mercredi 22 avril 2015

Mémoire d'un siècle par "La cuisinière d'Himmler"

Marseille, 2012. Rose a 105 ans, vit encore dans son petit appartement avec ses souvenirs et sa nostalgie. Elle fait le récit de sa vie rocambolesque puisqu'elle a en effet traversé un siècle, avec de nombreuses guerres et drames géo politiques. Cependant, malgré tous les drames de sa vie, bien que "cabossée" et dotée d'un certain fatalisme, elle est toujours parvenue à aller de l'avant, grâce à son envie de vivre et son penchant pour la vengeance.


Pour résumé l'histoire de cette centenaire au fort tempérament : Née en Arménie, elle vit sa famille se faire exécuter par les Turcs et parvint à s'enfuir en emportant avec elle une petite salamandre. Elle devint ensuite esclave sexuelle alors qu'elle n'avait pas 12 ans, avant de s'enfuir à nouveau et d'arriver en France où un couple l'adopta. C'est en Provence qu'elle passe de douces années et appris à faire la cuisine. Mais ces deux bienfaiteurs ne sont pas éternels et le calvaire continue après leur mort. C'est alors qu'elle rencontre Gabriel, qui deviendra l'amour de sa vie. Elle ouvre par la suite un petit restaurant à Paris où de grandes figures du XXème siècle viennent dîner, par exemple Sartre et Beauvoir. Mais l'arrivée d'Hitler au pouvoir viendra à nouveau chambouler son existence redevenue paisible. Pour sauver sa famille, elle se rapprochera d'Himmler, qui, après avoir goûté à sa cuisine et ses potions à bases de plantes naturelles lui proposera de la suivre en Allemagne pour être sa cuisinière personnelle en échange d'éventuelles informations concernant le sort de sa famille.
De plus, pendant plus de trente ans, elle emmènera partout avec elle sa précieuse salamandre qui constitue en quelque sorte la voix de sa conscience.
Après l'Allemagne nazie, elle vivra dans l'Amérique capitaliste en pleine "way of life" dans les années 60, puis parcourra la Chine communiste de Mao avant de revenir en France, à Marseille.

A chacune de ses nouvelles vies, elle travaille dans un restaurant et s'adapte aux habitudes alimentaires locales. C'est grâce à ses voyages et ses rencontres qu'elle enrichit ses connaissances culinaires pour devenir une cuisinière réputée.
Malheureusement, chaque fois qu'elle pense avoir trouvé une certaine stabilité et être heureuse,  un drame souvent  lié à la situation politique du pays va chambouler sa vie. Elle dit d'ailleurs dès le début du roman que le bonheur ne dure pas. A chaque fois, Rose se relève et entame un nouveau départ, dans un autre pays, avec d'autres personnes. Si, en apparence, elle semble toujours aller de l'avant, elle n'oublie pas les noms de ceux qui ont causé la mort de ses proches et n'hésite pas à revenir bien des années plus tard se venger, afin de soulager son âme, sa tristesse, son impuissance.

C'est une histoire personnelle attendrissante (bien qu'assez invraisemblable) mais aussi une plongée dans l'Histoire du vingtième siècle, puisque l'auteur dénonce dans ce roman le massacre des arméniens, l'horreur nazie, les collabos pendant l'occupation allemande, les positions ambiguës des intellectuels français, le capitalisme américain, la folie de Mao...
C'est grâce à sa forte personnalité, à sa furieuse envie de vivre, à sa sensualité, à un ego qu'elle n'hésite pas à mettre de coté si besoin et à ses vengeances personnelles que Rose parvient finalement à survivre à tout ça.

Si le roman est prenant et se lit vraiment facilement grâce à un bon rythme et une écriture plutôt légère, j'ai été un peu déçue par la fin, m'attendant un autre dénouement. En effet, au vue de la vie trépidante de cette centenaire, je m'attendais à une fin originale et surprenante ou, du moins, à une certaine morale. Or, il n'en ai rien. Cela dit, ça reste un livre plaisant à lire et intéressant, ne serait-ce que par le fait qu'il mette le doigt sur les génocides du vingtième siècle et la folie des grands dirigeants. Le tout est écrit avec un certain humour noir emprunt d'anticonformisme et d'une morale toute relative.

Franz Olivier Giesberg est un auteur et journaliste franco-américain. La Cuisinière d'Himmler est son 13ème roman

La Cuisinière d'Himmler / Franz Olivier Giesberg . - Gallimard, 2013

Quelques citations :

"Il m'a répondu qu'il fallait croire en l'homme malgré les hommes. Il a raison et j'applaudis. Même si l'Histoire nous dit le contraire, il faut croire aussi en l'avenir malgré le passé et en Dieu malgré ses absences. Sinon la vie ne vaudrait pas la peine d'être vécue." p. 36

" Je me sentais comme la nymphe qu'une colonie de fourmis a dérobée à une autre pour la réduire en esclavage. Nous autres, humains, nous avons beau nous pousser du col et nous vêtir de parure, nous ne sommes que des fourmis, finalement, comme celles que j'observais dans la ferme de mes parents et qui, obsédée par l'idée d'étendre leur territoire, passer leur temps à se faire la guerre." p. 62

"Je dois beaucoup au glanage. Il m'a donné ma philosophie de vie. Mon fatalisme. Mon aptitude à picorer le jour le jour. Mon obsession de toujours tout recycler, mes plats, mes déchets, mes joies, mes chagrins." p. 73

"Le bonheur, disait Emma Lempeur, ça ne se raconte pas. C'est comme une tarte aux pommes, ça se mange jusqu'à la dernière miette qu'on ramasse sur la table avant de lécher le jus doré qui macule les doigts." p. 146

"Je n'éprouvais désormais plus d'amour ni même d'indulgence pour moi. Grâce lui soit rendue : je crois que notre propension au narcissisme et à l'infatuation est la pire des choses; elle nous tire vers le bas. C'est à cause de ce vide en moi, par lui creusé, que je suis devenue increvable." p. 275

"Je ne me lasserai jamais de répéter ce qui fut une des plus grandes leçons de ma vie : il n'y a rien de plus stupide que les gens intelligents. Il suffit de flatter leur ego pour les manipuler comme on veut. La crédulité et la vanité marchant de pair, elles se nourrissent l'une de l'autre, même chez les plus grands esprits." p. 310

" La vie, c'est comme un livre qu'on aime, un récit, un roman, un ouvrage historique. On s'attache aux personnages et on se laisse porter par les événements. A la fin, qu'on l'écrive ou qu'on le lise, on a jamais envie de le terminer." p 349

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