samedi 12 octobre 2013

Accabadoria, un beau roman sur les traditions sardes

La Sardaigne, sa mer turquoise, ses montagnes abruptes, ses campagnes sauvages... Si on connait le coté idyllique de la célèbre île de Méditerranée, on méconnaît les coutumes souvent ancestrales qui sont encore d'usage dans les villages et qui contribuent à renforcer l'âme de l'île.


Dans Accabadoria, Michela Murgia raconte l'histoire d'une fillette, Maria, dans les années 50. Enfant non désirée née après ses 3 soeurs et dont la mère, trop pauvre pour l'élever, la fit adopter par une femme du village. Elle sera  alors une fill'e anima élevée avec à la fois avec tendresse et sévérité par Tzia Bonaria, une vieille femme trop tôt veuve et sans enfant, qui l'encouragera à aller à l'école tout en lui apprenant le métier de couturière. Mais en grandissant, Maria se pose de plus en plus de questions : pourquoi dès fois, à la nuit tombée, Tzia Bonaria sort en douce enroulée dans son châle noir et ne lui dit jamais où elle va?
Lorsqu'elle découvre que sa mère adoptive est l'"Accabadoria", "la dernière mère" celle qui accompagne les malades dans leur dernier souffle, dans des circonstances qui contribuent à la bouleverser encore plus, elle lui en veut terriblement et décide de s'enfuir. Mais on n'oublie pas si facilement son passé et toutes deux seront amenées à se revoir...

Accabadoria c'est aussi l'histoire de deux frères du village, amis de Maria, dont l’aîné veut venger un affront fait à son père. Où les questions de traditions et d'honneur sont mises en avant.  C'est le récit d'un village ancré dans des coutumes ancestrales, où on parle sarde et non italien, où l'Italie d'ailleurs, et plus généralement le continent, semble être une lointaine civilisation. Dans ce village, il semble exister une sorte de de code moral, "il y a des choses qui se font et d'autres qui ne se font pas" et la mort est à la fois crainte et respectée.

Dans ce roman, l'atmosphère est souvent lourde : toutes ces existences sont parsemées de drames et tous les personnages cachent des secrets, des fois terribles. A demi mot, dans une écriture à la fois simple, fluide et poétique, l'auteure nous livre les secrets d'une Sardaigne méconnue. On suit l'histoire à travers les yeux de Maria qui perd peu à peu l’innocence de son enfance en découvrant ces secrets.
C'est un roman sur l'abandon, la mort, la volonté d'en finir... Difficile d'en dire plus sans révéler le dénouement de cette histoire. C'est surtout un livre plein de charme, de caractère et de mystères.

Accabadora / Michela Murgia . - Le Seuil, 2011

Quelques citations :

"Mais les veuves de maris en vie pullulaient dans le village, tout le monde le savait, les mauvaises langues autant que Bonaria Urrai qui, le matin, allait acheter du pain frais, la tête haute, sans s'arrêter et rentrait chez elle droite comme la rime d'une octave chantée" p. 14

"La demeure du défunt n'était pas très loin mais on entendait déjà à des centaines de mètres le chant sombre de l'attitu. Ces lamentations à la musicalité gouailleuse chantaient aux habitants de Soreni les chagrins présents et passés de chaque maison, car le deuil d'une famille réveillait les souvenirs des pleurs versés au fil des ans par tous les autres." p. 24

"<<Il faut aconnaître l'italien, car on ne sait jamais ce que la vie réserve. La Sardaigne fait partie de l'Italie>> - Ce n'est pas vrai. Nous sommes séparés! Je l'ai vu sur la carte. Entre nous il y a la mer.>> p. 38

Malgré sa préférence affichée pour le garçon, Bonaria ne lui manifestait aucune commisération: le regard dur, ses mains osseuses et nues entrelacées tel un écheveau, elle s'exprimait sur un ton aussi froid que la température extérieure, comme si elle s'était changé en courant d'air pour renouveler l'atmosphère malsaine de la pièce. p.88

Comme les yeux de la chouette, certaines pensées ne supportent pas la lumière du jour. Elles ne peuvent naître que la nuit, où, exerçant la même fonction que la lune, elles meuvent des marées de sens dans un invisible ailleurs de l'âme p.122

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