées sous un pseudonyme masculin. Ainsi, a 21 ans, elle quitte sa famille et son village natal pour s'installer à la capitale, Reykjavik, où se trouve un petit boulot de serveuse. Elle entreprend alors l'écriture de son roman dès qu'elle a du temps libre et contacte des maisons d'éditions. Mais il est difficile d'être une jeune femme avec de l'ambition dans un petit pays conservateur où règne le patriarcat. On préférerait la voir épouser un beau et riche jeune homme et faire plein d'enfants plutôt que de l'encourager dans l'écriture...

Hekla est très proche de Jon John, son ami homosexuel qui, pour se faire de l'argent, part à contre coeur et au péril de sa vie plusieurs mois en mer sur les grandes tournées de pêche. Ce dernier vit difficilement les préjugés et l'hostilité à son égard. Il demande d'ailleurs à Hekla de jouer le rôle de petite amie afin d'éviter de se faire maltraiter par ses collègues marins... Lui aussi rêve d'exil afin de réaliser son projet d'être styliste. 
Les deux amis ont en commun ce besoin d'évasion, cette ambition de réaliser des projets que certains qualifient de fous. Ils se sentent tous les deux prisonniers de leur condition.

La jeune femme voit aussi souvent sa copine d'enfance, Isey, qui a choisi une vie plus conventionnelle dans le rôle de mère au foyer. Cependant cette dernière soutient et admire son amie avec qui elle échange poésies et réflexions littéraires. D'ailleurs, elle-même nourrit une passion secrète pour l'écriture et la poésie mais elle s'est résignée pour son mari, pour ses enfants.

Ces trois personnages sont tous très attachants, dépeints avec beaucoup d'empathie. Hekla fait souvent référence à ses parents, avec tendresse et mélancolie. C'est une jeune femme loyale, sérieuse, studieuse et passionnée. Elle rencontre un homme, qu'elle appellera le poète, avec qui elle va avoir une liaison et tenter de partager sa passion littéraire. Au début, par pudeur, ou pour préserver son ego, elle lui cachera d'abord ses talents d'écrivain. "Le poète" devient vite énervant car il nourrit un fort complexe à l'égard Hekla dont il est jaloux de la créativité littéraire.

Alors qu'elle sert un client dans le restaurant où elle travaille, un homme lui propose de postuler au concours de Miss Islande. Ce qui est vraiment à l'opposé des plans d'Hekla, qui est quelqu'un de profond, de sincère, loin du coté superficiel d'un concours de beauté. Bien entendu, même si cela est flatteur, c'est loin de ses ambitions ! Je suis d'ailleurs étonnée que le roman ait pris le titre de miss Islande. Peut-être un pied de nez au concours de beauté justement, une manière de prouver qu'on peut devenir miss Islande avec son cerveau plutôt avec son physique?

C'est un livre sur l'émancipation, l'envie d'aller au bout de ses rêves, la lutte contre les préjugés. Ce roman est également une ode à la liberté, à la jeunesse et se veut résolument féministe.

Miss Islande est un beau petit roman qui explore le thème de la créativité et de la passion littéraire. C'est aussi un récit qui se veut critique à l'égard de la société de l'époque notamment l'occupation  militaire américaine, la montée du capitalisme, l'homophobie, le patriarcat et le machisme.

Avec une écriture à la fois simple, directe, belle et puissante, un phrasé poétique et délicat, Olafdottir nous transporte avec tendresse dans les pensées de ces personnages.

Ce roman a été récompensé par le prix Médicis Etranger 2019.


Quelques citations pour se faire une idée du style de l'auteure:

“Je suis réveillée.
le poète dort.
En dehors des étoiles qui scintillent au firmament,
le monde est noir.”
“C'est la vérité. Mais pas forcément la réalité .......j'ai tellement envie de continuer chaque jour à inventer le monde”

"Une phrase vient à moi, puis une autre, une image se dessine, cela fait toute une page, tout un chapitre qui se débat dans ma tête, comme un phoque pris dans un filet" (p 136)

"Tes pages sont traversées par les torrents impétueux et dévastateurs de la vie et de la mort, moi je suis un ruisseau qui murmure. Je ne supporte pas l'idée d'être un poète médiocre."

"J'ai tellement envie de continuer chaque jour à inventer le monde."

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