samedi 19 septembre 2020

Magnifique premier roman acide et caustique sur une jeune héroïne des temps modernes prisonnière d'une vie de famille toxique

Toujours chez l'éditeur L'iconoclaste j'ai découvert une autre jeune autrice talentueuse : Adeline Dieudonné. La vraie vie est le premier roman de cette jeune écrivain belge prometteuse. Comme dans Une bête au Paradis, il s'agit d'un livre coup de poing qui explore les failles psychologiques des personnages, plus précisément leur coté obscure. Un roman captivant où la tension ne cesse de monter qui se lit presque d'une traite !


Quand la violence fait voler en éclat enfance et innocence

Au début de l'histoire, la jeune narratrice a dix ans. Elle est très proche de son petit frère de sept ans, Gilles, qu'elle materne et protège. Ils jouent dehors la plupart du temps car à la maison l'ambiance est lourde. Le père peine à contenir une violence latente en lui, il est toujours prêt à exploser pour un regard, une remarque, une viande pas assez cuite, etc. Seules ses safaris de chasse semblent faire redescendre la tension. La mère est effacée, craintive. "Je ne sais pas si elle existait avant de le rencontrer. J'imagine que oui. Elle devait ressembler à une forme de vie primitive, unicellulaire, vaguement translucide. Une amibe. Un ectoplasme, un endoplasme, un noyau et une vacuole digestive. Et avec les années au contact de mon père, ce pas grand chose s'était peu à peu rempli de crainte." (p 12) La famille vit dans un lotissement où la plupart des gens passent leur temps devant la télé rêvant d'une meilleure vie. 

Le père conserve ses "trophées", des animaux empaillés, dans une pièce de la maison interdite d'accès. Un soir, un événement aussi horrible que burlesque vient faire voler en éclat l'enfance du frère et la soeur. Sans le réconfort et l'amour de leurs parents, sans soutien psychologique, le petit Gilles se renferme, se mure dans son traumatisme. Sa soeur décrit alors son changement, la part sombre en lui qui s'étend progressivement, faisant référence à une hyène empaillée qui semble lui dévorer le cerveau. Elle décide alors de tout faire pour remonter le temps, pour retrouver son petit frère d'avant, avec son rire enfantin et ses dents de lait. Elle se lance dans des recherches pour pouvoir remonter le temps et se passionne dès lors pour les sciences physiques.
"Alors j'ai décidé que moi aussi j'allais inventer une machine et que je voyagerais dans le temps et que je remettrais de l'ordre dans tout ça. A partir de ce moment-là, ma vie ne m'est plus apparue que comme une branche ratée de la réalité, un brouillon destiné à être réécrit, et tout m'a semblé plus supportable." p 50

Survie en milieu hostile pour notre jeune héroïne


Au fil des pages, les enfants grandissent et deviennent adolescents. Le coté obscure de Gilles semble  gagner de plus en plus de terrain, le jeune garçon a tout perdu de son innocence et de sa joie de vivre. "Elle" (on ne connait pas son prénom) garde pourtant espoir de retrouver son petit frère adoré, de revenir en arrière, à la "vraie vie". 
"La vermine dans la tête de mon frère était aussi vorace et vicieuse que les vérociraptors de Jurassic Park." p 117
Toute la famille vit dans la crainte de ce père imprévisible et violent, respirant seulement en son absence. Avec beaucoup de courage et de détermination, la jeune fille est bien décidée à survivre en milieu hostile, à savoir dans sa propre famille. 

L'adolescente devient brillante à l'école car très motivée, mais le cache à sa famille pour ne pas attiser encore plus la haine de son père. Tout comme elle cache son corps qui se transforme, son père la méprisant en tant que jeune femme. En parallèle de sa vie familiale pathétique, elle fait des rencontres qui apparaissent comme des bouées de sauvetages : une vieille voisine sympathique, un jeune couple beau et attachant, un professeur particulier secret et bienveillant... Adolescente, elle ressent ses premiers fantasmes et émois amoureux. Le tout est décrit avec beaucoup de sensualité.

L'autrice décrit avec brio le mélange de sentiments de la jeune fille : entre amour et douceur pour son petit frère, pitié compassionnelle pour sa mère, crainte et recherche d'affection vis à vis de son père, envie et admiration pour d'autres connaissances...
Les animaux ont aussi une place importante dans cette histoire : tantôt réconfortants pour la fille et sa mère, tantôt des proies à traquer pour son père et son frère. Lorsque l'adolescente adopte un petit chien et l'appelle Curie en l'hommage à Marie Curie, son modèle, sa mère lui fait faire une médaille gravée "curry"... Le fossé est tel entre sa mère et elle qu'elle a depuis longtemps cessé toute communication. C'est toute seule qu'elle tente de sauver son frère. Et de s'en sortir elle aussi.

Un roman d'apprentissage d'un nouveau genre, une écriture caustique et percutante.

La Vraie Vie est un livre sur la perte de l'innocence, la fin de l'enfance. C'est l'histoire d'une fille forte, courageuse et brillante, qui veut tout faire pour s'en sortir mais reste piégée dans les mains des hommes. Malgré les sujets très graves (violences familiales, traumatisme psychologique) l'écriture est souvent drôle, caustique, métaphorique, mais aussi violente et par moment sensuelle. On pourrait presque dire que La Vraie Vie est un roman d'apprentissage d'un nouveau genre ou une sorte de conte cruel où la violence prédomine. C'est aussi un livre résolument féministe.

L'ambiance est étouffante. Le récit est d'ailleurs très bien rythmé, les phrases sont courtes et percutantes ce qui contribue à rendre ce récit captivant. Le roman est superbement construit, chaque chapitre faisant grimper la tension, jusqu'à un chapitre vers la fin du roman où celle-ci est digne des plus grands thrillers et m'a tenu en haleine une bonne partie de la soirée !

Bref, j'ai beaucoup aimé ce roman ! Il a d'ailleurs reçu plusieurs prix, entièrement mérités. (Prix Fnac, Prix Renaudot des lycéens, Grand prix des lecteurs Elle...)

La Vraie Vie / Adeline Dieudonne . - L'iconoclaste, 2018

"Comme un abcès qui avait pris le temps de mûrir, l'horreur éclatait et se déversait sur ses joues. J'ai compris que c'était bon signe, que quelque chose se remettait à circuler en lui, que la machine repartait". p.52

"J'avais compris que le bruit des larmes, c'était la clameur du village gaulois qui s'élevait au loin lorsque la vermine s'endormait" p 87

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