jeudi 3 septembre 2020

Huis-clos glacé au Québec : une écriture sublime pour décrire la force de la nature

J'ai pour habitude l'été d'avoir des lectures rafraîchissantes, au sens propre du terme, c'est-à-dire des livres dont l'action se passe dans des pays nordiques, où il fait très froid. Sans doute un moyen pour moi de me rafraîchir l'esprit quand le mercure dépasse 30 degrés !

Au début de l'été, entre deux polars islandais, j'ai donc lu ce petit bouquin pris un peu au hasard dans les rayons de la médiathèque. Le poids de la neige est écrit par un jeune écrivain québecois, Christian Guay-Poliquin. Il s'agit de son deuxième roman, et ce dernier a été couronné par de nombreux prix québécois, à juste titre !
Le livre est paru en 2016 au Québec et a été traduit aux éditions de l'Observatoire en 2018.


Chaque chapitre est introduit par un chiffre, qui ne signifie non pas une année ou une autre temporalité comme on pourrait s'y attendre, mais à la hauteur de la neige aperçue depuis la fenêtre d'un chalet isolé dans la forêt. Ça commence à trente-huit centimètres pour augmenter constamment, au même titre que la tension qui règne dans ce huis-clos.

Souvent les chapitres commencent par une description de la météo : "Des bourrasques secouent la véranda, les murs gémissent et le silence se fissure de part en part."( p 64) . La météo et la quantité de  neige sont ici les facteurs déterminants de l'action de ce récit.
Le roman débute d'ailleurs ainsi : "La neige règne sans partage. Elle domine le paysage, elle écrase les montagnes. Les arbres s'inclinent, ploient vers le sol, courbent l'échine". Voilà, on est dans l'ambiance ! Il fait froid, c'est tout blanc, on est dans la forêt, loin de tout. Le village le plus proche est à la fois proche et loin par ces conditions climatiques.

Le contexte ? Les habitants sont coupés du monde à cause de la quantité de neige mais il regne dans ce roman une petite ambiance fin du monde : il n'y a plus d'électricité, presque plus d'essence, le téléphone est coupé, les vivres commencent à manquer et on parle même d'épidémies qui ont lieu à la ville... (Ce contexte me rappelle bien sûr le magnifique roman Dans la forêt où deux soeurs apprennent à survivre dans un contexte similaire, sans le froid et la neige. )

L'histoire? Matthias est un vieil homme isolé et mystérieux qui semble avoir échoué dans un chalet à l'extérieur du village. Un jeune homme sans nom, le narrateur, se retrouve alité chez Matthias à la suite d'un grave accident. Il a failli perdre l'usage de ses jambes et se remet avec peine. Un deal a été passé avec les habitants du village : le vieil homme prend soin du blessé en échange de bois de chauffage et de nourriture et d'une place pour un convoi vers la ville, quand ce sera possible.. Le narrateur se retrouve donc entièrement dépendant d'un inconnu qui ne pense qu'à partir. Les deux hommes sont donc confinés ensemble, malgré eux, dans des conditions extrêmes.

Le quotidien du jeune et du vieil homme s'organise alors autour des tâches comme couper le bois, allumer le feu, faire cuire les patates, préparer la soupe, chercher des vivres... Et regarder la neige tomber, encore et encore.
Beaucoup de personnages aux prénoms commençant par J (Joseph, Jude, Judith...) gravitent autour d'eux ainsi que la belle Marie qui vient soigner le blessé. La nature et la neige ont une présence très forte dans ce roman, comme des personnages à part entière.

La solitude, le confinement, la nuit, la neige, le froid, le manque de perspectives entament progressivement le mental des personnages et l''ambiance se fait de plus en plus lourde. 
La relation entre les deux hommes évolue sans cesse : dès fois complices, partenaires, bienveillants et protecteurs, ils peuvent devenir méfiants, hostiles, voir dangereux l'un pour l'autre. Comment leur relation va t'elle se finir ? Vont-ils parvenir à s'échapper de ce piège de glace? Et pour aller où?

Il a beau ne pas se passer grand chose dans ce huis-clos, ce roman se lit très facilement. Les phrases sont courtes, percutantes. Les descriptions de la nature sont magnifiques, sauvages et poétiques. Une écriture forte et lumineuse qui m'a happée dès la première page.

"Nous avons voulu fuir le sort qui nous était réservé et nous voilà engloutis par le cours des choses. Avalés par une baleine. Et, très loin de la surface, nous espérons qu'elle nous recrache sur le rivage. Nous sommes dans le ventre de l'hiver, dans ses entrailles. Et, dans cette obscurité chaude, nous savons qu'on ne peut jamais fuir ce qui nous échoit." (p. 92)

Vous l'aurez compris, il s'agit d'un huis-clos glacé, un brin angoissant et toujours captivant. Malgré quelques longueurs vers le milieu du récit, j'ai apprécié la lecture de ce très beau roman.

Le Poids de la neige / Christian Guay-Poliquin . -Editions de l'Observatoire, 2017 (256 pages)

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