mercredi 16 septembre 2020

Une bête au paradis : Un livre puissant sur l'attachement et le désir

Cela faisait longtemps que je voulais lire un roman de cette jeune autrice de 30 ans qui a déjà écrit 9 livres (!) (dont Trois saisons d'orage prix des Libraires 2017). Une bête au paradis est un superbe roman qui explore les failles psychologiques d'une jeune femme vivant dans la ferme de sa grand-mère. Dès les premières pages, j'ai été happée par l'histoire et j'ai eu du mal à lâcher ce roman que j'ai lu en quelques soirées.


"Une bête au Paradis" c'est l'histoire d'une lignée de femme au destin tragique.  C'est le récit d'une petite fille, Blanche, trop tôt orpheline, trop tôt endurcie par la vie, qui se créé une carapace et devient une jeune femme déterminée, forte et travailleuse, mais aussi intransigeante. Adolescente, elle découvre le grand amour mais essuie aussi une terrible peine de coeur, ce qui va la fragiliser pour le restant de sa vie. 

Emilienne, la grand-mère, tient sa ferme de manière acharnée à force de travail et d'un caractère bien trempé. Sa ferme, c'est "le Paradis". C'est ainsi que l'avait baptisée sa fille Marianne. Mais, vivre sur ce domaine n'a rien de paradisiaque : l’aïeule n'a pas une minute pour souffler entre son travail à la ferme et ses deux petits-enfants, Blanche et Gabrielle, dont elle a la charge. 

"Les deuils répétés avaient faits d'elle (Emilienne) une puissance humaine dont le pouvoir grandissait dans l'imagination de ceux qui la côtoyaient" (p 52)

Blanche est une fillette très vive, courageuse, pugnace, elle tient beaucoup de sa grand-mère. Mais elle se montre aussi souvent dure et froide. Son frère Gabriel, au contraire, est très chétif et craintif et a besoin de plus d'attention. Alors que les enfants sont encore petits, Emilienne recueille Louis, un jeune garçon battu par son père et en fait son commis pour l'aider à la ferme. Louis sera pour toujours fidèle à Emilienne. 

"Chacun son poste, chacun sa mission, chacun ses animaux, chacun ses secrets. Chacun ses gestes. Et chacun sa peur de n'être que de passage, d'abîmer ce qui est déjà fragile, de gâcher la beauté. Chacun ses nuits de colère, chacun ses réveils à l'aube, et chacun pour soi, tous pour Emilienne, jusqu'à la fin" p. 239

Amoureuse, Blanche va baisser pour la première fois ses défenses. Le roman débute d'ailleurs par ce passage, ce moment où Blanche a été pleinement heureuse. Les sentiments de Louis vis à vis d'elle évoluent également et en feront un garçon torturé. Mais Blanche est une jeune femme entière, sans concessions, et sa première peine de coeur la rendra encore plus froide et distante. Elle se dévouera corps et âme à la ferme et à sa grand-mère pendant toute sa vie, murée dans ses silences, dans son passé, dans sa douleur. Bien des années plus tard, le fameux Alexandre revient et va bouleverser une nouvelle fois la vie de Blanche...

C'est un magnifique roman sur la force destructrice des sentiments que j'ai dévoré rapidement. Les phrases sont courtes, percutantes. Et, bien qu'il s'agisse d'une sorte de huis-clos (l'action ne sort pas vraiment du cadre de cette ferme), on est vraiment happé par l'histoire. Chaque chapitre porte le nom d'un verbe : "grandir", "surgir", "protéger", "venger"... qui décrit l'évolution du personnage de Blanche. L'autrice décrit superbement bien les tréfonds de l'âme, le mal être, le désespoir et plus encore. 

"Une bête au Paradis" me fait penser à une sorte de conte tragique où Blanche fait figure d'héroïne grecque. La tension monte au fil des pages, on sent d'ailleurs dès le début que ça va mal finir. L'écriture de Cécile Coulon a quelque chose de vraiment organique, tantôt poétique tantôt violente. Débutant comme une saga familiale, le roman se termine comme un véritable thriller psychologique haletant et bouleversant.

Une bête au Paradis / Cécile Coulon . - Ed. L'Iconoclaste, 2019

Quelques citations :

"La vieille parlait à cette femme sans détour. Avec dans la voix cette fermeté de celles qui n'abandonnent rien à la violence des autres." p 27

"Emilienne ressemblait à ce que la terre avait fait d'elle : un arbre fort aux branches tordues." "Tenir les bords du Paradis comme on retient une portée de chatons dans un torchon humide. Elle traversait l'existence, dévolue au domaine et aux âmes qui l'abritaient." p 51

"Blanche était la seule trace de lumière dans cette étendue verte et brune, grise et pâle, sèche ou trempée." p 136

"C'est donc cela, les pleurs, les vrais. Des torrents de honte, d'incompréhension, auxquels les mots de consolation se cognaient [...]C'est donc cela, les pleurs, les vrais. Des blessures en avalanche, les muscles, la peau, les os, le sang, qui tentent de sortir par les yeux, qui fuient ce navire à la dérive, cette épave incapable d'accueillir d'autres matelots que ceux du passé, dont le pont s'est depuis longtemps écroulé sous le poids de ce grelot, énorme à présent, monstrueux, une gigantesque boule qui grossissait encore. C'est donc cela, les pleurs : le sacre du désespoir." p 298

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